texte intégral de la causerie de J. Ruscon

Transcription

texte intégral de la causerie de J. Ruscon
Les Amis du Val de Thônes
Le vendredi 3 octobre 2014. Salle des Fêtes de Thônes
Conférence par Joseph Ruscon
Les Agnellet
Saint-Jean-de Sixt – Thônes - Paris
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Ah ! pourquoi de nouveau, quand la vie est si brève,
Dois-je encor repartir, entraîné par un rêve
Qu’approuve ma raison !
O mon pays ! Mes champs ! Ma montagne ! Ma plaine !
Les sapins ont grandi, les bois ont plus d’haleine !
O ma chère maison !
Cette strophe tirée de SAVOIE-PATRIE d’Alexandre Agnellet (1856-1906) évoque l’atmosphère qui pouvait régner à Saint-Jeande-Sixt, dans nos familles obligées à s’expatrier.
Après des recherches inédites bien qu’incomplètes, j’en suis conscient, je voudrais tenter de retracer, au 19ème siècle, l’histoire
de cette famille Agnellet issue de Saint-Jean-de-Sixt, avec l’espoir qu’un jour quelqu’un poursuive ce travail. Il y a eu et il y a
aussi de nombreuses familles Agnellet dans la montagne des Confins à La Clusaz, mais rien ne permet à ce jour, d’établir un
lien de parenté avec celles de St Jean.
Le Chanoine François Pochat-Baron (1860-1951) nous a légué une étude succincte sur notre famille dans ses remarquables
travaux sur Thônes et les Paroisses de ses vallées. Saint-Jeandin lui-même, le chanoine fut professeur et directeur du Collège
de Thônes, il reste l’irremplaçable historien de ce pays. Ses travaux ont été édités par l’Académie Salésienne, tomes 43, 44, 60
et 61.
Nous ferons aussi référence aux travaux de Madame Monique Fillion, l’active Présidente des Amis du Val de Thônes et à ceux
de Jean-Bernard Challamel, maire de notre commune depuis 1983 et président de la communauté de communes du Val de
Thônes. Je me dois de remercier spécialement aussi, Gérard Bastard-Rosset, l’ami toujours disponible, érudit es-histoire, esphotographie et es-généalogie, je lui suis redevable de beaucoup de documents.
Il est établi qu’au moyen-âge déjà, il existait une certaine émigration dans notre Duché. D’après Max Bruchet, l’un des
arguments le plus souvent invoqué, pour expliquer le mouvement qui entraîna les savoyards en masse en dehors des
frontières, a été la lourdeur des impôts et des servis de toute nature et leur répartition, mais je crois aussi qu’il faut y ajouter la
difficulté qu’avaient les montagnards d’engranger en très peu de mois, la nourriture nécessaire pour toute l’année, tant pour leur
bétail que pour eux-mêmes.
Dans un placet au roi en 1776, par les habitants des sept communautés composant le mandement de Thônes, les requérants
déclarent qu’ils ont en vue de se libérer de « l’exaction des servis et devoirs seigneuriaux », afin de « faire revenir beaucoup de
compatriotes qui se sont expatriés ».
En Savoie du sud surtout, chacun connait la nécessité qui contraignait beaucoup de familles à voir partir leurs enfants comme
‘’petits ramoneurs’’ pendant la mauvaise saison.
S’ajoutant à la pauvreté endémique des familles nombreuses, forte fut donc l’attirance de la population de nos vallées thônaines
à émigrer vers la France et particulièrement dans sa capitale.
Dans la 1ère moitié du 19ème siècle, la population du village de St-Jean-de-Sixt comptait environ 600 âmes. En 1848, 42 hommes
plus leurs femmes et leurs filles habitaient Paris. (CPB. p137). Cette population tombait à moins de 500 dans la seconde moitié
du siècle. Elle est aujourd’hui d’environ 1500 personnes.
Avec une réputation de sérieux, de probité, d’habileté et de courage, nos montagnards deviendront à Paris des « gens de
bras » , mais aussi des petites mains, concierges, garçons de magasin, et d’autres comme nos ‘’Agnellet’’, réussiront dans le
négoce et même la manufacture.
Bien établis, les ‘’Agnellet’’ garderont toujours la nostalgie de leur sol natal, les trois premières générations resteront toujours en
étroite liaison avec les familles et les amis restés au pays où ils reviendront souvent.
Utilisant leurs connaissances et leurs relations, ils les mirent rapidement au service de leurs compatriotes dans les mutuelles et
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sociétés philanthropiques de la capitale, mais aussi au service de leur pays d’origine en occupant avec succès de nombreuses
responsabilités communales et départementales comme nous le verrons.
Cette étude s’étalera sur une centaine d’années. Du fait de la similitude des prénoms, je dois signaler la grande difficulté des
recherches. Dans ma généalogie, j’ai par exemple pour la période qui nous occupe : 28 Jean, 14 François etc. Il était d’usage
de donner plusieurs prénoms aux nouveau-nés, soit pour honorer un père, un grand-père ou encore un parrain. Or en réalité,
on employait seulement l’un ou l’autre pour ne pas les confondre. De même si un enfant mourait à la naissance ou en bas âge,
on redonnait le même prénom au suivant du même sexe. C’est souvent pour l’historien et le généalogiste une réelle
complication pour s’y retrouver et j’ai encore des doutes pour l’attribution de certaines informations.
Un auteur comme Pierre Soudan dans son ‘’ Histoire du Conseil Général de la Haute-Savoie (1986) fera confusion précisément
sur François Agnellet mon aïeul.
Pour ne pas allonger, je n’étudierai que les personnages les plus notables, un certain nombre n’ont pas laissé de traces,
j’omettrai détails et dates qui n’auraient d’intérêt que dans un livre.
Le fondateur
Comme toutes les histoires : « Il était une fois » à St-Jean-de-Sixt, un honnête cultivateur de très modeste condition, JeanMarie Agnellet-la-Pierraz, dit l’aîné, qui naquit le 12 juin 1759 et décéda le 23 juillet 1824. Après avoir épousé le 29 avril 1778,
Louise Fournier-Bidoz du Grand-Bornand (1754-1827) ils eurent 8 enfants, dont deux qui vont générer deux branches
familiales. À signaler qu’au fur et à mesure, les Agnellet perdront la qualification d’origine : ‘’la Pierraz’’ pour ne s’appeler
qu’Agnellet.
Pour la notation des individus : 1er chiffre = génération. / 2ème chiffre = branche 1 ou branche 2 / 3ème chiffre = ordre de
naissance / 4èmechiffre = de naissance.
Première génération, les naissances avant 1800.
Les deux fils aînés de Jean-Marie, 1/ François-Marie et 2/ Julien, forment les deux branches.
Nous laisserons de côté trois autres fils de Jean-Marie, aucunes indications sur leurs familles et leurs parcours professionnels
ne nous étant parvenues. [Jean-Pierre (1784), Jean-Marie (1795-1837), Georges (1799)]
Branche 1
1/ 1. François-Marie est l’aîné des huit enfants de Jean-Marie, il naquit le 27 février 1779 à St-Jean-de-Sixt, Il épousa Perrine
Favre-Bertin en 1801 avec laquelle il a eu 3 enfants, 3 garçons : Augustin – dit aussi Auguste né en 1803 à St Jean - JeanLouis né en 1806 à Paris et Benjamin né en 1810 à St Jean. On peut donc penser qu’entre les deux naissances, 1803 et
1806, François-Marie avait émigré dans la capitale, certainement pour s’engager dans l’armée impériale, car il décèdera en
1810, alors qu’il était soldat en Corse.
Branche 2
1/ 2. Julien Agnellet (1781-1852), le second des enfants de Jean-Marie : s’établit vers 1810 comme aubergiste, rue de la
Saulne à Thônes. Marié à Josephte Missilier, ils eurent 13 enfants, dont aussi trois garçons : François (qui est mon arrièregrand-père), Joseph et Parfait, ce seront trois des plus importants personnages de la famille.
Deuxième génération. Les naissances se situent de 1800 à 1831.
Branche 1, nous venons de voir que François Marie avait eu trois garçons : Augustin, Jean-Louis et Benjamin.
2/ 1.1. Augustin, dit : Auguste – l’aîné, nait à St-Jean-de-Sixt le 28 octobre 1803 et décède à Paris le 1er mars 1866. Marié à
Hortense Cossu-Sarthe (1809-1889). Ils eurent six enfants dont à notre connaissance aucun ne fera souche Agnellet.
C’est le personnage clef de notre histoire, car comme le relate le chanoine Pochat-Baron, pour les Agnellet : « il a été notre
père à tous ». C’est Auguste qui va lancer la famille dans les affaires.
Parisien du fait de son père le soldat François-Marie, Auguste s’associa quelque temps à un compatriote : Gaspard FavreMarinet et au bornandin François Périllat-Bottonet pour créer la maison de fournitures de modes ’’Favre-Agnellet-Périllat’’ qui
prospéra rapidement.
Par la suite, son cousin François (1807) son frère Benjamin (1810) puis Joseph et Parfait les frères de François l’ayant rejoint,
ils créèrent la société ‘’Agnellet Frères’’ qui acquit à Paris une place de tout premier plan dans le négoce et la fourniture
d’articles de mode. Plus tard, en 1843, une usine sera créée à Neuilly-sur-Seine pour la fabrication des chapeaux.
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Au temps des transformations de Paris par le préfet Haussmann, Auguste devint riche propriétaire d’immeubles et il acheta
même une maison à Menthon-St-Bernard (74). Celle-ci reviendra à sa fille Emma restée célibataire.
Augustin décèdera à Paris et sera inhumé dans le tombeau-monument familial au cimetière du Père Lachaise où est gravé sur
l’ex-voto : « Ici repose notre père bien aimé ‘’Augustin Agnellet’’ né à St Jean de Sixt le 28 octobre1805, décédé à Paris le 01
mars1866 ».
2/ 1.2. Jean-Louis le frère d’Augustin, le 2ème de cette branche, naquit le 13 mars 1806 à Paris. Bien qu’aveugle, il travaillera
avec son frère aîné dans l’entreprise familiale. Resté célibataire, il décèdera à Paris le 17 février 1886 et il sera enterré à coté
de son frère Augustin au cimetière du Père Lachaise.
2/ 1.3. François-Benjamin,
le 3èmegarçon, nait à St Jean en 1810, l’année même du décès de son père soldat, sa mère Hortense était donc revenue au
pays. Il aura 4 enfants après avoir épousé en 1845 Jeanne-Marie Anthoine-Milhomme, la fille de l’un des 17 fermiers de la
Chartreuse du Reposoir, dont j’ai parlé dans la conférence que j’ai prononcée le 8 janvier dernier à l’Académie Florimontane.
François-Benjamin – appelé aussi ‘’François’’ - dut rejoindre de bonne heure à Paris les affaires familiales où œuvraient ses
deux frères aînés. En 1833, il fut l’un des membres fondateurs de la Société Philanthropique Savoisienne où il était inscrit avec
le N° 7, nous en reparlerons plus loin.
En 1858, François Benjamin sera Syndic de St-Jean-de-Sixt, puis après l’Annexion, il en sera élu maire pendant 38 ans jusqu’à
son décès. Il sera aussi élu Conseiller général bonapartiste du canton de Thônes de 1861 à 1870. Pierre Soudan dans son
histoire du Conseil général a attribué ce mandat, par erreur du fait du prénom, à son cousin François, maire de Thônes.
Il fut membre effectif de la Société – Académie – Florimontane depuis 1865.
Intelligemment et habilement François-Benjamin mènera de pair ses obligations professionnelles parisiennes au cœur de la Sté
‘’ Agnellet Frères’’ et ses différentes mandatures savoyardes.
Il œuvra pour la construction de l’église et de la mairie-école de St Jean, faisant même appel à la solidarité de ses compatriotes
de Paris.
Ce bon vieillard apprécié de tous, eut à déplorer la perte de son fils François (dit le Rouge) âgé de 43 ans, un an avant qu’il ne
s’éteigne lui-même d’une hémorragie interne le 13 août 1896 à l’âge de 86 ans dans son cher St-Jean-de-Sixt. François le
Rouge est le seul Agnellet de cette 1ère branche qui laissera une filiation jusqu’à nos jours.
Il a été gravé sur sa tombe :
François Benjamin Agnellet
Maire de Saint Jean de Sixt
Ancien Conseiller Général de Haute Savoie, né à Saint Jean de Sixt le 20 mars 1810, décédé à Saint Jean de Sixt le 12 aout
1896.
Sa vie a été pour tous un long exemple de travail d’honneur et d’abnégation.
Quoique relativement âgé, il est encore mort bien trop tôt pour l’affection des siens dans le cœur desquels il vivra toujours.
(Merci à Gérard Bastard Rosset pour cette information).
Branche 2, celle de Julien Agnellet, l’aubergiste.
C’est cette filiation qui sera la plus féconde. Des 12 enfants, 3 frères firent souche : François, Joseph et Parfait, comme nous
l’allons voir, trois personnages d’exception
2/ 2.1. François est le fils aîné de Julien, il est mon arrière-grand-père. Il naquit au lieu dit ‘’Mont Durand’’ à St Jean-de-Sixt, le
23 février 1807. Deux mariages lui donneront onze enfants dont 4 garçons.
Avec Marie Hélène Cotterlaz-Rannaz du Grand-Bornand née en 1814, il aura 7 enfants, dont le 7ème est ma grand-mère
Marie-Eugénie épouse Ruscon (1852-1918) .
Marie-Hélène décédera à Paris en 1854. Elle est enterrée au cimetière du Père Lachaise dans le caveau Agnellet avec cet exvoto : « Ici repose le corps de Marie Hélène Cotterlaz épouse de François Agnellet décédée le 03/08/1854 à l'âge de 41 ans,
regrettée de son époux, de ses enfants et de toute sa famille ».
François se remariera l’année suivante en1855 à Paris avec Sylvie Pergod née à St-Jean-de-Sixt en 1827, il en aura encore 4
enfants. Soit 11 au total.
De cette époque il est resté un souvenir familial, chaque dimanche et jour de fête, la famille au grand complet partait en calèche
à l’églisede Thônes pour assister à l’office de huit heures, c’était, disait-on : ‘’ la messe des Agnellet’’.
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De quatre ans l’aîné de François, c’est certainement son cousin germain Auguste, qui l’aura attiré de bonne heure à Paris ainsi
que ses deux frères cadets : Joseph et Parfait.
Associés, ils dirigeront successivement avec succès la société en commandite ‘’ Frères Agnellet’’ qui évoluera au fur et à
mesure des arrivées et des départs des membres de leurs familles.
François sera Vice-président d'honneur de la Société Philanthropique Savoyarde de Paris.
La Savoie étant encore sous régime sarde, il semblerait que François ait décidé de rentrer vivre à Thônes vers 1854/1855,
après avoir effectué les 2 acquisitions suivantes :
1/ Le 8 mars 1855, par acte passé devant le Consul sarde à Paris, François achetait de Barthélémi-Claude, demeurant à Paris,
pour le prix de 15.300 livres, une maison située, à Thônes rue de la Saulne. Elle comprenait clos et dépendances, entourée
d’un mur d’enceinte et était inscrite sous le N°1093 et 1094, le 19 du dit mois à la conservation des hypothèques d’Annecy
(Gazette de Savoie, le 1.9.1855)
2/ La même année il acquérait pour 14.030 Fr, à Thônes également, le domaine du Villaret qui avait appartenu avant 1743, à un
noble du Bugey, le Marquis de Mont-St-Jean. Cette propriété deviendra école, puis elle est aujourd’hui une Maison familiale.
Pour Mme Fillon : «après avoir amassé une certaine fortune durant moins de trois décennies, François rapporte en sus, des
poèmes et des chansons de sa composition, il deviendra un "monchu'' dans son village natal de St-Jean-de-Sixt. »
En 1865, après le Rattachement à la France, François et ses associés parisiens achètent à Tronchine, la filature Bailly en déclin
pour y installer une succursale de Paris : ‘’Agnellet Frères’’.
Cette manufacture restera célèbre dans l’histoire de Thônes. Elle fabriquera des articles de mode, de la broderie sur tulle, et se
spécialisera par la suite dans la fabrication des chapeaux de paille et de feutre. Bon an mal an, de 40 à 80 ouvriers et ouvrières
y travaillaient en permanence et près de 300 à domicile. C’était 10 heures de travail par jour, sauf le dimanche. Dans la
seconde moitié du 19ème siècle, en retenant au pays des habitants de notre vallée, cette usine a été une chance. On peut se
rapporter à la revue N° 5 des Amis du Val de Thônes pour une étude exhaustive de J. B. Challamel’’ sur le sujet.
Conseiller communal de Thônes en 1854, syndic en 1858, puis nommé Maire par Napoléon III (décret du 26 août 1865),
François Agnellet sera ensuite élu et restera Maire jusqu’à sa démission le 4.10.1870.
Sous son impulsion Thônes se transforme, création d’aqueducs pour les égouts, pavage des rues, aménagements des routes,
extension des écoles etc., la petite bourgade lui doit beaucoup.
Enfin avec l’aide financière de son frère cadet Joseph qui ouvre une souscription auprès des savoisiens de Paris, on pose une
ligne télégraphique reliant Thônes à Annecy, c’est dire l’importance pour notre cité, d’avoir ainsi de bonne heure été raccordée
avec Paris et le monde !
C’est également sous son mandat que ce même Joseph offrira à Thônes la belle fontaine qui orne encore aujourd’hui la Place
Bastian. En fonte et de forme octogonale, elle présente au-dessus du bassin quatre griffons surmontés d’une vasque. Ornée
de ses fleurs, elle est certainement le monument le plus photographié de la ville. L’histoire locale rapporte qu’elle fut construite
entre 1867 et 1869.
François s’éteindra d’une pleurésie dans sa maison de la rue de la Saulne à Thônes, le 26 septembre 1872. Sylvie Pergod, sa
2ème épouse est également « décédée dans sa maison rue de la Saulne » en 1897.
Six ans après le décès de François, sur ‘’l’Indicateur savoyard’’ du 11 octobre 1879, j’ai trouvé l’avis suivant :
« le 31 octobre aura lieu, en l’étude et par le ministère de Me Jean-François Favre, notaire à Thônes, l’adjudication en un seul
lot, d’immeubles situés à Thônes, rue de la Saulne, consistant en maison, corps de bâtiment et jardin clos de murs. (Les mêmes
indications qu’à l’achat à Paris). La mise à prix est de 8.000 francs. Ces immeubles proviennent de la succession de M.
François Agnellet. »
On peut logiquement penser que Parfait , le frère de François s’en était porté acquéreur, car c’est l’épouse de Parfait qui
revendra ces biens, le 18 juin 1908, suivant acte passé devant Me de Coucy, notaire à Thônes.
François Agnellet a non seulement laissé un important souvenir comme manufacturier et maire de Thônes, mais il est aussi
passé à la postérité comme chansonnier pour sa production et son talent littéraire.. Une trentaine de ses chansons nous sont
parvenues en ‘’franco-provençal’’.
Mme Fillion a écrit dans ‘’histoire de la littérature savoyarde’’ sous la direction de Louis Terreaux (président de l’Académie de
Savoie) : Il partageait ses loisirs entre l’ébénisterie d’art et la muse savoisienne.
Personnellement me sont parvenues : une magnifique armoire marquetée et une cassette en bois précieux.
Mme Fillion poursuit : « L’œuvre littéraire de François Agnellet, en dialecte de St Jean-de-Sixt et de Thônes et dont il subsiste
une trentaine de poèmes environ, est très vite devenue populaire. Ses textes, transmis oralement sans qu’on en connaisse
l’auteur, ont généré de nombreuses variantes locales dans toutes les provinces de Savoie. Les thèmes de son inspiration sont
très divers allant de la satire politique et morale – Lou Conseilli - bien dans la tradition des moqueries savoyardes, à la bluette
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et la berceuse. Si son - Toutou, le nanai, le brisson - semble être la plus généralement connue de ses chansons, à Thônes on
chante encore parfois - la Vilye du Cudré - et l’on sourit toujours à la malicieuse ‘’Taravalla’’. Les textes d’Agnellet ont paru dans
le Journal de la vallée de Thônes entre avril 1923 et août 1925.»
Les chansons étaient chantés sur des airs bien connus comme ‘’il était un petit navire’’, ‘’Marlborough s’en va – t’en guerre’’,
‘’c’est la Mère Michel’’, etc.
Jusqu’à ce que l’électricité desserve les chalets des pâturages, pour les veillées on se réunissait une fois chez l’un, une fois
chez l’autre et jeunes et vieux chantaient beaucoup, j’ai connu et participé à de telles soirées qui perduraient encore dans les
années 50 avant que n’existe la télévision.
J’ai choisi une des chansons écrite en patois par François Agnellet, la traduction est assez correcte pour donner une idée de
l’habileté et de la verve du poète.
Le Rimeur et la rime
En qualité de vieux rimeur,
j’ai voulu faire une rime ;
C’est une faveur de grand rimeur
Et même(une) faveur de la rime.
Qu’il est ennuyeux le rimeur
Qui dit toujours la même rime !
Pourtant on entend le rimeur,
Souvent pour apprendre sa rime.
(Quel) moyen de connaître le rimeur,
si l’on ne connait pas la rime ?
Celui qui veut dev’nir rimeur,
Fera l’étude de la rime.
Mais pour être un excellent rimeur,
Il ne faut pas chercher la rime !
Car sans ça le pauvre rimeur
Ne sera jamais qu’une rime
Le bonheur de tous les rimeurs
Se trouve à fin de la rime ;
Mais la vie de certains rimeurs,
N’est hélas ! qu’une triste rime.
On devrait pendre le rimeur,
Qui fuit la raison pour la rime,
Car la raison, chez le rimeur,
Doit toujours gouverner la rime.
On parle souvent de rimeurs,
On parle souvent de la rime,
Sans se douter que le rimeur
N’est que l’esclave de la rime.
Il est tant de ces grands rimeurs
Qui ignorent le jeu de la rime !
Mais l’homme n’est vraiment rimeur
Que si sa femme devient rime…
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2/ 2.2. Joseph, était le frère cadet de François et le 10ème enfant de cette 2ème génération de la 2ème branche. Avec son aîné
François et son frère cadet Parfait, Il deviendra lui aussi, une très importante personnalité.
De bonne heure, semble t-il, Joseph rejoint à Paris l’affaire familiale. Après François, il en sera le directeur. Dans « l’annuaire
des notables commerçants de Paris de 1861 », Joseph Agnellet est présenté : « né en 1823, négociant en fourniture pour
modes de la maison Agnellet frères, rue Richelieu, 73, fabrique rue de Reuilly, 123 – crêpes, tulles, voilettes, blondes et
dentelles ; dépôt de fil d’Irlande, d’aiguilles et d’épingles ».
Joseph dépose à la préfecture de la Seine, le 25 juin 1862, un brevet d’invention pour la fabrication mécanique des calottes
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pour chapeau de dames.
Bien que ses activités professionnelles soient très prenantes, Joseph se dévoue dans les œuvres d’entraide à ses compatriotes
de Paris. Il sera Président de la Sté philanthropique savoisienne à 4 reprises de 1860 à 1873 puis aussi administrateur de la
Caisse d'épargne de Paris et du bureau de bienfaisance de son arrondissement.
Pendant la guerre de 1870, il offrira une ambulance à Paris.
Joseph restera toujours en étroite relation avec son pays natal. Nous avons vu qu’il avait aidé son frère aîné, François, maire de
Thônes, pour la création de la ligne télégraphique Annecy-Thônes et la construction de la fontaine monumentale de la Place
Bastian.
En 1875 il deviendra président de l’Harmonie de Thônes qui prend le nom de ‘’l’Echo de la Tournette’’, nous en reparlerons.
Fidèle à l’Empire défunt, Joseph Agnellet va être élu au Conseil Général de la Haute-Savoie de1861 à 1870 et le 8 octobre
1871 jusqu’en 1877.
Dans la foulée il gagne la mairie de Thônes le 19 octobre1873, réélu en novembre 1874, il la conservera jusqu'à son décès. En
revanche il échouera, lorsqu'en compagnie d'Amédée de Foras comme candidat antirépublicain, il tentera de convaincre les
grands électeurs de voter pour la religion et l'ordre social aux élections sénatoriales du 30 janvier 1876.
Joseph Agnellet recevra des décorations :
Commandeur de l'ordre des SS. Maurice et Lazare.
Chevalier de l'ordre d'Isabelle- la-Catholique.
Très généreux, Joseph donna aussi au collège de Thônes un cabinet de physique.
Il soutiendra financièrement les études aux Beaux-arts, d’Eugène Burgat-Charvillon, 1844-1911, natif de Manigod qui deviendra
un célèbre artiste peintre.
Joseph décèdera prématurément dans sa bonne ville de Thônes le 6 mai 1877 à l’âge de 53 ans.
Voici ce qu’imprimait le Courrier des Alpes le 8 mai 1877 :
M. Joseph Agnellet, conseiller général du département de la Haute Savoie pour le canton de Thônes, est tombé gravement
malade dans cette localité.
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons par dépêche qu’il est mort presque subitement hier dimanche.
On sait que les frères Agnellet, natifs de Thônes, sont les créateurs d’une grande industrie, pour laquelle ils ont fondé à Paris
une fabrique occupant 4 à 500 ouvriers, et une succursale de 2 à 300 ouvriers à Thônes, qui y trouvent aisance et prospérité.
C’est le chef de la famille, l’aîné, qui vient de s’éteindre d’une manière si prompte, à la suite sans doute d’une apoplexie dont il
avait subi la première atteinte il y a quelques années. Membre du Conseil général, officier de l’ordre royal des SS. Maurice et
Lazare, ancien maire de son arrondissement à Paris, M. Joseph Agnellet était très aimé de ses nombreux ouvriers. C’est une
grande perte pour les pauvres de sa commune, auxquels il faisait chaque année des dons généreux. Il laisse, dans le cœur de
toutes les personnes qui l’ont connu, d’unanimes et sincères regrets : puissent-ils adoucir la juste douleur de sa famille si
cruellement éprouvée !
2/ 2.3. Parfait le 3ème garçon de Julien Agnellet, l’aubergiste, naquit le 14 oct.1831, à Saint-Jean-de-Sixt.
Après son frère Joseph, Parfait deviendra le chef de la Maison ‘’ Agnellet Frères’’.
On note qu’il fut : vice-président de la Chambre syndicale des tissus ; membre du comité d'admission de la classe 36 à
l’exposition universelle de Paris (1878). Sous sa gouvernance, la société reçut des récompenses à plusieurs expositions
universelles - Londres en 1862, Paris en 1867, Vienne en 1873 -.
Comme Joseph, il offrira une ambulance pendant la guerre de 1870.
Tout à ses affaires parisiennes et en présidant la Société Philanthropique Savoyarde 1881-1883, comme son frère Joseph
avant lui, Parfait reste en étroite relation avec le pays natal.
Elu Maire de Thônes à la mort de Joseph en 1877, il démissionne de son 1er mandat de Maire le 30 décembre 1877 après 6
mois de fonction. Encore élu le 30 avril 1882 et réélu le 18 mai 1884, il démissionne à nouveau en mai 1886. Mais en réalité la
charge du mandat municipal pèse presque entièrement sur les deux adjoints : Barthélémy André et J.F. Favre notaires, vu qu’ils
ne sont pas comme leur maire, retenus loin de leurs administrés par leurs propres affaires.
Parfait est élu Conseiller Général du canton de Thônes le 29 novembre 1885. Il attire l'attention du préfet, car il rend des visites
aux princes d'Orléans exilés. Le responsable de l'administration le signale au ministre, notant que " le canton de Thônes est le
plus arriéré du département au point de vue politique" !
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Parfait restera moins longtemps que son frère Joseph dans l'assemblée départementale. En 1889, les républicains feront bloc
contre le royaliste.
Il obtint les distinctions suivantes :
Chevalier des Sts Maurice et Lazare
Chevalier de Charles III d'Espagne
Chevalier de l'Ordre du Christ de Portugal
Grand Officier de l'Ordre du Lion et du Soleil (Perse)
À signaler des brevets pris sur les progrès de la fabrication des chapeaux et sur un nouveau système de chauffage sans bruit et
sans fumée, applicable aux bateaux-torpilles et aux usages industriels. (F/12/5080)
En possession d’une grande notoriété, Parfait Agnellet décède le 28 mai 1890 à l’âge de 58 ans dans son domicile parisien : 11,
rue Portalis.
J’ai relevé l’article suivant dans Le Patriote Savoisien du 30 mai 1890 :
« La colonie savoisienne de Paris vient de perdre un de ses membres les plus en vue : M. Parfait Agnellet, ancien président de
la Société philanthropique savoisienne, ancien conseiller général du canton de Thônes, chevalier des SS. Maurice et Lazare et
de l’Ordre royal de Charles III d’Espagne.
Il est mort presque subitement hier matin mercredi, âgé de cinquante-huit ans. C’était le chef de la grande maison des frères
Agnellet, 73, rue de Richelieu, dont les usines sont à Reuilly et à Thônes. Il avait été en cette qualité, président d’un groupe
important à l’Exposition universelle.
M. Parfait Agnellet ne partageait pas nos convictions républicaines et il avait été élu au Conseil général comme conservateur
mais c’était un homme droit, laborieux et portant très dignement un nom respecté. Il rendait de grands services à ses
compatriotes.
Il avait brillamment présidé, le 10 juin 1883 à l’hôtel ‘’Les Vendanges de Bourgogne’’ le grand banquet du cinquantenaire de la
Société Philanthropique Savoisienne. Il sera très vivement regretté dans la colonie, sans distinction d’opinion ».
Et le même journal faisait paraître le lundi 2 juin suivant (1890) :
« Les funérailles de M. Parfait Agnellet. — Samedi 31 mai, ont eu lieu les funérailles du grand industriel, chef de la maison
des frères Agnellet, de la rue de Richelieu, ancien maire de Thônes et conseiller général. L'affluence était immense, et l'église
Saint-Augustin littéralement pleine. Dans le nombre des assistants, on pouvait retrouver l'élite de la colonie savoisienne. Le
char funèbre, tout empanaché et traîné par des chevaux caparaçonnés de noir et d'argent, était couvert de fleurs. On
remarquait la grande couronne de roses de la Société philanthropique savoisienne, celles de la Société de Saint-Jean -de-Sixt,
de l'Association des comptables, de la fabrique, de la Chambre syndicale, etc., etc.
M. Julien Agnellet, (1855-1905) neveu et gendre du défunt (époux de Marthe Agnellet), et M. Henri Agnellet, (frère de Marthe)
jeune fils de ce dernier, conduisaient le deuil, avec MM. François, Alexandre et Alphonse Agnellet. Immédiatement après la
famille très nombreuse, venait le conseil d'administration tout entier de la Société philanthropique Savoisienne. Inutile de
décrire les beautés artistiques du service religieux auquel la structure intérieure et l'ornementation mondaine de l'église
donnaient d'ailleurs un caractère peu funèbre d'élégance et de richesse. Les torchères à flammes vertes produisaient un bel
effet autour du catafalque. Remarqué au hasard dans l'assistance : M. César Duval, député de Saint-Julien ; M. Rivaud, MM.
Chardon et Chaumontel, sénateurs de la Haute-Savoie ; le docteur Chautemps, M. Pirasset, secrétaire du comité du
Centenaire de la réunion de la Savoie à la France ; M.Théophile Borrel, le capitaine Michard, le lieutenant Cudet, le
commandant Aymonier, plusieurs présidents de Sociétés, etc. Au cimetière, M. Forni, avocat à la cour d'appel, président de la
Société philanthropique savoisienne, a prononcé sur la tombe de son prédécesseur un discours qui a vivement impressionné
l'assistance ; puis après l'allocution du représentant de la chambre syndicale de chapeaux de paille, la foule s'est écoulée
lentement par les allées du cimetière Montmartre. Nos compatriotes s'entretenaient de la mort du dernier de ces frères Agnellet,
qui, venus autrefois de leur village de Saint-Jean-de-Sixt à Paris, ont fondé dans la grande ville et fait prospérer une industrie
considérable, et acquis une situation exceptionnelle.
M. Parfait Agnellet qu'on vient d'enterrer avait été le président du comité général de secours aux inondés de la Savoie en 1883.
C'est lui également qui avait présidé, la même année, les fêtes du cinquantenaire de la Société philanthropique savoisienne ».
Ces comptes rendus peuvent nous paraître dithyrambiques, ils témoignent néanmoins de l’importance du notable et de sa
famille.
A Thônes, Parfait aurait habité la belle maison, sis actuellement, 3 rue de la Saulne, qui avait été acquise en 1865, par son frère
aîné François. La veuve de Parfait : Marie Françoise Angremy l’a vendue le 18 juin 1908 suivant l’acte passé devant Me de
Coucy, nous en avons parlé plus haut. Elle est aujourd’hui la propriété de Pierre Pochat-Cotilloux, membre de notre société.
Les six personnages, frères et cousins, que nous venons de développer sont donc la deuxième génération issue des deux
branches Agnellet initiales. On peut déjà remarquer des traits communs : travail et réussite, mais aussi et surtout, activités
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désintéressées au service de leurs concitoyens dans les sociétés d’entraides à Paris et dans des fonctions électives au pays
natal. Ce furent des notables !
Après avoir étudié cette deuxième génération, quittons pour un moment la famille Agnellet.
La vie à Paris et les sociétés savoyardes d’entraide.
Au début de notre propos nous avons parlé de la pauvreté et du manque de débouchés qui, au cours du 19ème siècle,
amenèrent nos montagnards à partir un bâton à la main.
Plus de 50000 d’entre eux étaient regroupés à Paris en 1860, c’était la plus grande ville savoisienne. Nos compatriotes étaient
l’aristocratie de l’émigration, les plus français des immigrés par rapport aux autres comme les gascons et les auvergnats, plus
isolés dans leur patois.
Quand ils partent de leurs montagnes, la plupart savent lire, écrire et le plus souvent compter autrement que sur leurs doigts. La
Savoie était un des pays les plus cultivés d’Europe (Bernard Secret). Depuis le 17ème siècle de petites écoles fonctionnaient
dans beaucoup de nos villages, un vicaire-régent enseignait les garçons et plus tard une dame, les filles. Les collèges de
Thônes, d’Annecy et d’autres, prenaient le relais pour des études plus poussées.
Voici un intéressant témoignage que détient notre ami Gérard Bastard-Rosset. Sur une lettre à en-tête ’’Agnellet et Julien
Favre’’ du 21 novembre 1848, 79 rue de Richelieu à Paris, le dit Julien écrit à une de ses sœurs, peut-être pour sa fille restée
au Pays : « Tu me diras si la Marie va à l’école, si elle apprend, je te préviens qu’elle ne viendra pas à Paris avant qu’elle ne
sache bien lire et écrire »…Puis plus loin : « Je te prie d’envoyer la Marie chez la Victoire à la cure ou chez Joseph Deloche, tu
achèteras du papier et ce qui lui faudra. N’épargne rien à ce sujet. Fais lui faire 3 pages d’exemples par jour, si elle ne les fait
pas tu me le diras ».
Le séjour moyen des émigrés dans la capitale était de 10 à 14 ans, ils rentraient souvent à la trentaine, 20% seulement s’y
établissaient. La plupart n’épousaient que des payses.
Les conditions de vie sur place des expatriés étant néanmoins difficiles. Des savoisiens ayant réussi, fondèrent rapidement des
sociétés d'entraide. Une cinquantaine de sociétés furent ainsi créées au cours du 19èmesiècle, la plupart regroupant les individus
par village d’origine.
Pour les paroisses thônaines, 5 sociétés de secours mutualistes les regroupèrent avant l’Annexion : La Philanthropique
savoisienne, fondée en 1833, la Mutuelle de St Jean de Sixt créée en 1835, l’Union savoisienne et mutuelle en 1835. La
Philanthropique de Grand-Bornand fut créée le 1er janvier 1843 par 115 bornandins et la Clusaine en 1856. Plus tard viendra la
Mutuelle du canton de Thônes le 27.9.1905 ; elle avait 91 membres et 200 convives au banquet de 1910.
La Philanthropique savoisienne, fondée le 11 août 1833 avec l’approbation du pouvoir de Turin, est considérée comme
la doyenne des institutions d'entraide et de patronage de tous les émigrés de la capitale. De tradition laïque sa devise
est « Unité, Bienfaisance ». Les statuts de l'association indiquent : « Elle a pour but de rapprocher les uns des autres les
Savoisiens qui sont à Paris, de leur donner l'instruction, d'étendre entre eux leurs relations commerciales, de procurer des
emplois et de l'ouvrage à ceux qui n'en ont pas ; de donner des secours en nature ou en argent à ceux qui sont dans le besoin,
de les faire soigner dans leurs maladies, enfin d'établir entre tous un lien de fraternité, afin de s'aider et de se secourir
mutuellement. »
Le Président de la Philanthropique savoisienne, qui pouvait être un français ou un naturalisé, faisait fonction de véritable consul
de la Savoie à Paris. Parmi eux, tous les Agnellet des premières générations furent membres fondateurs, présidents ou viceprésidents.
Devenus des notables de la capitale, les dirigeants et les membres influents de ces sociétés, exerçaient une grande influence
sur leurs concitoyens à qui ils apportaient assistance, pour leur trouver du travail et leur prêter une aide juridique et financière.
Depuis 1843, la société Philanthropique savoisienne disposait d’un bureau de placement très performant, (7, rue de Bondy). J’ai
relevé son activité du 8 au 21 mai, dans le journal ‘’l’Indicateur de la Savoie’’ du 8 juin 1889 :
Demandes d’emplois : hommes 45, femmes 30, total 75 inscrits pour la 1ère fois.
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Offres d’emplois : Hommes 46, femmes 106, total : 152.
Placés : hommes 29 ; femmes 51 ; total : 80. Donc plus de placés que d’inscrits.
Secours accordés à 23 personnes.
Il n’est pas sûr que ‘’Pôle emploi’’ aujourd’hui soit aussi efficace ?
Il est intéressant de mentionner que : le 22 octobre 1861, le bureau de placement décidait :
« vu le grand nombre de
savoyards sans emploi qui s’adressent au bureau de placement, il sera adressé une circulaire aux maires des deux
départements, afin qu’ils invitent leurs administrés de ne pas venir à Paris, le travail manquant dans la Capitale ».
Revenant en arrière : j’ai entendu dire par mon père, que son grand-père François Agnellet, le maire de Thônes dont nous
avons parlé, était parti à pied à Paris dans sa prime jeunesse avec son baluchon. Notre ami Gérard Bastard-Rosset m’a
confirmé que son arrière-arrière-grand-père maternel Joseph Vulliet, né en 1810, étant très ami avec François Agnellet - de trois
ans son aîné – ils seraient partis ensemble à Paris, mettant près de deux semaines pour y parvenir.
Comment les Agnellet effectuaient-ils la multitude des transports nécessités par leurs activités parisiennes, leurs mandats
électifs et les transferts de leurs familles souvent nombreuses ? Les trajets en diligence, entre la Savoie et Paris, devaient durer
une semaine pour le moins.
Le 19ème siècle connaît alors une véritable transformation des modes de déplacements. En quelques décennies le train a
supplanté les omnibus à chevaux. Aix-les-Bains-Annecy, le dernier tronçon de chemin de fer reliant Annecy à Paris, ne sera
terminé qu’en 1866. Les moyens réguliers de locomotion hippomobiles fermeront officiellement en France en 1873.
Avant l’Annexion, les naissances des enfants Agnellet se passent parfois à Paris, mais on remarque que c’est le plus souvent à
St-Jean-de-Sixt, au Grand-Bornand ou à Thônes qu’elles ont lieu. Pour leurs couches, les mamans devaient donc
ordinairement, regagner leurs familles au village natal.
Avant de poursuivre, J’aimerais vous lire un poème satirique d’Alexandre Agnellet, manufacturier et poète comme son grandpère François, nous en parlerons plus loin :
L’Héritage
J’hérite enfin d’une maison :
Mon oncle est mort - le vieux rapace.
Du coup, j’ai craint pour ma raison ;
J’hérite enfin d’une maison.
Lui qui m’eût versé le poison,
Il a dû faire une grimace…
J’hérite enfin d’une maison :
Mon oncle est mort - le vieux rapace.
Mon immeuble ! ah ! le mot joyeux –
Abrite son propriétaire.
J’économise et je suis mieux ;
Mon immeuble ! ah ! le mot joyeux !
Mon oncle a mérité les cieux :
Je ne serai plus locataire ;
Mon immeuble ! ah ! le mot joyeux Abrite son propriétaire.
Si l’envie un jour m’en prenait,
Le plaisir vaut plus qu’il ne coûte,
J’aurai aussi mon jardinet,
Si un jour l’envie m’en prenait.
Et si me plait un bourriquet,
Je ne ferai pas banqueroute ;
Si l’envie un jour m’en prenait,
Le plaisir vaut plus qu’il ne coûte.
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Je vais vivre en colimaçon,
Et m’enfermer dans ma coquille,
C’est ma méthode, sans façon
Je vais vivre en colimaçon.
O ma reine ! mille chansons
T’aideront à pousser l’aiguille :
Nous vivrons en colimaçons
Tous les deux dans notre coquille
Alexandre Agnellet
Revenons maintenant à nos Agnellet avec :
La troisième génération. Naissances depuis 1832.
François-Marie Agnellet – le soldat – avait donc eu 3 garçons dont nous avons parlé à la 2ème génération : Augustin ‘’le père
des Agnellet’’, le créateur de la société qui deviendra ‘’Agnellet frères’’, puis Jean-Louis l’aveugle et François-Benjamin.
Branche 1 , Augustin Agnellet a eu deux fils vivants :Edouard et Désiré, sans descendance.
3/ 1.1.1. Edouard Agnellet (Pierre-Louis), l’aîné, est né à Paris le 25 août 1844. Il entra à l’Ecole Polytechnique le 1er
novembre 1862 et à sa sortie en 1864 il fut reçu comme élève ingénieur au corps des ponts et chaussées.
Chargé d’une mission sur les travaux du canal maritime de Suez le 27 juin 1867, il sera nommé ingénieur de 3ème classe le 1er
novembre suivant.
Edouard fut promu Chevalier de la Légion d’honneur le 5 mai 1871.
On le retrouve au service de la navigation du département de l’Aisne, aux travaux du chemin de fer d’Amiens à Dijon et à ceux
du chemin de fer de la grande ceinture de Paris.
Après une très brillante carrière, resté célibataire, Edouard décèdera à Paris le 10 août 1900, alors qu’il était ingénieur principal
de la Compagnie des chemins de fer du Nord.
3/ 1.1.2. Agnellet Augustin Désiré, Le second garçon nait en 1855 – il est le 6ème des 6 enfants d’Auguste. (Il épouse en 1887
Adèle Bertin).
Désiré exercera comme notaire à Paris, du 17 avril 1885 au 21 juin 1905. Sans descendance connue, il décèdera en 1913.
François-Benjamin a eu 3 garçons :
.
3/ 1.3.1. Jean 1850-1896. Aucun renseignement.
3/ 1.3.2. François Benjamin - le Rouge -1852-1896 est le 3ème.
Il est le seul de cette 1ère branche et de la 3ème génération qui aura une filiation Agnellet. Est-ce la couleur de ses cheveux et
de sa barbe qui lui a valu ce sobriquet ?
Il épousa sa petite cousine Rose-Marguerite fille de François, le maire.
François le Rouge succéda certainement à son père Benjamin au sein de la société des Frères Agnellet. Il se présentera et
sera élu Conseiller d’arrondissement de Thônes le 31 juillet 1892
La revue ‘’le Cyclamen’’ imprimera :
L’impitoyable mort ne cesse de faucher dans nos rangs ; elle a encore frappé dans toute la force de la vie un des nôtres, M.
François Agnellet, décédé à St-Jean-de-Sixt, le 7 septembre 1895. Le récit de ses funérailles a dit à tous quels immenses
services il avait rendu à son pays natal ainsi qu’à tout le canton de Thônes. Il laissera aussi un grand vide dans la colonie
savoisienne de Paris où il ne comptait que des amis. Tous ceux qui s’occupent à un titre quelconque de nos Sociétés, l’ont vu à
l’œuvre et connaissent son infatigable dévouement. Bien qu’il n’habitât pas Paris toute l’année, il s’intéressait à tout ce qui était
savoyard ; à peine arrivé il se rendait au bureau de placement de la Société Philanthropique qu’il surveillait avec une
constance, grâce à laquelle il put y faire opérer de nombreuses réformes. Son énergie aurait pu lui faire des adversaires, mais
sa grande aménité lui conquérait toutes les sympathies. Nous qui avons été de ses amis, nous partageons la douleur de toute
sa famille, et nous sommes certains d’être l’interprête de nos compatriotes en disant que la perte de ce vaillant, si regretté en
Savoie, sera profondément ressentie à Paris. (Page 526)
3/ 1.3.3. Joseph (Désiré Pierre Joseph) 1857-1900. Aucun renseignement.
Branche 2. Dans cette 3ème génération, il y a 8 garçons qui sont les enfants de François mon bisaïeul et ses frères Joseph et
Parfait:
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3/ 2.1.1. Julien (Jean Julien) (1832-1879)
Le fils aîné de François nait le 28 octobre 1832, à Saint-Jean-de-Sixt. Il épouse : Jeanne Pochat du Gd-Bornand. Ils auront sept
enfants dont 4 brillants garçons : François, Alexandre, Auguste et Alphonse que nous retrouverons à la quatrième génération.
C'est lui qui a fait bâtir la splendide villa de Sous le-Mont-Durand (Le Château) vers 1871, en contre-bas à droite de la route de
St Jean de Sixt à La Clusaz.
Vice-président de la Société philanthropique savoisienne à Paris et de la Société de secours mutuels des Savoisiens, Julien
sera à son tour, après son père et ses oncles Joseph et Parfait, directeur de la maison ‘’Agnellet frères’’ à Paris et à Thônes.
Il obtiendra les médailles d'argent aux expositions universelles de Londres (1862), de Vienne (1873), il participera à l'exposition
universelle de Paris (1878).
Pendant la guerre de 1870, famille et enfants s’étaient repliés sur Nice. Dans le ‘’recueil des dépêches télégraphiques
adressées à Paris au moyen de pigeons voyageurs, pendant l’investissement de la capitale’’, j’ai trouvé les deux relations
suivantes que je rapporte mot à mot : la 1ère : Le 5 janvier 1871, « à M. Julien Agnellet 123, de Reuilly, Mme Parfait à Nice
recevons lettres 19, 22 qui font bien plaisir. Jeanne Agnellet ». (Jeanne Pochat son épouse)
La 2ème « à Julien Agnellet, 123 rue de Reuilly, nous allons tous bien, soyez sans inquiétude, manquons de rien, prenez chez
Auguste comestible. Jeanne Agnellet ».
Julien mourra à Paris le 27 octobre 1879 à 47 ans, en pleine force de l’âge.
3/ 2.1.2. Juste 1842-1903.
Il est le 2ème garçon de François. Il nait en 1842 certainement à Paris, se marie en 1863 avec Marie Gallay (de Menthon) 18451881, ils auront 4 filles ; Athénaïse, Sylvie, Joséphine et Pauline. Il décèdera le 5.9.1903 à Bronx County, New York.
Juste fut banquier, rue du Pâquier à Annecy. Avec quel capital a-t-il pu accéder à cette profession ? Toujours est-il, qu’il fit de
mauvaises affaires.
Beaucoup de citations en justice le poursuivent pour n’avoir pas honoré des valeurs et des engagements, elles le mèneront à la
faillite en 1875.
Est-ce cette raison qui amènera son épouse à demander la séparation prononcée par un jugement en 1875 ?
Juste sera le seul qui grèvera la réputation de droiture et de probité des familles Agnellet.
Dans ma famille Ruscon, on dit qu’il aurait emprunté 10.000 francs-or, une très grosse somme, à François-Marie Ruscon,
négociant, son beau-frère et mon grand-père. Evidemment il n’a jamais rendu son prêt ! Les Frères Agnellet ont eu aussi à
couvrir auprès de la banque de France des protêts que Juste n’avait jamais honorés.
Suite à sa faillite, Juste décide alors de s’expatrier aux Etats-Unis. Sur Internet, j’ai trouvé sa fiche de passager :
-- Identification 833594. - Nom : Juste Agnellet. - Date d’arrivée : 30/10/1879. - Âge : 37 ans. - Année de naissance : 1842. Occupation : sculpteur. - Destination : New-York. - But : rester aux Etats-Unis. - Pays natal : France. - Port d’embarquement : Le
Havre. - Compartiment de voyage : Entrepont. - Nom du navire : Amérique.
Devenu sculpteur à New-York, Juste refera sa vie, mais nous ne savons pas s’il s’est remarié.
Après son installation, Juste fit venir à New-York les trois plus jeunes de ses quatre filles. Elles seront placées chez de riches
banquiers américains. Les deux premières reviendront en France. La dernière Pauline sera gouvernante chez le banquier
Schmidt à Philadelphie. Elle épousa Félix Milhomme en1894, un savoyard immigré. Elle eut 3 filles, dont l’aînée Hélène
mariera un fils Schmidt et elle aura une descendance américaine..
Athénaïs, l’aînée épousera Félix Galopin, puis un Gendron, elle est enterrée à Thônes. Mme Bonifacj a eu l’obligeance de me
transmettre des photos de sa tombe tristement abandonnée au cimetière de Thônes.
A ce propos, je cherche désespérément les tombes ou ce qu’elles auraient pu devenir, de mon bisaïeul François, de son frère
Joseph tous deux anciens maires, et de la 2ème épouse de François : Sylvie Pergod, tous trois décédés en cette ville.
3/ 2.1.3. Auguste 1843. Aucun renseignement.
3/ 2.1.4. Octave 1864-1905, Aucun renseignement du 11ème et dernier enfant de François
Des deux derniers fils de François, le maire de Thônes : Auguste 1843 et Octave 1864-1905, n’ont laissé aucuns
renseignements. Ils auront certainement vécu à Paris et travaillé dans les entreprises familiales.
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Soit dit en passant : ma grand-mère, Marie-Eugénie Agnellet, était le 7èmeenfant sur onze qu’a eu François. Mariée à 16 ans à
François-Marie Ruscon, négociant à Annecy, elle eut 14 enfants, mon père était le 14ème et moi-même je suis l’aîné de sept, et
j’ai 5 enfants.
3/ 2.2.1. Alphonse (Marie Julien Dieudonné) né en 1852 à St Jean. Il est le 1er fils de Joseph, le maire. Aucun renseignement.
3/ 2.2.2. Julien (Jean Julien Joseph), le 2ème de Joseph nait en 1855 à Neuilly-sur-Seine
Julien dirigera ’’Agnellet Frères’’, il sera : vice-président du Comité supérieur des syndicats de la chapellerie française, juge au
tribunal de commerce de la Seine, membre du conseil de surveillance de l'école municipale professionnelle Jacquard, président
de la Société philanthropique savoisienne de Paris, etc. Officier d'académie, officier de l'Instruction publique et du Cambodge.
Il recevra la Médaille d'or à l'exposition universelle de Paris1878).
Par acte des 17 et 24 décembre 1881, a lieu une modification de la société en commandite Agnellet frères par l’admission de
Jean-Julien-Joseph comme commanditaire pour 200.000 F, capital 1.400.000 dont moitié en commandite (journaux judiciaires
de Paris du 11 au 13.1.1882 page 71)
Le 31 janvier 1882, Julien Agnellet offre la bannière à l’Echo de la Tournette, l’harmonie de Thônes, elle est encore aujourd’hui
dans la salle de répétition.
En 1895, le 17 janvier un courrier de Julien demande les tailles et signes distinctifs pour faire livrer gracieusement et dans les
meilleurs délais, des casquettes à l’Harmonie.
Il se présente aux élections législatives le 10 janvier 1892, il est battu par le Dr Thonion.
Jean Julien décédera en 1905 dans sa belle maison, devenue ‘’Hôtel de la Paix’’ et aujourd’hui ‘’l’Auberge fleurie’’ à Thônes.
Des deux garçons de Parfait :
3/ 2.3.1. Edouard Henri 1866-1918 aura la Croix de guerre. Rien d’autre n’est connu.
3/ 2.3.2. Henri 1872-1919, le plus jeune des fils de Parfait est cité quelquefois, mais je n’ai aucun renseignement sur lui.
4ème génération depuis 1853.
Branche 1
4/ 1.3.2.1. François Benjamin 1879-1924, fils de Benjamin le Rouge, sera le seul qui aura une filiation jusqu’à nos jours. Il
décédera à 43 ans en laissant deux filles. L’aînée Camille épousera Paul Machenaud, un important négociant d’Annecy. Leur
fille et ses 2 fils exploitent aujourd’hui les magasins annéciens ‘’Machenaud’’ et les propriétés héritées à St Jean et au col des
Aravis.
Branche 2
4/ 2.1.1.1. François Julien 1853-1925. Les documents de l’armée mentionne : le 16 mars 1904, promu capitaine de réserve,
affecté dans la 20ème région ; 30 ans de services. Il sera décoré : Chevalier de la Légion d’honneur. Rien d’autre ne nous est
parvenu.
4/ 2.1.1.2. Alexandre Agnellet 1856-1906.
Né en 1856 à Neuilly sur Seine, Alexandre fut un personnage exceptionnel. Négociant, Manufacturier, père de onze enfants.
Son violon d’Ingres fut la poésie, comme son grand-père François, maire et chansonnier. Sur occupé qu’il devait être, il ne
brigua aucun mandat électif au pays.
À lui seul il mériterait une étude approfondie, un livre, tant est intéressante et importante son œuvre et sa production poétique.
Alexandre s’engagera à fond dans les associations. Il deviendra vice-président de la Société philanthropique savoisienne de
Paris. Surtout, il créera deux importantes associations qui méritent quelques commentaires.
La première fut ‘’Le Matafan’’. C’est un mot franco-provençal qui n'a pas été francisé et dont la traduction littérale serait « mate
faim », en fait, c’est un beignet à base de pomme de terre.
Le Matafan fut donc un cercle amical, sorte de trait d’union entre les compatriotes de Paris, évidemment tous les Agnellet y
adhéraient. Cette joyeuse réunion avait lieu même en été, chaque premier samedi du mois. Un président différent était désigné
pour chaque rassemblement qui réunissait en général de 150 à 200 adhérents. Il avait lieu lors d’un ‘’Dinna’’ (patois), nous
dirions aujourd’hui d’un bon mâchon, qui était suivi d’un spectacle musical et artistique. Je n’ai pas retrouvé de détails sur la
date de sa fondation, ses statuts, ses publications et sa dissolution.
Le 29.12.1893 ‘’Le Patriote savoisien’’ écrivait : « Alexandre Agnellet fondateur et rédacteur en chef du Matafan, se voit obligé,
à cause de ses trop nombreuses occupations, de résigner ces fonctions. Nous ne le laisserons pas partir sans lui adresser, au
nom de toute la colonie savoyarde de Paris, l’expression de nos regrets et de notre reconnaissance pour les éminents services
qu’il a rendus à l’institution du Matafan, par la publication de son organe qui est devenu le véritable trait d’union entre tous nos
compatriotes. Nos regrets sont toutefois mitigés par la certitude que M. Alexandre Agnellet n’est pas perdu entièrement pour
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nos lecteurs : nous avons en effet sa promesse que, à la faveur de quelques loisirs, qui pourraient lui être encore dévolus, il
nous donnera, de temps en temps une de ses poésies où il sait mettre tant de charme mélancolique, comme le parfum subtil
des fleurs de nos monts lointains… »
J’ai trouvé de nombreux comptes-rendus journalistiques de ces soirées assez mondaines et des programmes très à la mode
qui suivaient. Je pense pourtant que seuls nos compatriotes aisés y pouvaient accéder.
Plutôt qu’une société dans laquelle de 100 à 200 bons vivants se retrouvent pour banqueter mensuellement, Alexandre
ambitionna de regrouper une élite plus intellectuelle de ses compatriotes. Avec 93 membres fondateurs, dont les Agnellet, bien
entendu : Alphonse, ingénieur civil, Henri, François et Julien, négociants et manufacturiers, il créera en 1892 ‘’Le Cyclamen’’
société scientifique, littéraire & artistique des Savoyards de Paris.
Le 26.11.1892, Le Patriote savoisien faisait paraître :
« Nous recevons aujourd’hui seulement le premier numéro du Cyclamen, c’est la raison - et elle est péremptoire – pour laquelle
nous n’avons pas parlé encore de la fort coquette et très intéressante revue mensuelle publiée par les savoyards de Paris.
Nous n’avons le temps que de jeter un rapide coup d’œil sur ce premier numéro, qui est très rempli, très varié et qui nous paraît
on ne peut plus heureusement conçu.
« Petite fleur de cyclamen, te voilà détachée de la fleur des Alpes, où tu vécus longtemps dans une demi- obscurité pour
devenir l’emblème de ralliement des félibres de la Savoie ! Petite fleur rouge, modeste et sauvage, sœur nouvelle née de
l’Eglantine d’or. »
Suivent des souhaits de bienvenue et d’encouragement du Journal pour cette heureuse initiative ». (Félibres,
poètes ou prosateurs qui écrivent dans un dialecte)
Alexandre proclamera :
«Notre société n’est pas une coterie fermée, ni une académie bien que d’éminents académiciens nous fassent l’honneur d’être
des nôtres, mais qu’elle est ouverte à tous, que pour en faire partie, nul besoin d’être poète, littérateur, artiste ou savant ; mais
qu’il suffit d’aimer la poésie, la littérature, les arts, les sciences, toutes les belles choses, en un mot et, par-dessus tout, notre
belle Savoie. »
Il en sera Président 2 ans durant, puis secrétaire général, et enfin trop surchargé par ses activités professionnelles, il
abandonnera toute fonction. La revue périclita alors et cessera sa parution en 1898.
On ne sait pas quelle fut la situation matérielle exacte d’Alexandre au sein de la société ‘’Agnellet frères’’. En effet paraissait en
1894 dans la revue : « Alexandre Agnellet, secrétaire général du Cyclamen, venant d’ouvrir, sous la raison sociale ‘’Alexandre
Agnellet et Cie’’, une maison de fournitures pour la haute mode, 17 rue d’Antin, prière de lui faire parvenir à cette nouvelle
adresse les communications intéressant la Revue ».
Après sa dissolution, la bibliothèque et les documents provenant du ‘’Cyclamen’’ seront déposés à la Société Philanthropique
Savoisienne le 29/12/1902.
On peut télécharger sur ‘’Gallica’’ les 4 volumes contenant toutes les parutions de cette revue ‘’Le Cyclamen’’, numérisées par
la Bibliothèque Nationale de France. C’est une somme importante de connaissances sur tous les sujets intéressant la Savoie,
une véritable revue académique. De nombreuses poésies et des contes d’Alexandre Agnellet y sont présentés.
Alexandre fit aussi imprimer en 1892 chez Dépolier & Cie à Annecy, plusieurs fascicules de poésies qu’il dédicaça : « A mes
amis du canton de Thônes, à ceux de la Colonie Savoisienne de Paris ».
L’auteur a abordé tous les genres de poésies, mais était-ce la mode ou par goût personnel ? Il s’est complu dans le lyrique sur
le thème de l’Amour. Je ne résisterai pas au plaisir de vous lire cette charmante petite poésie :
Toi et moi
Laisse-moi contempler tes charmes,
Les yeux perdus dans tes beaux yeux,
Laisse-moi comprendre tes larmes
Comme des pleurs tombés des cieux.
Que ton doux sourire m’enivre
Comme ton amour me fait vivre :
Toi à moi,
Moi à toi.
Laisse-moi longtemps dans l’extase ;
Le soleil flambe à l’horizon,
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Plus encor, ta beauté m’embrase
au moment où fond ma raison.
O ma sainte, o mon adorée,
Que le bonheur soit sans durée :
Toi à moi,
Moi à toi.
Laisse-moi quand je te supplie,
- Avant le déclin du beau jour, Vivre une heure de ma folie,
Si je meurs, je mourrai d’amour.
Ecoute, quand ton front se penche,
Ce que dit mon cœur qui s’épanche :
Toi à moi,
Moi à toi.
Ses frères :
4/ 2.1.1.3. Auguste 1858-1919. Rien ne nous est parvenu.
4/ 2.1.1.4. Alphonse (Henri Alphonse) 1861-1918. Ingénieur ECP. Il a épousé Julie Duparc d’Annecy, la fille de Léonce Duparc,
avocat. Député d’Annecy en 1871. Frère d’Alexandre, il présida Le Matafan, il est souvent cité dans ‘’le Cyclamen’’, je n’ai pas
d’autres renseignements.
Total 27 individus répertoriés.
Jeunes filles Agnellet.
Après avoir relaté les Agnellet ‘’masculins’’, il nous faut citer sans que ce soit restrictif, quelques jeunes filles de la famille qui ont
épousé des personnalités et généré des familles en vue.
Adèle (Marie Alexandrine) 1857-1912, fille de Joseph - maire de Thônes - épousera le Comte D'Embry de Rocreuse, fils d’une
vieille famille de Castelnaudary, en Languedoc, où elle occupait dès la seconde moitié du 17ème siècle un rang honorable. Elle
eut 3 filles.
Alice Marie Louise 1894-1943, fille d’Alphonse, petite fille de Joseph 1823-1877, a épousé Eugène Graber, inspecteur des
eaux et forêts à Annecy. 2 garçons, 2 filles.
Aimée (1894), fille d’Alexandre a été l’épouse d’Augustin Seguin, qui avec ses frères Louis et Laurent Seguin fonda
le 6 juin 1905 , la société des moteurs Gnome, moteurs d’aviation à Gennevilliers.
Augustine Marie Amélie 1868-1927 fille de Jean Julien 1832-1879, épouse Favre Marinet Armand. Ils deviendront viticulteurs
à Philippeville en Algérie et ils auront 11 enfants.
Clémentine Constance 1844-1904, fille de François (le maire) épouse Bally Jean François, Maire de Thônes.
Constance 1819, sœur de François, épouse : Favre Marinet Gaspard, fondateur- associé de la maison FAVRE - AGNELLET–
PERILLAT. Cette famille comporte une nombreuse descendance.
Eugénie Hortense 1849-1938, Fille d’Auguste 1803-1866, épouse Emile Laeuffer industriel, d’une très importante et
nombreuse famille qui posséda les manufactures d’Annecy et Pont-Canavese.
Louise 1849-1910, fille de François Benjamin, maire de St Jean, épouse Léonce Duparc d’Annecy, avocat, député d’Annecy
1871.
Marie Eugénie 1852-1918, ma grand-mère, épouse à 16 ans François-Marie Ruscon, négociant à Annecy, elle eut 14 enfants
dont mon père le 14ème.
Marguerite 1857-1901, fille de François Agnellet et Sylvie Pergod, épouse son cousin François le Rouge, père de François
Benjamin.
Les ‘’Frères Agnellet’’ ont établi leur fortune sur la mode, il n’est donc pas incongru d’en dire ici quelques mots.
Au début du 19ème le romantisme influence la mode féminine. Sous Charles X (1825-1830), les chapeaux féminins prennent des
proportions gigantesques, couverts de plumes et de rubans. Le soir, on arbore le grand décolleté, volants et rubans de dentelles
sur la jupe gonflée de crin, fleurs et bijoux à profusion.
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Au lendemain de Sedan les chapeaux redeviennent petits, ils sont surtout garnis de fleurs, de rubans ou de voiles et se portent
penchés sur le devant. Puis à nouveau ils gagnent en extravagance.
Avec tous les accessoires qui se multiplient, s’était offert un commerce prospère qu’ont su saisir et développer les Agnellet, ce
qui fit leurs fortunes.
Mais rien n’étant plus volatile que la mode, il fallait maîtriser très rapidement, non seulement le négoce et tout son assortiment,
mais aussi la fabrication des chapeaux de paille et feutre.
Pour cela ‘’les Frères Agnellet créèrent une usine à Neuilly-sur-Seine dès 1843. Ils acquirent ensuite l’usine de Thônes en 1865,
comme nous l’avons vu. Celle de Neuilly sera transférée à Maisons-Alfort en 1892, et elle disparaitra en 1907.
Afin de s’approvisionner en paille pour les chapeaux, ils importaient les fils de Bohème de Chine et d’Indochine. En 1868, la
société adressait au Ministère du commerce une demande de passage gratuit à Shanghai pour Gaston Galy, certainement
mandaté pour des transactions.
En 1904, ils s’adressèrent au Gouverneur de Madagascar pour signaler l’intérêt qu’il y aurait à promouvoir de nouvelles cultures
de paille.
Harmonie de Thônes
Ernest Varnier a écrit en 2004, une plaquette sur l’Harmonie de Thônes pour le deuxième centenaire de sa fondation. On y peut
relever d’intéressants renseignements que je retiendrai :
« Pendant plus de 30 années, la famille Agnellet fut la responsable et le mécène de la Musique de Thônes en apportant au fur
et à mesure, rigueur et stabilité ».
« François Agnellet, le maire, assista à la 1ère Ste Cécile en 1866. Son frère Joseph, – celui qui fit don de la fontaine place
Bastian – notable lui-même, propriétaire de la Chapellerie de Tronchine et de l’usine de fabrication de feutres à Maisons-Alfort
en est le président en 1875, lorsque l’harmonie devient ‘’L’Echo de la Tournette’’. »
Pendant plus de 30 ans, la famille Agnellet encadrera et sera le mécène de cette société.
« En 1882, le fils de Joseph : Julien (1855-1905) offre à l’harmonie de Thônes la bannière qui est encore dans la salle de
répétition. En 1891, il en accepte à son tour la charge de Président. En 1895 le 17 janvier, un courrier de Julien demande les
tailles et signes distinctifs pour faire livrer gracieusement et dans les meilleurs délais, des casquettes à l’Harmonie».
Entre 1889 et 1900 ‘’L’Echo de la Tournette’’ comptait parmi ses membres honoraires :
Agnellet Alphonse 1861- 1918
Agnellet François (le Rouge) de St Jean, 1852-1895
Agnellet Henri, Paris 1872-1919
Agnellet Parfait 1831-1890
Bien qu’ils fussent marqués comme conservateurs et catholiques de droite, pendant la période qui nous a occupé, les familles
Agnellet ne donnèrent aucun ecclésiastique, mais seulement une religieuse en Italie : Marcelle (1893) fille d’Alphonse à la
Visitation du Sacré-Cœur à Turin et Simone (1885-1946) fille de Julien (1855-1905) à la Visitation de Thonon (je l’ai visitée 2
fois en 1934-35, étant élève du Collège St Joseph à Thonon).
Conclusion.
En résumé, pendant près d’un siècle, la majorité des Agnellet a intégré le négoce et les usines familiales pour en faire une
affaire prospère. Je n’ai pas trouvé trace de dispute ou de zizanie entre les membres de la famille tout au long de cette étude,
les familles font preuve d’une étonnante cohésion.
À Paris et en Savoie, ils ont exercé avec dévouement et générosité des charges importantes au service de leurs concitoyens.
Les Agnellet ont soutenu des œuvres de bienfaisance mais aussi des œuvres culturelles.
Cinq Agnellet souscrivent pour la parution de la revue ’’Cyclamen’.’
En 1869, François et son frère Joseph, Maires, souscrivent à la remarquable ‘’Histoire de la Savoie’’ en 3 volumes de Victor de
Saint-Genis.
C’est au cher pays que les premières générations prendront leur retraite.
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Mais qu’est devenue cette prospère dynastie commerciale et industrielle ?
Au tournant du XXe siècle, s’imposèrent rapidement : l’automobile, la bicyclette et la pratique sportive aussi bien pour les
femmes que pour les hommes.
Disparut alors, la mode où les femmes aisées et même les plus simples bourgeoises ne se montraient jamais dans la rue sans
porter de chapeau, accessoire essentiel et souvent extravagant. Pour les vêtements il en fut de même, on en arriva à porter des
tenues plus utilitaires. On abandonna rubans et dentelles, gants longs, bottines à petits boutons et ombrelles pour le plus
utilitaire parapluie.
Les activités des Agnellet étant uniquement dépendantes de la mode, la société fut contrainte à réduire les fabrications. Puis
l’usine de Maisons-Alfort ferma définitivement en 1907. Celle de Thônes, après différentes péripéties cessera son activité en
1929. La fin de la société ‘’ Agnellet Frères’’ a signé le dispersement de ses membres.
Néanmoins, il reste que pendant environ un siècle, les Agnellet ont acquis par leur savoir-faire, leur dévouement et leur
générosité, une flatteuse réputation et une très grande notoriété tant à Paris qu’en leur pays d’origine.
Et alors ? Vous me permettrez de penser, qu’il est bien dommage qu’aucune des rues ou des places ne nous rappellent ce
nom en cette bonne ville de Thônes.
J’ai retrouvé dans la revue ‘’Le Cyclamen’’ une courte poésie en français de François Agnellet, mon bisaïeul, et pour terminer,
en m’excusant d’avoir été un peu long, je ne résiste pas au plaisir de vous la réciter.
Dans ces beaux vers, notre poète n’évoque-t-il pas ce qu’ont été pour nos ancêtres : l’exil obligé, le dur labeur, la nostalgie du
pays et enfin, après une vie bien remplie, la chance d’un heureux retour au pays et aux rêves de l’enfance ?
Le Chansonnier rendu à ses chansons
Hélas ! on vit pour ne pas vivre,
C’est en quoi l’on a toujours tort.
Sur l’avenir, fou qui s’enivre,
Quand on est si près de la mort.
Dans une affreuse léthargie,
J’ai passé de belles saisons !..
Amis, je rentre dans la vie,
Je vais me rendre à mes chansons.
Tout est-il dit ? rien ne le prouve ;
Pourtant que d’auteurs érudits !
Mais après les moissons on trouve
Toujours quelques brillants épis.
Dans ce siècle d’Hypocondrie,
Que de sujets nous y puisons !
Amis, je rentre dans la vie,
Je viens me rendre à mes chansons.
N’est-il pas heureux sur la terre
Le véritable chansonnier,
Il rit des grands, de la misère,
Il rit même étant prisonnier.
C’est lui qui de la philosophie,
Donne les plus hautes leçons ;
Amis, je rentre dans la vie,
Je vais me rendre à mes chansons.
Et à mon tour…je vous remercie de votre attention !
30.08.2014
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