Quoi de neuf du côté de la technique

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Quoi de neuf du côté de la technique
Quoi de neuf du côté de la technique ?
Benoît DENTAN, directeur commercial d’Aerial Camera Systems
Jean-Pierre JEUNET, réalisateur, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain
Olivier GEORGES, Castor Equipement
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département du département image de la CST
Jean-Pierre SAUVAIRE, directeur de la photographie, Vidocq
Antoine SIMKINE, Président Directeur Général de Duboi
Georges VIEILLEDENT, PDG d’Arkamys
La table ronde est animée par Pierre-William Glenn, directeur de la photographie,
réalisateur-producteur, membre de L’ARP.
Pierre-William GLENN
Avant tout, je voudrais signaler que je ne suis pas un terroriste de la technique. Les idées de la subjectivité de
tous les créateurs du monde sont les miennes. Il ne s’agit pas de rendre un jugement objectif sur ces techniques.
On peut en effet quantifier un signal, mais il n’existe pas de sensibilité affective sur une courbe sensitométrique.
C’est au réalisateur de développer les possibilités techniques qui lui sont offertes selon son souhait. On peut en
outre se servir des caméras numériques pour tous les procédés qui seront présentés aujourd’hui. Cette table ronde
présente un florilège du savoir-faire français dans le domaine technique. Dans un premier temps, nous aurons les
présentations de deux inventions : la grue Big Bird, par Olivier Georges de la société Castor Equipment, et le
procédé sonore Arkamys, par Georges Vieilledent. Deux chefs-opérateurs pourront ensuite témoigner. Jean-Noël
Ferragut a travaillé sur le comparatif 24p/35 mm, et Jean-Pierre Sauvaire a été chef-opérateur pour le film
Vidocq. Ensuite, Jean-Pierre Jeunet nous parlera de son expérience sur l’étalonnage numérique. Il est un des
réalisateurs qui manient beaucoup la technique. Antoine Simkine évoquera l’activité de son laboratoire,
Duboi Color. Enfin, Benoît Dentan et Fred North nous présenteront leur système de plans aériens : le Stab C, qui
correspond à une évolution du Wescam.
Georges VIEILLEDENT
Le son est souvent considéré comme le parent pauvre du cinéma, alors qu’il joue un rôle essentiel, comme tous
les maillons de la chaîne cinématographique, car il est difficile de transmettre des “ parfums de vérité ” si
l’ensemble des maillons qui composent le cinéma ne font pas corps avec l’image. Par exemple, on peut montrer
un monstre, mais si, au moment de l’action ultime, ce monstre fait “ miaouw ”, il en ressortira un effet comique.
Au contraire, un papillon sur un fond sonore de terreur aura un effet effrayant. Le son joue un rôle essentiel dans
le film, même si on le néglige souvent pour des raisons de budget parce qu’il arrive en bout de chaîne.
L’amélioration dans le domaine du son passera très certainement par des algorithmes de développement
qualitatifs plus que quantitatifs. Autrement dit, ce n’est pas en multipliant le nombre d’enceintes que l’on
apportera une qualité d’émotion encore plus forte. C’est plus dans une approche qualitative, dans la définition
même du son, que nous pourrons participer à embellir une œuvre. Arkamys intervient dans ce contexte qualitatif.
Son innovation se fonde sur un procédé psycho-acoustique, qui permet d’obliger le cerveau à interpréter le signal
de façon différente. Cette modification est suffisamment subtile pour que l’auditeur soit sensibilisé et ressente
plus d’émotion.
Nous avons débuté notre activité il y a quelques mois dans le multimédia, mais le cinéma constitue le joyau de
notre métier. Même s’il est toujours difficile de traduire ce qu’est une sensation, on peut caractériser le procédé
Arkamys par un certain nombre de critères.
•
la création de plans sonores différents
Arkamys permet de décomposer les plans sonores de façon à créer la sensation d’une
profondeur de champ. Il donne du relief au son de l’œuvre.
•
une présence accrue au signal
Le son peut être considéré comme un volume, une sphère, dans lequel l’auditeur est
plongé, au même titre qu’il est plongé dans l’action.
•
une meilleure intelligibilité
Grâce à Arkamys, l’auditeur a la capacité de filtrer un moment sonore particulier au
milieu d’un brouhaha. Ce souci du détail permet de mettre en valeur de petits éléments,
qui seraient sans cela noyés dans la masse sonore.
•
une sensation d’enveloppement
L’auditeur est enveloppé dans la sphère sonore, quelles que soient les enceintes. En effet,
nous arrivons à élargir considérablement le sweet point, point où la perception du son est
la meilleure. Arkamys permet également de créer de meilleures fuites de l’événement
sonore. Cela est très peu perceptible dans le public, mais sans lui, il serait difficile de
transmettre une émotion sonore.
Arkamys n’est pas un nouveau standard de diffusion. Chacun connaît les systèmes dolby et DTS installés dans
les équipements des salles. A l’opposé de ces systèmes, nous n’effectuons pas de répartition des sources sonores.
Nous traitons le signal de manière à ce qu’il fournisse une meilleure appréciation dans le réalisme sonore des
œuvres. Nous ne sommes pas non plus une nouvelle gamme d’équipement. Notre procédé ne nécessite aucun
décodeur. Il est transparent pour le technicien ou le réalisateur.
En revanche, Arkamys est un outil au service des créateurs. Il ne change pas la méthode de travail des
réalisateurs, qui peuvent simplement l’intégrer dans leur signature sonore. Pour la musique et les compositeurs,
notre procédé permet d’aller plus loin dans les bandes originales et l’accompagnement du dialogue. Pour
l’exploitant enfin, il apporte un élargissement du sweet point sans nécessiter pour autant un nouvel équipement.
Une démonstration de cette technique est réalisée à partir de deux films :
•
La Planète des Singes, de Tim Burton, pour lequel le signal sonore a été élargi ;
•
Il était une fois en Chine, pour lequel des champs sonores ont été recréés à partir d’un
signal monophonique.
Jean-Pierre JEUNET, réalisateur, Président des 11èmes Rencontres
A l’occasion de la sortie en DVD du Bunker de la dernière Rafale, qui est un ancien court-métrage réalisé en
1980, nous avons confié à Arkamys la tâche d’enrichir le son mono. Le résultat est fantastique.
Georges VIEILLEDENT
Effectivement, nous avons recréé des plans sonores a posteriori. Mais le découpage des plans sonores peut aussi
être utile dès le moment de la création.
Richard DEMBO, réalisateur, membre de L’ARP
Avec Arkamys, on sort de l’agression de la masse sonore, que j’abhorre plus que tout, et qui possède l’auditeur
vulgairement. Je travaille justement dans mes films à retirer les sons qui ne servent à rien. Cela dit, je note un
effet pervers à ce système. La violence de l’effet des drapeaux contenus dans l’extrait paraît plus nette que
lorsqu’il est réellement net, sans retraitement.
Georges VIEILLEDENT
L’ouverture de l’espace permet de ne pas agresser le spectateur. Sur la précision du détail, ensuite, le travail avec
le réalisateur est très important pour déterminer la nouvelle écriture sonore. Le petit détail insignifiant a priori
devient un élément de création artistique au même titre que l’image.
Pierre-William GLENN
Abordons à présent le domaine de la machinerie. La grue artisanale Big Bird a été inventée par Olivier George et
son père, dans la filiation des améliorations créées par la France comme l’outillage du Steadycam sur du matériel
lourd dans les années 1970.
Une nouvelle démonstration est réalisée. Il s’agit de la grue artisanale Big Bird, par la
société Castor Equipement.
Olivier GEORGES
Les extraits que vous venez d’apercevoir sont le fruit de deux ans de tournage. La grue que nous avons inventée
est de très grand format.
Le concurrent direct est la grue Akela, dont il n’existe que quatre exemplaires au monde. J’agis pour ma part sur
le marché européen. La grande nouveauté apportée par ma grue consiste dans la possibilité de se déplacer sur des
rails. Cela permet au réalisateur d’adjoindre l’emploi de la grue à un travelling. La portée de la grue est de 18
mètres, ce qui permet de l’utiliser dans des contraintes particulières : problèmes de contraintes sur un sol vierge
tel que le sable ou la neige, hauteur d’herbes contraignant le Steadycam, contournement des étendues d’eau. On
peut suivre le sujet sur 50 mètres. La hauteur de la grue permet de monter jusqu’à 15 mètres de hauteur, ce qui
représente un quatrième étage de bâtiment. En outre, la grue peut descendre à 11 mètres, si l’on est au bord d’une
falaise.
Si l’on veut comparer la Birg Bird à l’Akela on peut noter que la première a deux mètres de moins de portée, est
plus mobile, du fait de ses rails de travelling, et nécessite un temps de montage deux fois plus rapide. Pour parler
du prix, une prestation globale coûte 50 000 francs. Elle comprend le technicien, le camion, la tête. Le bras en
lui-même ne se loue que 9 000 francs par jour. On peut placer sur ce bras une tête 2D, 3D, 3 axes, selon les
plans. Il faut préciser qu’au-delà d’une hauteur de 10 mètres, du fait d’un effet d’optique, le spectateur n’a plus
l’impression que la grue monte tant que cela. C’est la raison pour laquelle j’ai eu l’idée d’utiliser un rail de
travelling, qui augmente la possibilité de la grue. C’est plus dans la mobilité de la grue que dans sa taille que se
joue son avenir. En effet, la grue est beaucoup plus maniable, facile et rapide à déplacer et à monter.
Dans la phase actuelle de finalisation, je travaille sur un système d’automatisation des travellings, de manière à
accroître leur précision à une dizaine de centimètres près. Actuellement en effet, les mouvements de caméras
sont difficiles à ajuster, au point de rendre certaines manipulations dangereuses pour l’acteur ! Si l’on veut que la
caméra arrive rapidement près d’un comédien après 3 mètres de mouvement, je préconise un mouvement inverse
(départ à 10 centimètres du comédien et arrivée loin de lui), qui sera inversé lors du montage. Mais mon système
doit permettre de sécuriser la manipulation dans le sens normal. En outre, je suis prêt à adapter mon outil sur
mesure, selon les souhaits de chaque réalisateur.
J’ajoute qu’il est un peu dommage que tout le monde appelle les grues des louma. La louma est une marque et
non un terme générique…
La salle applaudit.
Pierre-William GLENN
C’est Steven Spielberg qui a popularisé la louma. A l’époque, tout le monde parlait de grue américaine.
Un intervenant dans la salle
On a l’impression que le bras vibre un peu.
Olivier GEORGES
Je résoudrai les problèmes de stabilisation en disposant une nouvelle tête gyro-stabilisée.
Un intervenant dans la salle
Qu’en est-il du poids et de la précision du chariot ? Les mouvements plan général-gros plan ont l’air plus
difficiles à réaliser que les mouvements inverses.
Olivier GEORGES
Les mouvements ne sont pas moins précis que dans le cas des autres grues du même poids. Je n’ai pas encore
effectué de test précis sur les marges de manœuvre d’arrêt en fonction de la vitesse, mais je dispose de ces
données pour le bras.
Pierre-William GLENN
Jean-Noël Ferragut commente à présent le parallèle réalisé par la société CST entre le 35 mm et la vidéo HD.
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
Vous disposez de la primeur de ces images.
Quatre films tournés par le biais de techniques différentes sont projetés : le 35 mm en
interpositif et internégatif, la vidéo HD avec un imageur A, la vidéo HD avec un imageur B.
Une vingtaine de plans ont été sélectionnés : plan fixe, plan large, en mouvement, en
stromboscopie, en travelling, de nuit, panoramique, avec une grande roue, une avancée et un
changement de point, en intérieur et extérieur.
Observez les nuances de blanc, puis les trois formes différentes de trames, la couleur rouge, la profondeur de
champ, le contraste général. Avec la pellicule en 35 mm, la lumière sur la pierre laisse apparaître de nombreux
détails.
Avec le 35 mm en internégatif, on gagne un peu de contraste.
Pierre-William GLENN
La différence entre un interpositif et un internégatif n’est pas toujours évidente. Le contraste dans les noirs est
plus net pour le second. La saturation de couleur est très différente entre l’un et l’autre. Les laboratoires
travaillent sur ces nuances qui sont essentielles dans le rendu des images.
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
Le rouge est à peu près le même entre l’internégatif et l’interpositif. En outre, il est important de noter que le
35 mm a été étalonné traditionnellement.
Les images présentées en vidéo numérique ont été montées et étalonnées numériquement. Elles ont ensuite subi
un retour sur film par passage dans un imageur. Les conditions d’éclairages sont identiques entre les deux films
(retraités chacun par le biais d’un imageur différent), même si seul le plan du Jardin des Tuileries a été tourné en
simultané par les deux caméras.
24p/Imageur A
Sur le plan de la Grande Roue, nous avons été obligés de fermer un peu le diaphragme pour que le blanc ne
tranche pas trop. En vidéo, les hautes lumières sont toujours moins définies en information. C’est là le défaut de
cette technique.
Quand on tourne en HD, le format du capteur est plus petit. On utilise donc des longueurs focales plus courtes.
Les détails dans les lumières basses sont plus importants en numérique qu’en argentique. En outre, pour certains
plans, on perd en qualité de contraste. L’image paraît plus enveloppée. En effet, la couleur rouge apparaît de
manière moins saturée, plus éteinte. En outre, les détails de blanc ont disparu. L’inconvénient de la vidéo
consiste dans une perte d’informations dans les blancs dans des conditions très lumineuses.
Pour information, la pellicule est tirée sur de la Vision.
24p/Imageur B
L’imageur est l’appareil qui sert à transposer l’image numérique sur la pellicule. Qui dit imageur différent dit
méthode de travail différente d’une maison à l’autre. Comme vous pouvez le constater, dans le cas de
l’imageur B, l’étalonnage est légèrement plus clair.
Deux technologies d’imageurs existent. D’une part, on trouve la technologie au laser, qui fonctionne comme une
imprimante dont le support serait une pellicule. D’autre part, on trouve la technologie ACRT, qui emprunte une
caméra très haute définition placée devant un très petit écran, sur lequel on réalise trois prises de vue avec les
filtres rouges, verts, et bleus. Dans les deux cas présentés ici, on a eu recours à un imageur-laser.
Un intervenant dans la salle
Le traitement en internégatif est-il possible dans le cas de la vidéo ?
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
Tout à fait. Les deux solutions sont possibles. Chacune présente des avantages et des inconvénients. Dans les
cas présentés, il s’agit d’une pellicule en interpositif. L’avantage de cette solution réside dans le gain d’une
génération dans la copie argentique. La dégradation de l’image est donc réduite.
Un intervenant dans la salle
Dans des films comme Vidocq, le traitement interpositif/internégatif a-t-il été effectué ?
Jean-Pierre SAUVAIRE
Dans le cas de Vidocq, nous avons suivi la méthode traditionnelle. Les images en petite série ont été tirées à
partir d’interpo/interneg.
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
La question est aussi celle du coût. Le schéma traditionnel nécessite moins de copies. Il est donc moins onéreux.
Un intervenant dans la salle
Le temps de mise en place était-il comparable ?
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
Oui, nous n’avons effectué qu’une seule mise en place pour l’éclairage. En outre, la même mise en place a servi
pour les deux prises. Nous avons également pris le parti de ne pas tronçonner, une fois le transfert numérique
effectué sur la pellicule. Mais on peut effectuer un second étalonnage argentique si on le désire.
Il est intéressant de constater que, d’un tirage à l’autre, certains plans sont plus agréables et d’autres moins. Tout
dépend du sujet.
Pierre-William GLENN
Il appartient bien sûr au réalisateur d’arbitrer entre les avantages et les inconvénients économiques et techniques
de chaque procédé.
Nicolas GESSNER, réalisateur, membre de L’ARP
Personnellement, j’ai perçu une plus grande différence entre l’imageur A et l’imageur B de la vidéo qu’entre la
vidéo et l’argentique. Il m’a semblé que l’imageur A était plus sombre et que l’imageur B se rapprochait plus du
35 mm.
Pierre-William GLENN
Le deuxième imageur présente en effet plus de contraste que le premier. Les deux machines utilisées étant
identiques, on peut en déduire que le savoir-faire du laboratoire reste fondamental. Cela dit, la différence entre le
35 mm et la haute définition persiste. Nous effectuons des comparatifs sur ce sujet depuis des années. Nous
pouvons donc vous présenter ces différences sans aucun problème. Vous pourrez effectuer votre choix en
fonction de votre goût. Notre mission consiste à enrichir votre regard. Cela dit, certains regards pauvres restent
très intéressants. Le 5 novembre, Kodak organise une conférence sur ce sujet.
Vous aurez le loisir d’y poursuivre ce débat sur les différences entre le numérique et l’argentique.
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
La CST organisera par ailleurs une ou plusieurs soirées-débat à Paris sur ce sujet. Des invitations à ces soirées
seront adressées aux techniciens, producteurs et réalisateurs.
Pierre-William GLENN
Un ouvrage synthétisant cette question est paru sur le sujet, Télécinéma et Etalonnage. Il a été édité par le CST.
Les instruments numériques de télécinéma, malgré leur prix très élevé, sont adaptés au cinéma.
Un intervenant dans la salle
Pourquoi ne pas avoir effectué les mêmes essais en DV ?
Pierre-William GLENN
Nous voulions faire des images grand format. En outre, j’ai déjà eu l’occasion de réaliser avec Claude Lelouch, il
y a quelques années, les mêmes plans en vidéo, en super 8, en 16, en super 16, en 35 mm, en super 35 et en
70 mm.
Jean-Noël FERRAGUT, responsable du département de la CST
L’objectif d’un parallèle est de réaliser des tests sensiblement parallèles. La caméra HD a une qualité
sensiblement identique au 35 mm. Le DV est considérablement différent.
Un intervenant dans la salle
Je n’en suis pas persuadé, justement. Nous aurions été heureux de disposer d’un support de comparaison de la
DV avec les autres techniques.
Pierre-William GLENN
Le comparatif existe. Vous pouvez le consulter. Je suis d’accord pour dire que François Margolin ne peut en
aucun cas tourner l’Opium des Talibans avec une caméra 35 mm. Mais je ne fais pas de théorie sur cette
pratique. Les outils sont différents. Chacun y puise son intérêt et entretient un rapport esthétique différent avec
eux. Mais je reste ouvert au sujet des technologies.
Jean-Pierre Sauvaire peut à présent évoquer la différence de pratique entre le numérique et l’argentique, à partir
de son expérience avec Pitof, réalisateur du film Vidocq.
Jean-Pierre SAUVAIRE
Nous avons pris l’option de tourner avec une caméra HD. Cette décision a été commune entre la mise en scène et
l’image dans un but exploratoire. Le 1 er janvier 2000, date de début du projet, la technologie HD n’était encore
qu’à l’état de prototype. Nous avons donc passé beaucoup de temps en exploration de l’instrument et mise au
point. Je suis parti aux Etats-Unis chez Panavision pour chercher des optiques adaptées à ces caméras. J’ai donc
eu l’envie et la chance de mettre l’utilisation de cette technologie en pratique. Ce film a fait l’objet de partis pris
artistiques et de mise en scène assez poussés. Nous avons été suivi dans cette aventure par un grand nombre de
techniciens, collaborateurs et producteurs. A quelques jours du tournage, nous n’étions pas totalement sûrs du
bon fonctionnement de la caméra. Nous avons relevé ce défi avant George Lucas, qui a ensuite tourné un film
dans des conditions à peu près analogues aux nôtres.
Un intervenant dans la salle
Quels problèmes posent la DV par rapport au HD ? Deuxièmement, sur Vidocq, vous avez pris le parti de
travailler en très grand angle. Sur certains plans, on décèle la présence de grain, même dans les parties tournées
en HD, alors que ce n’est pas le cas normalement. Comment l’expliquez-vous ?
Jean-Pierre SAUVAIRE
Les plans tournés en DV répondent au souci de Pitof de dissocier le capteur de l’enregistreur, ce qui est
impossible aujourd’hui sur une caméra HD. A terme, ce le sera. Pour en revenir au DV, le metteur en scène avait
envie de fixer une “ paluche ” DV sur un coup de poing, de canne ou un plan d’œil. Mais ces plans restent
minoritaires et de très courte durée. Nous étions bien sûr conscients que leur qualité n’était pas comparable à
celle de la HD. La présence de grain est liée au format DV, qui est bien plus réduit que celui la nouvelle
définition, notamment sur les plans larges. Nous ne l’avons donc pas envisagé sur des plans plus longs.
Un intervenant dans la salle
Y a-t-il une différence entre la HD et le DV en matière d’éclairage ? En outre, de quels pièges peut-on parler
concernant le numérique ?
Jean-Pierre SAUVAIRE
On travaille de la même manière en HD qu’en argentique en matière d’éclairage. C’est surtout le contexte de
plateau qui change, dans la mesure où la référence n’est plus la réalité mais l’image que présente le moniteur.
L’œil de référence n’est plus celui de l’homme mais celui du moniteur. La HD était de très bonne qualité. On
éclairait donc le plateau traditionnellement et l’on vérifiait ensuite la cohérence des images. Si l’on ne sousexpose pas dans les noirs ou ne surexpose pas dans les blancs, la dynamique du numérique est comparable à la
sensitométrie d’une pellicule de 35 mm.
Pierre-William GLENN
La dynamique de la pellicule est un paramètre important. Les écarts que peuvent enregistrer un film numérique
et une pellicule de 35 mm sont de l’ordre de 1 à 15. Pour obtenir le même rendu avec le numérique qu’en
35 mm, il faut éclairer davantage.
Jean-Pierre SAUVAIRE
Le piège, si l’on peut parler en ces termes, consiste à ne pas vérifier en permanence le résultat de l’image filmée
sur le moniteur.
Un intervenant dans la salle
Avez-vous rencontré des problèmes de maniabilité des caméras ?
Jean-Pierre SAUVAIRE
La caméra est un peu étendue dans le sens de la longueur. Elle est relativement bruyante. Il faut donc prendre ses
précautions dans des scènes relativement intimistes… En ce qui concerne ce film, la caméra était la plupart du
temps montée sur le Steadycam. Sur les 1000 plans tournés, 850 ont été tournés au Steadycam. La visée est un
inconvénient du numérique. Quand on est un opérateur, on n’a aucun plaisir à regarder dans le viseur car l’image
en est affreuse et pleine d’aberration. Pour y remédier, on peut fixer un petit écran couleur sur la caméra ou
vérifier son image sur le Steadycam si la définition est en HD. Le viseur vidéo est néanmoins nécessaire en cas
de réalisation d’un reportage. Il faut bien regarder dans quelque chose.
Yves LOUCHEZ
Après les deux articles parus dans la revue de la CST comprenant l’interview de Jean -Pierre Sauvaire, la seule
remarque que nous ayons reçue émane de l’ingénieur du son, qui faisait remarquer qu’il avait vécu quelques
difficultés dans la prise du son en direct, du fait du bruit de la caméra et des problèmes de fréquence entre le
téléviseur et sa prise de son. Ce point a-t-il fait l’objet de discussions pendant le tournage ?
Jean-Pierre SAUVAIRE
Je n’ai pas le souvenir de problèmes de son particuliers. En tout cas, si nous en avons eus, nous les avons
contournés. Nous tenions simplement à l’écart du plateau le moniteur, le déphaseur et l’oscilloscope. En HD, on
est relié à la caméra par un câble. La gestion des câbles est assez problématique.
Jean-Pierre SAUVAIRE
Tout à fait, bien qu’au cours des essais, nous ayons constaté une dynamique particulière dans les basses
lumières. Les capacités de captation de la lumière dans les zones d’ombre en numérique sont fantastiques. Elles
sont d’ailleurs comparables aux caméras DV. On peut donc tourner dans n’importe quelles conditions. Peut-être
même un jour sera-t-il possible de filmer de nuit en HD.
Jean CAZES, Producteur, Président du Club des Producteurs Européens
Je n’ai toujours pas compris les avantages de cette caméra par rapport au 35 mm.
Jean-Pierre SAUVAIRE
Pitof a toujours été très versé dans les nouvelles technologies. Il a eu envie d’explorer celle-là. En outre, ce
projet comportait une part très importante de retraitement en post-production numérique. Des films de cette
nature permettent de faire avancer la technique.
Jean-Pierre JEUNET, réalisateur, Président des 11èmes Rencontres
Pour répondre à Jean, quand j’ouvre une caméra 35 mm, je suis considérablement ému. Je trouve le système
mécanique merveilleux. Mais j’éprouve la même émotion quand je vois une locomotive à vapeur. On sait que
ces caméras ne sont pas celles du futur.
Un intervenant dans la salle
Dans les films truqués, à partir du moment où l’on tourne en 24 p, on économise le poste de scannerisation.
Antoine SIMKINE
Je ne suis pas d’accord. Les trucages ne sont certainement pas une raison de choisir le tournage en numérique,
qui pose beaucoup de problèmes pour les réaliser. En outre, scanner un film ne coûte que 250 000 francs. Astérix
et Amélie n’ont pas été tournés en numérique, alors qu’ils comportent beaucoup de trucages.
Pierre-William GLENN
Nous pouvons passer à la démonstration d’ACS, qui ouvre des possibilités troublantes de mise en scène, à
travers des ballons dirigeables télécommandés, de petits hélicoptères se faufilant partout, et leur dernière
merveille technologique : le Stab C.
La démonstration filmée est projetée.
Benoît DENTAN
Ce montage présente un ensemble de prises de vue aériennes extraites de films connus. Tout le monde a entendu
parler de systèmes tels que le Tyler et la Wescam 35 mm. Le Tyler, qui est le système le plus ancien à travers le
monde, est une plate-forme anti-vibratoire giroassistée se fixant sur le côté de l’appareil. Il peut recevoir
n’importe quel type de caméra. La Wescam est un système girostabilisé. Les giroscopes tournent très vite,
comme des toupies. En en disposant trois sous la caméra, ils stabilisent l’image dans les trois axes. Les horizons
filmés sont parfaits. La Wescam nous permettait jusqu’à aujourd’hui de travailler du 25 mm au 250 mm. Les
prises de vue en hélicoptère sont réalisées en basse altitude sont effectuées par Frédéric North.
La Wescam et le Tyler existent depuis les années 1960. Le Stab C regroupe à la fois les qualités du Tyler et celles
de la Wescam. Les giroscopes sont remplacés par des giroscopes laser, beaucoup plus performants, qui
permettent d’agir avec plus de précision. D’abord, les zooms sont plus puissants, dans la mesure où l’on peut
atteindre aujourd’hui 300 mm. Ensuite, on peut réaliser des plans à la verticale pure. On peut utiliser tout format
de caméras, de la DV jusqu’à l’I-max. Ce système est relativement révolutionnaire. Troisièmement, le système
est très fiable, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas de la Wescam. Il est aussi moins coûteux.
Dans la prise de vue aérienne, les contraintes de certification de systèmes sont importantes. Ce système a été
homologué au bout de deux ans.
La tête peut être montée à la fois sur hélicoptère, travelling, grue, bateau et câble. Nous sommes également
spécialisés dans les effets spéciaux réels. Les hélicoptères peuvent être préparés pour chaque tournage.
La première utilisation de la Stab C en Europe a été effectuée pour Steven Spielberg, avec la production de la
Warner Brothers. Nous avons également réalisé le film pour Paris, Jeux Olympiques 2008. Malgré les vibrations
de l’hélicoptère ou du câble, le système est extrêmement stable.
La salle applaudit.
Frédéric est pilote professionnel.
Frédéric NORTH, Manager d’Aerial Camera System
On utilise souvent l’hélicoptère à la place de la voiture travelling dans des endroits où la voiture ne peut pas
rouler. L’hélicoptère vole à 50 centimètres du sol. Le Stab C a été créé par un artisan américain pour des grues.
Nous l’avons remarqué dans un salon et lui avons proposé de le placer sur un hélicoptère. Aujourd’hui, c’est en
France qu’on utilise le plus ce style de plans. Les Américains en sont très demandeurs. Il est plus facile d’évoluer
en hélicoptère dans de grands espaces naturels qu’en agglomération, pour laquelle nous utilisons plutôt le zoom.
Benoît DENTAN
Les plans effectués sur câble en intérieur et extérieur sont également extraordinaires. Aujourd’hui, le système de
prise de vue en hélicoptère se généralise, car les tarifs sont abordables. En outre, l’installation de nos systèmes
n’excède pas cinq heures.
Le plus petit système que nous ayons créé est une DV embarquée sur un ballon dirigeable, avec une tête deux
axes. Le ballon vole en intérieur. Il n’est pas girostabilisé. Pour un coût de 10 000 francs ou 12 000 francs par
jour, les prises de vue réalisées sont extraordinaires. Nous fournissons le moyen technique le plus adapté en
fonction du story-board.
La salle applaudit.
Pierre-William GLENN
Duboi Color réalise de l’étalonnage numérique à partir de la pellicule 35 millimètres.
Antoine SIMKINE
On parle souvent d’un tournage réalisé en DVD. Il s’agit d’un abus de langage. En réalité, on tourne en DV. Le
DVD est un Digital Versatile Disk.
Chez Duboi, nous avons créé nos propres systèmes de numérisation et de transfert. Nos clients nous donnent du
film et nous leur rendons du film. Nous avons décidé d’assumer depuis le début toute la chaîne de numérisation.
Nous sommes partis de rien.
En 1986, nous avons travaillé sur le film Mordburo, réalisé par Lionel Kopps. Lionel voulait obtenir du
technicolor numérique. En effet, le scénario se déroulait en automne. Mais le film a été tourné au printemps.
Nous avons numérisé le film sur un prototype de cinéma HD, étalonné en allant de laboratoire en laboratoire,
puis récupéré les images vidéo pour les transférer sur film. Nous disposions de très peu de matériel, la mémoire
ne pouvant stocker qu’une seconde à la fois. Le travail a duré six mois. Nous nous rendu compte que la vidéo
HD ne comportait pas assez de résolution verticale, surtout pour le cinémascope. Le codage de l’image en format
vidéo était très insuffisant pour obtenir la bonne dynamique en sortie. En outre, il n’y avait aucun autre moyen
que de voir cette image sur moniteur. Nous ne disposions donc d’aucune possibilité de contrôle sur la
colorimétrie du système.
Les techniques ont évolué et au mois d’août 2000 sont apparus un ensemble d’outils, qui nous ont permis de
créer le Duboi Color. Le Duboi Color est une combinaison de matériels, de logiciels et d’expérience. Le premier
outil de travail est un télécinéma de haute définition, le Philips Spirit Dataciné. Ses données numériques ont une
plus grande dynamique que les images HD, mais il peut aussi étalonner de la HD.
Une fois numérisées, les images sont entrées dans une espèce d’armoire, qui est un télécinéma virtuel. Les
images sont à présent stockées sur un disque dur. On peut donc voir le film tel qu’il sera. Un système de
colorisation permet de travailler les couleurs. On peut choisir jusqu’à six zones de couleur différentes en
parallèle.
Nous utilisons un projecteur numérique qui permet de juger le film dans des conditions à peu près semblables à
la projection de cinéma. Le retour sur film se fait sur des imageurs très rapides : les arrilasers. Les scanners sont
de plus en plus rapides.
Les avantages du système Duboi Color sont nombreux. On peut utiliser tant de l’internégatif que de
l’interpositif. On peut réaliser des plans d’une durée d’une image, améliorer la qualité du bouclage, faire de
l’étalonnage, réaliser des fondus-enchaînés de manière gratuite en temps réel, effectuer plusieurs versions de
doublage et de durée du film. Nous avons travaillé sur le film Amélie Poulain.
Jean-Pierre Jeunet commente ses images en expliquant qu’il a dû attendre très longtemps la
forme de nuage en lapin, recruter certains acteurs verts en Allemagne, façonner un Matthieu
Kassovitz en 3 D, etc…
Jean-Pierre JEUNET, réalisateur, Président des 11èmes Rencontres
Dans ce film, les montages sont au service de la poésie. C’est une approche un peu différente de celle que l’on
rencontre habituellement, qui consiste à montrer des monstres baveux…
La salle applaudit chaleureusement.
Finalement, c’est acquis : le montage s’effectue aujourd’hui en numérique. La technologie avance tellement
rapidement que bientôt, la haute technologie et les caméras en 35 mm seront confondues. Pour ce qui concerne la
projection, le numérique produit un effet extraordinaire.