Synthèse de l`interview d`André Bourgeot, anthropologue et

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Synthèse de l`interview d`André Bourgeot, anthropologue et
Synthèse de l’interview d’André Bourgeot, anthropologue et
directeur de recherche au CNRS, spécialiste de
l’Afrique sub-saharienne (en date du 9 juillet 2014)
Contexte : 18 mois après l'intervention Serval, André Bourgeot propose un éclairage sur les
composantes de la crise, le MNLA et les différents groupes armés, la géopolitique et la
géostratégie dans la bande saharo-sahélienne, et toute la région, les prochaines
négociations et le potentiel accord de coopération militaire.
Interview : Le succès de l’opération Serval est somme toute relatif. Certes, les forces
djihadistes se sont repliées à l’intérieur du Sahara (et extrême sud libyen) et sont
affaiblies mais le processus d’enlisement est bien là (maintien par le gouvernement
français d’une force de 1500 hommes sur place).
Il convient de prendre de la hauteur sur cette crise en rappelant les faits historiques
marquants de l’opération Serval. Cette intervention militaire française au Mali lancée en
janvier 2013 cherchait en coopération avec l’armée malienne à repousser les forces
djihadistes qui contrôlait une partie du Nord du pays. L’opération Serval est légitime au
regard de la communauté internationale (décision du Conseil de sécurité des Nations
Unies) et de légalité (Dioncounda Traoré alors Président par interim formule une demande
d’intervention au sol). De même, la population malienne a accueilli favorablement cette
« libération ». Le problème se situe au niveau politique.
Cette approbation ne minimise pas le fait qu’il y avait des objectifs inavoués par le
gouvernement français. La sous région regorge de potentialités extractives minières en
tout genre (pétrole, uranium, gaz, réserve d’eau douce, phosphate…) qui écarte l’idée
selon laquelle un Etat interviendrait sans intérêt. Les conditions d’exploitation de ces
ressources ne seraient pas les mêmes dans un contexte national malien que dans un
contexte d’autonomie du Nord.
Le MNLA
Avant l’opération Serval, le MNLA était très affaibli. Il avait été bouté de l’ensemble de
la sous-région par le Mujao. Le groupe rebelle s’est replié sur une oasis à l’Est du
Tinzaouatine malien.
Le Mujao résulte d’une scission à l’intérieur d’Aqmi sur des divergences ethniques. Les
africains subsahariens, les touaregs noirs se sentaient lésés sur la redistribution des
rançons. Ils ont donc crée le Mujao pour bouter le MNLA qui représente l’ancienne
aristocratie des tributaires.
L’opération Serval repousse les nébuleuses sauf l’Adar de Kidal que le MNLA administre
intégralement (prélèvement des taxes sur les transports…). Comment au vue de la Minusma
et de l’opération Serval, a-t-il pu se passer une telle chose ?
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Renversement d’opinion au bout de quelques mois de l’opinion malienne : manifestations à
Bamako dénonçant la connivence entre Serval et le MNLA.
Entre temps, les accords préliminaires de Ouagadougou le 18 juin 2013 sont signés
stipulant le cantonnement des groupes armés touaregs et la reconnaissance de l’unité du
pays. Ces accords ne sont pas respectés et n’aboutissent pas un processus de négociation
(ex : le gouverneur qui représente l’Etat est caillasé dans le gouvernorat de Kidal). La
négociation est toujours en cours à ce jour.
1 juin 2013 : expulsion des noirs de Kidal par le MNLA sur Gao les accusant d’être des
« supos des maliens ». C’est le retour aux revendications territoriales.
Retour sur les revendications du MNLA : le MNLA est ambigüe sur les délimitations ethnogéographiques de l’Azawad. L’Azawad est parfois entendu comme étant circonscrit à
l’Adrar (soit seulement 380 km2 de superficie) ou comme les trois régions administratives
du Nord du Mali (Tombouctou, Kidal et Gao). Dans les accords, le MNLA revendique ces
trois régions du Nord et non plus « la terre de ces ancêtres ». Cette revendication politique
ne renvoie à aucune réalité historique, ce qui n’est pas acceptable. La sémantique est très
importante. Cependant aucun combat n’est mené par les politiques maliens pour alerter
sur ces dissimulations.
17 et 21 mai 2014 : arrivée du nouveau 1er Ministre, Moussama Traoré. Déplacement
légitime dans le Nord du pays qui s’est transformé en drame national : 50 soldats maliens
tués.
Suite à l’investiture d’Ibrahim Boubacar Keita : enjeu et compétition politique entre
trois Etats. IBK se rapproche très fortement du Maroc (contrats commerciaux, partenariat
entre institutions financières). Ce qui dans les semaines qui suivent, conduisent la
diplomatie algérienne et burkinabé (Blaise Compaoré, Président, représentant de la CEDEO
et médiateur officiel de la crise) à revenir sur la situation politico-militaire au Mali. Le
Maroc, l’Algérie et le Burkina tentent de démontrer leur influence. Le MNLA est l’objet
d’enjeux transnational et qui ne fait qu’accorder une importante supplémentaire au
Mouvement.
Une délégation du MNLA s’est rendue en Russie et a été accueillie par les autorités : n’estce pas l’apparition d’une diplomatie parallèle politico-militaire?
On note des tensions entre les deux pendants du MNLA (le militaire et le politique).
Attention à ne pas surreprésenter le MNLA dans les forces politiques ; que représente-t-il
vraiment par rapport aux autres groupes armés qui se livrent à des trafics, par rapport à
l’ensemble de la population touarègue malienne et du peuple malien. Le MNLA n’a pas de
mandat pour agir.
André Bourgeot attire l’attention sur le fait que les accords prévus se fassent trop
rapidement et profite au MNLA. Le Mouvement va défendre un statut particulier pour la
région du Nord dans son ensemble (autonomie, indépendance ?) et non uniquement sur
l’Azawad. Existe-t-il vraiment une volonté entre l’armée malienne et les groupes de signer
un accord de défense? Tessalite reste un enjeu très important pour le France (base
militaire à terme ?).
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On ne peut pas faire l’amalgame entre l’intervention militaire en Libye et les autres
rebellions dans les pays arabes. Les conséquences de cette intervention ont été les
suivantes : disparition de tout pouvoir central, institutionnalisation des milices tribales et
des milices djihadistes que Khadafi était parvenu à maîtriser. Les conséquences sous la
sous-région ont été dramatiques surtout pour le Mali qui occupe une situation
géostratégique bien spécifique. Les revendications culturelles légitimes de ces populations
sont devenues politiques et selon Mr Bourgeot, inacceptables.
Vers un nouvel ordre mondial ?
L’organisation de type fédéral qui correspond aux revendications de l’Azawad éviterait le
chaos (instrumentalisation des ethnies, remise en question de l’Etat nation, …) et une 3ème
guerre mondiale.
Depuis les indépendances, les Etats africains n’ont pas eu la possibilité de se construire
dans des conditions satisfaisantes : affaiblissement des pouvoirs centraux par les grandes
famines des années 70, l’intervention du FMI particulièrement sur le volet éducatif et
sanitaire et dévaluation du Franc CFA en 93-94 qui a plombé durablement les économies.
Quelles évolutions pour l’Etat malien ?
S’appuyer sur le peuple malien pour sortir de la crise. Il n’y a plus cet élan populaire qui
existait dans les années 90. Les élus doivent renouer avec le peuple et les inscrire au cœur
du processus de réconciliation national. Les maliens ne sont pas ni d’accord avec la
position du MNLA ni avec les orientations données par le gouvernement. L’enjeu est de
taille : si les maliens ne sont ni d’accord avec les orientations données par le
gouvernement ni avec les revendications du MNLA, la prise du pouvoir par un parti
religieux islamique n’est pas à évincer.
On ne peut pas conclure quand l’histoire est en marche. Mr Bourgeot est inquiet sur
l’avenir du pays sans vrai force opposition constituée susceptible de fédérer pour aller
dans le sens de la restauration de la souveraineté de l’Etat.
Pour visionner l’interview : https://www.youtube.com/watch?v=Sa6utRtQ_2I
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