Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l
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Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l
Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.” « Déjà en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l'effort, un effort continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l'homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s'efforcer, voilà tout leur être ; c'est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur ; c'est par nature, nécessairement, qu'ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté (1) vienne à manquer d'objet, qu'une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l'ennui ; leur nature, leur existence leur pèse d'un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. [...] Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum ; et c'est là la plus heureuse vie. [Cependant] il est bien d'autres moments, qu'on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu'on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c'est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe. » Arthur Schopenhauer (1788-1860), Le Monde comme volonté et comme représentation, § 57 (1) Ici : faculté de désirer. Introduction : Nos sociétés de consommation ne se maintiennent que par la dynamique propre au désir. Au delà de nos besoins élémentaires qui ne suffiraient pas à alimenter la machine de production économique moderne, le désir est infatigable et peut se fixer sur une quantité indéfinie d'objets. C'est cette capacité de renouvellement du désir qui sert de base à la société de consommation. Mais cette société n'est pas une société du bonheur comme elle le prétend cependant, car l'essentiel est de consommer frénétiquement, pas de jouir paisiblement. Le thème du désir impossible à satisfaire est au coeur de ce texte de Schopenhaeur, qui permet de mieux comprendre cette situation. Selon l'auteur notre existence est soumise au désir, ce qui nous conduit soit à souffrir d'un manque, soit à l'ennui. Seule la suppression , exceptionnelle, du désir pourrait nous conduire à un bonheur éphémère. Il y a là un problème, car qu'est-ce que le bonheur si ce n'est justement la satisfaction pleine et entière de nos désirs. Mais la question est de savoir si nos désirs sont faits pour réellement nous satisfaire, ou bien s'il ne sont là que pour occuper notre existence. Le désir est il voué à la souffrance, procède t il d'une illusion ? Y a t il une expérience de la joie au-delà du désir ? L'enjeu du texte est à l'évidence moral, puisqu'il s'agit de savoir quelle valeur nous pouvons attribuer aux plaisirs que nous poursuivons dans l'existence. S'il sont absurdes et toujours suivis d'une souffrance, ne vaut il pas mieux adopter une attitude ascétique ? Le texte dans une première partie dresse un tableau pessimiste de la condition humaine, condamnée à osciller stupidement entre la souffrance du manque et la souffrance de l'ennui. Dans un second temps le texte propose deux possibilités de bonheur : d'une part une vie réglée permettant la moindre souffrance possible ; d'autre part ces moments d'exception où le sujet faire taire le désir, pour devenir contemplatif. Structure dynamique du texte : I) La condition humaine : vouée à la souffrance. 1) L'effort ou la Volonté est l'essence de tous les êtres de l'univers A) Dans ses formes les plus élémentaires comme le monde minéral, végétal, ou les animaux dénués de sentiment, (la « nature brute »), la nature est essentiellement un « effort » pour exister, dénué de raison. Cad que chaque être ne fait rien d'autre que de se conserver, se maintenir dans l'existence. Pour les être nonvivants comme les pierres, c'est simplement l'application du principe d'inertie (conservation de la trajectoire tant qu'une nouvelle force ne vient pas la changer). Pour les plantes et les animaux c'est l'effort pour survivre, s'adapter, lutter contre le désordre et la mort. Il s'agit d'une thèse métaphysique, qui prétend expliquer le fond même de la nature, au-delà des explications scientifiques. La science explique les mouvements, les transformations, les comportements, par des lois, des relations de causalités, exprimables mathématiquement. Mais elle n'explique pas pourquoi il y a du mouvement, pourquoila vie cherche à vivre, pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. L'auteur voit derrière tous les phénomènes naturels une seule et même réalité, aveugle, sans forme, dénuée de raison, qu'il appelle « effort » ou « volonté ». C'est la raison de tout, elle même sans raison. C'est parce qu'elle est cachée derrière les apparence qu'il l'appelle « essence intime ». Comme cet effort se confond avec l'être des choses, il est forcément sans fin au double sens du terme : sans achèvement (« continu, sans repos ») et « sans but ». Les êtres vivants trouvent les moyens parfois les plus ingénieux pour se maintenir en vie, mais ils vivent pour vivre, il n'y a pas de but qui expliquerait la vie. En d'autres termes la vie peut s'expliquer en termes de causes, mais pas en termes de raison (motifs, justifications). La vouloir, ou effort pour exister est un fait, qui ne s'explique pas. On peut rapprocher c'est thèse du concept de Conatus de Spinoza, comme nous le verrons dans la partie critique. B) Chez les êtres plus évolués, comme les animaux ou l'homme, la Volonté ou « effort » se manifeste de manière encore plus évidente. En effet chez les êtres « bruts » comme une pierre par exemple, « l'effort » est facilement confondu avec le mouvement ou la force (pesanteur, résistance...). Mais chez les êtres évolués apparaît la dualité sujet/objet, la dualité entre soi et le monde. Or il est manifeste que le sujet ne peut pas s'expliquer uniquement comme raison ou intelligence ; il est d'abord volonté de vivre, désir. Un être humain peut bien justifier ses actes par tel ou tel motif, mais il ne peut justifier son existence elle-même : le désir d'exister est premier, et lui même est sans raison. C'est pourquoi le désir est sans fin, aucune satisfaction ne mettra fin au désir, car le désir n'est pas un attribut de notre être, mais il est notre être même. D'où le caractère insatiable bien connu du désir : une « soif inextinguible ». Transition : quelles sont les conséquences morales de cette vérité métaphysique ? 2) Si la Volonté est notre essence, alors nous sommes voués nécessairement à la souffrance Ce second moment de l'argumentation débute par l'adverble « Or » qui introduit une remarque : la volonté procède d'un manque. Il faut comprendre que le « vouloir » dont il est question ici prend la forme d'une volonté singulière qui a beoins d'un objet. Pour le sujet, vouloir c'est forcément désirer quelque chose. Or si un individu veut quelque chose, ou la désire, ce qui ici revient au même, c'est parce qu'il ne la possède pas, ou ne l'a pas encore effectuée. Donc du point de vue d'un individu, d'un sujet humain, la volonté n'est vécue que dans l'ordre du manque. On ne désire que ce que l'on n'a pas encore. Le sujet, en tant qu'il désire, se représente son propre manque d'être et en souffre. Il est sans cesse en manque de quelque chose, et c'est donc nécessairement qu'il souffre. Rien ne pourra combler son désir (un peu comme le tonneau des Danaïdes) car il n'est rien d'autre qu'un désir « sans but, sans repos ». Transitions : Qu'en est est il alors des moments où le désir est satisfait ? Le texte introduit par la conjonction « Mais » la conséquence réciproque : que se passe-t-il si nos désirs sont à un moment donné satisfaits ? 3) Lorsque notre désir se retrouve sans objet , on souffre de l'ennui. Il peut arriver en effet que l'on ait obtenu ce que l'on désirait, et que l'on n'ait pas d'objectif particulier à l'esprit. Dans ce cas c'est une autre forme de douleur qui survient : l'ennui. Rien ne nous préoccupe particulièrement, nous n'avons pas de tâche à effectuer ; les circonstances n'offrent que des possibilités d'action limitées ; et voilà que nous nous ennuyons : nous ne savons pas quoi faire. L'ennui est bien une forme de tracas, de désagrément. Mais pourquoi souffrir de n'avoir rien à faire ? L'absence d'objet de désir devrait être une absence de manque, et donc une absence de souffrance. Certes, mais il ne s'agit pas vraiment d'une absence de désir, il s'agit d'un « manque d'objet » : c'est un manque plus radical en un sens que celui dont procède le désir. L'ennui manifeste un désir vide d'objet ; il nous fait sentir le vide et l'absurdité de notre existence. Si notre vie avait un sens, la réalisation de nos désirs devrait nous satisfaire totalement. Mais c'est le contraire qui se passe : l'ennui nous révèle que le désir a pour fonction de nous aveugler, d'occuper notre existence, afin que nous ne voyions pas à quel point elle est absurde. Par conséquent l'ennui est peut être une douleur encore plus grande que la douleur du manque, car elle nous fait sentir le poids de notre existence : nous sentons que nous existons sans raison, sans but, mais que pourtant nous voulons vivre. Il est proprement insupportable de ressentir le désir de vivre sans trouver de raison de vivre. 4) Conclusion de cette première partie du texte : notre vie est un mouvement entre deux extrêmes : la souffrance du manque et l'ennui. Pour représenter de façon imagée notre existence, Schopenhauer le représente comme un pendule. Le mouvement pendulaire représente le temps, la bipolarité et l'éternel recommencement. En effet notre vie se déroule dans le temps, elle évolue et change. Mais le principe unique qui nous gouverne, la volonté aveugle, va se dévellopper selon une logique implacable : la volonté chez l'être conscient se donne un objet : il désire. Tant qu'il a des objets à désirer, il souffre du manque ; dès qu'il n'a rien à désirer, il s'ennuie. C'est donc un même mouvement qui oscille entre deux pôles, sans qu'il y ait possibilité d'y échapper. (Sauf dans un cas particulier qui est évoqué à la fin). L'homme est donc condamné à souffrir. Transition : peut on concevoir un bonheur possible dans ces conditions ? II) Les deux possibilités de bonheur pour l'homme 1) Un bonheur ordinaire obtenu dans une certaine modération, ou tempérance. On a vu que la vie, en tant qu'elle manifeste toujours un désir, est vouée à la souffrance : souffrance du manque ; ou souffrance du manque de manque (l'ennui). Il n'est donc pas question d'échapper à cette souffrance, mais il est possible de la réduire au minimum. On demeure ici dans la logique de l'être désirant : tout ce qu'il fait, il le fait en vue d'une satisfaction ; il ne fait rien pour rien. Mais il est possible d'éviter un trop grand manque, ou bien l'angoisse de l'ennui, en trouvant un bon tempo (ou rythme), une juste distance entre le désir et sa satisfaction. Il faut mener une vie où les désirs soient suffisamment réalisables pour ne pas se retrouver en situation d'échec ; mais il faut qu'ils soient suffisamment ambitieux et dotés de sens, pour qu'ils puissent nous divertir durablement et nous laisser croire qu'ils valent la peine d'y consacrer nos efforts. Si la satisfaction est trop rapide, c'est que l'objet du désir est futile, ou trop facile à obtenir. Mais si elle tarde trop à venir, nous doutons, perdons courage et désespérons. On notera toutefois que le texte de se dépare pas de son registre pessimiste : cette vie « la plus heureuse » n'est pas qualifiée de « sage » : il ne s'agit pas de la tempérance socratique ; il ne s'agit pas de parvenir à l'absence de trouble de l'âme (ataraxie) comme disaient les Grecs Anciens. L'image du pendule nous interdit d'interpréter le texte de cette façon, car elle renvoie aux idées de mouvement et d'alternance entre des états opposés. Donc l'homme heureux en ce sens, c'est surtout un homme qui « s'occupe » intelligemment, qui sait se divertir. Ce n'est pas l'homme qui a atteint un état de plénitude, et de satisfaction définitive. C'est donc un bonheur très relatif : on pourrait appeler cela le « bien-être ». Transition : mais cela nous laisse insatisfaits. Comment aurions nous l'idée du bonheur et de la béatitude, si nous n'en avions que des expériences relatives, imparfaites ? Le relatif ne peut se comprendre qu'en rapport avec l'abolu (de même qu'on ne peut reconnaître la couleur « blanc cassé » que parce qu'on connaît le « blanc pur »). D'où nous vient l'idée du bonheur ? II) 2) Le bonheur parfait procède de la suppression du désir La fin du texte propose une conception du bonheur, apparemment en contradiction avec tout ce qui a été dit. Une joie « pure », sans mélange, sans contrepartie est possible ; qui ne soit pas « polluée » par le manque ou le regret. Notons la répétition à trois reprise du terme « pur », qui laisse entendre que la vie ordinaire est impure, entâchée d'une erreur. Ce bonheur résiderait dans l'expérience artistique, ou esthétique. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que ce bonheur n'est possible qu'à condition d'une rupture radicale avec le mode ordinaire de l'existence. La rupture consiste à ne plus entretenir un rapport de désir avec le monde, mais au contraire à adopter une attitude « désintéressée » à son égard. Ce passage du texte est difficile et peut prêter à confusion : il ne signifie pas que l'on quitte le réel pour se réfugier dans un monde irréel et imaginaire. Une telle interprétation est impossible puisque nous restons « spectateurs de ce monde », et que nous accédons à la « connaissance » : si l'auteur avait voulu parler d'un monde imaginaire il n'aurait pas employé ces termes là. Il y avait certes le terme de « rêve » à la fin, mais c'était pour dénoter le caractère fugace et évanescent de ces joies, et non pas leur caractère irréel. Ce que signifie « être enlevé au monde réel », c'est ne plus être soumis à la Volonté, et ne plus considérer la nature que comme une pure intelligence, débarrassée du besoin, débarrassée de la nécessité de satisfaire un quelconque désir. D'ordinaire nous nous intéressons au monde, dans la mesure où nous pouvons en tirer une quelconque satisfaction : nous voyons le fruit comme bon à manger ; nous considérons telle personne comme agréable à cotoyer, ou comme un collaborateur utile etc. Même la connaissance scientifique est récupérée de manière intéressée : nous accordons de l'importance à cette connaissance, dans la mesure où elle permet des avancées technologiques, qui facilitent notre existence, ou notre volonté de puissance. Disons donc, que d'ordinaire la représentation du monde est soumise à la Volonté. Mais il peut arriver que se produise une déconnexion entre la Volonté et la représentation. En ce cas on se représente une chose, non pour satisfaire un désir, mais simplement pour elle-même : ce sont les moments de contemplation. C'est ce qui se passe lorsque nous admirons la beauté d'un paysage, ou d'une fleur. C'est bien une « connaissance » de la chose, non pas au sens d'une explication scientifique, mais au sens où nous entrons en contact direct avec le monde, sans passer par l'intermédiaire d'un désir. Cela suppose un oubli de sa propre personne, et de n'être plus qu'un simple regard anonyme sur le monde, ce qui permet à la beauté de se manifester. En faisant cesser la tyrannie de la volonté, toute notion d'utilité disparaît, et nous pouvons apprécier la beauté du monde. Cette thèse est à rapprocher du Bouddhisme, pour lequel la clé du bonheur consiste à abolir la souffrance, en supprimant son origine qui est le désir. Et en effet Schopenhauer fut fortement influencé par le bouddhisme (cf les Védantas). Mais la beauté naturelle est trop proche de la perception ordinaire, trop prosaïque pour ne pas être mêlée de désir : c'est très clair quand on considère la beauté des corps humains, qui ne manque pas de susciter le désir. Il n'y a que dans l'oeuvre d'art que l'objet est une pure représentation produite par l'esprit. Seule l'oeuvre d'art est susceptible de nous faire accéder à cette « connaissance pure », car elle est parfaitement détachée de toute idée de consommation, ou de satisfaction d'un désir. Selon l'auteur, cette faculté de se détacher de notre individualité, de nos désirs, est très difficile, et donc elle n'est accessible qu'à peu de personnes, et de manière fugace. Le plaisir esthétique consiste à s'affranchir de notre condition, un peu comme un corps qui parviendrait à s'affranchir de la pesanteur. Dans l'expérience artistique l'être humain parviendrait à déchirer le voile d'illusion que constitue le désir, pour découvrir un instant la réalité « nue et sans voile » (Bergson). Mais c'est proprement un moment « heureux » c'est-à-dire qui doit beaucoup à la chance, et donc qui ne peut pas durer. Tel est le paradoxe final de ce texte, que les moments où nous sommes réellement en contact avec la réalité, ne sont vécus que comme des « rêves ». Discussion : Ce texte, comme nous l'avons vu, considère que le fond de la réalité, c'est une entité métaphysique qu'il appelle le vouloir, ou la volonté. Cette conception est à rapprocher de celle de Spinoza pour qui tout être n'est rien d'autre qu'un « effort pour persévérer dans l'être », qu'il appelle Conatus. Cet effort est absurde, il n'a pas de but, pas de finalité, aucune raison ne peut le justifier, aucun but ne peut y mettre fin. Mais Schopenhauer en tire la conclusion que, mis à part les moments exceptionnels où nous accédons à la connaissance pure (le savant, l'artiste), notre vie est vouée à la souffrance ou à l'ennui ce qui est manifestement très pessimiste. C'est d'autant plus pessimiste qu'on en vient à l'alternative suivante : soit nous vivons en être humains ordinaires et nous devons souffrir ; soit nous échappons à la souffrance par l'expérience de l'art, mais alors nous renonçons à notre condition d'être humain. Tout cela est dû à une certaine interprétation que Schopenhaeur fait du désir : il le considère comme procédant d'un manque. Or il est absolument clair que le manque n'est pas une réalité, ce n'est qu'un point de vue subjectif, presque imaginaire. En soi, dans la nature, rien ne manque, il n'y a que de l'être, il n'y a que du plein. Le désir comme manque procède donc d'une illusion : le sujet désirant s'imagine qu'il lui manque quelque chose pour vivre mieux, ou pour être meilleur. Tant que le sujet est soumis à cette illusion du désir, il souffre ; et pour échapper à cette souffrance, il n'a d'autre solution que l'ascétisme, la suppression du désir, la suppression de soi, comme dans la philosophie bouddhiste. Pour Schopenhauer la Volonté est la vraie réalité, informe, éternelle, insensée, et elle engendre chez l'individu une forme illusoire qui est le désir. Reconnaissons que cette entité métaphysique qu'est la Volonté relève d'une croyance à laquelle nous ne sommes pas obligés de souscrire. La conception de Spinoza est ressemblante mais très différente au fond : pour ce dernier il n'y a pas de mystère du désir, il n'y a pas d'entité cachée (inconsciente) qui serait responsable de nos désirs. Nos désirs ne sont pas le résultat d'un manque, mais l'expression de notre puissance d'agir. Tout être n'est qu'un effort pour persévérer dans son être ; soit. Mais le désir n'est que la conscience plus ou moins claire de cette puissance de se conserver. Donc pour Spinoza la souffrance et l'ennui ne sont pas des conséquences nécessaires du désir, mais ce sont des conséquences d'une certaine faiblesse dans le sujet : incapacité à savoir ce qui lui est véritablement utile, incapacité à faire le tri entre ce qui ce qui renforce et ce qui affaiblit. De ce point de vue le plaisir artistique ne procèderait pas d'une suppression du désir, mais au contraire, d'une affirmation de la capacité à créer, à produire des formes nées de notre esprit. Ce qui est remarquable dans le texte de Schopenhauer, c'est l'absence de référence à la raison, chose surprenante de la part d'un philosophe. Comme si la raison était totalement impuissante face à la réalité de la Volonté. Mais l'on peut rétorquer que la raison n'est pas du tout opposée au désir, pas du tout contraire à nos tendances naturelles. Si employer sa raison c'est chercher ce qui est véritablement utile, cad ce qui est universellement juste et bon, alors il n'y a nul souffrance et nul ennui à désirer ce qui est raisonnable. En effet, comme le montre la sagesse épicurienne, ce qu'il est raisonnable de désirer, ce sont les choses nécessaires à une vie simplement humaine. Cela devrait donc être aisé à acquérir. Mais au-delà de cela, dans la poursuite des choses raisonnables, la satisfaction n'est pas au point d'arrivée, mais dans le chemin luimême ; par conséquent, même si l'on ne parvient pas au but, on éprouve au moins la satisfaction d'avoir fait tout ce que l'on pouvait ; c'est ce contentement de soi que Descartes appelle le bonheur. En conclusion, nous avons vu que la philosophie de la volonté de Schopenhaeur, conduit à une double issue : une issue ordinaire qui est la souffrance et l'ennui, que l'on peut à la limite réduire, mais que l'on ne peut supprimer. OU bien une issue extraordinaire, prenant la forme de l'ascétisme bouddhiste, consistant dans la contemplation du beau. Mais ce pessimisme procède d'une dualité entre une réalité cachée qui serait le vouloir, et l'apparence qui serait le désir. Nous avons vu avec Spinoza que l'on peut abolir la dualité, en considérant que le désir n'est que l'expression d'une certaine puissance, et qu'il peut prendre des formes faibles, marquées par le manque, (le désir mimétique, la rivalité, la jalousie etc) mais aussi des formes supérieures, qui conduisent à des joies durables et sans contrepartie négative. Structure du texte de Schopenhauer I) La condition humaine : vouée à la souffrance. 1) L'effort ou la Volonté est l'essence de tous les êtres de l'univers A) Dans ses formes les plus élémentaires « nature brute » = minéraux, végétaux, animaux dénués de sentiment Thèse métaphysique = l'essence de la nature c'est « l'effort » ou « volonté » => action n'ayant d'autre but que de se maintenir dans l'existence. C'est la réalité profonde qui se manifeste à travers tout les mouvements, c'est donc « sans repos », « continu ». Cet « effort » est sans raison : « sans but » A rapprocher du Conatus de Spinoza B) Chez les êtres plus évolués, comme les animaux ou l'homme, la Volonté ou « effort » se manifeste de manière encore plus évidente. • Chez l'être évolué apparaît la dualité : sujet / objet, moi / le monde • le sujet se représente sa « volonté » ou « effort » => c'est le désir • mais ce désir est tout son être ; il est sans raison et ne s'échèvera qu'avec la mort : « soif inextinguible » Transition : quelles sont les conséquences morales de cette métaphysique ? 2) Si la Volonté est notre essence, alors nous sommes voués nécessairement à la souffrance Sorte de syllogisme - Le « vouloir » universel prend chez le sujet singulier la forme d'un désir de quelque chose. - Or, le sujet ne possède pas cette chose ; elle lui manque. Il souffre de ce manque. - Donc, si on désire nécessairement, alors on souffre nécessairement. Transition : qu'en est il des moments où le désir se trouve satisfait ? 3) Lorsque notre désir se retrouve sans objet , on souffre de l'ennui. Lorsque le désir est satisfait, si nous ne savons pas quoi désirer => ennui Pourquoi l'ennui est il une souffrance ? Ce n'est pas l'extinction du désir ; mais un désir qui ne trouve pas d'objet. C'est un manque de manque => vide et absurdité de l'existence ; angoisse : « poids intolérable » 4) Conclusion de cette première partie du texte : notre vie est un mouvement entre deux extrêmes : la souffrance du manque et l'ennui. Le pendule : image d'un sempiternel va et vient entre deux pôles de souffrance : le manque et l'ennui. Transition : peut on concevoir malgré cela un certain bonheur ? II) Les deux possibilités de bonheur pour l'homme 1) Un bonheur ordinaire obtenu dans une certaine modération, ou tempérance. On peut réduire la souffrance à un niveau minimal : réduire la frustration ; réduire l'angoisse de l'ennui => trouver le bon « tempo », la bonne distance entre le désir et la satisfaction. Vie réglée ou modérée : désir suffisamment réalisables pour éviter l'échec, et garantir un minimum de satisfaction ; suffisamment ambitieux pour être dans l'illusion d'un quête sensée, pour nous divertir durablement. Mais ce bonheur n'est qu'un bonheur illusoire ; ce n'est pas l'ataraxie des Anciens. Transition : Mais alors d'où nous vient l'idée du bonheur ? 2) Le bonheur parfait procède de la suppression du désir - Passage dans une autre dimension de l'existence : répétition du mot « pur ». Rupture avec le mode ordinaire d'existence : l'art, l'expérience esthétique. - Rupture=> ne plus désirer ; attitude « désintéressée », « Etre enlevé au monde réel » => contemplation. Ce qui ne veut pas dire que le sujet passe dans une monde irréel, imaginaire. - « désintéressée » = ne plus se représenter les choses selon l'injonction du désir (le vouloir) mais comme un pur regard, une pure intelligence. Ne plus entretenir de relation utilitariste et pragmatique avec le réel. - Découplage entre la volonté et la représentation. On contemple la chose pour elle-même, pour sa forme : = connaissance « pure », qui n'est pas entâchée par un intérêt. A rapprocher de l'escèse Bouddhiste. - Ce découplage est quelque chose de difficile, de rare et d'éphèmère.