APPROCHE SYSTÉMIQUE À L`ÉCOLE

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APPROCHE SYSTÉMIQUE À L`ÉCOLE
APPROCHE SYSTÉMIQUE À L'ÉCOLE
L'itinéraire d'une rééducatrice de la « réparation » à la mobilisation du pouvoir parental
Anne Berlioz (Ruffiot)
Médecine & Hygiène | « Thérapie Familiale »
2007/2 Vol. 28 | pages 153 à 166
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Anne Berlioz (Ruffiot), « Approche systémique à l'école. L'itinéraire d'une rééducatrice de la
« réparation » à la mobilisation du pouvoir parental », Thérapie Familiale 2007/2 (Vol. 28),
p. 153-166.
DOI 10.3917/tf.072.0153
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Thérapie familiale, Genève, 2007, Vol. 28, No 2, pp. 153-165
Anne BERLIOZ1
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Résumé : Approche systémique à l’école : l’itinéraire d’une rééducatrice de la réparation à la mobilisation du pouvoir des parents. – L’auteur témoigne ici de son parcours d’une prise en charge classique à une
prise en charge systémique des élèves en difficulté à l’école et de l’intérêt de cette approche dans le cadre
scolaire. L’auteur fait état de l’implication des parents dans la pérennisation des difficultés scolaires de leur
enfant et présente les modalités d’instauration :
– d’une réelle collaboration école/famille basée sur le respect et le libre choix des parents ;
– de la mobilisation des compétences parentales pour permettre à leur enfant de découvrir ses propres
compétences, plus particulièrement scolaires.
Summary : Systemic approach in the education system : the itineracy of a « re-educator » from repairing
to mobilizing parental power. – Here, the author explains her journey from a classical approach to a systemic approach of pupils in difficulty at school. She also explains the interest of this approach in the school
context. The author thinks that parents have a certain responsibility in the durability of the problems their
children are confronted with at school. She introduces ways to reach :
– a real collaboration between school and family, based on the respect of parents and their freedom of
choice ;
– the mobilization of the parent’s competence in order to allow their children to discover their own competencie, and more precisely their competencie for learning.
Resumen : Enfoque sistémico en la escuela : el itinerario de una « reeducadora » de la reparacíon à la
mobilización del poder paterno. – El autor explica aquí su camino desde un enfoque clásico hasta un
enfoque sistémico de los almunos en dificuldad. Para él, los padres están implicados en la duración de las
dificultades de sus hijos en la escuela. Así, nos da las modadilades para instaurar :
– una colaboración real entre escuela y familia basada en el respecto de los padres y en la libertad de escoger de esos ;
– la movilización de las competencias de los padres para que alumno pueda descubrir sus propias competencias, y más particularmente sus competencias escólares
Mots-clés : Difficultés scolaires – Collaboration école/famille – Compétences parentales et compétences
de l’enfant – Libre choix.
1
Institutrice spécialisée chargée de rééducation.
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APPROCHE SYSTÉMIQUE À L’ÉCOLE
L’itinéraire d’une rééducatrice
de la « réparation » à la mobilisation
du pouvoir parental
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Keywords : Difficulties at school – Collaboration between family and school – Competence of the parents,
competence of the children – Freedom of choice.
Rééducatrice depuis douze ans aujourd’hui, j’ai eu la chance de découvrir rapidement l’existence de l’approche systémique. J’ai tout de suite senti l’intérêt qu’elle
pouvait présenter dans le cadre de l’école et j’ai ressenti le besoin de coucher par
écrit mes réflexions afin de m’aider à « penser » mon nouveau cadre d’intervention.
En sont résultées les lignes suivantes, sans valeur exemplaire, mais qui témoignent
d’un cheminement personnel et exposent, avec la naïveté et la foi du néophyte :
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•
comment, par ma confrontation avec cette théorie, a été bouleversée ma lecture
des situations ;
•
comment je suis passée d’un travail principal sur et avec l’élève en difficulté
complété par un travail périphérique avec la famille à un travail principal de collaboration avec la famille complété par un travail plus accessoire avec l’enfant ;
•
comment cette approche m’a donné les moyens d’instaurer cette indispensable
collaboration sans laquelle – de la position que j’occupe – il me paraît vain d’espérer une évolution positive de l’enfant.
Voici donc, illustrées par des portraits d’enfants, les étapes qui ont fondé ces
convictions.
Après seize années d’enseignement en écoles maternelles et élémentaires, j’ai
éprouvé le désir de m’occuper plus spécialement des enfants en difficulté au sein de nos
classes, de ces élèves pour lesquels nos efforts d’instituteurs restent vains ou presque.
J’ai donc passé le CAPSAIS option G et je suis devenue « institutrice spécialisée
chargée d’aides spécialisées à dominante rééducative ». La circulaire 90- 082 du Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 9 avril 1990 me confiait la tâche « d’une
part de favoriser l’ajustement progressif des conduites émotionnelles, corporelles
et intellectuelles, l’efficience dans les différents apprentissages et activités proposés
par l’école, d’autre part de restaurer chez l’enfant le désir d’apprendre et l’estime
de soi » (5). Je m’y efforçai.
Premières constatations
La confrontation de la théorie à la réalité du terrain m’a rapidement conduite aux
constats suivants :
1. La précarité des résultats obtenus
Quinze jours de vacances suffisaient parfois à réduire à néant les progrès d’un
trimestre.
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Palabras claves : Dificultades en la escuela – Colaboración entre los padres y la escuela – Competencias
de los padres y competencias de los niños – Libertad de escoger.
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2. La nécessité d’un travail dans la durée pour obtenir des résultats
J’ai encore le souvenir frustrant de cette élève de CP dont la rééducation progressait de façon on ne peut plus satisfaisante – un cas d’école! –, et qui, malgré
quelques progrès dans le comportement en classe, n’était toujours pas entrée dans
la lecture au mois de juin.
3. Le fait que la compréhension intellectuelle d’une difficulté ne concourt pas
forcément à sa résolution
– Soit la difficulté est de moindre importance mais toute tentative d’en parler
avec les parents se heurte à une totale incompréhension. Ils n’ont aucune
conscience des comportements qui fondent et entretiennent cette difficulté.
Ce qui est logique car, s’ils en avaient conscience, ils agiraient autrement. Et
plus l’intervenant essaie de les convaincre, plus ils se referment et tentent de
démontrer le contraire.
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J’ai ainsi été amenée à m’interroger sur ma pratique, sur la nature et la genèse des
difficultés que les enfants peuvent rencontrer à l’école ainsi que sur l’implication
des parents dans ce processus.
Jérémy et Marc : deux enfants qui n’arrivaient pas à devenir élèves
Jérémy, 6 ans, élève de grande section de maternelle, manifeste une inappétence scolaire qui confine au rejet. Il ne s’oppose pas à son institutrice, mais, avant de faire le
travail demandé, il attend le dernier moment, espère jusqu’au bout y échapper et, quand
il n’a plus d’issue, commence l’exercice en poussant des soupirs de martyr. Il est
manifeste qu’il ne vient à l’école que pour jouer et vit toute demande scolaire comme
une persécution personnelle. Il est, de surcroît, persuadé que la maîtresse lui demande
plus de travail qu’aux autres élèves.
Marc, 4 ans, élève de moyenne section de maternelle, présente un comportement
inadapté à la vie scolaire. Plein de vie, il se montre incapable de se plier aux règles
communes : il perturbe la classe, parle fort et à tout moment, ne veut faire que ce qu’il
a décidé et quand il l’a décidé, c’est-à-dire ni en même temps que les autres ni quand
on le lui demande. Il interpelle toujours l’adulte et recherche avec lui une relation privilégiée. Afin d’obtenir quelque chose de lui, l’adulte ne doit se consacrer qu’à lui, le
materner, le persuader... et l’assister.
Ces deux cas ont en commun avec la quasi-totalité des cas de rééducation d’être
en dehors du pouvoir de leurs instituteurs. C’est-à-dire que les essais de ces derniers
pour expliquer à ces jeunes élèves le fonctionnement de l’école ainsi que ce qu’on
attendait d’eux (le travail pour l’un, une attitude plus adaptée à la vie collective pour
l’autre) se sont soldés par des échecs. Comme si ces deux enfants étaient détenteurs
d’autres certitudes qui balayaient tout ce que pouvaient dire leurs maîtres. Aucun discours, aucune objurgation n’ont pu ébranler la conviction de Jérémy quant à l’injustice
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– Soit la difficulté est importante, ce qui est démobilisateur et conduit l’intervenant à penser qu’il n’existe point de secours hors d’une thérapie familiale.
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que constituaient les demandes scolaires de sa maîtresse. Aucune approche (fermeté,
douceur, dialogue...), aucun acte (récompense, punition...) n’ont réussi à faire germer
chez Marc l’idée que les règles s’appliquaient aussi à lui. Si ces élèves s’avèrent hors
du pouvoir de leur instituteur, qu’en est-il du rééducateur ? De quel moyen disposé-je
pour convaincre Jérémy du bien-fondé des exigences de l’institution scolaire ? Pour
changer sa vision de l’école et du rôle qui lui est dévolu ?
Limites d’une rééducation classique
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Je me suis engagée maintes fois, à mes débuts, sur le chemin des rééducations
traditionnelles. J’ai accompagné des enfants dans leur évolution, leur fournissant un
cadre, un support pour qu’ils puissent en toute sécurité se dégager de leur problématique. Aussi, je ne remets en cause ni la validité, ni l’efficacité de cette technique,
mais je ne crois pas en ma propre capacité à l’amener à son terme en un temps qui
soit scolairement acceptable. J’entends par là un temps qui permette à l’élève de
sortir de l’échec scolaire avant que celui-ci n’ait de conséquences trop importantes
sur sa vision de lui-même et ne lui ait fait prendre trop de retard. Car les études montrent que redoubler, et particulièrement le CP, est un très mauvais pronostic pour la
suite de sa scolarité.
De plus, il me semble que lorsque l’on souhaite influer sur le comportement d’un
individu, il est nécessaire d’avoir pris une importance dans sa vie, ce qui implique une
relation de longue durée. Je me sens aussi quelque peu gênée par les sous-entendus
théoriques qui me semblent inspirer cette démarche. A savoir que, moi, institutrice
(spécialisée, soit !), je m’arroge le droit de juger que des parents n’ont pas rempli leur
fonction et que, dans le cadre de l’école, j’offre à leur enfant de m’utiliser comme
substitut symbolique pour refaire un parcours raté... De plus, cette technique donne
généralement à l’enfant le pouvoir de conduire sa rééducation, or les enfants actuels
souffrent généralement déjà d’une « overdose » de pouvoir.
L’approche systémique m’a apporté une autre grille de lecture de ces situations
et m’a permis de trouver des solutions qui correspondaient mieux, sinon à la situation, du moins à la position que j’occupe dans l’institution scolaire et à la conception
que j’ai de mon métier.
Difficultés scolaires et approche systémique
L’approche systémique apporte sur l’inadaptation scolaire un éclairage différent
de la psychologie traditionnelle. Pour cette dernière, des événements passés ont causé
des souffrances, laissé dans le psychisme des traces dont les difficultés actuelles du
sujet sont une manifestation. Une prise de conscience de ces traumatismes, travail
long et délicat, est nécessaire pour permettre à l’individu de résoudre ces problèmes.
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Quant à Marc, il est flagrant qu’il se situe encore dans le registre de la toutepuissance et que ses parents n’ont pas su l’inscrire dans celui de la Loi. Marc a un
chemin à parcourir qui lui permette de se sentir un parmi les autres et soumis à la
même loi. Suis-je à même de l’aider à le parcourir ?
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La vision systémique, comme son nom l’indique, s’intéresse aux systèmes : système familial, système scolaire, système classe, système des pairs, société... et, en
schématisant grossièrement, considère que toute difficulté est inscrite dans la relation, découle des interactions entre les différents éléments du système et est entretenue par ces interactions.
Le problème, et donc sa solution, ne seraient plus intrapsychiques mais interrelationnels. Dans cette optique, l’inadaptation scolaire constituerait un comportement logique, une réponse adaptée aux interactions en cours dans un des systèmes
considérés.
Pour les enfants dont s’occupe un rééducateur et qui ont entre 4 et 8 ans, le système le plus important, celui dont les interactions sont les plus prégnantes, est le
système familial.
Je souhaiterai faire ici un aparté : je ne cacherai pas que je me suis beaucoup
interrogée sur l’évidence que présentait pour moi le fait de travailler principalement
avec les familles pour résoudre l’échec scolaire, alors que des professionnels pour
qui j’ai la plus grande admiration, comme Chiara Curonici et Patricia McCulloch (9),
écrivaient que – l’échec se manifestant dans la classe – il devait se résoudre dans la
classe par un travail avec les enseignants.
Je vois aujourd’hui deux raisons à cette divergence de réponse donnée en cas de
difficulté scolaire.
D’une part, je fais partie du système-école, je connais les enfants, leur parcours, les
familles me connaissent, les enseignants sont mes « pairs » – je suis institutrice spécialisée, donc ni thérapeute, ni psychologue. Il me semble que cette inclusion rend
plus difficile la proposition d’un travail sur le fonctionnement de la classe – et plus
grand le risque qu’il soit vécu comme une remise en cause de leur travail et donc
d’eux-mêmes.
D’autre part, l’institution m’impose d’intervenir auprès des enfants « individuellement ou en très petits groupes » et cette aide doit être « entreprise avec l’accord
des parents et dans toute la mesure du possible avec leur concours » (5). Prendre en
charge les élèves individuellement ou en très petits groupes me paraîtrait non seulement incompatible mais contre-productif si l’on souhaite travailler sur le système
classe. Et dans quel but ? Que faire avec les enfants ?
Tandis que dans le cadre d’un travail avec les familles pour redonner une place,
une valeur et un sens à l’école, le suivi d’enfant – avec des objectifs contractuels et des
tâches précises pour chacun des protagonistes : enfant, famille, enseignant, rééducateur – trouve une réelle justification.
Si j’ai fait ces choix pour les raisons que je cite, je suis consciente qu’il existe
d’autres choix, d’autres possibilités d’intervention – même si, à l’heure actuelle, elles
ne me semblent pas à ma portée.
Reprenons l’exemple de Jérémy : j’ai pu constater que, dans sa famille, l’école maternelle n’est considérée que comme un lieu de distraction et les recommandations qu’il
entend sont les suivantes : « Amuse-toi bien ! Profites-en ! Tu verras l’année prochaine
ça deviendra sérieux, il faudra... ». Jérémy ne met pas en doute ces convictions familiales et c’est pourquoi il ne comprend ni n’accepte les demandes scolaires.
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Quant à Marc, la majorité des interactions entre lui et ses parents le conforte dans l’idée
qu’il est le centre du monde et que tout doit tourner autour de lui. Il ne connaît pas
d’autre mode de relation. Il considère – et ça lui réussit – que, lorsqu’un adulte lui
demande ou lui interdit quelque chose, il lui suffit de s’obstiner pour que l’adulte
cède. Au nom de quoi abandonnerait-il une attitude qui lui permet de faire à sa guise ?
Jérémy et Marc ont, dans le cadre familial, puisé des convictions et développé
des modes relationnels particuliers qui concourent à leur inadaptation scolaire. Mais
la situation est plus complexe en ce sens qu’elle n’est ni linéaire, ni statique.
Elle n’est pas linéaire, mais circulaire car Jérémy et Marc participent à leur inadaptation par leur recherche de satisfaction immédiate.
Elle n’est pas statique mais dynamique, car cette inadaptation se trouve, le plus souvent, renforcée, pérennisée par les interactions parents-enfant actuelles et habituelles.
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Un exemple flagrant et bien connu des enseignants de maternelle est celui de tel élève
de grande section immature et incapable d’autonomie. Ses parents reconnaissent et
déplorent cet état de fait. Ce qui ne les empêche pas de venir le chercher en disant :
« Viens ici, mon gros bébé ! Viens faire un gros bisou à ta petite maman chérie... » et
le traitent comme s’il n’avait pas plus de deux ans.
On peut donc se poser la question suivante : à quoi sert-il d’intervenir sur l’enfant
si l’on accepte l’hypothèse que l’action des parents va dans le sens inverse et, du fait
des implications affectives, est plus puissante que la nôtre ?
Travailler à faire évoluer un enfant sans la participation des parents au processus
revient à travailler contre eux.
Autant tenter de sécher en soufflant dessus, ou avec un sèche-cheveux dans le
meilleur des cas, les cheveux d’un enfant qui aurait la tête sous un robinet ouvert. La
logique n’est-elle pas de chercher qui a le pouvoir de fermer le robinet et d’œuvrer
pour que cette personne le fasse? A mon sens, seuls les parents possèdent ce pouvoir.
Avant de chercher comment l’utiliser pour résoudre les difficultés de leur enfant, il est
nécessaire de s’interroger sur la nature et le fonctionnement de ce pouvoir et sur son
rôle dans l’entretien des difficultés scolaires.
Ce pouvoir que seuls les parents possèdent
Comment les interactions parents-enfant déterminent-elles la vision du monde de
ce dernier ? Comment son mode de relation avec l’extérieur en est-il affecté et comment débouche-t-il parfois sur l’inadaptation scolaire ?
Denis, 6 ans, élève de grande section, scolairement très moyen, m’est signalé par sa
maîtresse pour son comportement perturbateur dans la classe : il fait le pitre, cherche à
faire rire les autres, accapare l’attention de la maîtresse par des demandes incessantes.
Ses parents, avertis de cette attitude et de ses conséquences négatives sur le rende-
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Les parents participent à la pérennisation des difficultés scolaires
de leur enfant
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ment scolaire de leur enfant, abordent souvent son institutrice en disant avec un petit
sourire : « Alors qu’est-ce qu’il a encore fait aujourd’hui ? ». Les doléances de l’institutrice sont habituellement suivies d’un couplet moralisateur des parents : « Oh ! Tu
sais pourtant que tu dois être sage à l’école. On te le dit tous les jours. »
•
les mots disent : « Tu ne dois pas faire ça! » ;
•
le ton faussement sévère, le sourire qu’arborent ses parents contredisent leur discours ;
•
le sentiment principal qu’ils éprouvent et qui ressort dans le langage analogique
est la fierté. Fierté de voir leur fils se distinguer, faire rire les autres – comme son
père, provocateur, qui n’entre jamais dans la classe sans brocarder l’institutrice.
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L’hypothèse que je soutiens et que j’ai détaillée ailleurs (3) – ainsi que ses implications et les remédiations possibles (4) – est la suivante : l’enfant enregistre la communication verbale au niveau conscient, mais ses convictions, son attitude et sa vision
du monde sont modelées par les autres niveaux : communication analogique et ressenti des parents.
Deux cas se présentent alors :
•
ou son attitude et sa vision du monde sont compatibles avec les exigences scolaires et l’élève présente un comportement adapté ;
•
ou elles sont incompatibles et l’enfant se heurte à des réalités qui ne cadrent pas
avec ce qu’il connaît. Il ne possède aucune réponse adaptée et se trouve en difficulté.
Ces remarques ne concernent que les élèves des petites classes de maternelle et
de début d’élémentaire, pour lesquels le système familial est prépondérant. Par la
suite, l’enfant se détache de ce système et devient plus réceptif à d’autres influences
(école, pairs, société...).
Voici un autre exemple du pouvoir des parents : un bambin d’un an et demi environ
jouait dans un bac à sable avec quelques conscrits sous le regard indulgent de leurs
parents. Un petit garçon s’approche alors d’une fillette, lui arrache son râteau et la
pousse ; elle tombe en arrière. Témoin de la scène, notre bambin rejoint le garçon et
lui décoche un coup de pied vengeur. A deux mètres de là, un homme sourit, se penche
vers une femme et lui murmure : « Tu as vu ? ». A ces mots, qui ne lui étaient pas destinés et qu’il paraissait ne pas avoir entendu, le bambin se précipite derechef vers l’agresseur et lui redonne force coup de pieds. L’homme, qui s’avère être le père, très ennuyé,
intervient rapidement.
Cet exemple témoigne du pouvoir que possèdent les parents, pouvoir immense
qu’ils mesurent rarement et qu’ils ne savent pas toujours utiliser.
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Que Denis retient-il de ces interactions, qui soit propre à constituer, à étoffer sa
« philosophie » de la vie et du fonctionnement de la société scolaire ?
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Ce pouvoir provient du besoin, du désir de l’enfant de provoquer, ou de faire
renaître, comme dans l’exemple précédent, ce sentiment de fierté, d’approbation de
la part de ses parents.
Travailler avec les familles
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Revenons à Denis. Mon travail, résumé ici de façon lapidaire, a consisté à faire prendre
conscience aux parents de l’effet négatif de son attitude sur sa scolarité (dissipation,
inattention, incapacité d’obéir à une consigne collective, risques de punition...). La
fierté qu’ils ne pouvaient s’empêcher de ressentir a été remplacée par une réelle désapprobation. Denis, ne trouvant plus de bénéfice à continuer ses pitreries, les a rapidement abandonnées ; le travail scolaire, suite à la demande parentale, est devenu une
valeur, un moyen par lequel retrouver cette gratification qu’il avait perdue. L’année
suivante, Denis s’est montré un excellent élève de CP.
Comme le montre cet exemple, l’atout principal de l’école et donc du rééducateur réside dans le fait que tous les parents souhaitent que leur enfant réussisse.
Ce désir est un levier d’une puissance inestimable dans le travail de mobilisation des
compétences et du pouvoir des parents. Pour user de ce levier et, en général, travailler
avec les familles, les préalables me semblent au nombre de trois.
Conditions nécessaires au travail avec les familles
1. Croire en l’existence d’une solution est une condition nécessaire mais non suffisante. Y croire afin d’aider les parents, l’enfant et l’enseignant à y croire. (Le burnout ou épuisement professionnel étudié par O. Masson (12) chez les intervenants
sociaux n’épargne pas les milieux scolaires).
2. Il est indispensable d’accepter sans arrière-pensée le postulat de la compétence
des familles énoncé par G. Ausloos (1). Pour lui, « toutes les familles ont des
compétences » qu’elles ne savent pas toujours mettre en œuvre et cette conception lui permet de passer du concept de « parents-clients » à celui de « parentscollaborateurs ». J’ai pu moi-même vérifier la pertinence de ce postulat : si vous
croyez sincèrement à sa compétence, la famille vous en fournit rapidement
des preuves tangibles. Dans le cas contraire, elle vous conforte tout aussi rapidement dans l’idée de son incapacité. L’effet Pygmalion dénoncé par R.A. Rosenthal et L. Jacobson (14) ne se limite pas à la salle de classe.
Il ne s’agit pas ici de considérer que le comportement des parents est sans reproche, mais qu’ils font ce qu’ils pensent être le mieux pour leur enfant en fonction
des informations dont ils disposent, des conceptions du monde et de l’éducation
qu’ils se sont forgées au cours de leur existence.
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Si sa famille est bien plus à même de faire évoluer le comportement d’un élève
que tous les rééducateurs, comment obtenir que cette famille souhaite et favorise cette
évolution alors que ses actes concouraient jusqu’à présent à son maintien ?
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3. Il est important de disposer d’une technique relationnelle adaptée car le bon sens
et les conseils d’amis – ou de spécialistes – ont prouvé leur caractère inopérant – si
ce n’est pernicieux (« Les conseils sont faits pour ne pas être suivis », A. Gervasi,
11). Certains courants de la systémique (Cabié et Isebaert, 6 ; De Shazer, 15 ; Insoo
Kim Berg, 2) proposent une telle technique, basée sur le respect de l’interlocuteur
et ses possibilités d’engagement. Technique dont je résumerai le principe actif de
façon pragmatique par : « Si vous ne poussez pas, pourquoi résisteraient-ils ? »
Le respect n’est pas un vain mot quand on souhaite instaurer une réelle collaboration avec les parents, collaboration qui leur permette de mettre leurs forces au service d’une évolution positive de leur enfant.
Ce respect se manifeste par le fait qu’à tout moment, ce sont les parents qui disposent du choix.
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1. Respecter les parents c’est leur laisser le choix de prendre contact ou non
avec le rééducateur.
L’enseignant informe les parents des difficultés que rencontre leur enfant et leur
proposer de rencontrer le rééducateur afin de voir ensemble ce qui peut être fait
pour l’aider. L’enseignant sait, car nous en avons parlé, que venir me voir n’est
pas une démarche anodine pour les parents car elle signe la reconnaissance que
leur enfant est en difficulté à l’école. Si les parents refusent et que les difficultés
de l’enfant persistent – ce qui n’est pas toujours le cas – l’enseignant réitère sa
proposition et il m’arrive même de venir me présenter et de leur expliquer la
façon dont je travaille. Après cette première prise de contact, les familles acceptent généralement un premier rendez-vous dont ils ont compris qu’il ne les engageait en rien.
2. Respecter les parents c’est leur laisser le choix d’accepter ou de refuser que
le rééducateur rencontre préalablement leur enfant.
3. Respecter les parents c’est leur laisser le choix de ce qu’ils disent ou taisent
lors du rendez-vous avec le rééducateur.
Au cours du premier entretien, je ne fais jamais état des renseignements donnés
préalablement par l’enseignant, qu’il s’agisse de niveau scolaire ou de comportement. Me faire le porte-parole des doléances de l’école, non seulement me
ferait perdre mon statut de neutralité, mais rendrait peu crédible ma mise au service du projet scolaire que la famille a pour son enfant. Aussi les parents ont-ils
la liberté de me faire part ou non de ce qu’il leur a dit et le droit d’en user
quelques soient les raisons qui les motivent. Tout au plus, une divergence importante entre les dires de l’enseignant et des parents m’interrogera-t-elle sur la
façon dont l’enseignant a présenté la situation et/ou sur ce que les parents ont
voulu entendre. Ils ont la liberté de dire leur vérité, leur vision des faits en
réponse à mes investigations :
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Respecter les parents, c’est-à-dire leur restituer leur rôle de « spécialiste »
et de responsable de leur enfant
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« Quelle est la situation ?
Quelle est l’attitude de votre enfant par rapport à l’école ?
Comment expliquez-vous ses difficultés ?... »
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– on ne peut écouter que si l’on a le sentiment d’avoir été entendu ;
– pour mettre ses forces en commun, il faut que ces forces aient été identifiées
et reconnues.
L’intervenant doit parfois prendre sur lui pour accepter la vision que les parents
ont du monde. J’excepte naturellement tout ce qui est du domaine de la loi, loi
civile ou règles de vie de l’école.
Il n’est pas rare d’entendre : « Il est comme ça depuis qu’il est tout petit. De toute
façon, son père et son grand-père étaient pareils, alors... ! »
Accepter cette fatalité permet d’en montrer les aspects positifs et de faire germer
l’idée qu’il est peut-être possible d’aider l’enfant à en limiter ses effets négatifs.
Tandis que tenter de convaincre les parents que la fatalité n’existe pas, qu’il suffit
de faire ceci ou cela est vécu par ces derniers comme le refus de ce qu’ils pensent
et assimilé au refus de ce qu’ils sont. Ce qui provoque immédiatement la disqualification de l’intervenant et exclut toute idée de collaboration ultérieure.
Cette acceptation est non seulement nécessaire, mais elle doit aussi être de bonne
foi. Même si vous pensez que leur vision est fausse, il faut être intimement persuadé qu’ils ne possèdent pas les informations qui leur permettraient de partager
votre point de vue. Au contraire, tous les éléments qu’ils possèdent, leur vie même,
corroborent leur vision.
4. Respecter les parents c’est leur laisser le choix d’accepter ou de refuser les
hypothèses que formule l’intervenant sur la situation.
Avant cette phase d’hypothétisation se situe celle d’information.
Si je considère les parents comme spécialistes de leur enfant, je me présente
comme spécialiste de la « chose scolaire » et de ses dysfonctionnements courants.
Je leur fournis les informations sur les exigences scolaires, les « prérequis » dans
le domaine de l’obéissance, sur les étapes qui mènent à l’investissement scolaire,
sur les capacités habituelles d’un enfant selon l’âge, ...
La phase de questionnement a permis de mettre en lumière un comportement
typique de l’enfant à l’école et souvent à la maison. « Il se bloque, il n’y a plus
moyen de rien en tirer ! » « Il ne peut rien faire tout seul, il faut toujours que je
sois là. » Je m’appuie sur ces renseignements pour bâtir une hypothèse sur les
raisons qui sous-tendent ce comportement.
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Le questionnement auquel je procède a deux buts : d’une part, identifier de la façon
la plus pragmatique qui soit les interactions parents-enfant en rapport avec le
problème et d’autre part, rétablir les parents à la place qui est la leur, celle de
« spécialistes de leur enfant ». Ce sont eux qui le connaissent le mieux, qui sont
le plus à même de juger ce qui est bien pour lui ou non.
Cette phase a pour conséquence d’ouvrir la voie à une réelle collaboration en
vertu des deux principes suivants :
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« Certains enfants se bloquent et refusent de faire un exercice :
– parce qu’ils s’angoissent à l’idée de faire faux ;
– parce qu’ils n’en ont pas envie et considèrent donc qu’ils n’ont pas à le faire ;
– parce qu’ils sont découragés et ont l’impression d’être devant une épreuve
insurmontable.
Est-ce qu’un de ces exemples correspond à votre enfant ? »
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5. Respecter les parents c’est leur laisser le choix d’accepter ou de refuser les
propositions de collaboration découlant de cette vision.
Je tiens à préciser que, comme dans la phase précédente, il ne s’agit pas d’un
choix fictif. Si les parents refusent une hypothèse ou la tâche proposée (« C’est
vous qui savez si cela peut aider votre enfant ou non »), même si je reste persuadée de la validité de ces propositions, je considère qu’ils ont raison de ne pas
accepter. S’ils ne perçoivent pas cette validité, il est impossible d’œuvrer ensemble sur cette base. Et c’est moi qui ai tort en ce sens que je n’ai pas su leur fournir les éléments qui leur auraient permis de modifier leur vision et d’accepter mes
propositions.
Cette façon de procéder, prônée par certains courants de la systémique, s’appuie
aussi sur « l’action-recherche » de Philippe Caillé (8). Elle consiste à ne bâtir
que sur l’adhésion de l’interlocuteur et en fonction de son engagement (De Shazer, 15). Cette technique est garante de l’engagement des parents dans le processus de collaboration. Ils respectent généralement leur part du contrat et effectuent les tâches décidées et susceptibles de permettre à leur enfant d’évoluer.
Dans le cas de Jérémy, l’apport d’informations sur ce qu’est l’école maternelle française, sur ce qui est attendu des élèves, a permis à la famille de changer de discours,
de passer de : « Amuse-toi bien ! » à « Nous attendons de toi que tu travailles à l’école ».
Pour soutenir cette démarche et la rendre plus explicite aux yeux de l’élève et de ses
parents, Jérémy, en rééducation, venait, pour le côté symbolique de la chose, faire des
exercices qui lui permettaient de gagner une gratification. Ses parents avaient pour mission de le féliciter pour cette gratification et le travail effectué. Ainsi les parents montraient un intérêt pour la chose scolaire et Jérémy trouvait ici une satisfaction réparatrice
de ce qu’il perdait en différant ses envies de jeu. Le mécanisme conduisant à la motivation scolaire était amorcé. Au bout des six semaines de prise en charge contractuelle, la
maîtresse a considéré que l’évolution de Jérémy était suffisante pour s’en tenir là.
Le cas de Marc a nécessité un travail plus important avec la famille. Dans un premier
temps, j’ai rencontré Marc, qui est fils unique, avec sa mère. Cela sans prise en charge
parallèle car l’enfant, dans le registre de la toute-puissance, n’aurait tiré que peu de
bénéfice d’un suivi.
La première étape a permis à la mère de s’apercevoir que Marc présentait le même
comportement à l’école et à la maison, ainsi qu’à lui faire prendre conscience des
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Je continue jusqu’à ce qu’une hypothèse éveille une résonance (Elkaïm, 10) chez
les parents, qu’ils reconnaissent leur enfant dans mes propos. On peut alors parler
de coconstruction d’une vision commune de la réalité.
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conséquences pour sa scolarité (le refus des activités obligatoires entraîne un retard
dans les apprentissages). Elle a ainsi pu mesurer que la vision que son mari et elle
avaient de l’éducation, qui visait à satisfaire au maximum les désirs de l’enfant, présentait quelques inconvénients et qu’un refus ou l’imposition d’une obligation comportaient aussi des aspects constructifs. Cette prise de conscience lui a permis de
manifester de la fermeté dans sa demande scolaire sous forme de la première punition
réellement appliquée et ce, pour un refus à l’école. Fermeté dont elle ne se montrait
pas capable habituellement. Marc a réagi en intégrant la demande parentale et en
acceptant désormais les demandes scolaires comme légitimes.
La seconde étape a consisté à lutter contre les conséquences inhérentes, à mon sens,
à la toute-puissance : à la dissociation de l’estime de soi entre surestime et sous-estime
(Cahen, 7). Les rodomontades de Marc n’arrivaient pas à masquer son découragement
ni son terrible sentiment d’incapacité devant ces exercices qu’il avait si souvent refusés.
Dans cette phase, la collaboration des parents a été requise pour aider l’enfant dans
l’élaboration de cette confiance en lui qui lui faisait défaut. Lors du troisième entretien auquel le père a participé, les parents ont accepté d’essayer, quand ils demandaient quelque chose à leur enfant, de ne pas céder devant ses refus car leur faiblesse
avait pour conséquence de le renforcer dans sa conviction d’être incapable de venir à
bout de la tâche demandée et diminuait son estime de lui.
Maintenir cette demande lui montrait la confiance que ses parents avaient en ses
capacités d’y arriver. Dans cette confiance, l’enfant puisera le courage de se confronter à ce qui est une épreuve pour lui et de constater qu’il est capable de réussir. C’est
de toutes ces petites victoires que se constituera sa confiance en lui, chacune confortant l’enfant dans ses capacités de venir à bout de l’épreuve suivante. Ce même travail
a été fait parallèlement en séance de rééducation avec l’encouragement des parents.
Du petit groupe dans lequel il se trouvait, Marc s’est montré le plus volontaire, le plus
efficace et le plus rapide. Et il est en train de transférer ses forces nouvelles dans le
cadre de la classe.
Dans certains cas, il est parfois nécessaire de se contenter d’un contrat de collaboration minimum, ne correspondant pas à ce que l’intervenant aurait pu souhaiter. Il
arrive, par exemple, que les parents, malgré les dires de l’instituteur, ne considèrent
pas qu’il y ait problème ou que leur vision soit trop différente pour développer une
stratégie immédiatement efficace. Malgré cela, le fait d’avoir entendu les hypothèses qu’ils ont rejetées produit parfois des effets inattendus, à savoir :
•
lors de l’entrevue suivante, ils les reprennent à leur compte et se montrent prêts à
accepter une collaboration qui s’attaque directement au problème ;
•
ils l’ont même déjà initiée.
6. Respecter les parents c’est leur laisser le choix, à chaque moment, d’infléchir ou d’interrompre cette collaboration.
Le plus important, pour terminer, est de créditer les parents des résultats qu’ils
ont obtenus. L’évolution de leur enfant est leur succès. L’intervenant a aidé à
mettre au jour une ou plusieurs voies possibles mais ce sont les parents qui l’ont
suivie.
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En conclusion
L’intervention de type systémique, grâce à une grille de lecture et à une technique
relationnelle particulière, m’a donné le pouvoir d’agir directement sur le problème,
le pouvoir d’instaurer une collaboration avec les parents qui permette la mise en
place d’un dispositif qui s’attaque à la source même des difficultés.
Je suis confortée dans mes convictions par la réceptivité des familles. Celles qui
arrivent sur la défensive au premier rendez-vous, se détendent rapidement et ont
perdu leur méfiance à la fin de l’entretien. Celles qui manifestent leur découragement
ou un sentiment d’impuissance totale reprennent confiance en leur capacité de faire
face au problème et de lui apporter une solution. J’ajouterai trois remarques :
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•
j’ai volontairement occulté le travail avec les enseignants car, s’il n’est pas ma
priorité, il mériterait néanmoins un développement particulier ;
•
travailler principalement avec les parents perd de son efficacité au fur et à mesure
que l’enfant grandit car il est moins dépendant de la sphère familiale ;
•
il serait sûrement profitable d’intégrer dans l’approche systémique des difficultés
scolaires, entre autres, la recherche de l’exception au problème, la question du
miracle, développées dans la thérapie orientée vers la solution par Steve de Shazer
(15), Insoo Kim Berg (2) et O’Hanlon (13), l’externalisation et la déconstruction
décrites par Michaël White (16) dans sa thérapie narrative.
Aujourd’hui, mon travail en tant que rééducateur consiste :
•
à restaurer – ou à instaurer – le nécessaire lien entre l’école et la famille ;
•
à proposer à cette dernière une nouvelle vision de la situation ;
•
à lui permettre de mettre son pouvoir au service de la résolution des difficultés
scolaires de l’enfant.
Pour terminer, si l’éducation est d’apprendre à nos enfants à se passer de nous,
aujourd’hui, pour moi, la rééducation consisterait à aider les parents à se prouver
qu’ils n’ont pas besoin de la rééducatrice que je suis pour résoudre les difficultés de
leur enfant.
Anne Berlioz
Ecole Elémentaire Joliot-Curie
16, avenue Jean-Jaurès
F-38400 Saint Martin d’Hères
[email protected]
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Le changement principal intervenu dans ma pratique rééducative est que je n’ai
plus l’impression d’être piégée dans un jeu dans lequel je pousserais une pièce sur
un plateau encombré dans l’espoir vague que, par ricochet, ce mouvement aurait un
effet sur une pièce à l’autre bout du plateau. Je ne m’épuise plus en interminables
tentatives de « réparer l’enfant/élève défectueux ».
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1. Ausloos G. (1995) : La compétence des familles Temps, chaos, processus, Erès, Ramonville Saint-Agne.
2. Berg I.K. (1996) : Services axés sur la famille Une approche centrée sur la solution, EDISEM, Québec 18.
3. Berlioz A. (1999) : Systémique et rééducation, en milieu scolaire : la mobilisation des compétences
parentales, Thérapie Familiale, 20, 1, 3-21.
4. Berlioz A. (2002) : Proposition de classification des élèves en difficulté au CP et remédiation, Psychologie & Education, 51, 61-77.
5. Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 9 avril 1990, circulaire 90-082.
6. Cabié M.C., Isebaert L. (1997) : Pour une thérapie brève. Le libre choix du patient comme éthique en
psychothérapie, Erès, Toulouse.
7. Cahen C. (1996) : Thérapie de l’échec scolaire, Nathan pédagogie, Paris.
8. Caillé P. (juin 1998) : Conférence journée d’étude du CÉRAS, Grenoble.
9. Curonici Ch., Joliat F., McCulloch P. (1997): Psychologues et enseignants, De Boeck Université, Paris –
Bruxelles.
10. Elkaïm M. (1989) : Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Approche systémique et psychothérapie, Seuil, Paris.
11. Gervasi A. (1995) : Stage de formation continue de rééducateurs, Grenoble, 1995.
12. Masson O. (1990): Le syndrome d’épuisement professionnel: burn-out, Thérapie Familiale, 11, 4, 355-370.
13. O’Hanlon W.H., Wiener-Davis M. (1995) : L’orientation vers les solutions, Satas, Bruxelles.
14. Rosenthal R.A., Jacobson L. (1968) : Pygmalion à l’école, Casterman, Paris.
15. De Shazer S. (1996) : Différence, Changement et thérapie brève, Satas, Bruxelles.
16. White M. (1997) : Thérapie et déconstruction, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques
de réseaux, 19, 2, 153-188.
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BIBLIOGRAPHIE