Discours des apprenants de Yaoundé (Cameroun)

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Discours des apprenants de Yaoundé (Cameroun)
Revue Signes, Discours et Sociétés, n°13
Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
Discours des apprenants de Yaoundé (Cameroun)
autour de l’ordinateur : Aspects partagés et
formation d’une identité numérique collective
Emmanuel BECHE
Chargé de Cours, ENS de l’Université de Maroua (Cameroun), [email protected]
Résumé
Cet article analyse les discours des élèves de Yaoundé (Cameroun) autour de
l’ordinateur, en insistant sur l’examen de leur contenu et de leur organisation
centrale. La démarche adoptée se rapproche de celle d’étude du noyau centrale d’une
représentation sociale. L’analyse des données issues d’une série de 126 entrevues
menées avec ces élèves, met en évidence un champ discursif de l’ordinateur structuré
autour de quatre principaux éléments : logique technique, fonctionnalités,
personnification et jugements de valeur. Les aspects discursifs collectivement
partagés sont ceux par lesquels les élèves se représentent l’ordinateur comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de communication, de
recherche et d’usage de Facebook. Dans ce contexte, l’ordinateur est donc
fondamentalement vu comme un objet technique utilisé principalement pour
communiquer, apprendre et construire ses réseaux sociaux, ce qui constitue l’essence
de leur identité numérique. Celle-ci et leurs rapports avec la technologie se
construisent autour de la prise en compte à la fois des logiques techniques et des
intérêts scolaires, communicationnels et socio-relationnels impliquant l’ordinateur.
This article analyzes the discourses of learners in Yaoundé (Cameroon) around the
computer technology. It focuses on the examination of their content and of their central
organization. We then used an approach similar to that used to study the central core
of a social representation. The analysis of data from a series of 126 interviews with
learners, highlights a discursive field of computer technology structured around four
main elements: technical aspect, functionality, personification and value judgments. In
this context, the shared aspects are those through which learners represent the
computer technology as a technical object, a system of devices, a communication tool, a
research tool and a way to use Facebook. The computer technology is thus basically
seen as a technical object used mainly to communicate, to learn and to build their
social networks, which is the essence of their collective numerical identity. This
numerical identity and their relationships with this technology are built by taking into
account technical aspects, school interests, communication and socio-relations issues,
involving the use of the computer technology.
Mots-clés
discours, ordinateur, contenus discursifs, aspects partagés, noyau central, identité
numérique collective
discourse, computer technology, discursive content, shared aspects, central core,
collective numerical identity
I. Introduction
L’avènement de l’Internet au Cameroun en 1997 (Baba Wamé 2005) et l’intégration des
technologies dans l’école en 2001 (Onguéné Essono 2009) ont eu pour corolaire que
l’ordinateur soit de plus en plus présent dans les divers espaces de sociabilité des élèves
camerounais, notamment ceux de Yaoundé (Béché, 2013a). Les travaux réalisés (Fonkoua
2006 ; Matchinda 2008 ; Ngono 2012 ; Tchameni Ngamo et Karsenti 2008) sur ce sujet,
montrent que cet outil intègre progressivement et considérablement les écoles,
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Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
domiciles, cybercafés et réseaux de pairs, dans lesquels s’opèrent la socialisation et
l’apprentissage scolaire de ces apprenants en général et de ceux du secondaire en
particulier. Ce contexte dans lequel se construisent leurs rapports avec cette technologie
engendre des discours propres à traduire ce processus de reconstruction et
d’appropriation du réel (Martin et Royer-Rastoll 1990 ; Millerand 2002). En d’autres
termes, il favorise le développement des paroles et opinions qui sont révélatrices des
interactions entre le contexte de ces élèves et l’ordinateur (Orlikowski 1992).
L’intégration de cette technologie dans leur univers scolaire et quotidien apparaît en
effet de plus en plus importante (Fonkoua 2006 ; Misse Misse 2004 ; Onguéné Essono
2009).
Par exemple, si en 2005, seulement une vingtaine d’établissements d’enseignement
secondaire étaient dotés de Centres de Ressources Multimédias (CRM) équipés
d’ordinateurs connectés à l’Internet, aujourd’hui, c’est la quasi-totalité des lycées et
collèges situés dans les zones urbaines qui en possèdent (Ndangle Nkehsera 2011). En
dépit du faible ratio ordinateur/apprenants (0,005) qui les caractérise, cette évolution
traduit néanmoins une technisation de plus en plus croissante de ces contextes, et
partant, un développement relativement important des rapports des élèves avec
l’ordinateur et des discours et perceptions qui s’y rapportent (Béché 2013b). Ce contexte
sociotechnique émergent constitue en effet pour plus de 42% d’apprenants camerounais
en général et pour plus de 65% de ceux de Yaoundé en particulier, des possibilités
d’accéder à cet objet « nouveau » à l’école, de l’utiliser, de se l’approprier, de l’intégrer
dans leur univers sociocognitif et discursif, et donc d’y développer des opinions,
attitudes et représentations (Matchinda 2006, 2008). Cela est de plus en plus mis en
évidence dans des écrits (Djeumeni Tchamabe 2009 ; Misse Misse 2004, 2005 ; Ngono
2012) sur l’intégration des technologies dans l’espace social et scolaire camerounais.
Aussi, si près de 43% d’élèves camerounais affirment posséder une adresse électronique,
dans la ville de Yaoundé qui constitue notre champ de recherche, ce sont plus de 83%
qui déclarent en avoir, ce qui, jusqu’ici, constitue encore un des signes de l’utilisation
de l’ordinateur dans ce contexte (Baba Wamé 2005 ; Matchinda 2008). Dans cette ville, ce
sont plus de 80% d’élèves qui fréquentent les cybercafés dans le but de se servir de
l’ordinateur connecté à l’Internet, ce qui est bien supérieur aux données (17%) relevées
au plan national (Béché 2013a). À propos des cybercafés justement, Bâ (2003) montre
qu’ils constituent l’un des lieux les plus fréquentés des jeunes camerounais en général.
Baba Wamé (2005 : 13) qui décrit l'Internet et les cybercafés en tant qu’une « croissance
exponentielle » dans ce contexte, les présente comme une « révolution passionnante »
pour ces jeunes dont 20% affirment posséder un ordinateur à la maison (Tchombé 2006).
Dans la ville de Yaoundé particulièrement, ce sont plus de 60,5% d’élèves qui déclarent
accéder à cette technologie chez eux (Tchombé 2006). Dans ce contexte familial où
l’ordinateur est utilisé par tous les membres du ménage, les enfants scolarisés en
constituent les principaux usagers et utilisateurs compétents, ce qui permet de souligner
les rapports privilégiés qu’ils ont avec cet outil (Misse Misse 2004, 2005).
Cette présentation du contexte d’intégration de l’ordinateur dans le vécu des élèves
camerounais en général et de ceux de Yaoundé en particulier, permet de constater qu’« en
l’espace de quelques années, l’ordinateur et l’Internet sont devenus pour [eux] un élément
faisant partie du quotidien » (Matchinda 2006 : 213). Ce constat se dégage aussi de l’étude
réalisée par Tchameni Ngamo (2007) et de celle menée par le Ministère de l’Éducation de
Base et l’Organisation des Nations Unies pour la Science, l’Éducation et la Culture
(MINEDUB/UNESCO 2009). Elles montrent aussi que l’ordinateur est désormais présent
dans toutes les sphères de la vie quotidienne de ces élèves, à savoir les domiciles, écoles,
cybercafés et réseaux de pairs. Dans un sens, l’on peut dire que ceux-ci et notamment
ceux de Yaoundé vivent dans un environnement relativement technicisé, dans lequel
s’élaborent des formes de discours et représentations qui, relatifs à l’ordinateur,
correspondent effectivement à ce contexte (Angenot 2006). Dans ce contexte où le taux de
pénétration de l’ordinateur (60%) est supérieur à celui relevé au plan national (20%) en
2012 (Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication, 2012),
les pratiques, interactions et sociabilités de ces élèves se trouvent de plus en plus
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dominées par l’utilisation de cette technologie et par les discours et représentations qu’ils
y développent. D’ailleurs, pour Misse Misse (2004, 2005), l’ordinateur connecté à l’Internet
est l’un des éléments qui les caractérisent le plus actuellement et par lequel ils mettent en
œuvre leur « identité active » (Misse Misse 2004 : 129). Nous avons donc affaire à un
contexte de « génération multimédia » émergent (Fluckiger 2007 ; Misse Misse 2005) dans
lequel se produisent les discours et représentations qui traduisent à la fois l’appropriation
sociocognitive de l’ordinateur par les élèves de Yaoundé et la formation de leur identité
numérique collective.
Selon le courant des représentations sociales (Abric 1994 ; Jodelet 1989 ; Moliner 1993)
et celui des discours sociaux (Angenot 1988a, 1988b, 2006, 2008) en effet, ces
changements sociotechniques qui interviennent dans ce contexte, induisent
indubitablement des processus sociocognitifs, c’est-à-dire des phénomènes cognitifs
socialement ancrés (Jodelet 1989) qui traduisent l’ordinateur dans un langage cognitif et
social correspondant. Tout comme les représentations sociales que véhiculent d’ailleurs
les discours sociaux (Abric 1994 ; Angenot 2006), ces derniers semblent adéquats
« comme le reflet du réel » (Angenot 2008 : 19). Ils re-présentent et signifient le monde
et son objet (Angenot 1988b ; Martin et Royer-Rastoll 1990). Comme l’écrit Georges
(2009 : 168), « le "réel" et le "virtuel" entretiennent des relations […] dans le cadre des
[…] sociabilités interfacées par des représentations », ce qui revêt une portée
significative surtout dans ce contexte social et scolaire qui, de plus en plus technicisé,
engendre chez les élèves qui y évoluent, le développement des informations, discours,
attitudes, expériences, stéréotypes et opinions qui, relatifs à l'ordinateur, traduisent
l’intégration de cette technologie dans leur vécu et favorisent la formation de leur
identité numérique collective. Comme le montrent Martin et Royer-Rastoll (1990) et
Moliner (1993), l’apparition d’un objet grand, important ou complexe dans un milieu
donné, suscite chez les individus et groupes de ce milieu, des discours et
représentations sociaux correspondants. Traduisant le processus par lequel ils
reconstruisent l’objet et l’intègrent dans leur univers sociocognitif et quotidien, les
discours et représentations sont ce qui permet à l’objet d’avoir une fonction et une
existence signifiées et signifiantes (Martin et Royer-Rastoll 1990). Car, il « n’existe pas a
priori de réalité objective, mais toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par
l’individu ou le groupe […] Et c’est cette réalité qui constitue pour l’individu ou le
groupe la réalité même » (Abric 1994 : 12). Et c’est aussi à travers cette réalité objective
représentée que l’individu ou le groupe s’identifie ou se reconnait. Car en tant que
faisant partie de l’environnement cognitif et informationnel des utilisateurs, ces
discours et représentations « médient » ces derniers et les artefacts représentés
(Georges 2010 ; Peraya 1999 ; Proulx, 2004). Dans ces dynamiques de médiations, se
forge ou se modélise aussi l’identité sociotechnique des individus et groupes (Georges
2009), ce qui permet de souligner deux éléments en rapport avec l’objet de notre travail.
Le premier est qu’autour de l’ordinateur dans ce contexte, les élèves de Yaoundé
développent et partagent des informations, opinions, discours et représentations qui
signifient son existence et son intégration dans leur quotidien et univers sociocognitifs
(Béché 2010). Le deuxième est que ces productions sociocognitives autour de l’objet
traduisent un certain nombre de caractéristiques et traits que partagent collectivement
ces utilisateurs dans l’appropriation qu’ils font de cet objet. D’où l’intérêt d’étudier ces
discours et représentations, non seulement pour comprendre ces apprenants dans leurs
rapports à la fois avec l’ordinateur, l’école et la sphère hors-scolaire, mais aussi pour
cerner la formation et l’essence de leur identité numérique collective. Dans cette étude,
nous définissons l’identité numérique collective comme une transposition et une
modélisation de la façon dont un groupe d’individus se re-présente, se particularise, se
reconnait ou se fait reconnaître dans et/ou à travers les représentations et discours que
ceux-ci développent et partagent autour de l’artefact cognitif qu’est ici l’ordinateur.
C’est une traduction, conceptualisation et construction de ce qui permet de caractériser
un groupe d’individus dans leurs rapports avec les technologies (Georges, 2009 ; 2010).
Ces rapports sont ici en termes de pratiques, discours et représentations. L’objectif
poursuivi est donc globalement de mettre en évidence les contenus de ces
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représentations et discours sociaux autour de l’ordinateur, et d’examiner leur
organisation, et partant leurs ancrages identitaires.
II. Considérations théoriques et méthodologiques
Dans le sens de l’objectif ci-dessus évoqué, nous avons défini le discours comme un
système cohérent de paroles, énoncés, déclarations et expressions qui, mêlés de gestes,
attitudes et perceptions, véhiculent des informations, opinions, points de vue,
jugements et représentations que des individus ou groupes développent à l’égard d’un
objet, d’un sujet ou d’une personne dans un contexte et à travers un « média ». Pour
Angenot (1988b), les discours sont des faits sociaux, c’est-à-dire « tout ce qui se dit et
s’écrit dans un état de société, tout ce qui s’imprime, tout ce qui parle publiquement ou se
représente aujourd’hui dans les médias électroniques » (p. 82). Comme les représentations
sociales auxquelles ils servent d’appui et de canal d’expression (Abric 1994), ils
représentent, traduisent, reflètent et objectivent la réalité (Angenot 2006, 2008 ; Martin et
Royer-Rastoll 1990). Donc, parce que les discours (sociaux) ont « le monopole de la
représentation de la réalité » (Angenot 1988b : 91), nous avons étudié les discours des
élèves de Yaoundé autour de l’ordinateur dans une perspective qui se rapproche de
l’étude des représentations sociales (Abric 1994). Nous entendons ici les représentations
sociales comme une « forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont
les contenus [organisés et structurés,] manifestent l’opération des processus génératifs et
fonctionnels socialement marqués » (Jodelet 1989 : 365). Il y a d’ailleurs un lien étroit
entre discours et représentations (Koller 2009). Voilà pourquoi chez Angenot (2006 :
http://contextes.revues.org/51), les discours sont, tout comme les représentations
sociales, des « opérations cognitives », des « actes de connaissance » ou des
« représentations discursives du monde », ce qui se rapproche de la conception que
donne Jodelet (1989) à la notion de représentation sociale.
Parce que notre objectif est d’étudier l’organisation centrale des discours des élèves de
Yaoundé sur l’ordinateur afin de cerner la dimension et l’essence de leur identité
numérique collective, nous avons dans cette perspective, recouru à la théorie du « noyau
central » (Abric 1994 ; Flament 1994). Selon cette théorie, toute représentation est un
ensemble d’informations, d’opinions et d’attitudes, organisées autour d’un « noyau
central » qui est « un sous-ensemble de la représentation, […] dont l’absence
déstructurerait la représentation ou lui donnerait une signification complètement
différente » (Abric 1994 : 60 ; Flament 1994 : 37). En nous inscrivant dans cette démarche,
nous avons effectué deux opérations qui constituent le fondement de notre travail :
examiner les contenus de ces discours représentationnels et cerner les modalités dont ces
contenus sont organisés dans ce contexte. Premièrement, cette démarche nous a permis
d’identifier les types d’informations qui circulent sur l’ordinateur dans ce contexte.
Deuxièmement, elle nous a donné la possibilité de relever les aspects discursifs
collectivement partagés, autrement dit le noyau central des représentations discursives se
rapportant à cette technologie. Nous concevons d’ailleurs ces éléments discursifs
collectivement partagés comme constitutifs de l’identité numérique collective des élèves
de Yaoundé. Dans ce travail, nous avons référé la notion de numérique à l’ordinateur.
Comme nous l’avons définie plus haut, nous concevons cette notion d’identité numérique
collective comme un système de connaissances, de valeurs et de symboles qui,
apparaissant dominants et récurrents dans les discours des élèves de Yaoundé sur
l’ordinateur, requièrent une forme de consensus chez eux, et ainsi, permettent de les
définir et caractériser en tant que groupe dans les rapports qu’ils entretiennent avec
l’ordinateur dans leur contexte (Wittorski 2008).
Pour recueillir les données ayant permis de cerner l’organisation centrale des
représentations discursives de l’ordinateur chez les élèves de Yaoundé et la formation
de leur identité numérique collective, nous avons utilisé la technique d’entretien. Nous
avons ainsi mené une série de 126 entrevues avec des élèves issus des lycées et collèges
suivants : lycée Général Leclerc (LGL), lycée bilingue d’Essos (LBE), lycée de Tsinga (LT),
lycée d’Emana (LE), lycée de Mendong (LM), lycée technique de Ngoa Ekelle (LTNE), lycée
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technique de Nkol-Bissong (LTNB), collège Mvogt (CM) et collège de la Retraite (CR). La
sélection de ces établissements secondaires qui possèdent un CRM, résulte de la prise en
compte à la fois de leur type (public ou privé, général ou technique) et de la façon dont
ils couvrent géographiquement la ville de Yaoundé. Parce qu’ici notre objectif se limite à
étudier les contenus et les aspects collectivement partagés des discours sur l’ordinateur,
sans prendre en compte leurs ancrages sociologiques, nous avons choisi les répondants
de façon aléatoire, sans nécessairement tenir compte de leurs caractéristiques
sociologiques (genre, niveau scolaire, familiarité avec l’ordinateur) pourtant susceptibles
d’intervenir dans les productions discursives.
En ce qui concerne notre guide d’entretien, nous l’avons structuré autour de quatre
principaux thèmes : la définition de l’ordinateur et ce à quoi il sert selon les élèves de
Yaoundé, ce qu’il représente pour eux et l’importance qu’ils accordent aux divers aspects
représentés de cet objet. Pour analyser les données collectées, nous avons procédé par
analyse thématique. Nous avons ainsi établi des segments de discours ou unités d’analyse
en liaison avec les thèmes développés au cours des enquêtes, ce qui nous a permis de
déterminer des catégories thématiques formalisables dans des affirmations explicites et
exhaustives. Pour décrire l’importance de ces catégories dans ce contexte, nous avons
considéré un facteur quantitatif à savoir leur fréquence d’apparition dans les discours des
élèves. C’est donc au terme de ces démarches que nous avons mis en évidence les
éléments constitutifs des discours sur l’ordinateur et leur organisation centrale.
III. Contenu des discours autour de l’ordinateur
Dans cette partie, notre objectif est de décrypter les informations et opinions qui
composent les discours que les élèves de Yaoundé partagent autour de l’ordinateur.
Comme le notent Abric (1994) et Angenot (1988a) en effet, un matériau
représentationnel ou discursif est composé d’informations, opinions, attitudes qui
représentent son contenu. En identifiant ce contenu, nous avons repéré quatre
principaux aspects ou axes qui structurent l’univers discursif et représentationnel de
l’ordinateur dans ce contexte. Ces axes mettent globalement en évidence la dimension
physique de l’ordinateur, ses fonctionnalités, sa personnification et les jugements de
valeur à son égard.
A. Des discours qui expriment la dimension physique de l’ordinateur
L’un des thèmes présents dans le champ discursif de l’ordinateur chez les élèves de
Yaoundé, met en avant la dimension physique de cet outil. Il permet de le présenter avant
tout dans son aspect technologique, c’est-à-dire comme un objet essentiellement
technique. Cet aspect physique de l’ordinateur est notamment traduit par les éléments
discursifs suivants : « technologie », « informatique », « laptop », « machine », « machine
avec plusieurs composantes », « technologie numérique », « appareil technologique »,
« appareil numérique », « machine électronique », « outil sophistiqué », « système
d’exploitation », « Windows », « unité centrale », « disque dur », « Ram », « écran »,
« clavier », « souris », « Clé USB », « CD/DVD », « baffles », « imprimante », « logiciels »,
« programmes », « webcam », « Internet », « virus » et « anti-virus ». Ces éléments
sociocognitifs qui représentent la dimension physique intrinsèque de l’ordinateur,
peuvent être classés en deux ensembles : d’un côté ceux qui sont axés sur l’aspect
« technologie informatique » de l’outil, et de l’autre côté ceux qui se focalisent sur
l’ordinateur en tant que « système de périphériques ». Evoqués en premier dans la
plupart des discours, ces éléments y sont aussi les thèmes les plus récurrents. Les
données présentées un peu plus loin dans le tableau 1, permettront d’ailleurs de le
montrer. Leur récurrence dans les discours sur l’ordinateur traduit en fait le contexte et
la politique d’intégration des technologies dans l’école au Cameroun (Béché 2013a).
Dans ce contexte, les technologies intégrées dans l’école sont encore vues plutôt comme
des objets d’enseignement que comme des outils pédagogiques au service de la
formation (Karsenti et Tchameni Ngamo 2009). Y sont ainsi enseignés l’historique de
l’ordinateur, ses périphériques, ses fonctionnalités, son fonctionnement, bref tous les
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thèmes qui renvoient à l’aspect technique ou informatique de cet objet. (Karsenti et
Tchameni Ngamo 2009). En même temps, comme l’écrit Millerand (2002), le fait que la
dimension physique de l’ordinateur se trouve mis en avant dans ce contexte, relève
aussi du fait qu’une technologie apparaît avant tout à ses potentiels utilisateurs dans sa
forme physique. Les éléments qui y renvoient ici, sont ceux les plus cités et les plus
partagés. C’est d’ailleurs sur cette dimension de l’ordinateur que se greffent les autres
conceptualisations et productions discursives de l’outil en question.
Les thèmes discursifs axés sur cet aspect technologique de l’outil sont notamment
traduits dans des propos de genre : « l’ordinateur, c’est une machine avec plusieurs
composantes. Ça veut dire qu’il possède un écran, une souris, un clavier, des baffles, un
disque dur, etc. » (R89, LBE) ; « l’ordinateur,…c’est quoi ? On peut dire que c’est l’écran,
la souris, le clavier, l’unité centrale. C’est ça l’ordinateur pour moi. C’est un appareil
numérique ou technologique » (R08, LGL). Le discours de la répondante R55 du collège
Mvogt abonde aussi dans le même sens en exprimant que pour elle, « l’ordinateur, c’est
une technique, une technologie, un instrument ou une machine ; en classe, le professeur
enseigne aussi qu’il possède des périphériques d’entrée et de sortie ».
B. Des discours centrés sur les fonctions et fonctionnalités de l’ordinateur
Outre la dimension physique de l’ordinateur ci-dessus présentée, le champ discursif de
cet objet chez les élèves de Yaoundé comporte aussi des éléments qui mettent l’accent
sur ses fonctions et fonctionnalités. Ce sont des catégories de discours qui décrivent ce
à quoi le dispositif technologique peut servir, et donc sa dimension utilitaire ou
fonctionnelle. A travers ces discours, les répondants traduisent les contenus qui leur
sont enseignés en informatique à l’école, mais aussi leurs expériences en matière
d’usage des technologies de façon globale (Misse Misse 2004). Ils considèrent ainsi
l’ordinateur comme un outil de travail, de divertissement, de recherche, de
communication, de distraction, d’étude et de savoir. Ils le présentent aussi comme un
outil qui facilite l’apprentissage des leçons, traite et enregistre les données.
L’ordinateur apparaît également chez eux comme un moyen qui permet de jouer, faire
des recherches, écouter des musiques, suivre des films, effectuer des
correspondances, accéder à Facebook, éditer des blogs, surfer, tisser des relations ou
« chercher des maris Blancs sur Internet » (R13, LTNB).
Mettant particulièrement en évidence cette dimension fonctionnelle, la répondante
R103 du lycée d’Emana affirme que « l’ordinateur est un outil qui sert à beaucoup de
choses : communiquer, écrire, s’informer, faire des recherches, enregistrer des données,
et… c’est beaucoup de choses ! ». Ces fonctions se trouvent aussi exprimés dans les
propos de la répondante R11 du lycée de Mendong. Pour elle, « l’ordi permet de se
documenter, rédiger les exposés, communiquer et "facebooker" [utiliser Facebook] ».
Quant au répondant R17 du collège de la Retraite, il présente l’ordinateur comme « une
machine qui permet de chercher des infos sur les stars, de chater avec les Blancs –les
filles passent leur temps à chercher les Blancs sur Internet !- de connaître ce qu’on ne
connaît pas, bref…de travailler, jouer et bien d’autres choses ». On voit ainsi que dans
les discours des élèves de Yaoundé, sont mis en évidence plusieurs fonctions de
l’ordinateur : activités ludiques, chats, communication, dessin, écoute des musiques,
édition d’un blog, information, recherches, téléchargements, traitement de texte, usage
de Facebook et visionnage des films. Elles combinent activités quotidiennes et travaux
d’apprentissage, intérêts socio-personnels et enjeux scolaires. Elles relient aussi
l’ordinateur à l’Internet. Dans ce contexte en effet, l’ordinateur apparaît encore comme
le principal support technologique qui permet d’accéder à l’Internet (Baba Wamé 2005).
C. Des discours qui personnifient l’ordinateur
Les éléments discursifs qui personnifient l’ordinateur dans ce contexte, sont ceux par
lesquels les répondants le présentent notamment comme « un confident », « une
personne douée de conscience », « une machine pensante », « un outil raisonnable »,
« une machine à cerveau », « un ami intime », « un outil qui connaît », « une personne
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
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technologique », « un guide instructif », « une machine humaine », « un objet qui écoute,
conduit et parle », « un instrument qui agit » et « un robot humain qui commande et
exécute des ordres ». Ces discours confèrent à l’objet technologique des attributs
humains essentiels comme la conscience, la mémoire, l’intelligence, la raison, la logique,
la connaissance, l’instruction, l’écoute, la parole, l’enregistrement, le dialogue,
l’interaction et l’action située dans la pensée. Certains répondants le présentent
d’ailleurs comme doté d’organes humains tels que le cerveau. Cet aspect de discours qui
rapprochent l’ordinateur de l’être humain, inscrit la technologie en question dans la
perspective de « l’artefact cognitif » de Norman (1993) ou de la « technologie cognitive »
de Millerand (2002), c’est-à-dire comme un dispositif technique cognitif dont
l’appropriation se fait en partie par un travail de représentation mentale et
d’apprentissage sociocognitif chez l’usager. Son adoption mobilise ainsi des
« ressources cognitives » (Norman 1993), mais aussi présente l’ordinateur comme
« partenaire de l’activité cognitive » (Conein cité par Millerand 2002 : 194), c’est-à-dire
comme un acteur ou « actant » dans la formation de la culture numérique de l’utilisateur
(Callon 2006).
Les déclarations de type : « l’ordi est pour moi un confident, mon pot ; j’y garde tout ce
qui me concerne. C'est ma "life" [vie]. Sans lui, je ne "know" [sais] pas ce que je deviens ! Je
ne sais pas vraiment ! » (R34, LGL), illustrent effectivement cette personnification de
l’ordinateur dans ce contexte. Cette représentation se trouve aussi traduite dans d’autres
discours comme ceux du répondant R01 du lycée technique de Ngoa-Ekelle pour qui
« l’ordinateur est une technologie qui agit comme une personne ; c’est même une
personne technologique ». La même conception se dégage également des propos du
répondant R30 du lycée bilingue d’Essos. Pour lui, « l’ordinateur se comporte comme un
homme…une personne. En fait…quand vous lui commandez de faire une opération, elle
exécute. Exemple, vous lui demandez de chercher un mot, il le fait ». Pour un autre
répondant (R71, CM), « l’ordi est une copie de l’être humain. De fois, il vous demande
d’exécuter une opération, et vous obéissez ! Et quand il plante, ça énerve les gens ! C’est
comme une personne douée de conscience ». Nous avons donc ici affaire à discours qui
présentent l’ordinateur comme une « machine humaine » ou personnifiée.
D. Des discours comme jugements de valeur sur l’ordinateur
Outre les aspects physiques, utilitaires et personnifiant ci-dessus, le champ lexical
de l’ordinateur chez les apprenants de Yaoundé comporte aussi des thèmes
discursifs qui expriment des jugements de valeur à propos de l’objet technologique.
C’est notamment le cas de ceux qui traduisent le caractère « extraordinaire » de
l’ordinateur. Ces thèmes discursifs situent l’ordinateur dans son côté moderne voire
post-moderne, c’est-à-dire comme « une machine omnipotente », « une grande
révolution technologique », « un outil de grande révolution dans l’évolution
mondiale », « une révolution numérique », « une technologie perfectionnée », « un
instrument parfait », « une très grande invention humaine », ou comme « la machine
des machines » ou « la technologie des technologies ». Comme nous le voyons, ce
sont des éléments de discours qui situent l’ordinateur sous un angle particulièrement
exceptionnel, dans l’ordre de la grandeur des choses, c’est-à-dire comme ce qu’ils
appellent la « technologie "higher level" » (R113, LT). Ils situent la technologie dans
l’ordre d’une innovation qui serait parfaite et révolutionnaire. Nous pouvons retrouver
cette perception de l’ordinateur dans les discours comme ceux qui sont présentés ciaprès : « l’ordinateur, c’est…un outil extraordinaire ; il symbolise la grande révolution
technologique. Et puis, il ne fait que se perfectionner perpétuellement » (R85,
LTNB). « Pour moi, quand on voit comment l’ordi fonctionne et comment il émerveille
les gens, on peut dire qu’il est omnipotent. Il fait tout. C’est une grande révolution
dans l’évolution du monde » (R121, LTNE). « C’est la technologie “higher level”, c’est la
technologie des technologies ; elle possède une force extraordinaire ; elle fascine et
émerveille aussi » (R36, LGL).
À côté de la production sociocognitive ci-dessus présentée, se trouve un autre type
de discours qui fait de l’ordinateur un « outil magique » ou « mystérieux ». Pour les
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
répondants qui l’expriment ainsi, l’ordinateur est un « outil qui connaît tout et peut
tout » (R74, LBE) ; c’est la « machine du Blanc » (R06, LGL), la « machine
mystérieuse » (R41, CR) ou « pleine de mystères » (R50, LT). Ils le considèrent comme
« inexplicable », « étrange » et « plein d’énigmes ». Comme l’exprime le répondant
R21 du lycée bilingue d’Essos « l’ordinateur, c’est de la magie ; vous ne savez pas
comment ça fonctionne ; on dirait même qu’il y a une force surnaturelle qui
commande ses éléments ». C’est ce qui apparaît aussi dans des déclarations comme
celles du répondant R39 issu du lycée de Tsinga. Pour lui, « l’ordinateur est une
machine difficile à comprendre ». Il y a donc là un côté étrange, voire miraculeux et
prodigieux associé à l’ordinateur représenté dans ce contexte.
Si comme nous venons de voir, l’ordinateur est vu « extraordinaire » et « magique », il
est aussi présenté du point de vue « utilitaire », c’est-à-dire comme un objet
« indispensable » et « important ». Les discours développés sur l’ordinateur dans ce
contexte contiennent des éléments qui mettent en évidence ce caractère important du
support technologique. Ce sont des discours construits autour des expressions comme
« appareil très important », « instrument enrichi », « boîte à recours », « outil
indispensable » et « objet utile ». Mais ces déclarations qui permettent de concevoir
l’ordinateur comme un outil capable d’aider à faire face à des questions de la vie
quotidienne, le situent néanmoins dans un ordre général. Elles le rapprochent ainsi par
exemple de la radio et de la télévision, et le considèrent de ce point de vue comme
essentiel pour l’Homme.
Au-delà de cet aspect, l’ordinateur est aussi représenté du point de vue des effets qu’il
est susceptible de produire chez ses usagers. Les déclarations ayant pour thèmes
« détournement », « prostitution à distance », « sites obscènes », « aliénation »,
« violence », « mal des yeux », « piratage », « améliorer les connaissances »,
« perfection », « faciliter l’apprentissage », le montrent clairement. Ce sont des
jugements de valeur ou des appréciations subjectives qui situent l’ordinateur au pôle
positif ou négatif de ses actions et effets dans le social. Dans le premier cas, il est
comme une réponse aux besoins et problèmes sociaux. Dans le second en revanche, il
est perçu comme destructeur des valeurs sociales.
Globalement, cette présentation des divers axes qui structurent le champ discursif et
représentationnel de l’ordinateur, permet de représenter ce dernier comme une
technologie informatique, un système de périphériques, un ensemble d’applications
informatiques, une grande révolution technologique, une machine humaine, un objet
indispensable et mystérieux, un outil aux effets positifs et négatifs, une technologie
pour faire des recherches, communiquer, chater, utiliser Facebook, dessiner, traiter un
texte, éditer un blog, s’informer, télécharger, jouer, écouter de la musique et visionner
des films. En les examinant du point de vue de leur occurrence dans les discours et de
leur importance pour les élèves de Yaoundé dans leur contexte, il sera possible d’avoir
une idée sur l’organisation centrale des discours sur l’ordinateur, et donc sur ce qui fait
leur identité numérique collective.
IV. Organisation centrale des discours autour de l’ordinateur
Comme les représentations sociales, les discours apparaissent aussi comme des
« ensembles structurés d’éléments cognitifs » (Aubert et Abdi 2002 : 11). Dans leurs
contenus, peuvent ainsi être repérés des éléments centraux, récurrents et dominants
(Angenot 2006, 2008), et des aspects secondaires et périphériques (Abric 1994). Etudier
les discours des élèves de Yaoundé sur l’ordinateur dans cette perspective, permet de
mettre en évidence non seulement les aspects qu’ils partagent collectivement, mais
aussi dans quel sens se construit leur identité numérique collective. Pour identifier
l’organisation de ces discours en éléments centraux et secondaires, nous avons
considéré deux facteurs : leur occurrence dans les entretiens et leur importance pour ces
élèves dans leur contexte.
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
A. Présentation des thèmes discursifs selon leur occurrence dans les
entretiens
Pour déterminer la valeur quantitative des éléments par lesquels l’ordinateur est
représenté dans les discours des élèves de Yaoundé, nous avons avant tout considéré
leur occurrence, c’est-à-dire le nombre de fois qu’une catégorie discursive apparaît dans
les déclarations des répondants. Le tableau ci-dessous fournit une vue détaillée de
l’ensemble des catégories définies au terme de l’analyse des discours.
Occurrence des
éléments dans
les discours (n=
126)
Pourcentage (%)
d’apparition des
éléments dans les
discours (n= 126)
Technologie informatique
126
100
Système de périphériques
126
100
Communication
122
96,8
Recherche
121
96
Facebook
108
85,7
Traitement de texte
95
75
Activités ludiques
86
68
Chat
80
63,4
Écoute des musiques
79
62,6
Visionnage des films
77
61
Grande révolution
technologique
Téléchargements
71
56,3
68
53,9
Effets positifs
65
51,5
Applications informatiques
63
50
Information
59
46,8
Effets négatifs
51
40,4
Travail
48
38,1
Indispensable
34
26,9
Mystères
27
21,4
Machine humaine
24
19
Blog
19
15
Dessin
13
10,3
Éléments constitutifs des discours ou
catégories discursives
1er niveau
(Occurrence de
75% à 100%)
2 niveau
(Occurrence de
50% à 75%)
e
3e niveau
(Occurrence de
25% à 50%)
4e niveau
(Occurrence de
0% à 25%)
Tableau I. Fréquences d’apparition des catégories thématiques dans les discours
Dans ce tableau, nous avons classé les aspects représentés de l’ordinateur en quatre
catégories. Cette catégorisation tient compte de leur importance quantitative dans le
champ discursif de l’objet technologique dans ce contexte. Ces différentes catégories
sont celle des éléments de premier niveau, celle des éléments de second niveau, celle
des éléments de troisième niveau et celle des éléments de quatrième niveau.
La première catégorie regroupe les représentations discursives dont les fréquences
d’apparition dans les entretiens se situent entre 75% et 100%. Elle met en scène cinq
éléments qui représentent les principales orientations des discours des apprenants de
Yaoundé sur l’ordinateur. Ce sont les thèmes les plus récurrents et dominants dans ces
discours. Ils situent l’ordinateur dans ce contexte avant tout comme une « technologie
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Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
informatique », un « système de périphériques », un « outil de communication », un
« outil de recherche » et un moyen d’utiliser Facebook. Ces thèmes discursifs sont
respectivement traduits dans 100%, 100%, 96,8%, 96% et 85,7% de discours tenus par ces
élèves autour de l’ordinateur. Ils constituent la catégorie des sujets les plus développés
au cours des entretiens. Cela veut dire que si nous nous basons sur leur présence
quantitative dans le champ lexical de l’ordinateur, nous pourrions avancer que ce
dispositif apparaît ici fondamentalement et essentiellement dans sa dimension
technologique, scolaire, communicationnelle et socio-relationnelle. Autrement dit, ces
thèmes pourraient constituer les axes substantiels des discours partagés autour de
l’ordinateur dans ce contexte.
Quant à la seconde catégorie, elle comprend les thèmes discursifs dont les fréquences
d’apparition dans les entretiens se trouvent entre 50% et 75%. Ces thèmes portent sur les
représentations de l’ordinateur comme outil pour traiter un texte (75%), jouer (68%),
chater (63,4%), écouter de la musique (62,6%), visionner des films (61%) et télécharger
(53,9%). Ils mettent en évidence les fonctionnalités de l’ordinateur les plus mises en
œuvre dans le contexte quotidien des élèves de Yaoundé (Béché 2013a). Dans cette
catégorie thématique des discours, se trouvent aussi des éléments qui constituent des
représentations « idéalisées » de l’ordinateur. Ils situent cet outil comme une « grande
révolution technologique » ou produisant des « effets positifs ». Ces deux thèmes
discursifs apparaissent respectivement dans 56,3% et 51,5% d’entretiens réalisés avec les
apprenants de Yaoundé.
Dans la troisième catégorie établie en fonction des occurrences des éléments dans les
entretiens, se trouvent des thèmes discursifs par lesquels les élèves de Yaoundé
conçoivent l’ordinateur comme un ensemble d’applications informatiques, un moyen de
s’informer, un outil qui produit des « effets négatifs », un instrument de travail ou un
artefact indispensable. Ces aspects de discours apparaissent l’un après l’autre dans 50%,
46,8%, 40,4%, 38,1% et 26,9%. Comme nous le voyons, leurs présences quantitatives dans
les discours sont comprises entre 25% et 50%. Ils traduisent à la fois des fonctionnalités
de l’ordinateur quoique moins précises (information et travail) et des jugements de
valeur tenus à l’égard de l’outil en question.
Enfin, dans la quatrième catégorie, se trouvent des thèmes discursifs qui occupent
relativement de faibles places dans le champ lexical de l’ordinateur. Leurs présences
quantitatives dans les discours sont en dessous de 25%. C’est le cas des éléments par
lesquels les élèves de Yaoundé traduisent l’ordinateur comme un objet mystérieux, une
machine humaine, un outil pour éditer un blog ou pour dessiner. Mettant en évidence à
la fois fonctionnalités et appréciations subjectives à l’égard de cette technologie, ils sont
respectivement exprimés dans 21,4%, 19%, 15% et 10,3% d’entretiens menés avec les
élèves de Yaoundé.
Au total, nous avons un champ discursif de l’ordinateur dominé par deux catégories
thématiques : celle dont les éléments se rapportent à la dimension physique ou
technique de l’ordinateur, et celle dont le contenu se focalise sur ses fonctions et
fonctionnalités. Bien qu'ils y soient présents, les thèmes discursifs qui traduisent des
appréciations subjectives du rôle et de la nature de l’ordinateur, sont minoritaires.
B. Importance des aspects représentés de l’ordinateur pour les élèves
Après avoir examiné la présence quantitative des aspects représentationnels de
l’ordinateur dans les discours des élèves, nous nous sommes aussi intéressé à cerner
leur place ou importance dans le quotidien de ces sujets. Nous avons à cet effet
considéré les intentions d’usage traduisibles dans ces aspects représentationnels et
discursifs, autrement dit les activités auxquelles ces aspects correspondent ou sont
rattachés, du point de vue des élèves. Il y a en effet une forme de correspondance
mentale entre les discours tenus autour d’un artefact et l’utilisation qui en est faite
(Abric 1994 ; Millerand 2002), ce qui est en même temps traducteur du degré d’intérêt
ou d’importance de cet objet pour ses usagers. En fonction donc de l’intérêt que les
élèves disent accorder à chacune des vingt-deux dimensions discursives et
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
représentationnelles dans leurs discours, nous les avons classées en quatre catégories :
celle des éléments discursifs très importants, celle des éléments discursifs importants,
celle des éléments discursifs peu importants et celles des éléments discursifs très peu
importants.
La première catégorie qui est celle des éléments très importants dans ce contexte,
comporte des thèmes discursifs axés sur les aspects suivants : recherche, traitement de
texte, communication et usage de Facebook. Découlant des actions, valeurs et formes
identitaires qu’ils induisent chez eux, ils constituent les aspects jugés plus importants
par les répondants, car mis directement en rapport avec leurs activités scolaires et
socio-communicationnelles. Or dans ce contexte, l’école, la communication et les
réseaux de pairs apparaissent comme des pratiques importantes (Béché 2013a ; Misse
Misse 2004). Les discours structurés autour de la catégorie thématique « recherche »
sont ainsi associés à l’apprentissage et la formation qui sont ici des activités aux enjeux
importants : se préparer aux examens, réussir la scolarité, améliorer les performances
scolaires, développer des compétences en formation, etc. Représenté du point de vue de
la recherche, l’ordinateur est ce qui, pour eux, permet de « trouver des ressources
documentaires pour comprendre les leçons données en classe », « trouver des
informations pour compléter les cours », « se cultiver », « préparer les exposés »,
« approfondir les connaissances », « avoir une base pour discuter avec les professeurs et
les camarades », « trouver des exercices et leurs corrigés », « accéder à des formations à
distance », etc. Par exemple, le répondant R14 issu du lycée de Mendong déclare que s’il
« [se] représente l’ordinateur comme un outil de recherche, c’est qu’il [lui] permet de
trouver des informations nécessaires pour approfondir ses apprentissages, comprendre
les cours, réaliser les exposés et se documenter ». La catégorie discursive « traitement
de texte » est aussi mise en relation avec des activités comme la rédaction d’un exposé,
d’un rapport ou d’un devoir de maison, qui sont aussi mises en œuvre en contexte de
formation. Dans cette perspective, les élèves sont des usagers scolaires de l’ordinateur,
c’est-à-dire des utilisateurs qui mettent cette technologie au service de l’école et de leur
apprentissage. L’ordinateur prend ainsi la forme d’un outil scolaire, de recherche et de
production documentaire.
Quant aux discours qui mettent en évidence des thèmes relatifs à la communication et à
l’usage de Facebook, ils sont associés aux activités communicationnelles et sociorelationnelles. Ils aussi considérés comme importants parce que, pour eux, représenté
dans ce sens, l’ordinateur permet de « communiquer avec ses parents, ses proches, ses
amis, ses camarades, ses enseignants, bref les connaissances » (R17, CR). Il permet de
« tisser et garder des contacts » (R89, LBE), de « faire part de ce qu’on ressent, vit à ses
amis » (R121, LTNE), d’« envoyer et recevoir des messages et d’être dans des réseaux et
communautés » (R36, LGL). L’intérêt porté à ces aspects pratiques et représentationnels
de l’ordinateur fait des élèves des êtres sociaux et relationnels, qui utilisent l’ordinateur
comme un outil communicationnel, de relation, et de socialisation, ce qui veut dire que
dans ce contexte, l’ordinateur est vu comme un outil communicationnel et sociorelationnel.
En dehors de ces éléments, cette catégorie de discours comprend aussi ceux qui mettent
en évidence la dimension technologique ou physique de l’ordinateur. Ce sont ceux axés
sur les catégories thématiques « technologie informatique » et « système de
périphériques ». Comme le décrivent les répondants, l’importance de cette dimension
découle du fait qu’elle est considérée comme transversale à toutes les activités
impliquant l’usage de l’ordinateur. Dans ce sens, la répondante R81 du lycée bilingue
d’Emana déclare que « l’aspect technique de l’ordinateur est présent partout. Pour
écrire, il faut l’ordinateur matériel, la souris, la clavier et les autres objets ».
L’importance que revêt cette dimension physique de l’ordinateur chez ces élèves, reflète
aussi la priorité accordée à l’enseignement de l’informatique plutôt qu’à l’utilisation des
technologies au service de la formation dans ce contexte (Karsenti et Tchameni Ngamo
2009 ; Tchameni Ngamo 2007). L’ordinateur est donc ici considéré dans sa dimension
physique, c’est-à-dire comme un objet essentiellement physique. Dans ce processus
d’appropriation de l’objet, les élèves sont aussi vus comme des utilisateurs qui sont
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
« soumis » aux logiques techniques et d’offre relevant de la conception de cet objet et de
son enseignement à l’école dans ce contexte.
La deuxième catégorie de discours établie en fonction de leur importance pour les élèves
dans leur contexte est constituée de ceux axés sur les thèmes suivants : activités
ludiques, chats, écoute des musiques, visionnage des films, téléchargements,
applications informatiques, information, blog et dessin. Ce sont des thèmes qui mettent
en évidence des fonctionnalités de l’ordinateur connecté à l’Internet, ce qui relève de la
mise en œuvre des logiques techniques et d’offre relatives à l’objet (Vedel 1994). Ces
fonctionnalités de l’ordinateur ainsi représentées, portent particulièrement sur des
usages les plus à l’œuvre dans le contexte hors-scolaire des élèves. L’ordinateur est ainsi
vu comme un outil pour se divertir, se distraire, se ressourcer, se recréer, se cultiver et
s’investir dans l’appropriation de l’ordinateur connecté. Cette catégorie de discours
apparaît beaucoup plus fonctionnelle et utilitaire que normative. Elle décrit des cas de
situation à finalité opératoire et pratique qui traduisent plus les intentions et
dispositions des élèves à utiliser l’ordinateur pour la réalisation des tâches précises, que
leurs sentiments et émotions à l’égard de cette technologie. Les éléments de discours
présents dans cette catégorie laissent en effet peu de place à des normes, règles,
idéologies, prescriptions et considérations socioculturelles ou religieuses, au profit
des questions pratiques, opératoires et concrètes.
La dimension « jugements de valeur » se trouve plutôt exprimée par les éléments qui
composent les troisième et quatrième catégories. Axés sur les thèmes « grande
révolution technologique », « outil de travail », « outil indispensable » et « effet positif »,
les discours de la troisième catégorie sont relatifs à des dispositions favorables à une
appropriation « positive » de l’ordinateur. Tandis que ceux de la quatrième catégorie
mettent en évidence des attitudes et opinions qui ne font pas appel à un investissement
important dans l’appropriation de cet outil. Dans cette catégorie, sont présents des
discours qui insistent sur les aspects suivants : « machine humaine », « mystères » et
« effets négatifs » de l’ordinateur.
C. Aspects partagés et formation d’une identité numérique collective
Les aspects partagés des discours autour de l’ordinateur représentent ici les sujets et
thèmes qui relatifs à cet objet, requièrent un certain consensus ou accord chez les
élèves. Ils concernent les dimensions de l’ordinateur les plus appropriées par l’ensemble
des élèves dans ce contexte ou les plus intégrées dans leur univers sociocognitif. Pour
les mettre en évidence, nous avons pris en compte simultanément les facteurs
occurrence et importance suivant lesquels nous avons catégorisé les éléments des
discours autour de l’ordinateur. Le tableau ci-dessous permet de visualiser cette
opération.
Éléments partagés : à la fois très fréquents
et très importants
Outil de recherche
Outil de communication
Technologie informatique
Système de périphériques
Traitement de texte
Usage de Facebook
Éléments moins fréquents et peu
importants
Éléments fréquents et relativement
importants
Activités ludiques
Moyen de chater
Écoute de la musique
Visionnage des films
Téléchargements
Applications informatiques
Grande révolution technologique
Éléments très peu fréquents et très peu
importants
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Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
Information
Blog
Machine humaine
Dessin
Mystères
Travail
Effets négatifs
Indispensable
Effet positif
Tableau II. Catégorisation des thèmes discursifs selon leur occurrence dans les entretiens et leur importance
pour les élèves
Ainsi construit, ce tableau classe les éléments de discours en quatre catégories selon
leur occurrence et leur importance : celle des éléments à la fois très importants et très
fréquents, celle des éléments fréquents mais relativement importants, celle des éléments
moins fréquents et peu importants, et celle des éléments très peu fréquents et très peu
importants. Globalement, les thèmes discursifs qui composent les trois dernières
catégories, relèvent du système périphérique, car traduisant des opinions et des
adaptations particulières de l’objet aux divers contextes hors-scolaires des élèves (Abric
1994). Ces thèmes portent sur les représentations de l’ordinateur comme moyen
d’activités ludiques, de chats, d’écoute des musiques, de visionnage des films, de
téléchargements, d’information, d’édition des blogs, de dessin, de travail, et comme un
ensemble d’applications informatiques, une grande révolution technologique, une
machine humaine, un objet indispensable, mystérieux, positif et négatif.
Les éléments de discours les plus collectivement partagés sont quant à eux dans la
première catégorie. Ce sont ceux relatifs aux représentations de l’ordinateur comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de recherche, de
communication, de traitement de texte et d’usage de Facebook. Ce sont des sujets qui
apparaissent le plus dans les productions discursives des répondants et qui semblent
les plus importants pour eux dans ce contexte numérique émergent. Cela veut dire
que pour ces apprenants, l’ordinateur apparaît fondamentalement et essentiellement
comme une technologie informatique reliée à plusieurs composantes ou
périphériques, utilisable notamment pour faire des recherches, communiquer et
construire des réseaux de relations. Leur représentation de l’ordinateur, ou plutôt le
noyau central de cette représentation est donc organisé et structuré autour de quatre
grandes dimensions : physique, scolaire, communicationnelle et socio-relationnelle.
Cela signifie qu’au fond, pour ces sujets, l’ordinateur ne renvoie pas essentiellement aux
jeux, mystères, tchatches, films, à la magie ou à la pédagogie. Il est d’abord et avant
tout, un objet qui apparaît dans sa dimension physique et technologique. C’est un
dispositif qu’ils situent fondamentalement dans sa matérialité et son instrumentalité.
C’est pour cela qu’ils le nomment notamment « appareil », « machine », « instrument »
ou « technique », et que les aspects « technologie » et « périphériques » dominent
considérablement dans leur univers discursif et représentationnel. Mais l’aspect partagé
et collectif de ces discours représentationnels ne se limite pas à cet aspect physique ou
purement technologique.
L’ordinateur est certes un objet matériel et instrumental pour ces sujets scolaires ; mais
c’est aussi un outil qui, pour eux, sert fondamentalement à faire des recherches, à
communiquer et à tisser des réseaux sociaux à travers l’usage de Facebook notamment.
Nous pouvons donc dire que les dimensions physiques, scolaires, communicationnelles
et socio-relationnelles des discours autour de l’ordinateur constituent l’essence de
l’identité numérique collective des élèves de Yaoundé, ou tout au moins participent à la
construction et à la définition de cette identité. Nous avons ici entendu cette notion
d’identité numérique collective comme renvoyant aux représentations plus ou moins
communes et partagées par et/ou dans lesquelles ces élèves se reconnaissent ou se font
reconnaître dans leurs rapports avec l’ordinateur (Wittorski 2008). C’est ce qui leur est
commun en tant qu’apprenants et utilisateurs de l’ordinateur dans ce contexte
technicisé émergent. Nous avons donc affaire à des individus qui s’approprient ou
intègrent l’ordinateur avant tout dans sa dimension physique et l’intègrent ensuite dans
leurs pratiques scolaires, communicationnelles et d’interactions sociales. Leur identité
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
collective relative à l’ordinateur combine ainsi quatre facteurs : la matérialité de l’objet,
son intégration dans l’apprentissage, sa dimension communicationnelle, et son aspect
« réseau social ». Elle repose aussi sur quatre systèmes de valeurs qui représentent en
même temps quatre formes d’intérêts à la promotion desquels elle contribue :
technologiques, scolaires, communicationnels et réseaux-sociologiques. Elle se construit
enfin à partir des matériaux qui relèvent du contexte de l’intégration des technologies
dans l’école au Cameroun où l’accent est mis plus sur l’enseignement de l’informatique
que sur son utilisation pédagogique, des pratiques quotidiennes de communication, des
activités scolaires et des réseaux de pairs, et s’élaborent dans un contexte commun à
savoir l’espace scolaire.
V. Conclusion
Dans ce travail, nous nous sommes intéressé à étudier les discours que les élèves de
Yaoundé développent autour de l’ordinateur. Après avoir décrit le contexte d’intégration
de cette technologie dans leur espace social et scolaire, c’est-à-dire les conditions dans
lesquelles ils produisent ces discours, nous nous sommes attelé à étudier ces derniers
en développant deux points essentiels. Le premier a consisté à mettre en évidence les
éléments constitutifs des représentations discursives de l’ordinateur dans ce contexte.
Quant au second point, il a porté sur l’examen de l’organisation centrale de ces discours,
ce qui a conduit à cerner l’essence de l’identité numérique collective chez ces élèves.
En examinant le contenu du champ discursif de l’ordinateur dans ce contexte, nous
avons mis en évidence un ensemble de vingt-deux thèmes représentationnels que nous
avons regroupés en quatre catégories. Il y a ainsi des discours qui se rapportent à la
dimension physique de l’ordinateur, comme ceux par lesquels les élèves se le
représentent comme une technologie informatique, un système de périphériques ou un
ensemble d’applications informatiques. Il y a aussi des thèmes discursifs qui décrivent
les fonctionnalités de l’ordinateur. Ce sont ceux par lesquels les élèves conçoivent cette
technologie comme un outil de recherche, de communication, d’utilisation de Facebook,
de jeux, d’écoute de la musique, de visionnage de film, de traitement de texte,
d’information, de téléchargement, de travail, de dessin et d’édition de blog. Cette
catégorie de discours décrit donc l’ordinateur comme outil scolaire et comme objet mis
en œuvre dans le contexte hors-scolaire. Il y a enfin des représentations discursives qui
traduisent des jugements de valeur à l’égard du rôle et de la nature de l’ordinateur. Ce
sont ceux qui le situent comme une machine humaine, une grande révolution
technologique, un outil important et indispensable, un objet mystérieux et magique, un
instrument qui produit des effets positifs ou négatifs.
Pour rendre compte de l’organisation centrale de ces éléments discursifs, nous avons
adopté une démarche proche de celle sous-tendant l’étude du noyau central des
représentations sociales (Abric 1994). Nous avons ainsi pris en compte deux facteurs
principaux : l’occurrence des catégories thématiques dans les discours et l’importance
déclarée des aspects représentés de l’ordinateur pour les élèves dans leur contexte. Au
terme de cette opération, nous avons montré que les aspects discursifs collectivement
partagés dans ce contexte, sont ceux relatifs à l’ordinateur représenté comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de recherche, de
communication et d’utilisation de Facebook. Cela veut dire que pour les élèves de
Yaoundé, l’ordinateur apparaît fondamentalement comme un objet technologique
principalement utilisé dans le cadre de l’école, la communication et les réseaux de pairs,
ce qui constitue l’essence de leur identité numérique collective. Nous avons donc ici des
utilisateurs dont les valeurs, pratiques et modèles collectifs promus dans leurs rapports
avec la technologie, combinent logiques techniques de l’ordinateur, intérêts scolaires,
enjeux communicationnels et socio-relationnels, impliquant l’utilisation de l’ordinateur.
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Sens et identités en construction : dynamique des représentations
Identités et représentations en situation de contact de langues/cultures
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