Abbé Philippe Chèvre - Paroisse française réformée de Berne

Transcription

Abbé Philippe Chèvre - Paroisse française réformée de Berne
Semaine de prière pour l’unité des chrétiens
22 janvier 2012
Culte avec Sainte Cène
Eglise française réformée de Berne
Abbé Philippe CHEVRE
Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,
j'entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui et lui avec moi. Celui qui a des oreilles, qu'il
entende ce que l'Esprit dit aux Eglises. (Apocalypse 3, 20 et 22)
Pour la Première fois, dans le cadre de la Semaine de Prière pour l’Unité des chrétiens, nous
sommes invités ce dimanche, à l’initiative de la Paroisse française réformée de Berne qui
nous reçoit, à prendre part à un Culte avec Sainte Cène. Comment recevoir cette invitation ?
Avec clarté, sans langue de bois.
L’Unité en sa plénitude se fera en Christ, à la fin des temps. Celle à laquelle le Seigneur
nous invite au moment de nous quitter dans la prière sacerdotale, « Que tous soient un »
(Jean 17, 21), nous demande maintenant de hâter le pas.
L’unité dans l’uniformité n’est pas celle voulue par le Seigneur. Elle ne correspond pas à ce
que Dieu nous révèle de lui-même : Dieu un, Dieu échange aussi, Père, Verbe et Souffle.
Souvenez-vous de l’épisode de la Tour de Babel (Genèse 11, 1-9) : une seule tour pour
atteindre le ciel, et ce fut l’impossibilité de se comprendre, la déconfiture.
Entre catholiques et réformés, nous avons une même partition, la Bible. Son interprétation
est souvent très proche, d’autre fois extrêmement différente, tout comme une partition de
Jean-Sébastien Bach interprétée par Glen Gould, Jean Guillou – le romantique titulaire de St
Eustache à Paris – ou le très classique Gustav Leonhardt offre un phrasé, une registration
extrêmement autre.
Pourquoi pas, lorsque je suis conscient et respectueux des points communs, conscient des
divergences dont je n’ai rien à craindre. Il y a celles auxquelles je n’adhère pas, mais celles
aussi qui enrichissent ma vie spirituelle personnelle et la vie de chacune de nos
communautés ecclésiales.
L’affirmation la plus injurieuse pour Gould, Guillou et Leonhardt serait de dire : c’est la même
chose. Ou d’affirmer à l’égard de l’un ou de l’autre : bof !
C’est la même partition interprétée avec cœur et compétence. Ce n’est pas n’importe quoi,
même si parfois nous sommes autorisés dans nos diverses confessions à penser et à dire :
« Alors là c’en est trop ! C’est n’importe quoi. »
L’affirmation « coup de frein » pour l’œcuménisme serait de dire : « L’Eucharistie et la Sainte
Cène réformée, c’est la même chose. » Ou d’affirmer : « Chez les uns il y a tout, chez les
autres il n’y a rien ou presque rien. » Monstrueuse pensée, tellement éloignée de ce que vit
l’Eglise à son origine.
Des divergences ? Les ministères par exemple. Ce n’est pas une petite affaire. Ma collègue
Mireille Junod me disait l’autre jour : « C’est en tant que baptisée que je célèbre. » D’ailleurs
même un baptisé, qui n’a pas été consacré pasteur, mais initié à l’Ecriture et à la liturgie,
peut célébrer la Sainte Cène. Prêtre, je célèbre en tant que baptisé ordonné, c'est-à-dire
entré en lien avec la succession apostolique ininterrompue depuis les douze.
Pas de langue de bois ! Alors se pose toujours et encore la question : Paul ne faisait pas
partie des douze. Quatorzième apôtre, l’on n’a pas suivi pour lui les critères minutieux pour
la succession de Judas, en appelant Mathias : « Il y a des hommes qui nous ont
accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son
baptême par Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé. Il faut donc que l'un d'entre eux
devienne avec nous témoin de sa résurrection. » (Actes des Apôtres 1, 21 et 22) Et pourtant
Paul célébrait l’Eucharistie et il était apôtre, au même titre que les douze, ayant donné avec
audace une interprétation de la Partition-Bible qui conférera à la communauté chrétienne sa
dimension universelle. Sans lui, l’Eglise serait restée une dissidence, pour ne pas dire une
très petite secte juive par sa taille et son enseignement.
D’autre part, on sait que des communautés étaient présidées ponctuellement par des
baptisés. Jusqu’à la Réforme, cette manière d’organiser les communautés n’a pas été
retenue, mais elle existait belle et bien.
Le grand théologien dominicain Yves Congar a regretté que la question des ministères n’ait
pas été discutée au Concile Vatican II. Alors il faut poursuivre la réflexion. Le chemin sera
long. Alors d’ici-là sachons que, à la base, cela commence par le respect de nos ministères,
dans la diversité actuelle de leur compréhension.
Je ne souhaite pas vous donner un cours de théologie, mais relever encore un point de
différence de compréhension : lorsque je viens communier à la Sainte Cène dans la
conception calviniste, c’est l’unité, imparfaite certes, des frères et des sœurs rassemblés, qui
rend le Seigneur présent, présence signifiée par le pain et le vin. Pour l’Eglise catholique, à
partir du moment où les paroles de l’institution ont été prononcées, il y a permanence de la
présence sacramentelle du Seigneur sur ce qui reste physiquement parlant du pain et du vin.
Un chimiste, dans le cas d’un doute stupide en la matière, nous le confirmerait !
Dans l’Eucharistie dominicale catholique, ce n’est que depuis le Concile Vatican II que nous
avons retrouvé en paroisse le signe de la paix du Christ entre les personnes rassemblées
pour la célébration. Nos frères et sœurs protestants nous rappellent la cohérence qui doit
exister entre ce que nous célébrons et nos relations humaines concrètes. Un bel
enseignement dans le prolongement du récit eucharistique de l’Evangile de saint Jean : le
lavement des pieds. (Jean 13, 1-17)
Baptisé, j’irai communier avec joie à la Cène protestante, ayant déposé mon étole pour bien
signifier que ma démarche est personnelle. Elle n’engage pas mon Eglise. Avec joie et en
toute vérité, parce que je sais ce que je fais. Je connais les différentes interprétations de la
partition. Je sais où va ma préférence, avec le respect d’un autre regard. Il a sa richesse.
Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,
j'entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui et lui avec moi. Celui qui a des oreilles, qu'il
entende ce que l'Esprit dit aux Eglises. (Apocalypse 3, 20 et 22)
Amen.