Lost weekend

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Lost weekend
LOST WEEK-END.
#Whitechapel, Londres… Son voyage commençait bien, très bien même, le temps était
magnifique, et il avait réussi à s’échapper du groupe d’employés de son usine dont la
direction leur offrait un weekend touristique à Londres. Jean occupait le poste de chef
comptable, le reste du groupe était surtout composé de femmes qui étaient sous ses ordres,
ne l’aimaient pas trop, ou en tout cas, le craignaient. Elles parlaient toutes, ensemble, trop
fort, riaient sans savoir pourquoi, beaucoup fumaient. Cela le gênait aussi avait-il prétexté
avoir déjà visité la tour de Londres pour abandonner le groupe. Il flânait donc tout seul dans
les rues désertes d’un dimanche londonien, toutes boutiques fermées. Peu de voitures
circulaient, peu de promeneurs auprès desquels il ne pouvait même pas se renseigner, ne
parlant pas l’anglais ou si peu! Errant au hasard sans but véritable, rencontrant des rues dont
le nom ne lui disait rien. Il aurait bien voulu trouver le fleuve, qui l’aurait aidé à se repérer.
Mais bien sûr, plus il marchait, plus il s’égarait. Bref il s’était perdu. Petit à petit l’aspect des
maisons se faisait plus triste, plus négligé, bientôt les trottoirs étaient plus sales, répugnants
même. Une escapade qui au départ lui avait plu, commençait à l’inquiéter. Dans une rue
étroite et triste, trois hommes discutaient. Il s’approcha, espérant pouvoir se faire indiquer
le bon chemin, mais à mesure qu’il approchait, la discussion s’animait, devenait querelle, et
alors qu’il n’était plus qu’à quelques mètres, le plus grand des trois hommes sortit un
couteau et poignarda le plus jeune. Une voiture stationnée un peu plus loin, démarra
aussitôt, s’approcha du trio et les deux hommes y montèrent. Elle s’éloigna rapidement,
comme s’ils avaient un record à battre. Et sans s’occuper de leur victime.
Jean accourut rapidement vers le blessé qui titubait, le retenant comme il pouvait et l’aida à
s’asseoir sur le bord du trottoir. L’homme qui était jeune, très jeune, vingt ans et quelque,
pas plus, se mit à pleurer, à articuler rapidement des mots incompréhensibles pour Jean, qui,
désemparé ne savait pas quoi faire. Pendant que le jeune homme perdait son sang en
abondance il ne sut que crier le plus fort possible et plusieurs fois: Help! Help! Help!
Pendant ce temps, les meurtriers, s’étant rendu compte du danger à laisser un témoin
derrière eux avaient fait le tour du pâté de maisons et revenaient à hauteur de Jean. Ils
l’obligèrent à monter dans la voiture, malgré ses protestations, entre les deux hommes sur la
banquette arrière. Il eut beau dire: « I am French, I am French, I don’t understand. » Il ne
reçu pour toute réponse qu’un coup de matraque derrière la tête. Fin du film! Le noir.
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Le réveil fut douloureux, sa tête lui faisait mal. Aucun souvenir, dans l’immédiat. Depuis
combien de temps était-il là, dans ce qui devait être une cave, une main menottée accrochée
à un tuyau de fer? Dans le haut d’un mur un soupirail laissait passer le jour. Était-ce encore
le jour ou était-ce déjà le jour? Il pensait que c’était déjà le lendemain car le ciel était trop
lumineux. A moins qu’il ne soit resté évanoui que quelques minutes. Il en doutait. Donc cela
voudrait dire que ses compagnons de voyage étaient déjà rentrés à Paris sans lui,
abandonné, désespéré. Sans doute, auraient-ils averti la police, qui supposerait, une
escapade, une beuverie, une histoire de femmes…Pas de quoi motiver les policiers, pas avec
acharnement. Tout au moins au début, peut-être, comme il était Français, feraient-ils un
effort pour montrer leur efficacité, à égard à notre P.J. Rivalité des polices ! Autre sujet de
réflexion, le jeune homme avait-t-il survécu et avait-t-il pu parler? Donner des indications
utiles pour l’enquête, décrire ses agresseurs ? Mais comment saurait-il où il avait été conduit
? Il y avait beaucoup de bruit dehors, d’animation : c’était sûrement lundi!
Le temps passait vraiment lentement, que pourrait-il faire? Rien de bien utile. Pour un
voyage qui avait bien commencé, ça s’était détérioré, on dirait. Il commençait à faire chaud
dans la cave, on devait approcher de la mi-journée. Allaient-ils le laisser mourir là, sans rien
faire? Il ne portait jamais de montre, il le regrettait en ce moment, mais qu’est-ce que cela
aurait changé? Du bruit dans la maison, on marchait au-dessus de lui. Puis, il entendit des
pas dans l’escalier, quelques instants encore, la porte s’ouvrit. Une femme plus très jeune,
mais encore très belle, d’environ son âge, aux traits réguliers, cheveux clairs, aux yeux très
foncés, presque noirs, souriante, pas maquillée, mais soignée, entra dans la cave.
-« Bonjour, dit-elle, en souriant, comment allez-vous. Dehors il fait beau et chaud! » Elle
parlait français avec un accent du midi, niçoise sans doute: « Salade, pâté en croûte,
fromage, une pomme, du rosé, Tavel. Que du froid! Je n’ai rien pour faire réchauffer. »
-« Ne vous en faites pas, je suis déjà très content d’avoir à manger, surtout servi par une jolie
fille, seulement, d’une seule main, ce ne sera pas facile. Evidemment vous ne pouvez pas me
procurer une table et une chaise, deux si vous voulez venir me faire la conversation? Ha! A
propos, pouvez-vous me retirer cette chaîne, ou la rallonger ? Les toilettes S.V.P.?
-« Très jolie tirade ! Cessez de me jouer la partition de l’imbécile séducteur franchouillard.
J’ai déjà donné dans ces conneries. Pour la table et les chaises, il y en a dans la pièce à coté.
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Je vous autorise à aller les chercher. Par contre, je ne peux vous détacher, je veux bien vous
donner la becquée, j’ai eu des oiseaux beaucoup plus difficiles à satisfaire. Que
décidez-vous? J’ai une arme, alors pas de bêtises, je vous détache du tuyau, vous vous
attachez les mains ensembles et vous déménagez les meubles dont vous avez besoin. Et
pendant que vous êtes libre, et si vous avez des besoins à satisfaire, les toilettes, profitez-en
c’est cette porte parce que, après je vous rattache jusqu’à ce soir Qu’avez-vous fait pour être
ici? »
-« Moi! Rien! C’est eux qui ont fait quelque chose. A ce propos, savez-vous si le jeune
homme a survécu? Il avait perdu beaucoup de sang, et j’ai bien peur pour lui. »
-« De quoi parlez-vous? Les hommes, je les connais bien, tous des menteurs, les Français
surtout, mais tous les hommes de toute façon. De quel jeune homme blessé parlez-vous? »
-« Regardez dans les journaux, vous verrez: un homme jeune a été poignardé d’un coup de
couteau dans le ventre. J’étais témoin du meurtre et mes ravisseurs doivent penser que
j’étais avec lui, ou que témoin, j’ai pu observer quelques détails qui pourraient leur nuire. Et
c’est pourquoi, je pense qu’ils m’ont capturé et séquestré, et qu’ils vous ont chargée de me
surveiller. Je me demande ce qu’ils veulent faire de moi, mais s’ils sont intelligents, ils
doivent me supprimer. Alors pourquoi ils ne l’ont pas encore fait? Est-ce à cause de vous?
Peut-être font-il partie d’une organisation et ne croient pas pouvoir prendre une initiative et
doivent attendre des ordres? Vous ne semblez pas en faire partie, je crois que vous ne
cautionneriez pas un meurtre prémédité. Et maintenant, qu’imbécilement, ils vous inclus
dans ma séquestration, ils n’ont qu’une seule alternative: me supprimer! Moi d’abord, mais
vous ensuite! Surtout, vous Française et moi Français! Il faut donc qu’ils nous suppriment, et
tous les deux, sinon ils n’ont aucune chance. Nous n’avons donc qu’une seule solution, vous
venez dans mon camp, vous me détachez et on file en France. On a tous les deux des
passeports français. Qu’en dites-vous? Réfléchissez, c’est notre seule chance. »
-« Vous êtes très optimiste, je trouve, je ne vais pas trahir mes patrons, sur vos simples
affirmations. Il faudrait que je vous croie. Tout cela me semble étrange et incroyable.
Je connais bien mes patrons et je ne les crois pas capables de ça. »
-« Alors pourquoi ai-je été enlevé et enfermé ici à votre avis? Hein? »
-« N’essayez pas de me faire croire à votre histoire invraisemblable de jeune homme
agressé par mes amis. Il n’y a rien à ce sujet dans les journaux. »
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-« Très bien. S’il n’y a rien dans le journal, c’est sans doute que la blessure n’est pas si grave,
tant mieux, et que cela ne justifie pas un article dans la presse. Mais alors dites-moi
comment on vous a expliqué mon emprisonnement et demandé de vous occuper de moi, de
me nourrir et de me surveiller? Avec un revolver? Vous n’avez pas même l’air de savoir vous
en servir, comment possédez-vous cette arme, qui vous l‘a donnée? -« Ne vous inquiétez pas
de ça. Ils m’ont dit que vous aviez joué au poker avec eux et perdu une très grosse somme,
que vous aviez de l’argent en France, que l’on devait vous l’apporter, et qu’ils vous
relâcheraient après. Je reviendrai ce soir. »
Jean entendit le bruit des pas qui s’éloignaient, puis celui de la porte qui se refermait. Il se
sentit bien seul, et s’en voulait de n’avoir pas su convaincre la jeune femme. Il ne voyait pas
le moyen de se sortir de ce piège. L’aide ne pouvait pas venir de France. Pas de la police en
tout cas car elle ne pouvait agir ici n’étant pas sur son territoire. Si cela devait se faire, cela
prendrait beaucoup de temps car elle n’aurait pas plus de pistes à suivre que la police
britannique. Elle ne pouvait pas venir d’Angleterre, qui devait ignorer sa disparition, ou tout
au moins ne le saurait pas avant quelques jours. Il ruminait ses pensées, moroses, tout
l’après-midi, qui lui parut fort long, et il faisait déjà presque nuit quand la femme revint.
-« Je vous ai apporté des sandwichs, des cigarettes, et une autre bouteille de vin. »
-« Je vous remercie, je ne fume pas. Mais j’apprécie l’attention. J’aurais aimé de bonnes
nouvelles supposant ma libération. Que devez vous me faire, et quand ? »
-« Moi je n’ai rien d’autre à faire que vous nourrir. Mon chef, Henri, le cuisinier du
restaurant, français, lui aussi, passera ce soir, vous verrez avec lui. S’il vous croit, je vous
croirai. Cependant il m’a dit que vous leur devez une grosse somme, que vous avez perdue
au jeu et qu’ils ne vous libéreront que lorsqu’ils l’auront reçue.
-« Que font vos patrons? Quels sont vos liens avec eux? Y a t-il longtemps que vous les
connaissez? Pourquoi dites-vous qu‘ils sont gentils si vous n’êtes employée que depuis
peu?»
-« Ce sont deux Anglais qui ont un restaurant français, mais seul le chef et moi le sommes. »
-« Cette histoire de dette de jeu ne tient pas debout, je ne joue jamais et n’ai pas d’argent.
C’est ridicule, je ne suis pas en affaires avec eux, je ne les connais pas. Je suis comptable à
Paris, je passe seulement un week-end à Londres, en touriste, je ne parle même pas anglais!
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Je suis arrivé seulement samedi matin, et je devais repartir hier soir. D’ailleurs la police
française doit être avertie, car je suppose que mes collègues se sont inquiétées. Dans ma
veste, il y a mon portefeuille, mon billet de train, s’il y est toujours. Vous pouvez vérifier que
je suis là depuis hier, et que je devais repartir hier soir. Cela prouvera que je suis un touriste.
Que je n’ai pas eu le temps de me ruiner au jeu, en une soirée.
-« Je ne comprends pas, je ne crois pas que mon chef soit impliqué dans une histoire de ce
genre, il est bien trop gentil. Ou alors nos patrons, eux, ne le sont pas, et l’obligent d’une
manière ou d’une autre à effectuer des actions contre son gré, lesquelles? Mais je vais lui
poser discrètement la question et éclaircir cette histoire, qui m’étonne et commence à
m’inquiéter. Je sais où est votre veste, si je peux trouver et vérifier votre billet de train. »
Ce ne fut que deux heures plus tard, que le chef de cuisine, accompagné de la jeune femme
entra dans la pièce. Il avait le portefeuille à la main, l’ouvrit et en sortit le billet pour Paris.
-« Je m’appelle Olivier, et Aline est la caissière du resto. Je trouve vraiment cette histoire
très curieuse, voulez-vous me la répéter dans l’ordre et depuis le début? D’abord avez-vous
bien vu la voiture, pourriez-vous la reconnaître, dire son numéro? Décrivez-moi la victime. »
-« La voiture est un grosse Mercedes gris métallisée, c’est tout. Quant au jeune homme je
n’ai pas trop fait attention. Préoccupé par sa blessure, je ne pouvais rien faire, ne pouvant
m’exprimer dans sa langue je n’ai pas pu l‘interroger. Il semblait avoir vingt ans, vêtu d’un
polo douteux, d’un blouson de cuir, fatigué lui aussi, je ne me souviens de rien quant aux
pantalons, ni aux chaussures. Je n’ai rien remarqué, ni pour ses yeux ni pour ses cheveux. »
-« Tout cela est assez plausible, les patrons possèdent réellement une Mercedes grise et le
signalement bien qu’incomplet correspond à un garçon de vingt deux ans qui fait des
courses et des achats pour eux. Votre ticket de retour en Eurostar donne un ensemble
cohérent qui nous incite à croire votre exposé des faits mais aussi nous étonne et nous
inquiète. Mais de cela il faut en déduire que vous êtes réellement menacé, et si nous vous
libérons, c’est d’abord Aline qui sera en danger puis moi aussi par la suite... Pourtant on ne
peut pas vous abandonner, ce serait vous sacrifier. Avertir Scotland Yard leur laisserait trop
de temps pour exécuter leur seul projet intelligent, mais encore! Ils ont consulté aussi vos
papiers, donc vous ne pouvez pas rentrer chez vous et vous devez demander à votre famille
de se protéger. On ne sait rien sur eux. Font-ils partie d’une puissante organisation capable
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de vous poursuivre n’importe où, ou bien sont-ils de simples malfaiteurs, indépendants qui
présenteraient un risque presque nul? Ou peut- être aussi sont-ils innocents, mais par
prudence, on doit envisager le pire, c’est-à-dire le risque maximum. Premièrement, quitter
l’Angleterre. Avez-vous beaucoup d’argent? Non évidemment, vous êtes venu pour un
week-end. Aline, en as-tu beaucoup en caisse ? La recette du restaurant de samedi,
dimanche et celle d’aujourd’hui, ça doit faire assez pour le moment. Je propose de brouiller
les pistes en passant par l’Irlande. J’ai des amis sûrs à Cork qui devraient pouvoir nous
héberger quelques jours, le temps de faire venir de l’argent de France. De là nous pourrons
prendre un avion pour l’Espagne ou l’Italie, afin de détourner les soupçons et regagner la
France. Mais après?… »
-« Ma femme est décédée l’année dernière donc, elle ne risque plus rien…Sa sœur et son
mari possèdent une petite maison, un mas, dans les hauteurs des collines, au dessus de
Grasse. Ils ne l’habitent pas, ils vivent à Belém au Brésil et ne risquent donc rien non plus.
D’ailleurs, ils ne doivent pas rentrer avant les prochaines vacances. Ils m’ont offert de
l’utiliser et de l’entretenir durant leur absence.Le lieu est agréable, les gens du pays me
connaissent et ne s’étonneront pas de ma présence. On pourra se cacher discrètement le
temps nécessaire à un retour au calme. Si cela vous convient, il ne nous reste qu’à mettre ce
plan en pratique. Si vous êtes d’accord, on peut faire ça maintenant. »
-« Oui…O.K. C’est parti. » Henri et Aline repartirent. Ils revinrent une heure plus tard avec
leurs bagages, délivrèrent Jean, prirent la route vers l’Irlande avec la voiture de Henri
évitant la fuite directe vers la France, trop évidente, prirent le ferry Swansea-Cork, puis
l’avion pour Milan et regagnèrent Grasse en voiture, sans encombre. Tout se passa bien
merci!
Ils s’installèrent dans le petit village. Henri trouva une place à Nice dans un grand restaurant.
Un jour il lut dans le « Times » qu’un réseau de trafiquants de drogue et d’assassins
londoniens avait été démantelé, après l’agression mortelle d’un homme, un dimanche à
Whitechapel. Il s’empressa de communiquer la nouvelle aux amoureux. Tous se réjouirent
de voir toute menace disparaître . Ils promirent de se revoir bientôt.
-Tu m’as sauvé la vie! Mieux tu m’a donné une raison de vivre dit Jean à Aline en
l’embrassant. Voyage bien commencé, bien terminé, mais entre temps: plutôt douteux…