etat de la menace terroriste en afrique de l`ouest - ovida

Transcription

etat de la menace terroriste en afrique de l`ouest - ovida
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |1
ETAT DE LA MENACE TERRORISTE EN AFRIQUE DE L’OUEST
Par William Assanvo
Juillet 2012
Résumé
L’Afrique est l’une des régions du monde qui connaît une aggravation de la menace terroriste et
une évolution constante des actes correspondants. L’Afrique de l’Ouest et tout particulièrement la
bande sahélo-saharienne constitue actuellement son épicentre. Cette situation est en grande partie
le fait des groupes terroristes qui y sont présents et actifs; c’est le cas de la branche maghrébine de
la mouvance Al-Qaida, Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), du Mouvement pour l’Unicité et
le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO et de la secte nigériane Boko Haram. Chacun de ses
groupes (en fonction de ses origines, de ses objectifs et de ses modes d’action) et tous ensemble,
compte tenu des alliances et dynamiques de collaboration qui se mettent en place et se renforcent,
représentent le visage (ne serait-ce que celui qui est visible, structuré et revendiqué) de l’islamisme
radical et du terroriste en Afrique de l’Ouest. Les liens qui s’établissent et se renforcent
progressivement entre ces différents groupes portent les germes d’une menace particulièrement
dangereuse et difficile à combattre. La situation dans le Nord-Mali et le vide institutionnel et
sécuritaire qui la caractérise depuis le coup d’état du 22 mars 2012 à Bamako représentent un
facteur aggravant.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |2
L’Afrique de l’Ouest est-elle en passe de
devenir la nouvelle terre d’élection du fanatisme
religieux, de l’islamisme radical, du salafisme1
et du terrorisme djihadiste ? C’est un des motifs
d’inquiétude majeur de l’heure et une des
questions que la réalité qui prévaut depuis
plusieurs années dans la bande sahélosaharienne et plus particulièrement dans le Nord
du Mali, depuis le coup d’état du 22 mars 2012,
pousse à se poser. Face à la situation actuelle
dans cette partie du continent, force est de
constater qu’on semble loin de l’une des
conclusions qui était tirée il y a seulement sept
ans sur le fait que le "Sahel n’est pas un foyer
d’activité terroriste" et tendant à relativiser la
réalité de la menace;2 situation qui, il est vrai
n’avait rien de semblable à celle qui prévaut
aujourd’hui. Il faut tout de même préciser que
l’islamisme radical et armée n’est pas nouveau
sur le continent. Les années sombres qu’a
connues l’Algérie constituent à cet effet la
parfaite illustration de la réalité du phénomène
et l’un des éléments à l’origine de la situation
actuelle.
Le pire est-il déjà arrivé ou à craindre ? Une
réalité est cependant bien présente, l’Afrique est
l’une des régions du monde qui connaît une
évolution constante de la menace terroriste.
Alors que la tendance mondiale3 est à la baisse,
12% en moins des attaques terroristes dans le
monde en 2011 par rapport à 2010 et 29% de
moins par rapport à 2009, l’Afrique a quant à
elle connu en 2011 une hausse des attaques
terroristes (de toute nature confondue) de 11,5%
par rapport à 2010; triste palmarès et tendance
dans une très large proportion due aux
agissements de plus en plus agressifs de la secte
nigériane Boko Haram4.
L’une des tendances auxquelles on assiste
concernant la menace terroriste d’inspiration
djihadiste en Afrique de l’Ouest et précisément
dans la bande sahélo-saharienne est son
caractère particulièrement dynamique et
évolutif. Ces évolutions ont pour conséquence
d’aggraver la nature de la menace, de la
complexifier et de rendre encore plus urgentes,
mais en même temps incertaines les réponses
qui pourraient et devraient être apportées.
La menace terroriste dans la région s’illustre par
l’existence d’un certain nombre de groupes se
revendiquant d’une idéologie islamiste, salafiste
et/ou djihadiste; certains d’entre eux ont
également recours à des modus operandi
qualifiés de terroristes. Cette menace se
caractérise également par l’existence d’un
certain nombre de dynamiques concourant à son
expansion et son aggravation. La présente
analyse s’attèle et se borne ainsi à procéder à un
état des lieux de ces groupes et dynamiques en
présence5 à l’origine de l’installation et de
l’évolution de l’islamisme radical et du
terrorisme, y compris d’inspiration djihadiste.
1
Le salafisme est un courant de l’Islam prônant le retour à
l’observance de croyances et de pratiques originelles
(considérées comme "pures") celles des "pères
fondateurs" de l’Islam, les "salaf", que sont le Prophète
Mohammed et ses successeurs immédiats.
2
“Islamist Terrorism in the Sahel: Fact or Fiction?”,
Crisis Group, Africa Report n° 92, 31 March 2005.
3
Mesurée par le nombre d’attaques terroristes.
4
US National Counterterrorism Center, 2011 Report on
Terrorism,
p.
9.
http://www.nctc.gov/docs/2011_NCTC_Annual_Report_
Final.pdf.
5
Une analyse des initiatives nationales, régionales et
internationales conçues et mises en œuvre pour contrer
cette menace seront abordées ultérieurement.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |3
AL
QAIDA
AU
ISLAMIQUE (AQMI)
MAGHREB
Origines et objectifs
A l’origine, l’insurrection islamiste
armée en Algérie
AQMI se présente comme un des avatars de
l’histoire particulièrement sanglante de
l’insurrection islamiste armée en Algérie
débuté en mars 1992 à la suite de
l’interruption par l’armée algérienne du
processus électoral dont le Front Islamique du
Salut (FIS) était sorti vainqueur. A l’actif de
cette insurrection plusieurs groupes islamistes
armés et salafistes; groupes qui se sont, à la
suite du "Congrès d’unification" d’avril 1994,
retrouvés au sein du Groupe Islamique Armée
(GIA), qui côtoya le Mouvement Islamique
Armé (MIA). En 1998, naquit le Groupe
Salafiste pour la Prédication et le Combat
(GSPC), qui, sous la direction d’Amara Saïfi,
alias Abderazzak El-Para, a illustré les
nombreuses dissidences et dissensions qui ont
vu le jour au sein au sein du GIA; dissensions
dues précisément à la "vague de violences
aveugles et de tueries sauvages" par laquelle
le groupe s’est illustré dès l’été 1997, ainsi
que son affaiblissement du fait des actions de
l’armée algérienne et victime de dissidences et
de conflits internes.
L’insurrection islamiste en Algérie avait pour
objectif de renverser le Gouvernement algérien.
Au fil des années, cet objectif s’est également
étendu à la Mauritanie; l’un des chefs d’AQMI,
Mokhtar Belmokhtar, ayant déclaré en 2008 le
djihad contre son Gouvernement6.
6
AQMI aurait à cet effet tenté d’assassiner le Président
mauritanien Mohamed Ould Abdel Azid, en février 2011
par le biais d’un attentat-suicide à l’aide d’un camion
rempli d’explosifs.
Outre cet objectif, la mouvance islamiste
entendait également œuvrer, y notamment par la
contrainte, à une ré-islamisation de la société, à
travers l’établissement d’un Califat.
Le schisme opéré au sein de la mouvance
islamiste et salafiste algérienne n’a d’ailleurs
pas détourné le GSPC de cet objectif visant à
combattre l’Etat algérien, particulièrement en
s’attaquant à ses forces de défense et de
sécurité. Toutefois, au fil du temps, notamment
à la suite de changements survenus à la tête du
mouvement, et ayant conduit à des changements
d’orientations stratégiques, le dessein du GSPC
a progressivement évoluer vers sa volonté
d’embrasser la cause du djihad mondial, mené
par et sous l’étendard de la nébuleuse Al-Qaida.
C’est dans cette perspective que le 11 septembre
2006 le GSPC s’est affilié à la mouvance AlQaida7, devenant en janvier 2007 Al-Qaida au
Maghreb Islamique (AQMI). Sous ce nouveau
label, l’objectif affiché est de mener le djihad,
non seulement en Algérie mais aussi dans
d’autres pays du Maghreb (notamment Maroc,
Libye et Tunisie), ainsi qu’en Europe.
Sous la pression de la traque et des opérations
anti-terroristes des forces algériennes et face à
l’échec, tout au moins aux succès relatifs, de son
implantation dans les autres pays du Maghreb,
AQMI a été sensiblement affaibli et une partie
de ses combattants s’est repliée plus au Sud de
l’Algérie, jusqu’au Nord du Mali, pour trouver
un refuge dans les zones faiblement gouvernées
et contrôlées de la bande Sahélo-Saharienne.
Cette nouvelle réalité a progressivement conduit
à un déplacement du centre de gravité et des
actions les plus significatives de l’organisation
vers le Sahel; évolution qui s’est illustrée par la
création en mai 2009 de la zone indépendante
du Sahel ("Zone 9"), baptisée "Emirat du
7
Bien qu’il lui avait déjà prêté allégeance depuis 2003.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |4
Sahara", venant s’ajouter aux huit zones déjà
existantes dans le cadre desquelles opère déjà
AQMI à l’intérieur de l’Algérie.
Outre ce qui constitue son "cœur historique",
composé à majorité d’Algériens opérant à
l’intérieur du pays, particulièrement à partir du
massif de Timétrine, et dirigé par l’Algérien
Abelmalek Droukdel, Emir national d’AQMI,
l’organisation dispose de Katiba8, brigades
combattantes, opérant dans la région Sahélienne
et constituant la force de frappe d’AQMI-Sahel.
Ces brigades bénéficient d’une certaine
autonomie, ainsi que d’une grande mobilité dans
l’immensité de cette zone désertique
difficilement contrôlable, disposant de moyens
de communication, et ayant, au fil des années,
développés des relations avec les communautés
locales, subvenant à certains de leurs besoins
(nourriture, eau, médicament, carburant).
AQMI-Sahel s’articule principalement autour de
quatre katiba: parmi les plus connues, la katiba
Masked opérant au Nord-Ouest du Sahel et
dirigée, depuis 1992 par Mokhtar Belmokhtar,
qui a longtemps été le seul responsable du
GSPC et plus tard d’AQMI présent dans la
zone. Cette dernière opère sur une zone
englobant le Sud-Ouest algérien, la Mauritanie,
le Mali et le Niger; la katiba Tariq ibn Ziyad,
fondée en 2003 et initialement présente dans le
Nord-Est de l’Algérie, avant de se relocaliser
dans le Sahel. Elle est dirigée par Abdelhamid
Abou Zeid et couvre les opérations de la
Province algérienne de l’Adrar à la frontière
nigérienne. Elle est suspectée d’être derrière un
grand nombre d’assassinats et de kidnappings,
notamment celui d’un couple d’Australien en
février 2008 dans le sud de la Tunisie et des 7
employés des sociétés françaises Areva et
SATOM au Niger en septembre 2010. La katiba
8
Les Katiba sont composées de plusieurs sariyyas,
cellules ou sous-groupes.
d’Abou Zeid est également suspectée de
l’attaque contre la ville mauritanienne de Turin;
attaque ayant entraînée la mort de 12 soldats
mauritaniens et de l’assassinat de l’otage
britannique Edwyn Dyer en mai 2010 à la suite
du refus du Gouvernement britannique de
satisfaire aux exigences du groupe, notamment
le paiement d’une rançon et la libération de
l’islamiste jordanien Abou Qoutada emprisonné
en Grande-Bretagne depuis 2005.
A côté de ces deux katiba, on trouve la katiba
al-Ansar, qui est principalement composée de
maliens et de touareg nigériens. Elle est dirigée
par Abou Abd al-Kakim al-Tariqi. Selon des
sources, ce dernier serait à l’origine de
l’assassinat de l’otage français Michel
Germaneau fin juillet 2010, sans doute en
représailles de l’attaque conjointe des forces
mauritaniennes et françaises contre les bases du
groupe au Nord de Tombouctou; attaque qui
avait causé la mort de sept combattants du
groupe9.
Les katiba10 du désert sont chapeautées par un
bras droit de l’Emir national d’AQMI, Yahia
Djaoudi, alias Yahia Abou Amar Abd El-Ber,
Emir de l’"Emirat du Sahara". Ce dernier est
également à la tête de la katiba al-Furqang qui
est particulièrement présente et active à la
frontière Nord-Ouest de l’Azawad, précisément
à l’intérieur d’une zone partant du Nord de
Tombouctou à la frontière mauritanienne. Ce
groupe est suspecté d’être derrière l’attaque qui
a tué fin 2008 trois soldats mauritaniens dans la
ville d’al-Ghaliwiyah (Nord de la Mauritanie) et
9
Mohammed Mahmoud Abu al-Ma’ali, Idem.
D’autres sources évoquent aussi l’existence d’autres
katiba sous l’autorité de Yahia Abou Amar, à savoir la
Talaia es-Salafia (région de Djefla, Laghouat, Ghardaia),
la El asr Aflou et la Mouhadjiroune, toutes deux situées
dans le djebel Boukhil en Algérie. Cf. Alain Rodier, "Le
Sahel, terrain de jeu d’Al-Qaida au Maghreb Islamique
(AQMI)", Centre Français de Recherche sur le
Renseignement (Cf2R), Note d’actualité n° 172, mai
2009.
10
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |5
la prise d’otage d’un gendarme mauritanien
dans la ville d’Adl Bakr (Est de la Mauritanie)
en décembre 2011. Des membres du groupe se
sont également rendus responsables de
l’assassinat en juillet 2009 d’un citoyen
américain dans le centre de la capitale
mauritanienne Nouakchott et de l’attentat
suicide contre l’Ambassade de France en août
2009. Comme ces quelques faits le démontrent,
la Mauritanie semble être l’un des terrains
d’action du groupe11. Cela s’explique en partie
par le fait que le groupe est composé de
combattants mauritaniens et maliens.
Il est difficile de disposer d’une estimation du
nombre de combattants qui composent AQMI.
Toutefois, selon Badredine Messaoudi, membre
de la Commission chargé de la mise en œuvre
de la Charte pour la paix et la réconciliation
nationale) environ 800 islamistes armés actifs se
trouveraient en Algérie, parmi lesquels 210
appartiendrait à AQMI; environ 590 islamistes
seraient actifs dans le Sud algérien12.
Un récent article de presse13, dont les
informations n’ont pas pu être authentifiées ni
confirmées, évoque une multiplication par près
de vingt du nombre de terroristes présents dans
le Sahel entre 2010 et 2012; il s’établirait à plus
de 6000.
et 200 appartiendraient à la katiba de
Belmokhtar). Le magazine Jeune Afrique,
évoquant des milieux du renseignement, estime
le nombre de combattants d’AQMI présents
dans le Nord-Mali entre 500 et 100015; chiffres
auquel il faut sans doute ajouter les djihadistes
de la sous-région (Algériens16, Libyens et
Tunisiens notamment), ainsi que les Afghans et
Pakistanais, attirés par le du vide sécuritaire,
sans oublier les centaines de nouvelles recrues
évoquées.
Outre la situation dans le Sahel, il serait
nécessaire de rappeler qu’AQMI-Sahel n’est
qu’une composante d’AQMI qui dispose
théoriquement du plus gros de ses troupes en
Algérie et qui essaie de tirer profit du conflit en
Libye et des révoltes populaires en Afrique du
Nord (en Egypte, au Maroc et en Tunisie
notamment), particulièrement du vide, voire du
chaos sécuritaire, qui s’en est suivi en étendant
son champ d’action au Maghreb, en y envoyant
notamment des hommes. A ce titre, selon des
informations de presse parues le 20 mai 2012,
les forces de sécurité algériennes auraient ainsi
arrêté un grand nombre d’islamistes algériens
armés de kalachnikovs, lesquels tentaient de se
rendre en Libye à partir du Nord-Est de
l’Algérie17.
Le nombre de combattants des katiba d’AQMISahel est estimé à entre 200 et 30014 (entre 150
11
Mohammed Mahmoud Abu al-Ma’ali, “Al-Qaeda and
its allies in the Sahel and the Sahara,” Aljazeera Center
for Studies, Reports, 1 May 2012.
12
"Algérie: un nombre “important” d’islamistes en route
vers la Libye arrêtés", Le Temps, 20 mai 2012.
http://www.algerie360.com/algerie/algerie-un-nombreimportant-dislamistes-en-route-vers-la-libye-arretes/.
13
Karim Aimeur, "Selon une étude sécuritaire américaine
6000 terroristes écument le Sahel", L’Expression, 19
juillet
2012.
http://www.lexpressiondz.com/actualite/157321-6000terroristes-ecument-le-sahel.html.
14
Robert Grenier, “Mali: Counter-terrorism and the
benefits of doing nothing”, Al Jazeera, 11 July 2012.
http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2012/07/20127
119230807934.html.
15
Jeune Afrique, "Qui peut sauver le Mali ?", n° 2683,
10-16 juin 2012, p. 27l.
16
"Mali: renfort de jihadistes algériens à Gao après la
déroute
touareg",
AFP,
29
juin
2012,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/06/29/norddu-mali-les-rebelles-touareg-ont-quittetombouctou_1726709_3212.html.
17
"Algérie: un nombre “important” d’islamistes en route
vers la Libye arrêtés", Le Temps, 20 mai 2012.
http://www.algerie360.com/algerie/algerie-un-nombreimportant-dislamistes-en-route-vers-la-libye-arretes/.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |6
Modes opératoires
Les actions et modus operandi d’AQMI ont
progressivement épousé ceux d’Al-Qaida, se
résumant en des attaques contre des cibles
Outre les cibles traditionnelles, à savoir les
forces de sécurité et
de défense (check
Attaques armées (y compris embuscades, attentats-suicides, recours à des mines
points, bâtiments et ou à des explosifs de faible intensité, voitures piégées et assassinats notamment)
véhicules de la contre des cibles gouvernementales, sécuritaires et militaires algériennes et
(11 décembre 2007: double attentat-suicide à la bombe contre le
gendarmerie, police internationales
Conseil Constitutionnel algérien et contre les bâtiments de l’ONU à Alger; août
et de l’armée) et les 2011: attentat à la bombe contre une école militaire -18 morts), maliennes (11 juin
symboles de l’Etat, 2009: un officier de renseignement est tué dans sa maison à Tombouctou; janvier
2011, un tunisien ayant des liens avec AQMI a lancé une bombe artisanale contre
principalement en l’Ambassade de France à Bamako), mauritaniennes (août 2009: attentat-suicide
Algérie, et dans une manqué à l’extérieur de l’Ambassade de France; août 2010: attentat à l’aide d’un
moindre mesure en camion chargé d’explosifs contre un camp militaire à Nema, 1200 km à l’Est de
Nouakchott) et nigériennes (mars 2010: attaque à la voiture piégée, avec des
Mauritanie, AQMI mortiers, des armes lourdes et légères contre un avant poste de l’armée nigérienne;
s’en
prend cinq soldats tués). Ces attaques ont également pris pour cibles des étrangers comme
également
aux ce fut le cas en 2007 avec l’assassinat de quatre touristes français en Mauritanie.
intérêts étrangers et
Prises d’otage à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie (début 2008 deux
notamment
touristes Australiens sont pris en otage), en Mauritanie (3 humanitaires kidnappés
Occidentaux
en novembre 2009 et relâchés en mars et août 2010), au Mali (22 janvier 2009:
enlèvement
à la frontière entre le Mali et le Niger de quatre touristes européens –
(Ambassades,
dont un Britannique, deux suissesses et une Allemande-, 2 citoyens italiens
diplomates,
kidnappés au Mali en décembre 2009 et relâchés en avril 2010; un citoyen français
touristes, hommes kidnappé dans la ville de Menaka en novembre 2009, relâché en février 2010) et au
d’affaire
et iger (14 décembre 2008, deux diplomates canadiens ont été pris en otage; janvier
2009, quatre touristes Européens sont pris en otage près de la frontière avec le
humanitaires). A ce Mali, un otage Britannique a été assassiné; avril 2010 un humanitaire français,
titre, il faudrait Michel Germaneau, est kidnappé au Nord du Niger et emmené au Mali où il
trouvera la mort; septembre 2010, enlèvement à Arlit, dans le Nord du pays, de
également préciser sept sous-traitants –cinq français, un togolais et un malgache- de la société
que la France, française Areva, emmenés au Mali); 7 janvier 2011, deux français sont enlevés
considérée comme dans le centre-ville de Niamey (Niger). Ces derniers sont tués lors d’une tentative
de libération.
la "mère de tous les
maux", figure parmi les cibles déclarées du gouvernementales, sécuritaires et militaires
groupe. Des menaces ont également été algériennes (ce fut notamment le cas de
explicitement lancées contre ceux qui l’attentat à la bombe contre une école militaire
apporteraient leur collaboration à la force en août 2011; attentat qui fit 18 morts) par le
d’embuscades,
d’attentats-suicides,
d’intervention de la Communauté des Etats de biais
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) envisagée pour souvent coordonnés, d’usage de voitures
le Mali. Mokhtar Belmokhtar, "nous ne piégées, de mines ou d’explosifs de faible
resterons pas les bras croisés et que nous intensité, à l’aide notamment d’engins explosifs
agirons en fonction de situation avec fermeté et improvisés, des prises d’otages.
détermination"18.
La prise d’otage, accompagnés de demande de
rançons, et quelque fois de demande de
18
"AQMI menace ceux qui voudraient aider la Cédéao au
Mali",
Lemonde.fr/AFP,
1er
juillet
2012.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/07/01/aqmi-
menace-ceux-qui-voudraient-aider-la-cedeao-aumali_1727520_3212.html.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |7
libération de djihadistes retenus prisonniers dans
certains pays de la région ou hors du continent,
s’est également illustrée comme le principal
mode opératoire d’AQMI. A cet effet, depuis
2003, 53 personnes ont été prises en otage dans
le Sahel par les groupes terroristes y opérant19.
AQMI détiendrait à ce jour un dizaine d’otages.
Les prises d’otages ont généré de substantiels
revenus à AQMI20. Selon le Conseiller Spécial
du Président algérien pour les questions de
terrorisme, Kamel Rezzag Bara, qui s’exprimait
en septembre 2010 devant une réunion de
l’Assemblée Générale de l’ONU portant sur le
terrorisme, les katiba sahéliennes d’AQMI ont
engrangé en 7 ans plus de 150 millions d’euros
grâce aux rançons. Cette manne financière a
permit à AQMI de se procurer des armes, de
recruter de nouveaux combattants et de financer
des actions "sociales" auprès de certaines
populations de la bande sahélo-saharienne,
précisément au Nord-Mali, afin de les gagner à
leur cause ou tout au moins de réduire les
sentiments de rejet qu’elles pourraient avoir à
son encontre; mettant en œuvre par la même
occasion une autre des stratégies d’AQMI-Sahel
consistant à nouer des liens avec les
communautés locales21, y compris avec leurs
responsables, pour s’assurer des complicités
actives ou passives, selon les circonstances.
Pour en revenir à la prise d’otage, elle s’est
révélée être pendant longtemps l’unique activité
dans laquelle s’illustrait AQMI-Sahel (en plus
de son implication dans divers autres trafics).
Cette réalité a poussé à s’interroger sur la
19
Rapport de la mission d’évaluation des incidences de la
crise libyenne sur la région du Sahel, 7-23 décembre
2011, S/2012/42, 18 janvier 2012, paragraphe 38, p. 11.
20
Il existerait compte tenu de la nationalité de l’otage des
prix établis: entre 5 et 10 millions d’euros pour un
Français; entre 8 et 12 millions s’il travaille pour
AREVA.
21
A ce titre, Mokhtar Belmokhtar a épousé une malienne
d’origine touareg.
véritable nature des katiba sahéliennes,
notamment sur le fait qu’elles aient dévié du
djihad global qu’AQMI s’est engagé à mener en
prêtant allégeance à Al-Qaida.
L’implication
d’AQMI-Sahel
dans
ce
22
"banditisme djihadiste" s’illustrant par la mise
en œuvre d’activités criminelles et notamment
de trafics en tout genre (drogue23, armes,
cigarettes, carburant, migrants) a ainsi
représente un des aspects les plus notables de sa
présence dans la région. Il faut rappeler que le
groupe tire une partie substantielle de ses
revenus de ces activités, sous la forme de droits
de passage dans les zones du désert qu’ils
contrôlent ou en rétribution de la protection
qu’ils procurent aux trafiquants. Il faudrait à ce
titre évoquer des complicités qui se sont établies
entre les bandits-djihadistes d’AQMI et des
responsables locaux, notamment au Mali.
Outre ces actions, il semblerait qu’AQMI, tout
au moins ses katiba sahéliennes, jouent
également de plus en plus un rôle majeur dans le
transfert de savoirs terroristes et précisément
dans la formation24 et le soutien logistique à
d’autres
organisations
ou
mouvements
islamistes radicaux de la sous-région ou même
du continent, tels que Boko Haram ou les
milices somaliennes Shebab. C’est notamment
ce que précise la Stratégie nationale américaine
22
Voir Atmane Tazaghart, AQMI. Enquête sur les
héritiers de Ben Laden au Maghreb et en Europe,
Abidjan, Frat Mat Editions, 2011, pp. 53-59.
23
En décembre 2009 trois maliens suspectés d’appartenir
à AQMI et d’avoir tenté de faire transiter de la drogue à
travers le Sahara jusqu’en Espagne ont été arrêtés au
Ghana et transférés aux Etats-Unis où ils ont fait l’objet
de poursuite. Cf. Devlin Barrett, “3 Al Qaida suspects
charged in African drug case,” Associated Press,
December
19,
2009.
http://www.denverpost.com/headlines/ci_14029421
24
Laurent Prieur, “Boko Haram got al Qaeda bomb
training, Niger says”, Reuters, January 25, 2012.
http://af.reuters.com/article/topNews/idAFJOE80O00K20
120125.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |8
anti-terroriste publiée en juin 201125 et
qu’illustre un certain nombre d’informations.
C’est vraisemblablement le rôle que jouent les
djihadistes afghans et pakistanais dont la
présence a été signalée dans le Nord-Mali26.
suite de combats survenus à la fin du mois de
juin 2012, il a chassé les rebelles du Mouvement
National de la Libération de l’Azawad (MNLA)
qui s’y trouvaient, devenant la seule force en
présence.
MOUVEME.T POUR L’U.ICITE ET
LE DJIHAD E. AFRIQUE DE
L’OUEST (MUJAO)
Le MUJAO est présenté comme une dissidence
d’AQMI. Toutefois, il est toujours évoqué par
rapport à AQMI. Ce qui explique sans doute le
fait que peu d’importance lui soit encore
accordée en tant qu’entité autonome. Pour
certains analystes la démarcation à laquelle on a
assister de la part des membres du MUJAO
serait la conséquence de la composition
principalement algérienne du leadership de la
branche maghrébine d’Al-Qaida et de
frustrations croissantes de certains combattants
originaires de pays autres que l’Algérie vis-à-vis
de ses réticences ou de son peu d’empressement
à leur confier plus de responsabilités. C’est
notamment la thèse que présente Mohammed
Mahmoud Abu al-Ma’ali28, écrivain et analyste
spécialisé dans les mouvements islamiques
armés en Mauritanie, pour qui la création du
MUJAO serait le fait de Soultan Ould Bady29,
alias Abu Ali, arabe originaire de la ville de
Gao, après qu’il lui ait été refusé la création
d’une unité composée d’Arabes de l’Azawad.
Origines et objectifs
Le Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en
Afrique de l’Ouest (MUJAO) est le plus récent
des groupes terroristes actifs en Afrique de
l’Ouest, précisément dans le Nord-Mali. Il serait
présent sur le vaste plateau allant de Tessalit
(Extrême Nord du Mali) à Gao. On entend
parler de lui pour la première fois en décembre
2011 lorsque le groupe revendique l’enlèvement
de trois humanitaires européens dans le Sud de
l’Algérie en octobre 2011.
On retrouverait dans les rangs du MUJAO, qui
compterait environ 300 personnes27, des
Mauritaniens, Algériens, Sahraouis, Nigériens,
Tchadiens
et
des
Arabes
Maliens,
principalement de la ville de Gao (dont la
plupart des leaders et combattants sont
originaires). Le MUJAO est principalement actif
dans la région de Gao, ville de laquelle, à la
25
US National Strategy for Counterterrorism, June 2011,
p. 16.
26
"Mahamadou Issoufou: "Des djihadistes afghans et
pakistanais sont présents au Mali", Jeune Afrique, 8 juin
2012.
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120
608093359/.
27
Jeune Afrique, "Qui peut sauver le Mali ?", n° 2683,
10-16 juin 2012, p. 27l. Toutefois, le groupe serait en
train de recruter et de former de nouveaux membres;
certaines informations chiffreraient ces nouvelles recrues
à des centaines, cf. "Scores of Africans recruited by Mali
Qaeda
offshoot",
AP/AFP,
18
July
2012.
http://www.rnw.nl/africa/bulletin/scores-africansrecruited-mali-qaedaoffshoot?goback=.gde_4451300_member_136146840.
28
Mohammed Mahmoud Abu al-Ma’ali, “Al-Qaeda and
its allies in the Sahel and the Sahara,” Aljazeera Center
for Studies, Reports, 1 May 2012.
29
Présenté par certains comme le chef du MUJAO.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P age |9
Cette dissidence pourrait également provenir de également ajouté que le "djihad sera apporté
la volonté des membres à l’origine de la création partout où cela sera nécessaire et pour Dieu il
du MUJAO d’étendre le djihad au Sud du faut être prêt à tout". L’imposition de la
Sahara, y compris contre les pouvoirs en place "Charia dans toute l’Afrique de l’Ouest" figure
de leurs pays respectifs. Certains voient
également cette dissidence comme la QUID D’A.SAR EDDI.E ("DEFESEURS DE L’ISLAM") ?
conséquence de reproches faits à AQMI L’annonce de la création du mouvement a été faite le 10 décembre
d’être principalement actif dans des activités 2011 par Iyad Ag Ghali, ancien chef de la rébellion touareg de 19901995. Interviewé le 22 avril 2012 par le journal algérien, Alakhbar,
criminelles (prises d’otage et autres), le porte-parole du mouvement, Senda Ould Boumama, le présentait
délaissant le djihad. Ce sont aussi des comme un "mouvement qui prône l’Islam et tire sa révérence du
Salafisme". S’il n’y a aucun doute sur son caractère islamiste,
divergences sur l’utilité du Sahel qui seraient compte tenu notamment de sa volonté plusieurs fois affirmée de voir
à l’origine de la distance prise par le la Charia et la forme puritaine et originelle de l’Islam (Salafisme)
appliquée à l’ensemble du Mali, son caractère terroriste prête à
MUJAO: refuge, source de revenu (prises interprétation et reste encore à déterminer avec précision.
d’otage, activités criminelles) ou champ de Si le Rapport de la mission d’évaluation de l’ONU sur les incidences
bataille pour le djihad contre les de la crise libyenne sur la région du Sahel (para. 40, p. 12) le
présente comme un "groupe terroriste", outre son implication, aux
gouvernements apostats de la région. Enfin, côtés de rebelles du Mouvement ational de Libération de l’Azawad
(MLA), dans la "conquête" du Nord-Mali, dès la mi-janvier 2012 et
il est aussi évoqué des dissensions sur la base plus
particulièrement à la suite du coup d’Etat du 22 mars 2012, et
nonobstant ses liens plus qu’étroits (l’un des chefs d’AQMI-Sahel,
de la répartition des rançons.
Quelque soient les raisons qui ont conduit à
la création du MUJAO, il y existe un lien
évident entre le mouvement et AQMI. Il y
aurait à cet effet eu une entente entre les
deux groupes, précisément avec Mokhtar
Belmokhtar, côté AQMI, afin que, bien que
bénéficiant d’une autonomie, le MUJAO et
AQMI conservent une orientation et une
vision uniques, et assurent une coordination
de leurs actions. Dans le cadre de la conquête
des villes du Nord-Mali une répartition des
tâches aurait ainsi été opérée entre AQMI, le
MUJAO et le groupe islamiste Ansar Eddine.
En ce qui concerne les objectifs du MUJAO,
dans une vidéo postée sur Internet en janvier
2012, celui qui est présenté comme son
porte-parole30 (ou encore comme son chef
par d’autres sources), Hamma Ould
Mohamed Kheyrou, alias Abou Qumqum, a
déclaré être en guerre contre la France "qui
est contre les intérêts de l’Islam". Il a
30
Adnan Abu Walid Sahraoui a également été présenté
comme porte-parole du groupe.
Abou Zeid, réside et règne en maître dans la ville de Tombouctou
officiellement tenue par Ansar Eddine; le second d’Abou Zeid,
Oumar Ould Hamaha, Malien originaire de la région de
Tombouctou, est également membre de la direction d’Ansar Eddine;
un des cousins de Ag Ghaly, Hamada Ag Hama, dirige aussi une
petite faction au sein d’AQMI; enfin un autre des cousins de Ghaly,
Hamada Ag Hama, alias, Abdelkrim Taleb, appartenant, comme lui,
à la tribu des Ifoghas dirige une katiba d’AQMI dans la région de
Kidal), la coordination qui s’opère avec AQMI et le MUJAO, ainsi
que son rôle quelque peu trouble dans l’industrie des otages, force
est de reconnaître que pour l’heure Ansar Eddine n’a pas posé
d’actes qui puissent être qualifiés de terroristes (attentats, attaques
armées, massacres, etc.). Il est à cet effet nécessaire de rappeler que
le terrorisme est généralement défini comme le recours ou la menace
du recours à la violence en vue d’atteindre des objectifs politiques;
mettant ainsi l’accent sur la commission effective d’actes.
Cela étant, Ag Ghali, aurait déclaré envisager recourir au "djihad
contre tous ceux qui s’abstiennent de respecter la Charia, en les
combattant jusqu’à ce qu’il n’existe plus de dissensions et de
sédition (…)". C’est sans doute cette réalité qui convainc, même en
l’absence d’actes terroristes, un certain nombre d’observateurs que le
qualificatif "terroriste" cadre bien avec le groupe.
Ansar Eddine s’est également illustré dans des actes s’inscrivant
dans son projet d’imposition de la Charia: prosélytisme, mise sur
pied d’une police islamique, obligation faite aux femmes de porter le
voile, fermeture de bars et débits d’alcool, interdiction et destruction
de la cigarette, etc. Plus récemment, au début du mois de juillet 2012
notamment, le groupe s’est rendu responsable de destruction de
mausolées et édifices religieux dans la ville de Tombouctou (dont
deux des mausolées de la Grande Mosquée de Tombouctou le 10
juillet 2012), actes qui, selon la Procureure de la Cour Pénale
Internationale (CPI), relève d’un crime de guerre.
également au rang des desseins déclarés du
groupe. Dans une autre interview, il a ajouté la
"nécessité d’instaurer la Charia" et l’objectif du
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 10
mouvement d’"intégrer les jeunes de l’Afrique
noire dans la dynamique du djihad". Il est ainsi
clairement question d’une volonté d’exporter et
d’étendre le djihad à l’Afrique subsaharienne.
Ce dernier aspect devrait pousser à accorder à ce
groupe l’importance qu’il mérite, non plus
seulement comme une dissidence d’AQMI, mais
plus précisément comme un groupe mu par
l’ambition d’initier une nouvelle dynamique et
la volonté de porter le djihad plus au Sud du
Sahara. Le MUJAO, du fait notamment de sa
composition multinationale et de la trajectoire
d’évolution de cette dernière, est en passe, s’il
continue de bénéficier de l’existence d’un
certain nombre de facteurs favorisant son
expansion, de préfigurer ce qui pourrait être le
djihad dans les mois ou années à venir.
A cet effet, le djihadisme de demain (et peut être
déjà d’aujourd’hui dans une certaine mesure) en
Afrique de l’Ouest pourrait bien être le fait
d’individus ayant fait leurs armes au sein de
groupes tels que le MUJAO, que rien ne
distinguerait de leurs autres concitoyens et qui,
de l’intérieur, pourraient contribuer à
l’implantation de cette idéologie à d’autres pays.
Modes opératoires
Tout comme AQMI, le MUJAO semble s’être
spécialisé dans la prise d’otages, suivie de
demande de rançon, et dans les attaques contre
des forces de sécurité gouvernementales,
notamment celles d’Algérie. Il faudrait à ce titre
craindre, suivant en cela la composition
multinationale du mouvement, que d’autres pays
soient la cible des actions du MUJAO. A ce
titre, dans le cadre des projets de déploiement
d’une force d’intervention de la CEDEAO, le
MUJAO a, le 29 juin dernier, menacé de
s’attaquer aux pays qui la composeraient31.
Le premier fait d’arme du MUJAO a été
l’enlèvement, le 23 octobre 2011, de trois
humanitaires européens (deux Espagnols et une
Italienne) dans un camp de réfugiés sahraouis de
Rabouni, à Tindouf (Sud-ouest de l’Algérie)32.
La prise d’otage, le 5 avril 2012, du Consul
algérien de la ville malienne de Gao et de six de
ses collaborateurs, vient consacrer le recours à
ce mode opératoire. Pour la libération des
diplomates algériens33 le MUJAO aurait
réclamé 15 millions d’euros, 30 millions d’euros
pour les deux Européennes.
Dans un autre registre, des membres du
mouvement ont mené le 3 mars 2012 un
attentat-suicide à l’aide d’une voiture chargée
d’explosifs contre une caserne de gendarmerie à
Tamanrasset (Sud de l’Algérie); attentat qui
s’est soldé, outre la mort des deux kamikazes34,
par une vingtaine de blessés parmi les
gendarmes algériens et des dégâts matériels.
31
"AQMI menace ceux qui voudraient aider la Cédéao au
Mali",
Lemonde.fr/AFP,
1er
juillet
2012.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/07/01/aqmimenace-ceux-qui-voudraient-aider-la-cedeao-aumali_1727520_3212.html.
32
L’annonce de leur libération a été faite le 18 juillet
2012. Cette libération aurait été faite en échange du
paiement d’une rançon s’élevant, selon le MUJAO, à 15
millions d’euros, et de la libération d’au moins un
islamiste emprisonné en Mauritanie.
33
Le 13 juillet 2012 le MUJAO a annoncé la libération de
trois des sept otages algériens; information confirmée le
15 juillet 2012 par le Ministre algérien des Affaires
étrangères, Mourad Medelci. Bien que des informations
évoquent une contrepartie financière, il est difficile de le
confirmer.
34
Présentés par le porte-parole du MUJAO, Adnan Abu
Walid Sahraoui, comme un Sahraoui et un Malien, cf.
Tayeb Belmadi, "Gendarmeries ciblées, diplomates
séquestrés: Le Mujao la terreur venue du Sud d’Algérie",
Dernières nouvelles d’Algérie (DA), 29 juin 2012.
http://www.dna-algerie.com/interieure/gendarmeriesciblees-diplomates-sequestres-le-mujao-la-terreur-venuedu-sud-d-algerie-2.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 11
Le 29 juin 2012, le groupe a de nouveau
revendiqué une attaque suicide contre le siège
du commandement régional de la gendarmerie à
Ouargla (ville située à quelques 475 km au Sud
d’Alger); attaque qui a fait, outre le kamikaze,
un mort et trois blessés35.
Le MUJAO s’est également illustré, aux côtés
d’autres groupes islamistes et de la rébellion
touareg du MNLA, dans la "conquête" armée du
Nord-Mali, initiée avec la résurgence de
l’irrédentisme touareg début 2012, et qui a
connu, avec le coup d’état du 22 mars 2012 qui
a grandement contribué à ébranler l’armée
malienne, la mainmise progressive des
islamistes sur près de 66% du territoire malien.
Tout comme AQMI, le MUJAO, ou tout au
moins certains de ses membres, sont également
suspectés d’être impliqué dans des activités de
contrebande, notamment d’essence.
BOKO HARAM
Origines et objectifs
Boko Haram s’est constitué sur des références
(Taliban d’Afghanistan notamment) et sur une
idéologie radicale et salafiste. Il s’est ainsi
présenté comme porteur d’un message de
changement radical de la société nigériane et
particulièrement de la pratique de l’Islam dans
ce pays; changement devant passer par
l’édification d’une société gouvernée par les
principes de la Charia, appliqués de manière
plus stricte36. Cet agenda devrait également
s’accompagner par l’édification d’un Etat
islamique "pur", transparent et juste, tournant
le dos aux pratiques corrompues prêtées à
l’Etat dans sa forme actuelle.
L’opposition à un certain nombre de réalités,
savoirs ou principes attribués à l’Occident s’est
également développée. C’est à ce titre que le
précédent leader du groupe, Mohammed
Yousouf avait déclaré que "l’éducation
occidentale comporte des questions qui sont
contraires à nos croyances musulmanes".
Toutefois, les principaux griefs du groupe sont
d’ordre politique et socioéconomique.
C’est en partie ce qui explique le fait que le
Gouvernement Fédéral laïc et séculier et tout ce
Aux origines de l’insurrection de Boko Haram au
.igeria
Le groupe Boko Haram plonge ses racines dans un
environnement géographique (Nord-est du pays, précisément
dans les Etats de Borno et de Yobe) et socioéconomique
caractérisé par une certaine incapacité de l’Etat Fédéral à
subvenir aux besoins de base des populations du Nord du pays
(à majorité musulman): santé, éducation, électricité, etc. En
effet, cette partie du pays est celle affichant les plus mauvais
résultats en termes de niveau d’éducation, de pauvreté, de
mortalité enfantine, etc.
A cette situation vient s’ajouter un niveau de corruption
persistante qui n’est pas spécifique au Nord du pays mais qui
résonne de manière particulière dans cet environnement. La
situation socioéconomique a notamment eu pour conséquence
la présence de ce qui a été qualifié de "vaste armée de jeunes
chômeurs, ayant abandonnés l’école et accro à la drogue".
C’est notamment parmi ces milliers de désœuvrés que, lors des
élections générales de 2003, des hommes politiques du Nord
(particulièrement des Etats de Borno, Gombe, Yobe et Bauchi)
auraient puisés pour constituer et financer des milices privées.
Dans le même ordre d’idée, le système des Almajiri (ces
milliers de jeunes –ils sont estimés à environ 10 millions dans
l’ensemble du pays- provenant de familles défavorisées,
n’ayant pas les moyens de les envoyer à l’école, et n’ayant
pour seul recours que les écoles coraniques et la mendicité) a
également servi à fournir à l’islamisme radical nigérian,
notamment à Boko Haram, les adeptes dont il avait besoin
pour mettre en œuvre sa vision.
C’est pour lutter contre ce contexte socioéconomique et
politique que le groupe a initialement fondé sa défiance et sa
contestation de la légitimité de l’Etat Fédéral corrompu et
apostat, car ayant été incapable ou ayant manqué de volonté
pour mettre en œuvre la "vraie Charia" dans les Etats du
Nord.
35
Tayeb Belmadi, Idem.
En effet, la Charia est déjà appliquée dans 12 des 36
Etats qui constituent la Fédération, majoritairement situés
dans le Nord du pays.
36
qui le symbolise (en premier lieu les forces de
sécurité et de défense) soit la cible principale de
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 12
Boko Haram, avec l’objectif affiché de le
renverser.
Mise à part le Gouvernement Fédéral, le groupe
s’est également attaqué à des hommes
politiques, chefs traditionnels, à l’ONU, à des
leaders
musulmans
(considérés
comme
corrompus ou encore n’observant pas la pratique
religieuse telle que prônée par le groupe),
Chrétiens, écoles (y compris coraniques,
universités et à des média (nationaux &
internationaux).
Boko Haram connait certaines mutations qui,
trouvant sans doute leurs origines dans les liens
établis avec des groupes de la mouvance AlQaida, notamment sa branche maghrébine,
semblent l’orienter vers une rhétorique et un
agenda djihadiste international. Cette évolution
s’est notamment manifestée par l’attentat du 26
août 2011 contre le siège de l’ONU à Abuja.
Quelques semaines après l’attentat un message
vidéo a été diffusé; son auteur a qualifié l’ONU
de forum pour "all global evil" et décrit
l’attaque comme un "signal envoyé aux EtatsUnis et aux autres infidèles"37. Même si aucun
fait similaire ultérieur ne permettrait de
confirmer ce changement d’orientation, cet
évènement illustre tout de même une certaine
évolution du groupe.
Un certain nombre d’interrogations demeurent
sur la composition (notamment sur le nombre de
membres qui le compose), la structure (il est
évoqué l’existence de cellules locales) et les
dynamiques internes au mouvement, tant peu est
connu sur ce dernier. Les avis sont ainsi
partagés sur la structure et particulièrement sur
son caractère ou non homogène et monolithique.
Certains observateurs défendent ainsi l’idée
d’un groupe au sein duquel il n’y aurait pas de
courants et encore moins de divergences; c’est
notamment le cas du journaliste nigérian,
Ahmad Salkida, qui s’est rendu célèbre par ses
liens plus qu’étroits avec Boko Haram qu’il
aurait fréquenté et à qui il est prêté une assez
bonne connaissance du mouvement. Bien que
son manque objectivité soit souvent évoqué, ce
dernier rejette les analyses faisant état de
l’existence de différentes factions et souligne
que l’instance dirigeante de l’organisation est
restée inchangée depuis 201038. L’absence de
faction au sein du groupe a également été
affirmé, à la suite de l’attentat suicide du 16 juin
2011 contre le quartier général de la police dans
la capitale Abuja, par un homme présenté
comme un de ces porte-paroles39.
Cette vision du groupe, par le groupe lui-même
devrait être relativisée; il a certainement un
intérêt à se présenter comme une organisation
bien structurée et uniforme au sein de laquelle
existe une forte cohésion; ce qui pourrait ne pas
exactement traduire la réalité des dynamiques
internes.
Pour d’autres par contre des divergences
existeraient bel et bien au sein du groupe. Ainsi,
selon le Dr. Ricardo Larémont, professeur à
l’Université d’Etat de New York, il existerait
trois factions à l’intérieur du groupe: la
première, dirigée par le successeur de
Mohammed Youssouf, Aboubakar Shekau,
serait considérée comme la branche idéologique
et ouverte à des négociations avec le
Gouvernement Fédéral. Toutefois, compte tenu
des positions radicales et intransigeantes que le
leader actuel de la secte a publiquement
38
Changing face of Nigeria’s Boko Haram
Salkida Ahmad, “The Suicide Bomber”, Blueprint, July
3,
2011.
http://www.internationalpeaceandconflict.org/profiles/blo
gs/read-my-exclusive-report-on?xg_source=activity.
39
37
“Nigeria UN bomb: Video of ‘Boko Haram’ bomber
released,” BBC ews, September 18, 2011.
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-14964554.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 13
exprimées, on peut légitimement douter de la
disposition à dialoguer qui lui est prêtée. La
seconde faction serait soutenue par des
responsables locaux et gouvernementaux du
Nord qui auraient pour objectif de fragiliser le
Gouvernement Fédéral; et la troisième qui
s’adonnerait à des actes criminelles. C’est
notamment cette dernière qui serait impliquée
dans des prises d’otages sur lesquelles nous
reviendrons.
Selon Johnnie Carson, l’Assistant Secrétaire
d’Etat américain aux Affaires Africaines, Boko
Haram serait constitué par au moins deux
organisations: une plus grande, axée sur les
actions violentes à l’encontre du Gouvernement
nigérian, et l’autre, plus petite et dangereuse,
menant des actions "de plus en plus
sophistiquées et mortelles"40. Le caractère
hétéroclite de Boko Haram, également défendu
par le Général Carter Ham, chef du
Commandement militaire du Pentagone pour
l’Afrique (AFRICOM),41 l’ait aussi pour un
analyste politique nigérian, Hussaini Abdu, pour
qui "il ne s’agit plus d’un groupe homogène"
(“It is no longer a single group"), défendant
l’existence de "différentes tendances": une
traditionnelle, dirigée par Aboubakar Shekau, et
d’autres groupes émergents et "capitalisant sur
l’insécurité dans le pays"42.
Modes opératoires
Les modes opératoires du mouvement ont
évolué avec le temps43. On est ainsi parti
d’attaques à l’aide de flèches empoisonnées ou à
la machette, à des attaques et attentats (à l’aide
d’engins explosifs improvisés –lancés de
voitures ou plantés sur les lieux d’attentat- ou de
voitures piégés), y compris suicides, en passant
par l’usage d’armes à feu (à partir de motos ou
de véhicules), et même de lance-roquette44.
Certains membres de la secte affrontent
régulièrement les forces de sécurité et de
défense nigérianes au cours de fusillades
précédant, accompagnant ou suivant des attentes
à l’explosif.
40
“Analysis: Carrot or stick? - Nigerians divided over
Boko
Haram”,
IRI,
16
July
2012.
http://www.irinnews.org/Report/95874/Analysis-Carrotor-stick-Nigerians-divided-over-Boko-Haram.
41
Transcript: General Carter Ham Discusses African
Security Issues at ACSS Senior Leaders Seminar, Africa
Center for Strategic Studies, June 27, 2012.
http://africacenter.org/wpcontent/uploads/2012/06/TRANSCRIPT-Gen-Ham-atSenior-Leaders-Seminar-June-2012.pdf.
42
“Analysis: Carrot or stick? - Nigerians divided over
Boko
Haram”,
IRI,
16
July
2012.
http://www.irinnews.org/Report/95874/Analysis-Carrotor-stick-Nigerians-divided-over-Boko-Haram.
43
Une étape semble ainsi avoir été franchie avec
l’attentat-suicide à la voiture piégée perpétrée le 11 juin
2011 contre le quartier général de la police à Abuja,
capitale fédérale, par les attentats simultanés à la bombe
qui ont suivis quatre jours plus tard contre un
commissariat et une banque dans l’Etat de Katsina et, le
26 août 2011 par l’attentat contre le siège de l’ONU à
Abuja.
44
"Nigeria: tir de roquette contre une école coranique à
Jos, un enfant tué", AFP, 17 juillet 2012.
http://www.liberation.fr/depeches/2012/07/17/des-tirscontre-une-ecole-coranique-du-centre-du-nigeria-font-unmort_833846.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 14
Les membres de Boko Haram se sont ainsi
illustrés par des attaques répétées contre les
forces de sécurité (commissariats, casernes,
convois, officiers à la retraite), contre des lieux
perçus comme des endroits de péchés
(notamment bars et salles de jeu de cartes),
contre des lieux de culte Chrétiens45. La secte
s’est également attaquée à des banques,
marchés, universités, écoles coraniques, à des
personnalités
religieuses
46
musulmanes et à des média47.
Des hôtels auraient également
fait l’objet de projets d’attentats;
ce qui illustrerait le fait que les
étrangers
sont
également
devenus des cibles. Le 17 mai
2012, le porte-parole de la secte,
Abu Qaqa, a menacé de
s’attaquer à tous les bâtiments
abritant
des
services
gouvernementaux dans les 19
Etats du Nord (à majorité
musulman) et dans la capitale
Abuja, appelant les populations à les éviter.
De manière générale on observe que les attaques
attribués à la secte sont de plus en plus
45
7 juin 2011: attaque contre une église à Maiduguri; 25
décembre 2011: plusieurs attentats frappent des églises
dans le Nord-est et le reste du pays, faisant près de 40
morts. 30 morts ont notamment été enregistrés à
l’extérieur d’une église catholique à Madalla, une
banlieue de la capitale Abuja. Une église a également été
visée dans la ville de Jos, dans le Centre du pays; avril
2012: le jour de la fête de Pâques, au moins une voiture
piégée explose à Kaduna à proximité d’une église, au
moins 38 morts; 15 juillet 2012: tentative d’attentat à la
bombe contre une église dans une ville située dans l’Etat
de Kogi (centre du Nigeria), la bombe a explosé sans
qu’aucun blessé ne soit enregistré.
46
4 septembre 2011: un religieux musulman est tué pas
deux hommes de la secte dans la ville de Maiduguri.
47
26 avril 2012: attentat-suicide –à l’aide d’une voiture
piégée- commis contre le siège du journal This Day à
Abuja, attaque ayant fait cinq morts; dans la même
journée une bombe était lancé par un homme dans un
complexe de presse à Kaduna (Nord du pays), entraînant
la mort de quatre personnes.
sophistiquées, souvent coordonnées, fréquentes
(presque quotidiennes, tout au moins
hebdomadaires)
et
particulièrement
48
meurtrières .
Ces attaques ont cru de manière très
significative, notamment au cours de l’année
201149. Ainsi, selon la police nigériane, Boko
Haram a été l’auteur en 2011 de 118 attaques
qui ont causé la
mort de 308
personnes. Ce
décompte est
selon
de
nombreux
observateurs
sous-estimé.
Ainsi selon le
Rapport 2011
sur
le
Terrorisme du
Centre
National
de
Contre-terrorisme américain, Boko Haram a été
l’auteur en 2011 de 136 attaques –plus que les
31 enregistrés en 2010-; selon IRIN, le service
d’information de l’Office de Coordination des
Affaires Humanitaires de l’ONU –OCHA- le
nombre de morts depuis juillet 2009 tournerait
autour de 648.
48
En janvier 2012, on a ainsi assisté à une série
d’attentats coordonnés dans la ville de Kano (Nord du
pays) à l’aide d’engins explosif improvisés; attentats qui
ont entraîné la mort de près de 200 personnes. Pour un
aperçu de la progression presque exponentiel du nombre
d’attaques menées par Boko Haram voir le graphique cidessus; source: "Boko Haram attacks in Nigeria", Chart
from the Senate Foreign Relations Subcommittee on
African Affairs hearing on Nigeria on March 29, 2012,
US Senator Chris Coons of Delaware.
49
William Assanvo, Rétrospective 2011 des agissements
de la secte Boko Haram et perspectives, Observatoire de
la Vie Diplomatique en Afrique (OVIDA), ote d’analyse
http://www.ovidan°
9,
15
janvier
2012.
afrido.org/fr/ovidapdf/RETRO_2011_Boko%20Haram_9_Janvier12.pdf.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 15
Pour les trois premières semaines de 2012
seulement, ce sont plus de 253 personnes qui
auraient trouvé la mort dans 21 attaques
distinctes. De 2009 (année à partir de laquelle
l’insurrection menée par Boko Haram s’est
accentuée) à janvier 2012, ce sont au moins
1.200 personnes qui auraient perdu la vie du fait
des actes imputables au mouvement. Avec les
nombreux attentats, souvent particulièrement
meurtriers, survenus ces derniers mois, ce
chiffre pourrait actuellement approcher le
millier de morts pour la seule année 2012.
Source: US Africa Command (AFRICOM), juillet 2009-janvier
2012.
L’autre fait particulièrement préoccupant des
agissements de la secte est l’expansion de son
champ d’action. Ainsi, même si le plus gros des
attaques de la secte ont principalement été
menées dans le Nord-Est du pays, notamment
dans les Etats de Borno et de Yobe, les Etats de
l’Adamaoua, Bauchi, Gombe, Kano, Kaduna,
Niger, Plateau, Taraba, Yobe, ainsi que la
capitale Fédérale Abuja et l’Etat de Kogi50 (Sud
d’Abuja) ont également, soit été le lieu
d’attentats, soit se sont illustrés par la
découverte de caches d’armes et d’explosifs.
Boko Haram et la prise d’otages
La prise en otage en mai 2011 d’un Britannique
et d’un Italien, travaillant pour le compte d’une
firme italienne de construction, prise d’otage
attribué à un groupe supposé être associé à Boko
Haram (et avoir des liens avec AQMI), et leur
mort le 8 mars 2012 lors d’une tentative de
libération par des forces de sécurité nigériane et
britannique (dans l’Etat de Sokoto, Nord-Ouest
du pays) pousse à s’interroger, sur l’éventualité
d’une évolution vers la prise d’otage
d’Occidentaux. Le fait que le groupe ait
explicitement nié son implication dans cette
prise d’otages nourrit le doute.
Malgré ces dénégations, la mort le 31 mai
2012 à Kano de l’ingénieur allemand Edgar
Fritz Raupauch51, alors que les forces de
sécurité nigérianes prenaient d’assaut une
maison à l’intérieur de laquelle se trouvaient
des membres de Boko Haram, pousse une fois
de plus à s’interroger sur son rôle dans cette
pratique; ce d’autant plus qu’AQMI avait
diffusé une vidéo revendiquant cette prise
d’otage. Se pose ainsi la question de savoir si
Boko Haram jouerait le rôle de geôlier pour le
compte d’AQMI.
Un pan de voile a été levé avec les informations,
révélées en mai 2012 par un journal nigérian,
contenues dans un rapport adressé au Président
nigérian par les services de sécurité et de
défense sur la base d’investigations menées en
décembre 2011 dans le Nord du Nigéria,
informations faisant état des liens entre Boko
Haram et AQMI, particulièrement de formation
50
Où le 16 mai 2012 dernier une cache attribuée à des
terroristes -et non explicitement au mouvement Boko
Haram- et contenant des armes -grenades artisanales,
engins explosifs improvisés, 10 AK 47, 2 révolvers, un
pistolet Beretta- et des munitions, a été découverte. En
avril deux usines de fabrication de bombes artisanales
avaient déjà été découvertes dans ce même Etat.
51
Pris en otage le 26 janvier 2012 dans la même ville.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 16
reçues par des membres du groupe nigérian en
matière de prise d’otages52. Le rapport évoque
aussi la contrepartie à laquelle s’engage Boko
Haram dans le cadre du soutien que lui apporte
AQMI, précisément à prendre des otages
"étrangers à la peau blanche -spécialement des
expatriés- à Abuja en échange de plus d’argent,
d’armes et de munitions".
Sur la base de ces informations (si elles
s’avéraient correctes), il semblerait bien
qu’AQMI ait sous-traité la prise d’otage
d’étrangers à Boko Haram; illustrant une fois de
plus les liens opérationnels établis entre Boko
Haram et AQMI; liens qui pousse à s’interroger
sur la trajectoire que pourrait emprunter Boko
Haram en terme d’idéologie, d’objectifs, de
rhétorique et de modes opératoires et plus
globalement sur la trajectoire islamiste et
djihadiste en Afrique de l’Ouest.
52
Emmanuel Ogala, "EXCLUSIVE: Boko Haram gets
N40million donation from Algeria”, Premium Times, 13
http://premiumtimesng.com/news/5079May
2012.
boko_haram_gets_n40million_donation_from_algeria.ht
ml.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 17
FACTEURS PROPICES AU DEVELOPPEME.T DE L’ISLAMISME RADICAL
ET DU TERRORISME DJIHADISTE
L’état actuel de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest et particulièrement dans la bande sahélo-saharienne,
notamment l’émergence et le développement d’un islamisme radical, du terroriste djihadiste, y compris dans sa
forme salafiste, est tributaire de la conjonction d’un certain nombre de facteurs.
L’absence d’Etat dans une grande partie de l’espace sahélo-saharien, du fait du faible maillage des territoires
nationaux, de l’incapacité ou des faibles capacités des structures sécuritaires à assurer un contrôle effectif sur de
vastes étendues, très souvent désertiques, et à de répondre aux besoins de base des populations qui y vivent
(éducation, santé, alimentation, opportunités socio-économiques) a généré des situations se traduisant par un
sentiment d’abandon. L’une des conséquences étant, outre le recours aux organisations humanitaires (au gré des
crises alimentaires ou sanitaires), le développement de dispositifs de solidarités religieuses ou claniques. Dans
certains cas, cet état de dénuement a également laissé les populations à la merci de forces criminelles ou
islamistes; forces qui sont généralement bien inspirées d’en profiter pour gagner à leur cause les plus démunies
et désœuvrés et ainsi bénéficier de soutiens locaux au sein des communautés.
Les faibles capacités des Etats, conjuguées à des zones frontalières pouvant s’étendre sur plusieurs centaines de
kilomètres, conduisent également à la porosité des frontières, rendant possible les déplacements incontrôlés de
personnes et biens divers (licites ou illicites), contribuant à faciliter par la même occasion l’expansion de
l’islamisme radical ainsi que l’établissement de liens (idéologiques et opérationnels) et de synergies toujours
plus étroites et dangereuses entre différents groupes criminels ou terroristes. Ces réalités ont ainsi joué un rôle
non négligeable dans l’évolution et l’expansion d’AQMI et de la secte nigériane Boko Haram (autorisant à leurs
membres de se refugier dans les pays voisins, la constitution de bases de repli, le recrutement et l’entraînement
de nouveaux combattants).
Les conséquences des défaillances étatiques ou de l’absence d’Etat ont très souvent été aggravées par des
déficits de la gouvernance politique, économique et sécuritaire qui a caractérisé et caractérise encore un
certain nombre de pays. En matière politique, ce déficit, s’illustre notamment par des systèmes politiques
faillibles en matière de respect des principes démocratiques, de bonne gouvernance et de l’état de droit, ou
encore se caractérisant par une démocratie de façade. Le niveau de corruption généralisée affectant un grand
nombre de secteurs de ces Etats, particulièrement les plus sensibles, notamment le système de défense et de
sécurité, contribue à les rendre incapable de remplir de manière effective et efficace leurs missions
fondamentales et vitales. En matière de défense et de sécurité, cette situation rend particulièrement vulnérable et
même illusoire la protection d’un pays contre des incursions, la lutte contre les trafics et activités criminelles en
tout genre et l’implantation de groupes terroristes. Il faudrait aussi ajouter le manque de moyens et de
professionnalisme qui caractérise un certain nombre de forces de défense et de sécurité africaine. Le déficit de
gouvernance politique et économique est également source de troubles sociaux qui peuvent découler du
mécontentement et de frustrations au sein de la population ou d’une partie d’entre elle. L’une des conséquences
de cette situation se résume généralement en une instabilité politique pouvant être la source de coup d’état
(comme celui que le Mali a connu le 22 mars 2012 avec les conséquences qui s’en sont suivies ou encore les
révoltes dans certains pays du Maghreb) ou ébranler une société de telle sorte que des groupes puissent être
tentés d’en profiter.
La menace terroriste telle qu’elle s’est développée a démontré dans un grand nombre de contextes sa dimension
transnationale et par conséquent celle de l’approche à adopter pour y faire face. Cependant, les lacunes observées
sur ce point, notamment du fait du manque de volonté politique ou encore de l’absence d’actions concrètes, ont
significativement contribué à permettre à l’islamisme radical de s’installer, de se renforcer et de s’étendre.
Quelque soit l’importance que représentent ces facteurs et réalités et leur contribution dans l’émergence et le
développement de l’islamisme radical et du terrorisme, il est nécessaire de préciser qu’à la base se trouve
également le fanatisme qui meut un certain nombre d’islamiste radicaux et de terroristes, se manifestant par le
sentiment, mieux, la conviction que leur combat est juste. A lui tout seul cet élément représente un moteur
particulièrement puissant.
Au moment où l’on envisage de mettre sur pied une intervention armée pour déloger les islamistes présents au
Nord-Mali, il est nécessaire d’évoquer et de mettre en garde (sans pour autant militer pour l’inaction) contre le
moteur et carburant et l’effet mobilisateur que cela pourrait représenter pour l’avenir du djihadisme en Afrique.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 18
La poussée de l’islamisme radical et du
terrorisme dans la bande sahélo-saharienne
s’illustre et est également tributaire d’un certain
nombre de réalités et de dynamiques qu’il est
tout aussi important de mettre en exergue. Ces
dernières ont notamment trait à la multiplication
des groupes islamistes et terroristes, à leur
renforcement et expansion (y compris par le
biais du recrutement de nouveaux adeptes) et
aux liens de plus en plus croissants et étroits
qu’ils tissent. L’ordre politique et sécuritaire qui
est en train de s’installer et de se structurer dans
le Nord-Mali représente également un élément
central.
VERS LA CO.STITUTIO.
ALLIA.CE DJIHADISTE
D’U.E
Dans un exercice de prospective consistant à
construire différents scénarios portant sur les
évolutions possibles de la mouvance Al-Qaida
d’ici 2025, l’un de ceux-ci se résumait dans les
éléments suivants: affaiblissement d’Al-Qaida
central (ce qui représente actuellement une
réalité), existence d’une constellation de
mouvements agissant de manière autonome,
extension du champ d’action d’AQMI jusqu’au
Nigeria, avec l’établissement de liens étroits
avec Boko Haram, attaques simultanées
d’AQMI contre des infrastructures pétrolières
occidentales en Afrique de l’Ouest, insurrection
contre des autorités nationales et infiltration par
AQMI des forces de sécurité maliennes et
tchadiennes, rendant inefficaces les actions antiterroristes53.
Les liens qui ont été craints, évoqués, suspectés,
revendiqués et prouvés entre AQMI et Boko
Haram attestent de la réalisation de l’une des
53
“Confronting an Uncertain Threat. The Future of Al
Qaeda and Associate Movements”. A report of the CSIS
Homeland Security and Counterterrorism Program and
the CSIS Transnational Threat Project. Center for
Strategic and International Studies (CSIS), September
2011, p. 21.
évolutions prévues. Ainsi, des informations font
état du fait que des combattants de Boko Haram
auraient été formés dans les camps d’AQMI
depuis le milieu de la décennie passée54; ce qui
tend à illustrer des liens et une collaboration qui
se seraient déjà établis entre ces deux groupes.
Ces liens remonteraient aux lendemains des
violents heurts ayant opposés Boko Haram aux
forces de sécurité nigérianes en 2009; heurts à
l’issue desquels le leader du groupe,
Mohammed Youssouf, ainsi que plusieurs
centaines de membres du groupe ont perdu la
vie. Ces évènements ont entraîné la fuite vers
des pays voisins (Niger et Tchad notamment) de
certains responsables du groupe. C’est sans
doute dans ce contexte qu’en janvier 2010
l’Emir national d’AQMI, Abelmalek Droukdel
(alias Abou Moussab Abdel Wadoud), a
publiquement proposé son soutien à Boko
Haram dans le cadre du djihad qu’il mène contre
les Chrétiens nigérians, à travers l’apport en
hommes, la fourniture d’armes, de munitions,
d’équipement et la formation55. Cela étant,
Abelmalek Droukdel, ainsi que la katiba
d’Abou Zeid, seraient venus en aide aux
combattants de Boko Haram réfugiés au Niger;
le successeur de Mohammed Youssouf,
Aboubakar Shekau, aurait également reçu des
moyens pour reconstruire le mouvement,
contribuant à augmenter ses capacités et altérer
ses modes opératoires56.
54
Alex Perry, “Countering al-Shabab: How the War on
Terrorism Is Being Fought in East Africa”, TIME, July 3,
2012.
http://world.time.com/2012/07/03/countering-alshabab-how-the-war-on-terror-is-being-fought-in-eastafrica/.
55
Jean-Pierre Filiu, “Could Al-Qaeda turn African in the
Sahel?”, Carnegie Endowment for International Peace,
Carnegie
Papers,
n°
112,
June
2010,
http://www.carnegieendowment.org/files/al_qaeda_sahel.
pdf.
56
Micha'el Tanchum, “Al-Qa’ida’s New West African
Map: Ançar Dine, Boko Haram, and Jihadism in the
Trans-Sahara”, Tel Aviv otes, Volume 6, Special Edition
n° 3, June 4, 2012, p. 2.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 19
Dans le même ordre d’idées, des documents
retrouvés dans la cache de Ben Laden au
Pakistan auraient révélé et attesteraient de
contacts entre des leaders de Boko Haram et de
hauts responsables d’Al-Qaida au cours des 21
derniers
mois57,
confirmant
ainsi
les
informations d’un haut responsable de la secte
en janvier 2012 au quotidien britannique
Guardian et faisant état de rencontres en Arabie
Saoudite, en août 2011, entre des responsables
de Boko Haram, dont son leader, Aboubakar
Shekau, et de hauts responsables du réseau AlQaida58.
voitures piégées et à des engins explosifs
improvisés notamment) le résultat de liens et
précisément du transfert de savoir-faire dont il a
bénéficié de la part d’AQMI. Les informations
faisant état de la présence de combattants de
Boko Haram au Nord-Mali61 ne feraient
qu’illustrer ces liens opérationnels; on parle
ainsi d’une centaine de membres de Boko
Haram présents dans le Nord-Mali62, auprès
d’AQMI et du MUJAO; le Haut Commissaire
des Nations Unies aux Réfugiés, António
Guterres, a quant à lui évoqué entre 200 ou 300
combattants63.
C’est sans doute aussi sur le compte de ces
promesses et ententes qu’il faudrait mettre les
200.000 euros que Boko Haram aurait, selon un
rapport des services de sécurité et de défense59
et adressé au Président nigérian, récemment
reçus d’un groupe terroriste algérien (selon toute
vraisemblance AQMI). Cette somme ne serait
que la première partie d’un partenariat financier
s’étalant sur le long terme. Selon ce rapport, des
membres des deux groupes se seraient
rencontrés à plusieurs reprises pour peaufiner
les termes et conditions de ce partenariat
comportant également un volet formation60.
L’expansion de la menace terrorisme dans la
bande
sahélo-saharienne,
s’accompagne
également de la progression de l’islamisme
radical et de l’idéologie djihadiste, rendue
possible par les campagnes d’endoctrinement64
et de recrutement auxquelles se sont livrées et se
livrent encore les groupes djihadistes (AQMI et
MUJAO) opérant dans la région et
particulièrement au Nord-Mali. C’est dans ce
cadre que des informations de presse ont fait
état de recrutements en "masse" et de la
formation (notamment au maniement des armes)
par le MUJAO de jeunes de Gao et de
Tombouctou; jeunes, dont l’âge est compris
Plusieurs analystes ont ainsi vu dans le recours à
de nouveaux modes opératoires et notamment à
la sophistication des attaques mis en œuvre par
Boko Haram (attentats simultanés, recours à des
57
Jason Burke, “Bin Laden files show al-Qaida and
Taliban leaders in close contact”, The Guardian, April 29,
2012. http://www.guardian.co.uk/world/2012/apr/29/binladen-al-qaida-taliban-contact.
58
Monica Mark, “Boko Haram vows to fight until Nigeria
establishes sharia law”, The Guardian, 27 January 2012.
http://www.guardian.co.uk/world/2012/jan/27/bokoharam-nigeria-sharia-law.
59
Rédigé sur la base d’investigations menées en
décembre 2011 dans le Nord du Nigéria.
60
Emmanuel Ogala, "EXCLUSIVE: Boko Haram gets
N40million donation from Algeria”, Premium Times, 13
http://premiumtimesng.com/news/5079May
2012.
boko_haram_gets_n40million_donation_from_algeria.ht
ml.
61
"Boko Haram": "Notre présence au Mali se justifie par
des raisons religieuses", L’Essor, 25 juin 2012.
http://www.malijet.com/actualte_dans_les_regions_du_m
ali/rebellion_au_nord_du_mali/46188-%C2%AB-bokoharam-%C2%BB-%3A-%C2%AB-notre-presence-aumali-se-justifie-par-des-ra.html.
62
"Dozens of Boko Haram in Mali’s rebel-seized Gao",
AFP,
10
April
2012.
http://www.africareview.com/News/Boko+Haram+fighter
s+in+Mali/-/979180/1383548/-/9eq6dfz/-/index.html.
63
“National Teleconference: The State of the World’s
Refugees: From Indifference to Solidarity”, Transcript,
May 31, 2012, Council on Foreign Relations.
http://www.cfr.org/africa/national-teleconference-stateworlds-refugees-indifference-solidarity/p28444.
64
Jemal Oumar, "AQMI lance une campagne
d’endoctrinement le long de la frontière mauritanomalienne",
Magharebia,
5
août
2011.
http://www.magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/featur
es/awi/features/2011/08/05/feature-01.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 20
entre 1065 et 20 ans, souvent emmenés par leurs
parents, et qui sont à l’issue de leur "formation"
appelés à servir dans la police islamique, dans
les
renseignements
et
comme
futurs
66
combattants,
contribuant à renforcer la
mainmise des islamistes. Il est ainsi évoqué
l’existence d’une katiba constituée en grande
partie,
sinon
exclusivement
d’enfants
67
conditionnés et manipulés .
Les liens croissants entre les groupes terroristes
présents et actifs en Afrique de l’Ouest et dans
le Sahel, non seulement entre eux, comme on
vient de le voir, mais aussi avec l’une des plus
virulentes branches de la mouvance Al-Qaida, à
savoir Al-Qaida dans la Péninsule Arabique
(AQPA), présente au Yémen, suscitent une
préoccupation particulière. A ce titre, la porosité
des frontières, les ressources limitées dont
dispose la grande majorité des pays africains,
particulièrement ceux d’Afrique de l’Ouest (à
l’exception notable de l’Algérie dans une
certaine mesure) et les migrations illicites dans
la bande sahélo-saharienne sont de nature,
comme on l’a vu dans les développements
précédents, à favoriser des transferts de
combattants, de compétences et de tactiques
terroristes ou encore une radicalisation des
groupes africains, pouvant conduire à
l’introduction de nouvelles cibles (transport
aérien par exemple68).
65
Claude-Olivier Volluz, "Au Nord-Mali, les nouvelles
recrues des jihadistes ont 10 ans", Rue89, 10 juillet 2012,
http://www.rue89.com/2012/07/10/au-nord-mali-lesnouvelles-recrues-des-jihadistes-ont-10-ans-233743. Le 6
juillet 2012, l’UNICEF faisait état du recrutement dans le
Nord-Mali par des groupes armés d’au moins 175
garçons, âgés entre 12 et 18 ans, cf. UNICEF, “Violence
against children mounting in Mali”, Press Release, 6 July
2012.
66
"Exclusivité RFI: les islamistes du MUJAO recrutent en
masse parmi les jeunes du nord du Mali", RFI, 9 juillet
2012.
67
Claude-Olivier Volluz, Idem.
68
Voir William Assanvo, "Terrorisme et transport aérien
en Afrique: début d’évaluation de la menace",
Ce risque est d’autant plus à prendre au sérieux
qu’il y aurait des indications claires faisant état
de la volonté ou de transferts de compétences au
profil de mouvements terroristes présents en
Afrique et particulièrement en Afrique de
l’Ouest. A ce titre, en matière de terrorisme
aérien, un des membres d’AQPA, la branche
d’Al-Qaida la plus en pointe dans les projets
d’attentats contre le transport aérien, Yahya
Ibrahim, déclarait dans une édition de janvier
2011 d’un magazine djihadiste, “Sada AlMalahem”, que l’un des aspects de leur stratégie
dans ce domaine avait pour objectif de
transférer
leur
savoir-faire
et
leurs
connaissances aux moudjahiddines à travers le
monde, afin qu’ils puissent s’en servir dans
leurs pays respectifs. Il était également question
de recourir aux liens existants ou à développer
entre les différents adeptes du djihad afin de
déplacer des explosifs ou dispositifs vers
d’autres pays où la sécurité serait moins stricte.
Ce dernier risque pourrait trouver dans l’affaire
judiciaire qui s’est ouverte au Nigeria au début
du mois de juillet, impliquant deux citoyens
nigérians accusés d’avoir reçu des milliers de
dollars d’AQPA afin de recruter de potentiels
terroristes et de les envoyer au Yémen, plus
qu’une hypothèse quant à l’intérêt que porte
AQPA à l’Afrique69. A ce titre, on rappellera le
cas du nigérian Umar Farouk Abdulmutallab,
formé au Yémen et ayant été l’auteur de la
tentative d’attentat de Noël 2009 contre un vol
Amsterdam-Détroit à l’aide d’un dispositif
explosif dissimulé dans ses sous-vêtements.
Observatoire de la Vie Diplomatique en Afrique
(OVIDA), ote d’analyse n° 11, juillet 2012.
http://www.ovida-afrido.org/fr/ovidapdf/Menace_Terroriste_Aviation_11_4_Juillet12.pdf.
69
Dina Temple-Raston, “Al-Qaida Arm in Yemen Flexes
its Muscles in Nigeria”, PR, July 12, 2012.
http://www.npr.org/2012/07/12/156641658/al-qaida-armin-yemen-flexes-its-muscles-in-nigeria.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 21
AQMI-Sahel est en train de devenir le
métronome et l’acteur central de l’expansion du
terrorisme djihadiste en Afrique. Il est à cet effet
prêté à ses principaux chefs, à savoir Mokhtar
Belmokhtar et Abou Zeid, un rôle de premier
plan non seulement dans la coordination70 des
différentes activités des islamistes présents et
actifs dans la bande sahélienne, notamment au
Nord-Mali, mais également dans les efforts
visant à consolider les liens entre les différents
groupes de la sous-région, ainsi que l’axe devant
s’étendre jusqu’aux Shebab somaliens et même
la jonction avec AQPA71. Dans ce contexte, la
situation au Nord-Mali lui fournit un
environnement propice au déploiement et à la
mise en œuvre de cette stratégie; ce qui place
par conséquent ce pays au cœur des
préoccupations en ce qui concerne la menace
terroriste en Afrique de l’Ouest et au-delà.
VERS LA CO.STITUTIO. D’U.E
PLACE FORTE POUR L’ISLAMISME
RADICAL AU .ORD-MALI
"Tous les ingrédients sont réunis pour faire du
Mali un Afghanistan", déclarait le Président
nigérien, Issoufou Mohamedou72. Dans son
dernier rapport Afrique, International Crisis
Group met également en garde contre le fait que
le "ord-Mali pourrait bien devenir un vaste
espace d’accueil de combattants djihadistes de
toutes origines"73.
70
"Mali: Al-Qaïda coordonne les différents groupes
islamistes du nord", AFP, 20 juillet 2012.
http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20120720.AFP3
427/mali-al-qaida-coordonne-les-differents-groupesislamistes-du-nord.html.
71
Arslan Chikhaoui, "À l’ombre de la crise libyenne AlQaïda se recentre sur le Maghreb-Sahel", Liberté, Edition
n° 5787, 6 septembre 2011.
72
Emission "Internationales" du 15 avril 2012 sur
TV5/RFI.
73
International Crisis Group, "Mali: Eviter l’escalade",
Rapport Afrique n° 189, 18 juillet 2012,
http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/westafrica/189-mali-eviter-l-
Ces quelques déclarations illustrent les
nombreuses craintes et l’inquiétude quant à
l’évolution du Nord-Mali qui, depuis le coup
d’état du 22 mars 2012 échappe complètement
au contrôle de l’Etat malien (Etat lui-même
significativement fragilisé et dont le pouvoir est
en quête de légitimité), et plus récemment,
depuis fin juin 2012, a vu la rébellion touareg
menée par le MNLA être chassée des
principales villes (Kidal, Gao et Tombouctou
notamment) par les forces islamistes. Ces
craintes sont formulées par le recours à des
termes tels qu’"afghanisation", "somalisation",
"yémenisation" ou "sahelistan" pour décrire le
scénario qui est en train de s’établir
progressivement.
Ce scénario se résume en celui d’un vaste
territoire hors de tout contrôle étatique,
gouvernés par des intérêts et groupes criminelles
et terroristes, et par conséquent à l’intérieur ou à
partir duquel prolifèreraient des activités
susceptibles de cibler ou de représenter une
menace pour la sécurité et la stabilité, non
seulement le Mali, mais aussi de ses voisins
(Algérie, Mauritanie, Niger, Burkina Faso et
Sénégal), d’autres pays du Maghreb (Libye,
Tunisie, Maroc) ou l’Afrique Subsaharienne. Un
espace vers lequel convergeraient des
combattants de l’internationale djihadiste ayant
fait le coup de feu sur les théâtres afghan,
pakistanais, nigérian ou somalien et à l’intérieur
duquel des combattants ou nouvelles recrues
(outre des Maliens, on évoque des Burkinabés,
Gambiens, Ghanéens, Guinéens, Ivoiriens,
Nigériens, Sénégalais74) recevraient une
escalade.pdf?utm_source=malireport&utm_medium=pdff
r&utm_campaign=mremail.
74
Karim Aimeur, "Selon une étude sécuritaire américaine
6000 terroristes écument le Sahel", L’Expression, 19
juillet
2012.
http://www.lexpressiondz.com/actualite/157321-6000terroristes-ecument-le-sahel.html; "Scores of Africans
recruited by Mali Qaeda offshoot", AP/AFP, 18 July
2012. http://www.rnw.nl/africa/bulletin/scores-africans-
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 22
formation, avant d’être éventuellement, ce
qu’on pourrait craindre, renvoyés dans leurs
pays d’origine pour mettre en œuvre des projets
terroristes ou encore pour mettre sur pied des
filières.
Les informations parues au début du mois de
juillet 201275 faisant état de l’arrestation au
Sénégal de dix présumés membres d’AQMI,
quelques jours après que l’organisation ait
menacé76 le pays d’attaques s’il envoyait des
troupes au Mali dans le cadre de la force
d’intervention envisagée par la CEDEAO, et
qu’il soit évoqué des menaces précises
d’attaques qui auraient été interceptées par les
services de renseignements sénégalais77,
donnent une dimension particulière à ces
craintes d’expansion de la menace aux pays
voisins. De plus, les déclarations faites78 le 27
juin 2012 par l’ancien Ministre malien des
Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye
Maiga, sur la présence avérée à Bamako, depuis
le début de l’année, de membres d’AQMI,
parmi lesquelles "de plus en plus de maliens, y
compris dans les instances dirigeantes", ou de
personnes qui avaient séjourné avec des
membres de Boko Haram, fournissent des
indications supplémentaires sur l’éventuelle
évolution de la menace.
recruited-mali-qaedaoffshoot?goback=.gde_4451300_member_136146840.
75
Souleymane Diop, "3 Sénégalais et 7 Mauritaniens
membres d’AQMI arrêtés par la gendarmerie", Algérie
Patriotique,
6
juillet
2012.
http://actusenegalaise.senego.com/3-senegalais-et-7-mauritaniensmembres-daqmi-arretes-par-la-gendarmerie_24287.html.
76
Mamadou Diallo, "Participation à une force
d’intervention au Mali: Aqmi menace de frapper le
Sénégal",
Le
Quotidien.
http://www.lequotidien.sn/index.php/une-une/4375participation-a-une-force-dintervention-au-mali--aqmimenace-de-frapper-le-senegal.
77
Mamadou Diallo, Idem.
78
Ancien Ministre malien des Affaires étrangères,
Soumeylou Boubèye Maiga, invité Afrique de RFI du 27
http://www.rfi.fr/emission/20120627juin
2012.
soumeylou-boubeye-maiga-ancien-ministre-defenseministre-affaires-etrangeres-mali.
Cette analyse met en évidence la nature et
l’ampleur de l’islamisme radical et du
terrorisme en Afrique de l’Ouest et
particulièrement dans la bande sahélosaharienne et la menace qu’ils représentent pour
cette partie du continent. L’un des enjeux à
présent est de continuer à la suivre dans ce que
seraient sans aucun doute ses mutations. L’autre
enjeu relève de l’impérative réponse à apporter
à cette réalité et réside dans la nécessité d’éviter
que l’Afrique devienne un refuge pour
l’islamisme et que le continent ne serve de
plateforme à l’intérieur ou à partir de laquelle
des actions seraient menées non seulement
contre et au détriment des pays et populations de
la région, mais aussi contre la cible
traditionnelle du djihadisme contemporain
qu’est l’Occident et tout ce qui le représente. Il
est ainsi question de prendre conscience de la
situation ainsi que de ses possibles évolutions
afin de tout mettre en œuvre afin que le maillon
africain de la chaîne antiterroriste et les
dispositifs de lutte contre le radicalisme et le
fondamentalisme qui doivent exister à l’échelle
mondiale soient établis et/ou renforcés.
Crédits illustrations: Otages d’AREVA détenus par
AQMI/Reuters/Al Jazeera; Combattants du MUJAO devant le
Consulat d’Algérie à Gao/Latribune-online.com; Capture
d’écran de la vidéo de l’attentat-suicide –à l’aide d’une voiture
piégée- mené le 26 avril 2012 à Abuja par Boko Haram contre le
siège du journal This Day; caserne de gendarmerie à
Tamanrasset (Sud de l’Algérie) après l’attentat-suicide (à l’aide
d’une voiture chargée d’explosifs) survenu le 3 mars 2012
attribué au MUJAO.
Etat de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest
ote d’analyse n° 12, juillet 2012
P a g e | 23
A PROPOS DES NOTES D’OVIDA
Les “otes d’OVIDA” s’inscrivent dans volonté et l’objectif de l’Observatoire de
promouvoir, rassembler et développer une expertise dans l’étude et l’analyse de certains des
enjeux s’articulant autour des questions de: Paix, Défense et Sécurité; Economie et
Commerce; Droits de l’Homme; et Environnement. Ces Notes portent également sur certains
des aspects relatifs aux canaux de la pratique diplomatique: bilatéralisme, régionalisme et
multilatéralisme.
Les contributions qui en résultent devront notamment permettre de dégager des éléments de
connaissance et de compréhension en offrant une réflexion, analyse et un décryptage sur des
thématiques ou sur des évènements et en faisant ressortir des idées maîtresses à des fins
d’information et d’amélioration de la connaissance.
NOTES D’OVIDA
NOTES D’ANALYSE
Dégager des éléments de
connaissance
&
de
compréhension en offrant
une réflexion, analyse &
un décryptage.
NOTES DE SYNTHESE
Faire ressortir & présenter
des idées maîtresses à des
fins
d’information
&
d’amélioration
de
la
connaissance.
• Sommets et évènements africains (UA, CEMAC, CEEAC,
CEDEAO, COMESA, SADC, Afrique-UE, Afrique-Corée,
etc.) & internationaux;
• Visites/tournées de dirigeants africains et étrangers;
• Questions ou thématiques particulières;
• Rapports & documents divers.
Edition: William Assanvo/Ngoua Djenno Melissa
Pour tous vos commentaires et suggestions, bien vouloir écrire à [email protected]