L`Australie et sa taxe carbone, un exemple à suivre?

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L`Australie et sa taxe carbone, un exemple à suivre?
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L'Australie et sa taxe carbone, un
exemple à suivre?
Après un débat national passionné durant lequel la droite et certains
lobbies d'affaires ont exprimé leur vive opposition, le sénat australien a
finalement adopté, en novembre 2011, la législation instituant une nouvelle
taxe carbone. Afin de réduire les émissions de GES, serait-ce un exemple à
suivre ou est-ce trop cher payer, comme le suggéraient ses opposants?
Le 8 novembre 2011, le sénat australien adoptait les 18 législations permettant la mise en
place de la nouvelle taxe carbone et la réforme de la fiscalité qui l'accompagnait. Ainsi,
pour la première fois, rapporte le Daily Telegraph, les plus grands pollueurs devront
payer un prix pour chaque tonne de carbone qu'ils émettront. (1)
Il pourrait s'agir d'un bel exemple inspirant pour d'autres pays, le Canada en particulier.
Car l'Australie agit, même si ses émissions ne représentent que 1,5 % des émissions
mondiales (encore moins que les 2 % émis par le Canada). Elle agit parce que les
Australiens, comme les Canadiens, sont parmi les citoyens qui émettent le plus
d'émission de carbone par habitant au monde, soit plus de 20 tonnes par personne. (2)
Cette nouvelle politique permettrait de réduire de 120 à 160 millions de tonnes par année
les émissions de carbone en Australie d'ici 2020, selon la première ministre Julia Gillard.
(3) C'est beaucoup : 120 à 160 millions de tonnes de CO₂ équivaut à éliminer des routes
près de 30 à 45 millions d'automobiles. C'est également tout près de ce qu'il faudrait
au Canada pour respecter les engagements qu'il avait pris dans le cadre du
protocole de Kyoto (Rappelons brièvement les chiffres en jeu : émissions canadiennes
moyennes en 2008-2009 : 711 Mt - Objectif de Kyoto : 555 Mt - Écart : 156 Mt de CO2)
(4)
Évolution des émissions de GES canadiennes depuis 1990; cible de Kyoto et nouvelle
cible volontaire proposée par le gouvernement canadien au Sommet de Copenhague. Tiré
et adapté de: Rapport d'inventaire national des émissions 1990-2009, au Canada. Rapport
synthèse disponible ici...
La centrale thermique Yallourn fait partie des centrales au charbon qui fournissent plus
de 80% de l'électricité en Australie. Crédit-photo: RockerballAustralia
La taxe, appliquée aux 500 plus gros pollueurs à partir du 1er juillet 2012, sera fixée à
23 $ AU (23.50 $US ou 18 euros). Elle augmentera de 2,5 % par année jusqu'en 2015,
pour ensuite être déterminée selon un marché d'échange de crédits carbone avec un
système de plafonnement des émissions.
La taxe carbone australienne a cette particularité qu'elle ne s'appliquera pas sur le
carburant des véhicules personnels ainsi que ceux des petites et moyennes entreprises. Il
s'agit sans doute d'une mesure prise afin de s'assurer d'un plus large support parmi la
population. Le secteur des transports, qui est responsable d'environ 14% des émissions de
CO₂ en Australie, est donc largement épargné. (5)
Le gouvernement utilisera la moitié des revenus de la taxe carbone afin de compenser les
familles australiennes devant la hausse des tarifs d'électricité ainsi que des prix en
général. Cette taxe influera sur le prix de l'électricité puisque plus de 80 % de l'électricité
australienne est produite à partir de charbon. De plus, ces augmentations devraient être
répercutées dans toute la chaine des produits et services offerts en Australie. (6)
Une autre tranche d'environ 40% des revenus de la taxe servira à aider les entreprises et
industries à s'ajuster, entre autres, en optant pour des formes d'énergies propres et des
programmes d'efficacité énergétique. Elle aura, conséquemment, un effet négatif
« modéré » sur les profits de certaines industries, selon Tim Jordan, analyste à la
Deutsche Bank AG, (7) ; par exemple, le secteur manufacturier, les industries qui
exploitent les mines ou qui utilisent du charbon comme les aciéries, ou les compagnies
aériennes qui consomment beaucoup de pétrole.
Mais elle bénéficiera à d'autres entreprises, celles développant les énergies propres, en
particulier. Selon le gouvernement australien, environ 1,6 million d'emplois pourraient
être créés suite à l'imposition de cette taxe, principalement dans le secteur des
technologies vertes. (8) Environ 10 milliards de dollars (AU) seront investis au cours des
5 prochaines années dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Cela
devrait permettre de fermer de vieilles installations thermiques au charbon produisant 2
000 mégawatts d'électricité.
Quel impact sur l'économie ?
Malgré les hauts cris de quelques lobbies, du principal parti d'opposition, et
contrairement à ce qu'affirmaient certaines campagnes de publicité négative, l'entrée en
vigueur de la nouvelle taxe n'affectera que légèrement la compétitivité et la profitabilité
des entreprises australiennes dans leur ensemble, bien qu'il y aura évidemment, comme
dans toute réforme, des perdants et des gagnants. L'impact modeste de la taxe sur la
croissance de l'économie australienne a été confirmé par plusieurs institutions et analyses
financières indépendantes (voir notes 9 et 10, entre autres). À titre d'exemple, la firme
HSBC affirme qu'en raison de l'aide compensatoire aux familles et aux entreprises,
l'impact sur la croissance du PIB sera assez faible, soit de moins de 0,5 %. (11)
Même l'industrie minière australienne, qui produit plus de 400 millions de tonnes de
charbon par année, ne devrait pas être affectée trop sévèrement. C'est d'ailleurs ce qu'ont
confirmé les analystes de Citi Bank en réfutant clairement les prétentions de l'industrie
minière qui avançait qu'un grand nombre de mines de charbon pourrait fermer en raison
de l'imposition de la taxe carbone, entraînant la perte de milliers d'emplois. Les analystes
de Citi indiquaient que même à 50$ la tonne, une taxe carbone aurait assez peu d'impact
sur l'activité des grandes minières. À 20$ la tonne, une telle taxe n'augmenterait le coût
de l'extraction et de mise en marché des charbonnières que de 1 ou 2 $ la tonne. (12)
Environ 75 % de la production de charbon australien est destinée aux marchés
d'exportations. (13) Les minières pourraient donc être affectées sur le quart de leurs
ventes, soit celles qui alimentent le marché domestique. Mais cela se fera de façon très
graduelle, sur plusieurs années, voire quelques décennies. Et nul doute qu'une part des
volumes futurs potentiellement perdus sur le marché australien pourront trouver preneur à
l'international, considérant la demande énergétique mondiale en hausse constante.
Les marges de profits net de l'industrie minière en Australie dépassaient les 30% en 2010.
Source: Naomi Edwards, Foreign Ownership of Australian Mines - 2011
Il s'agit d'un bel exemple illustrant l'ampleur des exagérations souvent avancées par
les différents lobbies qui défendent farouchement leurs intérêts. Comme le charbon
thermal (utilisé dans les centrales électriques) et le charbon métallurgique (utilisé dans
les aciéries) se vendait en moyenne, en 2010, 98$ et 204$ la tonne respectivement, (14)
cette nouvelle taxe ne représenteraient au final que de 1 à 2% du chiffre d'affaire. Il faut
savoir également que les marges de profit d'exploitation sont actuellement extrêmement
élevées. Le Bureau de statistiques Australien rapportait d'ailleurs que les marges de
profits nets du secteur minier dépassaient celles de toutes les autres industries
australiennes, à 33,4% (15).
Qui fermerait une mine dans ces conditions? Pour l'industrie charbonnière australienne,
qui produit plus de 400 millions de tonnes de charbon par année, 1 ou 2 $ la tonne
représente néanmoins de très grosses sommes (soit entre 400 et 800M$). Faut-il se
surprendre qu'elle puisse dépenser des millions en campagne de publicité négative contre
la taxe carbone, pour influencer l'opinion publique et faire reculer le gouvernement, et en
commanditant des études défendants ses positions vigoureusement?
Mais de combien augmentera le coût de la vie en
Australie?
Deux estimations de l'impact de ces hausses de prix ont été récemment publiées. La
première, préparée par le Ministère du Trésor du gouvernement australien, établit à 0,7 %
la hausse de l'indice du coût de la vie suite à l'introduction de la taxe carbone (voir
graphique ci-dessous).
L'impact prévu de la nouvelle taxe carbone sur le coût de la vie des Australiens n'est que
de 0,7% en 2012 (sur la base de l'indice des prix à la consommation). Cet impact sera
compensé par des baisses d'impôt et d'autres versements aux citoyens pour une grande
majorité de citoyens. Source: Gouvernement australien, Département du Trésor,
disponible ici...n
L'autre évaluation produite par le Commonwealth Scientific Industrial Research
Organisation (CSIRO) établit à 0,6% la hausse des prix durant la première année
d'implantation de la taxe carbone. (16) Est-ce vraiment trop cher payer pour un premier
geste significatif et important dans la lutte aux changements climatiques?
De généreux allégements fiscaux pour compenser la
nouvelle taxe
Encore une taxe, clamaient les conservateurs australiens. Pas tout à fait répliquait le
gouvernement. Car la nouvelle taxe carbone est accompagnée d'une réforme de la
fiscalité.
Ainsi, affirmait le Trésorier Wayne Swan, 9 familles sur 10 recevront une
compensation provenant d'une combinaison de coupures d'impôt et d'une
augmentation des versements aux familles.
D'abord, le seuil minimum à partir duquel les gens commencent à payer de l'impôt
passera de 6 000 $ à 18 200 $. Plus d'un million d'Australiens n'auront plus besoin de
payer d'impôt. De plus, à partir du 1er juillet 2012, tous les contribuables avec des
revenus de moins de 80 000 $ par année recevront une réduction d'impôt d'au moins
300 $ par année. Sera également institué un nouveau "supplément pour énergie propre"
qui sera versé aux retraités et autres prestataires de l'État, représentant une hausse de
1,7 % des prestations reçues. (17)
Le plan proposé par le gouvernement australien démontre clairement qu'il est possible de
mettre un prix sur les émissions de carbone sans affecter, encore moins appauvrir, la
classe moyenne et les plus démunis. En prime, ceux qui investiront dans des mesures
d'efficacité énergétique, qui réduiront leur consommation d'énergie ou qui opteront pour
des énergies renouvelables, seront doublement gagnants : ils paieront moins de taxe
carbone et moins d'impôt.
Bref, le gouvernement australien, sous la gouverne de Julia Gillard, démontre un
leadership inspirant. Ils suivent ainsi l'exemple de la Finlande, qui fut la première à
introduire une taxe carbone en 1990, immédiatement suivie par les Pays-bas (1990), la
Suède (1991), la Norvège (1991), le Danemark (1992), le Costa Rica (1997), la Suisse
(2008), l'Irlande (2010) ainsi que l'Inde (2010). (18)
Si une telle approche pouvait être imitée par de nombreux autres pays, la voie vers une
réduction substantielle des émissions de GES serait beaucoup plus facile.
Réal Trépanier,
15 décembre 2011