Aspects géométriques de la démonstration du Lemme
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Aspects géométriques de la démonstration du Lemme
Aspects géométriques de la démonstration du Lemme fondamental pondéré Rennes, 10 juillet 2009 Gérard Laumon (CNRS et Université Paris-Sud) Ceci est un travail en commun avec Pierre-Henri Chaudouard. La démonstration du Lemme Fondamental de LanglandsShelstad par Ngô Bao Châu et notre extension de celle-ci au cas du Lemme Fondamental pondéré d’Arthur utilisent une propriété cohomologique fondamentale de la fibration de Hitchin. Un cas très particulier de la fibration de Hitchin est la jacobienne compactifiée relative de la courbe plane universelle. Dans cet exposé, je voudrais présenter cette propriété cohomologique dans ce cas et en esquisser la démonstration. 1 La courbe plane universelle et son champ de Picard compactifié Soient k un corps algébriquement clos et d un entier > 0. On suppose dans tout l’exposé que k est de caractéristique 0 ou de caractéristique p > d. Notons P = 1 P2k = Proj(k[X, Y, Z]) le plan projectif sur k et H ⊂ P l’hyperplan à l’infini Z = 0. Toute courbe de degré d tracée sur P est définie par l’annulation d’un polynôme homogène de degré d en (X, Y, Z), bien défini à un scalaire près. L’espace des modules des courbes planes de degré d est donc un schéma projectif standard de dimen− 1. Rappelons que le genre arithmétique sion (d+1)(d+2) 2 d’une courbe plane de degré d est donné par la formule bien connue : (d − 1)(d − 2) q= 2 de sorte que la dimension de l’espace des modules des courbes planes est égale à q + 3d − 1. Notons U l’ouvert de l’espaces des modules de courbes planes Y de degré d qui sont de plus réduites et transverses à H au sens où H ∩ Y est contenu dans le lieu lisse de Y et en chaque point de H ∩ Y les espaces tangents à H et à Y sont en somme directe. Soit A l’espace des modules des couples a = (Ya, ∞a) où Ya ∈ U et où ∞a = (∞a,1, . . . , ∞a,d) est un ordre total sur l’ensemble à d éléments H∩Ya. C’est un revêtement fini étale galoisien, de groupe de Galois Sd, de U. On note Y ⊂ P ×k A → A la courbe plane universelle et on s’intéresse à la composante de degré 0 de son champ de Picard compactifié, que l’on notera f : M → A. Par définition, un point de M est un couple (a, F) où a est un point de A et F est un OYa -Module cohérent sans torsion 2 de rang 1 en chaque point générique de Ya, que l’on a rigidifié en le point ∞a,1 pour tuer les automorphismes scalaires. Théorème 1 (Altman-Kleiman). Le champ M est algébrique au sens d’Artin, localement de type fini sur A. Le morphisme f : M → A est équi-dimensionnel de dimension relative q. Au dessus de l’ouvert Airred de A où Ya est irréductible, le morphisme f est en fait projectif, à fibres géométriquement irréductibles. 2 Propreté Fixons ξ ∈ Qd avec ξ1 + · · · + ξd = 0. Soit a un point de A et Y := Ya la courbe correspondante avec ses points marqués ∞α := ∞a,α pour α = 1, . . . , d. On note I l’ensemble des composantes irréductibles de Y et pour chaque i ∈ I, Yi ⊂ Y la composante correspondante, di le degré de Yi et qi son genre arithmétique. Pour chaque partie non vide J ⊂ I, soit YJ la réunion des Yi pour i ∈ J et X ξJ = ξα , α=1,...,d ∞α ∈YJ dJ le degré de YJ et qJ le genre arithmétique de YJ . 3 Définition 1. On dira qu’un OY -Module cohérent sans torsion F, de rang 1 en tous les points génériques de Y , est ξ-stable si pour toute partie non vide propre J de I, le degré de la restriction FJ de F à YJ vérifie l’inégalité deg(FJ ) + 1 − qJ + ξJ deg(F) + 1 − q > . dJ d Les points ξ-stables de Ma forment un ouvert Mξ−stable a de type fini de Ma et la réunion de ces ouverts est un ouvert Mξ−st de M. Théorème 2 (Esteves). Si aucun des nombres rationpour ∅ = 6 J ( I n’est un entier, alors nels ξJ − dJ (q−1) d ξ−st M est un schéma propre sur A. 3 Lissité Proposition 1. Le champ algébrique M est lisse sur le corps de base k. Il en est a fortiori de même de son ouvert Mξ−st. Démonstration. Soient Y une courbe plane réduite de degré d et transverse à H comme ci-dessus, et F un OY Module cohérent sans torsion de rangs génériques tous égaux à 1. Il s’agit de voir qu’il n’y a pas d’obstruction à déformer le couple (Y, F). Considérons le problème équivalent de déformation de la restriction du couple ci-dessus à l’espace affine P − H. 4 On a donc un polynôme f ∈ k[x, y] de degré ≤ d tel que sa partie homogène de degré d est le produit de d facteurs linéaires deux à deux indépendants et un k[x, y]-module de type fini M tué par f , qui vu comme module sur A = k[x, y]/(f ) est sans torsion de rang 1 en tout point générique de Spec(A). On peut trouver une résolution F 0 → k[x, y]n −→ k[x, y]n → M → 0 où F est une matrice n×n à coefficients dans k[x, y] dont le déterminant est f . Cette construction marche encore si on remplace k par une k-algèbre artinienne et on a donc un morphisme surjectif de champs de déformations Def(F ) → Def(f, M ) et le champ de déformations Def(f, M ) est formellement lisse puisque Def(F ) l’est. 4 Strates à δ constant Pour tout a ∈ A, on note Xa la normalisée de la courbe Ya et πa : Xa → Ya le morphisme de normalisation. Le nombre sa des composantes connexes de Xa et le genre de chacune d’entre elles dépend de a. Notons ga la somme des genres des composantes connexes de Xa. La différence δa = (q − 1) − (ga − sa) = q − ga + sa − 1 5 est un entier positif, somme d’invariants locaux X δa,y δa = y∈Ya où δa,y = long((πa,∗OXa /OYa )y ) est la co-longueur de l’anneau local de Ya en y dans son normalisé dans son anneau total des fractions. La fonction a 7→ δa est semi-continue supérieurement sur A et définit une stratification : [ ˙ A= Aδ δ≥0 où chaque Aδ est une partie localement fermée de A d’adhérence contenue dans la réunion des Aδ0 pour δ 0 ≥ δ. Théorème 3 (Severi, Diaz-Harris). Si k est de caractéristique 0, la strate à δ-constant Aδ est de codimension δ dans A. L’argument de Diaz-Harris consiste à calculer le cône normal de Aδ et ne marche pas si k est de caractéristique p > 0. Faute de mieux, nous nous limitons comme Ngô au plus grand ouvert Abon de A dans lequel le théorème de Severi et Diaz-Harris est vérifié. On verra en fin d’exposé que cet ouvert contient beaucoup de courbes (autres que les courbes lisses) et qu’il est en fait suffisamment grand pour résoudre des problèmes de nature locale comme le Lemme fondamental et de sa variante pondérée. 6 5 Action de la jacobienne sur la jacobienne compactifiée Notons P la composante neutre du champ de Picard relatif de la courbe plane universelle Y/A. La fibre en a ∈ A est donc le champ des OYa -Modules inversibles rigidifiés au point ∞a,1, qui sont de degré 0 sur chacune des composantes irréductibles de Ya. Ce champ est en fait un schéma en groupes commutatifs à fibres connexes et lisse de dimension relative q. Le schéma en groupes P agit sur M de la manière habituelle (le produit tensoriel d’un module inversible et d’un module sans torsion est encore sans torsion). Le morphisme M → A admet la section a 7→ OYa et l’orbite de cette section et un ouvert de M isomorphe à P, d’où la terminologie champ de Picard compactifié pour M. L’action de P sur M préserve l’ouvert Mξ−st. Pour a ∈ A(k), on a le dévisage canonique du kschéma semi-abélien P = Pa en une partie abélienne et une partie affine 0 → R → P → A → 0. Plus précisément, A est la jacobienne de la normalisée X de la courbe plane Y = Ya et R est le produit d’un tore T par un groupe unipotent U , et est de dimension q − g = δ − s + 1 ≤ δ, 7 où g est le genre de X et s son nombre de composantes connexes. En regardant ce qu’il se passe sur X, il est facile de voir que les stabilisateurs des points de M = Mξ−st dans P a sont tous contenus dans R. Fixons un nombre premier ` différent de la caractéristique de k. L’homologie `-adique de P est le complexe RΓc(P, Q`)[2q](q) Cette homologie, où n’intervient que A et la partie torique T de R, est un complexe placé en degrés négatifs compris entre 0 et −2dim(A) − dim(T ), et en fait n’est autre que le complexe n M^ ( V`P )[n] n où V`P = T`P ⊗Z` Q` est le module de Tate de P . Comme M est propre sur k, cette homologie agit naturellement sur la cohomologie de M au sens où on a une flèche V`P ⊗Q` H n(M, Q`) → H n−1(M, Q`) qui fait de • H (M, Q`) = M H n(M, Q`) n L V un module gradué sur l’algèbre graduée n n V`P . Le dévissage canonique de A induit la suite exacte 0 → V`R → V`P → V`A → 0. 8 avec V`R = V`T . Pour chaque scindage de cette suite L V exacte, on a une action graduée de l’algèbre n( n V`A) sur H •(M, Q`). Théorème 4 (Ngô). Pour tout scindage comme ciL V dessus l’action de n( n V`A) sur H •(M, Q`) est libre de rang fini. Ce théorème est une version simplifiée et en fait l’étape principale de la démonstration du vrai théorème de Ngô, qui vaut sur l’hensélisé de A en a et dans lequel les groupes de cohomologie sont remplacés par les faisceaux pervers de la cohomologie relative. 6 Le résultat principal Le morphisme propre f : Mξ−st → A est équidimensionnel de dimension relative q, son but est connexe et lisse de dimension q + 3d − 1 et sa source est lisse sur k de dimension 2q + 3d − 1. On le restreint dans la suite à l’ouvert Abon ⊂ A. Considérons le complexe K = Rf∗Q`[2q + 3d − 1]|Abon. Le théorème de décomposition de Beilinson, Berstein, Deligne et Gabber assure que M p n K= H (K)[n] n 9 et que chaque faisceau pervers Hn(K) est somme directe de faisceaux pervers irréductibles sur Abon, c’est à dire de complexes d’intersection associés à des systèmes locaux `-adiques irréductibles sur des parties localement fermées irréductibles de Abon. Théorème 5 (Ngô sur Abon ∩ Airr, Chaudouard-Laumon sur Abon tout entier). Tous les constituants irréductibles des faisceaux pervers Hn(K) ont pour support Abon tout entier. En d’autres termes, chaque Hn(K) est le prolongement intermédiaire à Abon tout entier de sa restriction à n’importe quel ouvert non vide de Abon. La preuve est relativement formelle à partir du théorème de décomposition, de la dualité de Poincaré, de la formule de codimension de Severi qui est par définition satisfaite sur Abon et de la propriété de liberté prouvée par Ngô. 7 Retour sur l’ouvert Abon Introduisons le schéma des modules B des triplets (X, ϕ, ∞) formés d’une courbe projective lisse, non nécessairement connexe, X, munie d’un morphisme fini ϕ : X → P de degré d, qui coupe transversalement H, et d’un ordre total ∞ = (∞1, . . . , ∞d) sur l’ensemble à d éléments ϕ−1(H). Un tel morphisme a pour image une courbe Y ∈ U et se factorise en un morphisme π : X → Y 10 qui n’est autre que le morphisme de normalisation. On a donc un morphisme bijectif B → A. La fonction δ induit sur B une fonction localement constante qui découpe B en parties ouvertes et fermées Bδ qui s’envoient bijectivement sur les parties Aδ correspondantes, et Aδ a la même dimension que Bδ . La théorie des déformations de B en un point (X, ϕ, ∞) est contrôlée par le complexe T = RHomOX (LX/P , OX ) où le complexe cotangent dϕ LX/P = [Ω1P/k |X −→ Ω1X/k ] est concentré en degrés −1 et 0. Le complexe T n’a de la cohomologie qu’en degrés 1 et 2 et sa caractéristique d’Euler-Poincaré est X χ(T ) = (1 − gi − 3di) i∈I où (Xi∈I ) est la famille des composantes connexes de X, gi est le genre de la composante Xi et di est le degré de ϕ|Xi. Si (X, ϕ, ∞) ∈ Bδ , la dimension attendue de Bδ en ce point est donc −χ(T ) = 3d + q − δ − 1 soit −χ(T ) = dim(A) − δ 11 puisque dim(A) = 3d + q − 1. Pour démontrer en toute caractéristique le résultat de Severi et Diaz-Harris, il suffirait donc de montrer que H 2(T ) = (0). Comme H 2(T ) = Ext1OX (H−1(LX/P ), OX ) et que H−1(LX/P ) est un fibré en droites de degré X (−3di − 2(gi − 1) + κi) i∈I où κi est la longueur de Ω1Xi/P = Ω1X/Yi , H 2(T ) = (0) dès que κi < 3di. Par contre, rien n’assure l’annulation du groupe d’obstructions si l’une de ces inégalités n’est pas satisfaite. Il n’en reste pas moins que Abon contient le plus grand ouvert de A où les conditions κi < 3di sont toutes satisfaites. Cet ouvert est assez grand pour un problème local. En effet, l’invariant κ est une somme d’invariants locaux. Pour un germe de courbe plane réduite, donné par f ∈ P Q (x, y) ⊂ k[[x, y]], on a κ(f ) = i∈I κ(fi) où f = i∈I fi est “la” décomposition en branches irréductibles. De plus, si f ∈ (x, y)m − (x, y)m+1 ⊂ k[[x, y]] pour un entier m < p est irréductible, on a κ(f ) = m−1. En particulier, κ(f ) ≤ δ(f ) et pour un point double ordinaire on a κ = 0 alors que δ = 1. Par conséquent, Abon contient tous les points a ∈ A ayant les deux propriétés suivantes : 12 - Ya a une singularité dont l’invariant δ local vérifie δ < 3di pour tout i ∈ I où (di)i∈I est la famille des degrés des composantes irréductibles de Ya ; - toutes les autres singularités de Ya sont des points doubles ordinaires. 13