«Eux présidents», les scénarios de 2017 : la Grande Ouverture (et
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«Eux présidents», les scénarios de 2017 : la Grande Ouverture (et ce qu’il en advint) (épisode 2/2) Le Figaro – Politique – Retrouvez toute la politique du gouvernement et de l’opposition, les propositions de lois, les institutions, les députés, les candidats aux élections sur Lefigaro.fr Par – Philippulus FICTION POLITIQUE – Revenu des Alpes-de-Haute-Provence, où il s’est retiré quelques jours après son élection, Nicolas Sarkozy s’attelle à la formation du gouvernement. «Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux épisodes pour convaincre, ou non… Quatre jours plus tard, Nicolas Sarkozy enfourcha son vélo, grimpa au sommet du col de Restefond (performance non négligeable), bascula dans la descente à tombeau ouvert, puis dévala les lacets en un temps record jusqu’à SaintÉtienne-de-Tinée, où il rejoignit Éric Ciotti. Et un hélicoptère. Qui emmena les deux hommes à Nice, où un Falcon les attendait. Deux heures plus tard, Nicolas Sarkozy se trouvait dans le jardin de la Villa Montmorency, en compagnie de Brice Hortefeux, son meilleur et fidèle ami, tandis que Carla, restée dans la bergerie de haute montagne, trouvait l’inspiration pour une nouvelle chanson: «Marmotte, tu dors/Mais pas Nicolas./La France à bâbord/Ça durera pas/.» «Brice, je veux une vue claire de la situation ! Action ! Et sois économe de tes mots ! Éric m’a infligé 1 152 heures dans une bergerie qui sentait le bouquetin, alors je t’en prie, sois concis !» Brice Hortefeux toussa, puis s’élança. «Bon, déjà, dans la presse, ta miniretraite a produit un effet formidable. MêmeLe Mondete tire son chapeau ! Paris Match, je ne te raconte même pas ! Ils ont fait une “une” titrée, tu vas rire: “Le président des hautes altitudes”!» Mais déjà, Nicolas Sarkozy s’impatientait. «Bon, la presse, OK. Raconte-moi plutôt ce qui se dit à droite.» «Alors voilà, poursuivit Brice Hortefeux. Juppé souhaite que tu sois gaullisto-chiraquien (de toi à moi, on rêve) sinon il nous cassera les grelots pendant tout le quinquennat. Fillon demande que tu sois Margaret Thatcher en mec (on rêve aussi), Le Maire prétend que tu ne dois pas infliger “une purge” aux Français, sinon il s’y opposera (on rêve encore), quant à Copé, il remet sur le tapis sa “coproduction législative” (on rêve toujours) juste pour nous ruiner l’humeur pendant cinq ans. Bref, comme tu le vois, l’ambiance n’est pas à la saine camaraderie. De toi à moi, ils sont tous aigris.» «Conclusion, ils sont toujours aussi cons », résuma, à sa façon, le chef de l’État, dont le téléphone soudain retentit. «Tiens ! C’est Philippe de Villiers ? Qu’est-ce qu’il me veut cet escogriffe ?» Brice Hortefeux eut brièvement un air gêné et glissa rapidement: «Ah oui, j’ai oublié de t’en parler. Je crois qu’il veut te parler d’ouverture…» Nicolas Sarkozy eut un bref sourire et décrocha. «Allô, Philippe ? Brice me dit que tu veux être ministre ? Tu souhaites être ministre des Chouans ?» À l’autre bout du fil, on entendit le rire caractéristique de l’ancien président du conseil général de Vendée. «Je préférerais ministre de la Contre-Révolution, Nicolas ! Tu me nommes et je te bazarde par-dessus bord toutes les débilités qu’on nous a imposées depuis un demi-siècle, voire plus ! Sus à la Gueuse ! Je décrète la Contre-Révolution à l’école, à l’université, dans les “quartiers”, dans les prisons, dans le milieu judiciaire, dans la vie familiale, etc. Je ne te fais pas un dessin ! Je te signale que j’ai déjà mon ministre délégué ; c’est Zemmour ! Tu sais, Nicolas, l’ouverture, ça ne se pratique pas seulement à gauche ! D’ailleurs, de gauche, il n’y en a plus ! Mais des gens qui sont plus à droite que toi, il y en a des tonnes ! Si j’étais toi, je n’hésiterais pas. L’ouverture, d’accord, mais à droite ! Et crois-moi, tous les dragons vont cracher du feu !» Et Philippe de Villiers raccrocha en s’esclaffant. «Il n’y a qu’un mec en France qui puisse contenir des forces si contraires, et ce mec, c’est moi.» Nicolas Sarkozy Brice Hortefeux regardait le ciel. Il tourna son regard vers son meilleur ami et s’enquit timidement: «Il t’a dit pour l’ouverture à droite de la droite ?» Nicolas Sarkozy répondit froidement: «Oui.» Puis, il invita Brice Hortefeux à parcourir avec lui le petit jardin de la maison de Carla. «Brice, comme je te connais, tu es à fond pour l’ouverture à droite de la droite ! Allez, mens pas ! T’as toujours été plus réac que moi.» L’ancien ministre de l’Intérieur répondit en posant une question: «Est-ce la meilleure idée d’ouvrir à gauche quand, comme l’observe Philippe, il n’y a plus de gauche ?» Nicolas Sarkozy s’assit sur un vieux banc et invita son ami à faire de même. Il prit un air mystérieux, regarda lui aussi le ciel de ce mois de mai, puis lâcha. «Brice, dans ma bergerie qui sentait le bouquetin et la marmotte, figure-toi que j’ai réfléchi. Je vais faire la Grande Ouverture. À gauche, comme en 2007, mais aussi à droite de la droite. Il n’y a qu’un mec en France qui puisse contenir des forces si contraires, et ce mec, c’est moi.» Brice Hortefeux lâcha trois mots: «Je dis chapeau.» « La Grande Ouverture ! C’est géant ! Tu es mon Bonaparte ! » Carla Bruni Le surlendemain, dans une longue interview auFigaro, le président de la République expliquait dans le détail sa philosophie de la Grande Ouverture. Il se proposait de piocher dans les décombres du PS et il faisait un geste vers «la droite hors les murs », à l’exception notable du Front national. Aux volontaires, il proposait des circonscriptions législatives (au grand dam des candidats Républicains déjà choisis), le tout devant donner à l’Assemblée nationale une gigantesque majorité présidentielle qu’il se chargerait de dompter. «Il s’agit, disait-il au Figaro, de réconcilier la France avec la France. Voilà ma Grande Œuvre, celle à laquelle je compte m’atteler ces cinq, et peut-être ces dix prochaines années.» Revenue enfin de la bergerie perdue dans la montagne des Alpes-de-Haute-Provence, Carla, qui avait lu Le Figaro dans l’avion du retour, l’embrassa longuement sur la bouche en ouvrant le portail de la villa Montmorency. «La Grande Ouverture ! C’est géant ! Tu es mon Bonaparte !» Le soir même, elle se promit de s’atteler à une chanson guillerette à la gloire de l’Empereur. Les jours suivants, après la cérémonie de passation des pouvoirs (au cours de laquelle le président élu dit au président sortant cinq choses: «Merci pour ton anaphore», «T’as été nul pendant cinq ans», «Ton code nucléaire est décryptable par un enfant de 9 ans», «Je te dis ça en toute amitié», puis, «Rendez-vous en 2022 si ça te dit !») Nicolas Sarkozy reçut dans son bureau des représentants des deux rives (d’un côté Emmanuel Macron, Didier Migaud, Gérard Collomb, Pascal Terrasse, Thierry Mandon, Jean-Marie Le Guen, Christophe Caresche, de l’autre Philippe de Villiers, Robert Ménard, Éric Zemmour, Jean-Frédéric Poisson). Le FN et ce qu’il restait du PS tiraient à boulets rouges sur «les traîtres qui vont à la soupe» (Manuel Valls usa d’un vilain juron espagnol pour dénoncer l’attitude d’Emmanuel Macron) mais dans l’ensemble, l’insolite stratégie présidentielle et la nomination des «ministres de la Grande Ouverture» furent approuvées par l’opinion publique. La cote du nouveau chef de l’État s’envola à 82 % d’opinions positives. Mais bien vite, la campagne législative mit en lumière les inévitables et criantes contradictions d’un tel alliage. Lors d’un meeting dans sa ville d’Amiens, Emmanuel Macron se lança dans une ode légèrement excessive à l’Europe qui fit sortir de ses gonds Philippe de Villiers, lequel s’enquérait à ce moment-là des dernières nouveautés du spectacle du Puy du Fou, dont la principale consistait à inviter le public à lapider toutes les figures de la Révolution française. Le gagnant – c’est-à-dire celui qui avait abattu du premier coup les marionnettes de Robespierre, Saint-Just, Marat et Danton – avait droit à une prime de 10.000 euros. Soit 65.600 francs. Le lendemain matin, Philippe de Villiers était l’invité de RTL et ironisait, avec l’esprit caustique qu’on lui connaît, sur l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande. «Vous me demandez ce que je pense de M. Macron ? Eh bien, je vais vous dire, dussé-je choquer nos auditeurs. C’est un jeune puceau qui veut posséder une damoiselle, l’Europe, mais qui n’a toujours pas compris que c’est elle qui le possède ! Et, si j’ose dire, assez profondément !» Et il était parti d’un grand rire qui dura si longtemps qu’on dut l’interrompre par une page de publicité. Au même moment, Nicolas Sarkozy se rasait dans sa salle de bains de l’Élysée en écoutant la redoutable diatribe de l’ancien président du Mouvement pour la France. De rage, il en jeta par terre son rasoir électrique en criant: «Quel con ! Mais quel con ! Il pourrait pas la fermer un peu !» La Grande Ouverture commençait déjà à battre de l’aile. « Nicolas, j’ai l’impression que la Grande Ouverture part en vrille. Bien sûr, on va gagner les élections, mais après, quel fatras… ! » Brice Hortefeux Dans les jours qui suivirent, l’atmosphère se gâta singulièrement au sein de ce qui devait être la «majorité présidentielle». Jean-Frédéric Poisson, exsuppléant de Christine Boutin, déclara un soir de meeting qu’il «faudra évidemment revenir sur le mariage homosexuel de Mme Taubira, car nous savons tous ici comment jadis la Grèce, cette grande civilisation, a périclité !», ce qui eut pour effet de faire sortir une nouvelle fois Nicolas Sarkozy de ses gonds. Il convoqua l’insolent, qui refusa de revenir sur ses propos. Alexis Tsipras téléphona pour se plaindre et les ex-socialistes ralliés au chef de l’État protestèrent vigoureusement. Nicolas Sarkozy dut les recevoir pour leur assurer que «ce Poisson, j’en fais mon affaire, avec ou sans arêtes». Mais le lendemain soir, lors d’une réunion publique qui se tint devant des rangs clairsemés, Jean-Marie Le Guen, adepte du langage brutal, voulut trancher le nœud gordien afin de voir de quel côté penchait vraiment le président. Il s’exclama devant quelques centaines de personnes: «Mes chers camarades, pardon, mes chers amis. En réalité, il n’y a qu’une seule question qui vaille. La France doit-elle être hors de l’Europe, ou dans l’Europe. Donc, doit-elle être dans l’euro, ou doit-elle revenir au franc ? Ceux qui penchent pour la seconde solution n’ont pas leur place parmi nous, et, si je puis me permettre, j’estime que ce sont des vieux cons !» Quand il apprit la mâle déclaration de Jean-Marie Le Guen, le lendemain matin en se rasant, Nicolas Sarkozy jeta par terre son rasoir mécanique (l’électrique avait fini à la poubelle) en s’écriant: «Quel con ! Mais quel con !» Chez les Républicains aussi, le ton montait. Alain Juppé décréta que cette Grande Ouverture «était parfaitement ridicule », tandis que François Fillon ironisait sur «un quinquennat bien mal parti ». Jean-François Copé en conclut que «la coproduction législative s’imposera plus que jamais ces cinq prochaines années, sinon l’exécutif va faire n’importe quoi, et surtout s’il est dirigé par Baroin !» À quelques jours des élections législatives, dans le parc de l’Élysée, assis sur un banc, Nicolas Sarkozy devisait avec son vieil ami Brice Hortefeux. Lequel était quelque peu embarrassé. «Nicolas, j’ai l’impression que la Grande Ouverture part en vrille. Bien sûr, on va gagner les élections, mais après, quel fatras…!» Le chef de l’État ne sut pas très bien quoi répondre – phénomène rarissime chez lui – et se contenta de regarder le ciel étoilé du mois de juin. Son téléphone sonna. C’était Philippe de Villiers. Qui partit d’un grand rire avant même de dire ce qu’il avait à dire. Le chef de l’État mit le hautparleur et patienta 30 secondes. Il entendit: «Nicolas ? Entre la gauche et la droite, il faut choisir ! Les gens de gauche, lorsqu’ils sont au pouvoir, ne se demandent pas s’ils doivent ouvrir à droite ! Si Hollande a nommé Duflot mais n’a pas nommé Bayrou, tu peux bien nommer Villiers et ne pas nommer Macron ! Si tu as des doutes, je te rassure, c’est pas du tout péché mortel ! Et l’Évangile, comme tu le sais, ça me connaît ! Contrairement à toi ! Bref, vire tous les socialos du gouvernement ! J’attends ton coup de fil !» Et Philippe de Villiers raccrocha. « Brice, je vais provoquer une scission au sein du FN. Ce marxiste de Philippot me navre et ma tante me désespère.» Marion Maréchal-Le Pen Il y eut un long silence. Que Brice Hortefeux choisit de rompre. «Tu vois Nicolas, j’aime bien Philippe, mais il faut bien reconnaître qu’il y a des jours, il est gonflant… Cela dit, c’est vrai qu’on n’a peut-être pas besoin de socialistes au gouvernement…» Le chef de l’État ne répondit rien. Il semblait perdu dans ses pensées et se parlait silencieusement à lui-même: «Si après les législatives j’ouvre à droite, seulement à droite, et que je lourde mes socialos, Baroin me cherchera des poux dans la tête. Il va nous ressortir ses “valeurs humanistes” et tout le tintouin, et il serait même capable de proclamer à la terre entière que Chirac n’aurait jamais fait ça ! Bref, un premier ministre qui joue les mijaurées, ça peut pas le faire…» Tandis que Nicolas Sarkozy songeait aux contrariétés du destin, le téléphone portable de Brice Hortefeux s’alluma. C’était un texto de Marion Maréchal-Le Pen. Les deux hommes se penchèrent en même temps vers l’écran de l’iPhone. Et ils lirent ceci: «Brice, je vais provoquer une scission au sein du FN. Ce marxiste de Philippot me navre et ma tante me désespère. Tous les événements qui se déroulent dans notre malheureux pays depuis trois ans, la terreur islamiste, etc., donnent raison au Front national canal historique, et pas à ce nigaud de Philippot, qui lorsqu’il était chez Chevènement nous expliquait que l’immigration était une chance pour la France et que la CGT c’était formidable. Et autres sornettes. Et si on faisait affaire ensemble ? Évidemment, sans tous les gauchistes de NS, ni ses centristes ! S’il est d’accord, on est au pouvoir pour 100 ans ! Pouvez-vous lui en parler ? Amitiés. MMLP.» Nicolas Sarkozy réfléchit une quinzaine de secondes. Puis, il fixa dans les yeux son plus vieil ami. «Brice ? Baroin, j’y crois pas. Dans ce que dit la petite blonde, il y a un fond de vrai. Disons que faut voir. Appelle-moi Wauquiez…» Source :© Le Figaro Premium – «Eux présidents», les scénarios de 2017 : la Grande Ouverture (et ce qu’il en advint) (épisode 2/2)