Politique des temps dans la ville

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Politique des temps dans la ville
Politique des temps dans la ville
Mise en place
d’un « bureau des temps »
Justification d’une mise en place d’une politique
d’aménagement des temps
Dès la fin du XIXème siècle apparaissent des mutations dans l’organisation du temps. Ces mutations vont
affecter à la fois le temps de la journée et le temps de la vie. Elles ont modifié le rapport traditionnel du
citoyen avec le temps. Plusieurs phénomènes en sont la cause.
Allongement de la durée de vie et complexification de la société
Le premier phénomène à modifier le rapport traditionnel au temps réside dans l’allongement progressif et
continu de la durée de vie moyenne des individus. Ce mouvement s’accompagne d’une complexification de
la société et du travail qui nécessite un temps de formation des jeunes de plus en plus long : c’est l’apparition du temps scolaire.
Cet allongement de la durée de vie s’accompagne également du constat de l’inaptitude des plus anciens à
se maintenir dans le travail, notamment lorsque celui-ci fait appel à la force physique ou à une très grande
concentration. Apparaît ainsi, notamment à la faveur des luttes sociales issues du mouvement ouvrier, le
temps du repos après la vie active, le temps de la retraite.
Enfin, la rapidité de la complexification de la société et du travail tend à faire disparaître le caractère linéaire
des carrières professionnelles en introduisant de la précarité dans la vie active mais également une nécessaire formation continue et des temps de non travail pour un nombre significatifs d’actifs : le chômage ou
le sous-emploi.
Réduction du temps de travail et féminisation de la population active
La réduction du temps de travail dans les pays développés est une tendance de fond de long terme. Elle
s’explique autant par les conquêtes sociales que par la nécessité keynésienne qu’il y a à donner du temps
pour consommer.
Ainsi, le temps de travail ne représente aujourd’hui plus que 14 % du temps de vie éveillé. Cette proportion
a diminué de moitié depuis la fin du XIXème siècle. Sur un peu plus d’un siècle, on est passé d’un temps
de travail proche de 4.000 heures par an à environ 1.500 heures aujourd’hui.
En corolaire, le temps hors travail au cours de la vie est passé de 25.000 heures en 1800, à 45.000 en 1945
pour atteindre 170.000 heures en 2000.
Ce phénomène de diminution significative de la durée du travail s’est accompagné, dès la 1ère Guerre
Mondiale d’une féminisation progressive de la population active qui s’est accélérée au sortir de la Seconde
Guerre Mondiale. Ainsi, en France, alors qu’en 1962, moins de 42 % des femmes âgées de 25 à 49 ans
étaient actives, plus de 80 % d’entre-elles le sont aujourd’hui.
Même si cette situation constitue une avancée significative en termes de parité, tous les problèmes ne sont
pas résolus, loin s’en faut. L’égalité de salaire entre hommes et femmes reste encore un objectif à atteindre
et les femmes sont plus souvent touchées par la précarité et le chômage.
Car ce sont les femmes qui subissent le plus la rapidité des mutations du temps. Déjà actives, elles demeurent encore le pivot de la vie familiale. Elles ont donc beaucoup de difficultés à concilier vie familiale et
vie professionnelle, rôle parental et vie personnelle.
Individualisation des comportements, et mutation de la famille
L’individualisation croissante des comportements est très largement liée à la modification de l’organisation
du travail, notamment la proportion accrue d’horaires décalés. Cette tendance est également alimentée par
l’abondance de l’offre tant en matière de consommation courante, qu’en matière de biens ou services
culturels et plus largement de loisirs.
Cette tendance à l’individualisation des comportements engendre également une importante mutation des
structures familiales. Elle se traduit par un nombre croissant de séparations qui explique l’augmentation du
nombre de familles monoparentales et conduit, dans une certaine proportion, à des recompositions familiales. Cette évolution entraîne des conséquences sur la gestion du temps parental, en raison notamment
des gardes alternées.
Le temps est un espace à conquérir
Si l’espace physique a beaucoup retenu l’attention des politiques qui ont cherché à l’aménager, à le rendre
attractif ou à le préserver, le temps, en revanche, n’a pas fait l’objet de la même attention.
Pourtant le temps, pas plus que l’espace, n’est une donnée. C’est une construction humaine, sociale. Il est
à ce titre révélateur et facteur d’inégalités sociales.
Car si désormais, on l’a vu, les temps sont multiples : temps de travail, temps social, temps civique, temps
de transport, temps associatif, temps de culture, temps convivial, temps pour soi, …, les différences entre les
personnes dans l’usage du temps apparaissent très fortement liées à la catégorie sociale, au sexe, au lieu
de résidence.
Dans cette optique, le temps apparaît désormais comme un espace qui, au même titre que l’espace physique, doit être aménagé et faire l’objet de projets visant à plus d’égalité sociale et donc de cohésion.
Même si des exemples existent en Europe et en France, les territoires de l’espace temps restent encore
largement à conquérir. Ce temps doit donc être aménagé et faire l’objet de projets visant à plus d’égalité
sociale. Les villes ont ainsi beaucoup à faire en la matière.
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Histoire des politiques des temps
Une origine italienne et féministe
C’est en Italie en 1985, sous l’impulsion de mouvements de femmes que la question a été politiquement
posée au niveau national. Une loi a donné compétences au Maire d’organiser le dialogue entre tous les
acteurs des territoires concernés par l’organisation des horaires et rythmes de vie.
Plus de 90 villes italiennes ont un « bureau des temps » et font, avec l’aide d’urbanistes et de sociologues,
un « plan des temps » comme en France se font les plans de déplacements urbains.
L’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, les Pays-Bas se sont aussi largement impliqués dans les démarches
temporelles avec le soutien de programmes de la Commission européenne.
Rapport Hervé de juin 2001
En France, en mai 2000 fut organisé à Poitiers un colloque intitulé « Temps des femmes, temps de villes ». Lors
de ce colloque, organisé dans le cadre des réflexions conduites autour de la mise en œuvre de la réduction du temps de travail (RTT), Le Ministre de la Ville, Claude Bartolone, et la Secrétaire d’Etat aux droits des
femmes, Nicole Pery, confièrent à Edmond Hervé, Député - Maire de Rennes, le soin de rédiger un rapport
de mission sur le « Temps de Villes ».
En septembre 2000, lors de la conférence nationale « Les temps de la vie quotidienne », le premier ministre
Lionel Jospin déclarait : « La vie est du temps. Une politique qui s’intéresse au temps, c’est une politique de
la vie » ; « Nous devons mettre les villes » au tempo « de leurs habitants ».
Le Rapport d’Edmond Hervé fut remis aux Ministres le 19 juin 2001. Ce rapport insiste sur le fait que le temps
est un puissant révélateur des inégalités sociales au sens large, mais aussi et surtout un révélateur des
inégalités entre hommes et femmes. Ces dernières doivent en effet concilier une vie professionnelle plus
marquée par la précarité et le temps partiel plus ou moins contraint, et rôle central dans la vie familiale et
domestique.
S’appuyant sur une série d’auditions et sur l’analyse de plusieurs exemples étrangers (Italie, Allemagne,
Pays-Bas), ce rapport s’inscrit résolument dans un objectif général de réduction des inégalités sociales et
sexuelles. Il préconise une approche pragmatique et négociée pour aborder les thèmes suivants :
• l’aménagement de la ville : préférer la ville multipolaire à la ville éclatée, favoriser la mixité fonctionnelle
et sociale, notamment par une implantation adéquate des équipements et services publics.
• le temps des Hommes et le temps des Femmes : mettre en œuvre une véritable égalité politique et professionnelle et favoriser la mixité de la parentalité et le partage des tâches domestiques dans le couple,
tout en aménageant les horaires de travail et de garde des enfants.
• le temps des jeunes : aménagement des temps péri et extra scolaire et concentrer dans des lieux dédiés
offre culturelle et de loisirs, prévention et médiation sociale.
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• le temps des personnes âgées : prendre en compte les diversités des situations, organiser l’animation et
l’insertion, et accompagner la maladie et le grand âge.
• le temps des services publics : poser les questions de l’implantation, du rayonnement et des horaires
d’ouverture.
• le temps des déplacements : connaître les déplacements pour mieux adapter les réponses des transports publics et favoriser l’inter-modalité.
• le temps du commerce : se poser les questions de la localisation optimale de l’appareil commercial, sur
l’amplitude horaire de son ouverture (y compris le problème de l’ouverture dominicale) et des conséquences qu’elle pose en termes sociaux (travail décalé).
Le rapport préconise une méthode organisée en deux temps. Un premier temps consacré à l’analyse et à la
recherche visant à faire s’exprimer la demande : observation, sensibilisation, négociation, expérimentation.
Enfin, un second temps de réflexion pour mettre en adéquation l’offre à la demande.
Pour terminer, le Rapport Hervé présente plusieurs propositions :
• doter chaque commune de plus de 20.000 habitants d’un « bureau des temps » où, sous l’autorité du
Maire, s’harmonisent les horaires des services publics et les besoins qui découlent de la vie familiale et
professionnelle des habitants.
• les intercommunalités peuvent se saisir du sujet, sans occulter les initiatives municipales, et élaborer une
« charte de l’aménagement du temps » en s’appuyant sur un forum citoyen consultatif et sur un service
technique dédié.
• impliquer l’Etat au niveau des Préfectures pour harmoniser les temps qui relèvent de sa compétence.
Rédigé un an avant les élections présidentielles et législatives qui ce sont soldées par à un changement de
majorité, ce rapport ne fut suivi d’effets ni au plan législatif, ni au plan de l’organisation de l’Etat.
Pour autant à partir de 2001, plusieurs villes, St Denis, Poitiers, Angers, Paris, Rennes, Montpellier, Lyon, Dunkerque, … comme les départements de La Gironde et du Territoire de Belfort se sont dotées d’un bureau
des temps.
La politique des temps à l’échelle européenne
En 2006, à Barcelone à l’issue du 1er Congrès international « Temps, citoyenneté et commune », la mairie et
le Conseil provincial de Barcelone proposent la création d’un réseau européen des villes et villages pour les
nouvelles utilisations sociales du temps.
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Mise en place d’un bureau des temps dans les villes
Quelques communes ont déjà créé ce qu’on appelle des bureaux des temps. C’est dernier sont le symbole d’une politique de gauche. Ce bureau existe, en effet, uniquement dans des collectivités territoriales
de gauche. Un bureau des temps doit permettre d’articuler les temps de vie (démarches administratives,
déplacements, garde d’enfants…).
Le bureau des temps répond en général à 3 enjeux :
• Egalité
• Développement durable
• Démocratie : il doit être un espace de dialogue et de concertation.
Le bureau des temps peut permettre de répondre à de nouveaux enjeux comme la semaine de 4 jours
avec l’organisation du temps périscolaire pour les enfants. Il peut permettre de prendre en compte les
nouvelles évolutions : augmentation du temps libre, augmentation du nombre de salariés à horaire décalé,
augmentation de la durée de vie. Il est un atout pour l’attractivité du territoire. Il permet d’améliorer la qualité
de vie des citoyens et de redynamiser des quartiers en difficultés en développant des activités sur une
plage horaire plus étendue. Enfin, il accompagne l’évolution de l’articulation entre les différents rythmes de
vie et de travail.
Plusieurs orientations possibles pour le bureau des temps
On peut distinguer trois types d’approches, non-exclusives, des démarches temporelles, selon l’orientation
que l’on apporte à cette démarche.
Orientation sociale
Il s’agit de l’orientation historique de ces démarches. A la base se posent généralement les problèmes de
gestion des temps, entre temps de travail, de transport ou garde des enfants. Avec l’augmentation forte du
travail féminin et la bi-activité dans les foyers, les temps de gardes d’enfants, les temps domestique et les
temps de travail se chevauchent. Il s’agit donc de mettre en place des mesures pour articuler cette gestion
des temps.
Possibilité de réalisations
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Guichets unique de rentrée
Politique d’information à destination des parents
Services aux salariés : pour mieux articuler temps de travail et temps hors travail
Réorganisation des temps de travail des agents de la collectivité
Orientation optimisation/organisation des transports
L’aménagement des temps passe aussi par l’optimisation des transports, c’est-à-dire par la diminution du
temps passé dans les transports, libérant du temps pour les autres activités. S’il s’agit d’un confort pour les
particuliers et de sources d’économie pour les entreprises, cela constitue aussi un enjeu fort pour les col-
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lectivités. L’objectif est d’éviter la congestion des réseaux routiers, qui a un coût social et environnemental
et conduit souvent à la création de nouvelles infrastructures en réponse à une saturation des voiries moins
de 10% de la journée,
Cela permettrait aussi de favoriser le report modal vers les transports collectifs, en lissant les heures de
pointes et en développant de nouvelles offres, auprès de publics ciblés ou en l’adaptant à de nouveaux
horaires.
Possibilités de réalisation
• Plan de déplacement des entreprises / des administrations
• Etalement des entrées de cours sur les campus universitaire
Orientation culturelle
• Les approches culturelles des bureaux des temps visent à réapproprier la culture, dans des lieux, mais
surtout à des moments différents de l’offre classique (nuit, midi, dimanche…)
Possibilité de réalisation
• Faciliter l’accès aux médiathèques et bibliothèque
• Développer la vie et les activités la nuit
Le bureau des temps à Rennes
Le principal objectif du bureau des temps de Rennes est de réduire l’inégalité homme femme dans l’articulation vie privée et vie professionnelle.
La ville de Rennes est partie du constat qu’il y a un décalage croissant entre les rythmes de vie des travailleurs et les horaires des services publics (30% des employés travaillent avec des horaires décalés. La notion
d’heures creuses s’estompe).
La ville de Rennes a donc lancé un processus de concertation auprès de leurs différents partenaires pour
identifier les besoins (déplacements, garde d’enfant, accès aux services publics).
Les résultats sont positifs
• Ouverture de mairies de quartiers et services sociaux organisés en guichet unique.
• Les crèches et écoles ont élargi leurs horaires traditionnels et création de crèche intercommunale ouverte
de 6H à 21H.
• Ouverture d’un portail d’information en ligne (TIC-TAC le temps à la carte) informant des horaires des
prestations de services.
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Une méthode de mise en place en deux temps
Un diagnostic
• Connaître les différents horaires des services publics, identifier les décalages.
• Connaître les attentes des citoyens aux sujets de ces horaires en prenant en compte les différences de
genre et de classe sociale, rencontrer et réunir les acteurs concernés. La concertation doit s’appuyer le
plus possible sur des instances existantes (conseil de quartier, Comité Technique Paritaire…).
• Permettre le débat public.
• Rechercher des ensembles de solutions communes.
Des innovations
• Faire évoluer les services publics.
• Créer de nouveaux services.
• Faciliter les déplacements.
Des mesures en faveur de l’aménagement des temps dans la ville
Nos engagements
Créer un bureau des temps dans un maximum de ville pour adapter les horaires des services aux nouveaux modes de vie. L’Etat pourra mettre en place des subventions de fonctionnement à destination de ces
bureaux des temps
Réfléchir à la création d’une charte d’aménagement des temps en s’appuyant sur un forum citoyen consultatif (conseils de quartier). Une loi pourrait être adoptée pour rendre ces chartes obligatoires dans les intercommunalités
Nos objectifs
• Favoriser l’égalité des chances et la justice sociale (ex : lutte contre l’exclusion des femmes en général et
particulièrement des mères célibataires…).
• Installer la démocratie locale : Négociations et débats.
• Encourager le développement durable : augmenter l’offre de transport collectif.
Des actions concrètes
Le bureau des temps dans les villes pourra permettre de répondre à beaucoup d’’orientations que nous
voulons mettre en place
• Développer des « pôles de vie quotidienne » regroupant des services municipaux de proximité et des
services associatifs
Permet de mettre la priorité dans les quartiers défavorisés et de faciliter l’accès aux services sociaux
pour tous.
Permet de répondre plus rapidement aux demandes des habitants concernant la propreté via les
« pôles de vie quotidienne ».
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• Création de crèches à horaires décalés (ex : garde à domicile en partenariat avec la CAF)
Permet de répondre aux besoins des parents aux horaires de travail décalés.
• Initier et faciliter le débat entre direction d’entreprise et salariés
Permet de créer une crèche inter-entreprise et des plans de déplacement des entreprises (PDE)
• Décalage des horaires entre les différents départements universitaires
Permet d’éviter la surcharge des transports publics.
• Création d’un dispositif « allo bus »
Pour les personnes en insertion qui risquent de perdre leur emploi à cause d’un problème de transport.
• Aller vers un projet de carte de transport unique.
Permet de favoriser l’intermodalité et de faciliter l’accès aux différents réseaux de transports collectifs
• Mettre à l’étude un système de transport en commun en rocade des villes et des liaisons plus rapides
entre la périphérie et le centre. Développer des couloirs de bus et de transport en commun en site
propre sur les axes les plus fréquentés. Mise en place de bus de nuit.
Permet de réduire le temps de transport et de répondre aux demandes de transports sur des horaires
où les transports en commun sont inexistants
• Création d’un guide sur le temps décalé qui regroupe tout ce qui se fait le soir, le matin, le dimanche et
tous les services ouverts entre minuit et 5h du matin.
Facilite l’accès à l’information
• Diversifier les horaires des lieux culturels et sportifs.
Répondre à des besoins d’animations sur le temps du midi (ex : concert sur les zones d’activités), hors
ouverture habituelle (ex : ouverture théâtre d’1H à 18H à prix réduit avec service de garderie).
• Faire du sport un outil d’animation de la ville par des rencontres inter-quartiers et créer une « Nuits des
associations » culturelles, sportives, et socio-culturelle.
Répondre aux attentes des jeunes
• Mettre en place une politique exemplaire dans les collectivités.
Améliorer le temps des agents et création de plan de déplacement administratif (PDA)
• Améliorer le système des livraisons dans la ville.
Création d’une banque des temps (échange de service).
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Références
• Politiques des temps, relevé de conclusions de la réunion organisée par l’association Tempo Territorial le
19 juin 2008.
• Rapport « le temps des villes » d’Edmond Hervé du 19 juin 2001 sur demande de Lionel Jospin.
• 1er Congrès international « Temps, citoyenneté et commune » en 2006 à Barcelone : Proposition de créer
un réseau européen des villes et villages pour les nouvelles utilisations sociales du temps.
• Bilan des actions temporelles 2001-2007 présenté à l’occasion des « temporelles » de Montpellier des 4
et 5 octobre 2007.
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