Le Tableau - Dossier pédagogique Prix National Lycéen du Cinéma

Transcription

Le Tableau - Dossier pédagogique Prix National Lycéen du Cinéma
éduSCOL
Le Tableau de Jean-François Laguionie
Prix national lycéen du cinéma
Dossier pédagogique Prix National Lycéen du Cinéma
Dossier réalisé par Carole Wrona / Zérodeconduite.net
De la fable humaniste à l’acte de création
Jean‐François Laguionie (né en 1939) réalise avec Le Tableau son quatrième long métrage d’animation (qui mélange 2D et 3D) après Gwen et le livre de sable (1985), Le château des singes (1999) et L’île de Black Mòr (2004) : des films dans lesquels le héros – littéralement « homme de grande valeur » ‐ est en quête d’une identité et suit un parcours initiatique qui doit sauver ou protéger sa tribu, ceux qu’il aime. La solidarité, l’amitié et l’amour ont toujours raison de l’intolérance et du racisme : ici de petits personnages dessinés venant de couches picturales et sociales différentes partent à la recherche de leur créateur, le peintre. Dans Le Tableau, Laguionie évoque les disparités entre castes tout en œuvrant au cœur de la création artistique pour mieux interroger son métier de réalisateur. La hiérarchie sociale : l’architecture du tableau
À la surface, le tableau peint n’est que forêt onirique et château romantique. Il suffit de pénétrer à l’intérieur pour faire bouger ce qui était initialement figé et pour révéler ce qui était caché. Une petite Nation est ainsi dissimulée entre les feuillages verdoyants et les lumières artificielles : une réalité qui n’est pas sans rappeler une France d’avant la Révolution Française et des Droits de l’Homme. Trois catégories sociales co‐existent ; les Toupins (aristocrates colorés), les Pafinis (pauvres figures inachevées) et les Reufs (des sans abris, sans texture sans nuance). Ces distinctions se retrouvent dans le décor : le château, mis en lumière et en musique, est posé sur une falaise et les huttes, elles, sombres, silencieuses, ressemblent à des terriers. Entre le haut et le bas, un monumental escalier jouent l’ascension et la chute sociales. Mais l’amour seul guide les bouleversements à venir : le Toupin Ramo aime la Pafinie Claire – comme jadis Roméo aima Juliette malgré la haine de leur deux familles. La conscience d’être créé : les personnages
Le Tableau est une mise en abyme de la création, un questionnement sur l’acte même, le faire, et sur l’achevé et l’inachevé. Nos héros, Ramo, Magenta, Lola, Plume, se savent créés et décident de partir à la recherche de celui qui pourrait, selon eux, finir ce qu’il a commencé. La notion de fini/pas fini n’a aucun sens dans les arts, comme l’explique le peintre. C’est au créateur de saisir ce qu’il a terminé et de faire le deuil du superflu qui bouleverserait l’harmonie de son travail, ainsi les expressions « s’arrêter à temps » ou « ne pas en rajouter une couche ». Cette mise en abyme se retrouve dans le choix des trois représentations qui illustrent les castes et le processus créateur :  les Reufs (de l’anglais Rough, « ébauche, brouillon ») sont des esquisses d’un dessin préparatoire
(ils bégaient qui plus est). Ces traits jetés se fondent dans le décor : en vrais caméléons, ils évoquent
toutes les possibilités du peintre.
 les Pafinis sont des propositions d’images, des chutes de coloris, des idées de formes : il ne leur
reste que la dernière intention du peintre pour rejoindre les Toupins.
 les Toupins sont donc la phase achevée. Ils arborent de chatoyantes carnations et vouent une
adoration à la Lumière qui édifie leur couleur (leur chef se nomme le Grand Chandelier).
Chaque personnage possède la forme de leur caractère ainsi que le prénom qui sied à leur petit être : Ramo au nez accentué et aux lignes fortement stylisées est résolu et audacieux, Plume, qui n’est qu’embrouillamini de traits, reste indécis et angoissé, Garance, ronde et nue, est ainsi lascive, sensuelle, Claire, si pâle, espère encore de ses couleurs, etc. Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO)
Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Le Tableau
http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/
Avril 2012
Peintres et genres
Laguionie a planté son animation dans une histoire de la peinture figurative : les années folles (1920‐
1930) virent s’épanouir à Montparnasse l’Ecole de Paris constituée principalement d’artistes étrangers. Si le style des tableaux dévoilés reste le même et ne se réfère nullement à un peintre en particulier, les citations sont nombreuses, en voici quelques unes :  Chagall pour la flamboyance des couleurs et certaines figures peintes dans le tunnel (Venise).
 Matisse dans le trait du nu de Garance.
 Modigliani dans la figure allongée de Claire.
 Picasso dans l’Arlequin de la période bleue - cette toile posée dans l’atelier annonce le Carnaval,
celui de Venise, où les masques et les costumes autorisent frénésie et délires, des mascarades afin de
dissimuler son identité et son statut social.
 Claude Gellée dit Le Lorrain (1600-1682) dans son raffiné travail sur la lumière ainsi retrouvée à
la vision du coucher de soleil (Venise) et dans les Marines (tableaux de mer).
Qu’écrire encore ? Le visage du Grand Chandelier en forme de poire, nouvelle interprétation du tyran (déjà visible dans L’île de Black Mor), renoue avec la célèbre caricature de Louis‐Philippe, roi des Français, dessinée par Philippon en 1834. Enfin, Le joueur de fifre de Manet (1866), copie détruite dans l’antre obscur et inquiétant, la cave, évoque les années de labeur du peintre, l’apprentissage. Les genres picturaux offrent un parcours dans l’histoire de l’art et questionnent la représentation : le paysage (forêt, mer), la scène de bataille (celle de Magenta), l’autoportrait (le peintre), le nu (Garance) ou la scène allégorique (la Mort). La place faite à Venise, ville de peinture par excellence, où la lumière, les canaux, l’architecture déclinent de vastes possibilités visuelles n’est évidemment pas anodine : Titien, le Tintoret, Carpaccio, Tiepolo, Canaletto ont su rendre unique la Sérénissime. L’eau : l’autre part
L’eau est une constance du cinéma de Jean‐François Laguionie. Depuis ses premiers courts jusqu’à L’île de Black Mor, le réalisateur a toujours plongé dans l’océan, les marais, les rivières, obsédé par la représentation des vagues, des nuages, la ligne d’horizon, le bleu du ciel et celui de la mer. Rien d’étonnant donc si la fin du film s’achève sur la vision du peintre posant son chevalet face à une étendue que nous ne verrons pas mais qui semble venir de sa toile, une Marine. Cette conclusion picturale l’est également narrativement parlant : les petits personnages dessinés voguent depuis le début au fil de l’eau : la rivière de leur tableau, les canaux de Venise. Ainsi, le courant qui emporte Lola, Ramo et Plume vers l’autre côté, un ailleurs, dit la symbolique du passage et de la frontière. La cascade est l’ultime épreuve dans ce monde où le parcours n’est certes pas linéaire mais escarpé, on monte, on descend, on s’enfonce, on revient sur ses pas, on reprend. La voie d’eau, celle qui dessine une Venise en échappées belles, offre une vision à la fois plus euphorique (le Carnaval) et plus mythologique (les Enfers) : cette voie ressemble au Styx ; Plume, poursuivi par la Mort, doit s’en extraire. Aimer, animer
Laguionie a débuté sa carrière en travaillant la technique du papier découpé (La demoiselle et le violoncelliste, 1965). Cependant, lorsqu’il aborde le long métrage (Gwen et le livre de sable), Laguionie use du dessin animé, la 2D. Les décors sont peints (gouache, aquarelle, suivant le choix de la texture) sur des supports variés (cartons, toiles). Les figures sont à leur tour dessinées sur du papier et certains de leurs mouvements peuvent être reproduits sur cellulos (feuilles plastiques transparentes) afin d’éviter le pénible labeur de refaire tous les éléments présents à chaque plan. Cette technique, où le geste de l’animateur est littéralement en prise avec elle, trouve une nouvelle existence via la machine et l’animation en image de synthèse. La 3D rendu 2D par exemple autorise Laguionie à poursuivre son amour pour le dessin animé tout en œuvrant différemment (facilité dans le travail d’équipe, dans les trucages, la correction de l’image, etc). Le tableau est un savant mélange de 3D et de 2D : les figures, petites sculptures virtuelles, sont modélisées sur l’ordinateur puis personnages et décors subissent un traitement qui imite la peinture ou redonne un aspect dessin en deux dimensions comme le trait d’encrage colorisé. L’atelier du peintre, lui, est clairement traité en 3D hyperréaliste avant cependant la mise en valeur de la prise de vue réelle et l’apparition du Créateur. Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO)
Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Le Tableau
http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/
Page 2 sur 3
Filiations
Après des études en tant que décorateur de théâtre, Laguionie fait la rencontre de Paul Grimault, auteur de petits films d’animation d’une grande élégance, et qui livrera son chef d’œuvre, le Roi et l’Oiseau, en 1980. Le tableau est un hommage à ce maître incontesté qui s’amusa lui aussi à faire sortir ses personnages, la bergère et le ramoneur, de leur cadre pictural trop étroit. Ces figures dessinées qui prennent vie, ces individus qui plongent dans la peinture, ou ces personnages de cinéma qui veulent sortir de leur écran restent une constance du septième art, un fantasme : des Affiches en goguette de Georges Méliès (1905) à Comment Wang­Fô fut sauvé de René Laloux (1987) en passant par Tron de Steven Lisberger (1982), La rose pourpre du Caire de Woody Allen (1985), Last Action Hero de John McTiernan (1993) ou Sherlock Junior de Buster Keaton (1924). D’autres clins d’œil cinématographiques sont distillés de‐ci delà : le prénom Garance est un hommage à Jacques Prévert (scénariste attitré de Grimault) qui dans Les enfants du Paradis (M. Carné, 1946) nomme ainsi son héroïne – le miroir qui reflète le Grand Chandelier mais ne lui dit rien rappelle celui de la méchante reine dans Blanche Neige et les sept nains (W. Disney, 1937). Passer d’un tableau à un autre poétise Hellzapoppin (H.C. Potter, 1941) où les protagonistes, eux, passent d’un film à un autre. L’incrustation de figures animées dans une prise de vue réelle évoque les Alice Comedies de Walt Disney (1923‐1927), Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (1988), ou La table tournante de Grimault (1988). Synopsis
Un château, des jardins fleuris, une forêt menaçante, voilà ce qu’un Peintre, pour des raisons mystérieuses, a laissé inachevé. Dans ce tableau vivent trois sortes de personnages : les Toupins qui sont entièrement peints, les Pafinis auxquels il manque quelques couleurs et les Reufs qui ne sont que des esquisses. S'estimant supérieurs, les Toupins prennent le pouvoir, chassent les Pafinis du château et asservissent les Reufs. Persuadés que seul le Peintre peut ramener l’harmonie en finissant le tableau, Ramo, Lola et Plume décident de partir à sa recherche. Au fil de l’aventure, les questions vont se succéder : qu'est devenu le Peintre ? Pourquoi les a t‐il abandonnés ? Pourquoi a‐t‐il commencé à détruire certaines de ses toiles ! Connaîtront‐ils un jour le secret du Peintre ? Fiche technique
France, Belgique 2011 Durée : 1 h 16 Réalisation : Jean‐François Laguionie Scénario : Anik Le Ray Inteprétation des voix : Jessica Monceau, Adrien larmande, Thierry Jahn, Julien Bouahich, Cécile Ronte, Thomas Sagols Production : Armelle Gorennec Distribution France : Gebeka Sortie française : le 23 novembre 2011 Crédits
Dossier rédigé par Carole Wrona pour le site Zérodeconduite.net Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO)
Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Le Tableau
http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/
Page 3 sur 3

Documents pareils