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D O S S I E R
Les sports extrêmes :
une zone de non-droit ?
OT Flaine / vol & ski
Recherche de sensations fortes, volonté de dépasser ses limites, la pratique des
sports extrêmes, par nature en marge de tout encadrement, s’avère
difficilement maîtrisable sur le plan juridique. Or, pratiquées le plus souvent sur
le domaine public naturel, ces activités croissantes peuvent engager la
responsabilité des élus chargés de l’ordre public. Puisqu’il n’existe pas de cadre
spécifique, les principes généraux de la responsabilité civile et pénale
s’appliquent avec des garanties d’assurances particulières.
n° 75 - février 2006
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Le sport extrême saisi par l’ordre public
La revendication de liberté qui caractérise la pratique d’une activité de pleine
nature dont l’intérêt repose, pour une part substantielle sur la prise de risque,
n’exclue pas la responsabilité de la puissance publique en matière de sécurité.
a stimulation des sens passe par une prise
de risques qui se veut contrôlée, non pas
de manière abstraite par une fédération
ou même un club, mais par le pratiquant luimême. Reste que cette activité se pratique sur le
territoire d’une commune, le plus souvent
d’ailleurs sur le domaine public naturel, et que le
maire est garant de la sécurité publique en sa
qualité de pouvoir de police.
L
général et une expression du droit à la libre
disposition de son corps, la tâche du maire est,
en la matière, ardue.
D’autant que, en matière de sport extrême, l’élément substantiel est justement l’affranchissement des règles et que, par conséquent, la mise
en place hâtive d’un cadre trop contraignant
risque d’entraîner, en réaction, une pratique
encore plus risquée.
On assiste donc à une sorte de parti de cachecache, le développement d’une pratique conduisant les autorités à édicter des règles, qui seront
contournées par une partie des sportifs (qui
demeurent dans l’extrême), tandis que la majorité pratiquera un sport dit à risque mais néanmoins sécurisé.
Bien évidemment, certains territoires sont plus
propices à la pratique de sports extrêmes
(communes de montagne, passage d’un cours
d’eau rapide, présence d’un pont…) et les maires
n’ont donc pas tous la même charge en terme de
sécurité. Reste que la jurisprudence incite à la
vigilance. L’autorité de police, si elle ne peut pas
garantir une sécurité absolue doit préserver la
sécurité publique.
Il n’est donc pas intellectuellement et légalement envisageable de subordonner l’accès à un
site propice à une autorisation administrative. Le
Conseil d’État l’a explicitement indiqué pour la
pratique du canoë-kayak en eau vive (5) mais
également pour l’accès au domaine skiable (6).
Des mesures contraignantes
proportionnées aux risques
Pour autant, le pouvoir de police doit analyser
les activités exercées sur le territoire communal
et prendre les dispositions qui permettront de
limiter les accidents des pratiquants (sécurité des
sportifs), des éventuels spectateurs et la tranquillité du voisinage (notamment en limitant le
bruit). Tout est ici question d’appréciation…sous
le contrôle du juge puisque l’exercice du pouvoir
de police est une obligation qui pèse sur le
maire. Sa carence en la matière engagera la
responsabilité pécuniaire de la commune.
S’agissant d’une mesure de police administrative, elle doit être motivée par le maintien de
l’ordre public (sécurité, salubrité et tranquillité)
et proportionnée aux troubles générés (4). La
pratique sportive étant une activité d’intérêt
Les services communaux doivent donc :
- analyser les risques « naturels » induits par les
caractéristiques de leur territoire comme les
crevasses, falaises, ponts, courants marins, rivières… ;
- recenser régulièrement les pratiques qui
peuvent être à risque tels que les sauts, utilisation d’engins motorisés…, y compris les
pratiques sportives classiques qui vont être
détournée (comme par exemple le ski mais hors
domaine skiable – free ride) ;
- adopter des mesures réglementaires prévenant
les risques avec notamment la signalisation
(3) Voir article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.
(4) Jurisprudence traditionnelle, CE, 19 mai 1933, Benjamin.
(5) CE, 13 novembre 1992, Ligue du Centre de Canoë-Kayak.
(6) CE, 22 janvier 1982, association foyer ski de fond de Crévaux.
Le maire, en qualité d’autorité de police doit
prendre les mesures qui permettront de prévenir
les accidents et de limiter leurs conséquences si,
malgré les précautions prises, un dommage
survient (3).
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(adaptée aux enfants si les pratiquants sont
jeunes), le barrierage, la communication plus
générale (notamment si le risque est diffus) ;
- assurer le respect des règles au besoin avec le
concours de la force publique communale mais
aussi nationale ;
- anticiper l’intervention des secours.La responsabilité de la commune ne sera cependant
engagée que si le trouble à l’ordre public
pouvait être détecté soit qu’il ait été signalé,
soit qu’il soit d’une telle intensité qu’il ne
pouvait pas être ignoré. En la matière, les
sports extrêmes ne connaissant pas forcément
une publicité importante, il appartient au
maire d’être attentif et d’alerter les policiers
municipaux ou garde champêtre sur leur rôle
d’informateur.
Responsabilité pénale du maire
Le maire peut être pénalement responsable s’il a
créé ou contribuer à créer la situation qui a
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permis la réalisation du dommage » ou s’il n’a
pas pris « les mesures permettant de l’éviter » à
condition qu’il ait violé de manière manifestement délibérée une obligation particulière de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement. Il en sera de même en cas de faute
caractérisée qui exposait la victime à un risque
d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. Les exigences légales pour mettre en jeu la
responsabilité pénale des élus ont très nettement diminué le risque pour les maires. Preuve
en est qu’il n’y pas eu, à notre connaissance, de
jurisprudence retenant la responsabilité d’un élu
pour défaut de mise en œuvre de ses pouvoirs de
police afin de limiter les risques d’une pratique
de sport extrême.
Un tel cas demeure possible si un élu avait
connaissance de la pratique sur le territoire
communal d’un sport à risque et, du fait de
circonstances locales, d’un danger tout particulier. Tel serait notamment le cas, a priori, d’un
maire qui ne signalerait pas des barres rocheuses
Un cas de jurisprudence :
l’avalanche du vallon de la Meije
Les vallons de la Meije sont sur le territoire de
la station de ski de la Grave. Sur ce site, les
amoureux du ski peuvent pratiquer leur sport
sur un domaine qui n’est pas à proprement
parlé aménagé, mais seulement sécurisé. Le
principe est que depuis le sommet du téléphérique des vallons de la Meije, à 3 500 m, la
neige vierge s’offre en abondance sur 2 150 m
de dénivelé non-stop et 9 km de descente hors
des pistes traditionnelles.
Nous sommes dans un cas emblématique où la
pratique d’un sport extrême (ski de hautemontagne) a été saisi par la collectivité
publique qui assure la sécurité des pratiquants.
Malheureusement, une avalanche a emporté
deux skieurs et causé la mort de l’un d’eux. La
famille de la victime a alors recherché la
responsabilité administrative de la commune,
reprochant au maire de ne pas avoir usé de ses
pouvoirs de police de manière à prévenir un tel
danger. Cette responsabilité a été retenue au
motif que le maire ne pouvait ignorer la pra-
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tique du ski hors piste sur ce domaine et donc
la conduite d’une pratique à risque (La
Grave–la Meije communique d’ailleurs sur ce
domaine). La Cour administrative d’appel de
Lyon a relevé que, compte tenu des conditions
météorologiques, l’avalanche était « quasi certaine » et que le maire avait donc commis une
faute en n’informant pas suffisamment les
skieurs sur ces risques.
La responsabilité a néanmoins été partagée, le
skieur ayant « volontairement choisi de skier
sur un itinéraire qui n’est pas au nombre de
ceux qui sont conseillés au skieur et qui présentait, en raison de son exposition et de sa
pente, un caractère dangereux ».
Depuis lors, les élus locaux de la station assurent une information complète sur les risques
encourus (internet, affichage sur place, panneaux…) tout en laissant à chaque participant
la responsabilité d’assurer sa propre sécurité
dans un site qui est dédié à une pratique free
ride.
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à proximité des pistes de ski alors qu’il s’agissait
d’un itinéraire hors piste fréquenté. De même, la
responsabilité d’un maire pourra être engagée
s’il reste passif alors que des vacanciers se jettent
d’un pont vers un lac ; le fond du lac étant
encombré par des troncs d’arbres ou des carcasses de véhicules… (7).
Un dosage au cas par cas
commande souvent le niveau de qualification
moyen des pratiquants. Dès lors, le maire doit
prendre garde d’adopter les mesures qui garantiront la sécurité du site sans le banaliser.
Le maire ne doit pas apparaître comme l’organisateur de l’activité sous peine d’endosser une
responsabilité beaucoup plus globale.
Damien Richard, avocat
Cabinet Racine
L’importance de la réglementation est fonction
du niveau de fréquentation du site qui
(7) Ces cas sont issus de faits réels qui n’ont pas donnés lieu à contentieux.
(8) Instruction n° 95-195 du 20 décembre 1995.
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(9) Articles 221-6, 222-19 et 222-20 du Code pénal, relatifs aux homicide et
blessures involontaires ainsi qu’à la mise en danger d’autrui.
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