« Twittérature » L`art d`écrire en 140 caractères « pilepoil »
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« Twittérature » L`art d`écrire en 140 caractères « pilepoil »
« Twittérature » L’art d’écrire en 140 caractères « pilepoil » ! «P eut-on créer un texte de 140 caractères qui ait une véritable valeur littéraire ? ». Pour Jean-Yves Fréchette, co-fondateur de l’Institut de twittérature comparée, la réponse ne laisse aucun doute. Pionnier dans l’utilisation des nouvelles technologies pour l’écriture, il attribue au réseau social Twitter de nombreuses vertus pédagogiques. Jean-Yves Fréchette lance des défis en twittérature à des étudiants (voir vidéo5). Animation & Education : Qu’est-ce que la Twittérature ? Jean-Yves Fréchette : Twitter est un micro blog qui fait partie des grandes familles de réseaux sociaux et dont la particularité est qu’il permet aux usagers d’échanger de petits billets qui ont tous la même taille maximale : 140 caractères. Si votre message dépasse les 140 caractères, vous ne pouvez pas l’envoyer sur le fil. Ceci vous oblige à réduire, synthétiser, modifier le vocabulaire… Au départ, il y a eu le désir d’utiliser, de manière non conventionnelle, un médium social pour le prendre d’assaut, se soustraire aux usages prévus par les créateurs du médium. Le journaliste Jean-Michel 32 Leblanc1 a commencé, il y a 2 ans, à publier des tweets en 140 caractères « pilepoil », dans lesquels il racontait une histoire, avec un ou deux personnages, comportant tous les éléments d’un récit : une situation initiale, un événement perturbateur et une chute. « Un serpent sifflait sur sa tête Mais Hermione s’en fichait complètement Depuis déjà fort longtemps Elle n’avait plus peur des allitérations. » Jean-Michel Leblanc écrit : « Je trouve que la twittérature est un creuset idéal pour se creuser la cervelle et y faire mijoter des petits bouts d’idées, des mots en tout genre et immortaliser des pensées fugaces ». Animation & Education - Mai-Juin 2012 - n° 228 En condensant ces petits récits, il renouait avec des traditions anciennes telles que celle de Félix Fénéon qui publiait des nanorécits dans les journaux : « Les nouvelles en 3 lignes »2. Donc, cet outil, certains ont souhaité l’utiliser, non pour communiquer des informations personnelles, mais pour faire des propositions qui aient toutes les allures d’une composition littéraire stylistiquement marquée. On retrouve, dans ces propositions, autant de styles qu’il y a de twittérateurs, un foisonnement de stratégies personnelles qui multiplient et repoussent les limites du médium et de l’écriture littéraire. Cette nouvelle forme de littérature « minuscule » n’est pas sans élégance et rappelle tout le domaine complexe des aphorismes, des apophtegmes, des Haïku, des maximes, des devises… Twitter devient le lieu d’expression de petits récits mais aussi des lieux de réflexion d’expressions poétiques. @Pierrepaulpleau3 va jouer avec les métaphores, se servir de l’oxymoron, travailler autour des allitérations… Depuis peu, on assiste à une explosion de stratégies, on assiste à des échanges très corsés, intéressants sur le plan de la stylistique, qui peuvent prendre la forme de tweet-combat poétique. Ceux, par exemple, entre @szabadnap et @Fanfiole sont mémorables. Vous l’aurez compris : ce concept est donc la contraction de deux mots : Twitter et littérature. « La twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur. » Retour au sommaire Animation & Education : Depuis 2010, vous êtes codirecteur de l’Institut de twittérature comparée que vous avez fondé avec le journaliste français, Jean-Michel Leblanc : quels sont les objectifs de l’Institut de Twittérature comparée ? J-Y.F. : C’est d’abord une mission de diffusion des travaux des différents twittérateurs. Nous souhaitons faire connaître ces pratiques, recenser et identifier les twittérateurs et diffuser leurs travaux dans les articles du blog4, en faisant la promotion du Tweet du jour. L’institut se donne aussi une mission de recherche en pédagogie dans le cadre du mandat que lui a confié le Ministère de l’éducation du Québec : il y a tout un réseau de twittclasses, en France ou au Québec, utilisant ce média comme outil de motivation à l’écrit pour les élèves. Ceci nous est apparu comme une piste féconde dans le cadre d’une pédagogie de l’écriture ou d’une stratégie de motivation des élèves. L’ennui, avec ce réseau, c’est que les enseignants ont du mal à suivre la production de leurs élèves qui se perdent dans le fil universel. Des parents n’aiment pas voir les jeunes s’y aventurer d’une façon un peu naïve. Le Ministère nous a donc mandatés pour répondre à ces interrogations, mettre en œuvre une démarche pédagogique autour de Twitter et développer un outil présentant tous les avantages des Médias sociaux (réinvestissement, partage, collaboration…) tout en permettant de respecter la confidentialité de l’acte pédagogique. L’institut termine actuellement le développement d’un logiciel libre de gestion des travaux produits par les élèves qui aura toutes les caractéristiques de Twitter sans ses inconvénients. nombre obligé de caractères : 140 pilepoil. Leur texte ne peut faire plus mais ne doit pas faire moins de 140 caractères (espaces compris). La première fois, ils n’y arrivent pas ou dépassent largement… Les élèves sont alors obligés de revenir dans leur dictionnaire des synonymes, trouver un mot similaire mais plus court ; ils doivent souvent modifier la syntaxe… En ouvrant le dictionnaire, ils fouillent, explorent les grandes zones sémantiques des contenus lexicaux… www.twittexte.com A&E : Quelles sont les vertus pédagogiques de Twitter ? J-Y.F. : L’acte d’écrire peut se limiter à une contrainte scolaire ou se développer dans le cadre d’une pédagogie plus festive, ludique, motivante, permettant d’introduire des contraintes stylistiques complexes. Le réseau social stimule l’aspect ludique et relance le moteur de l’écriture encouragé par la forte visibilité des tweets sur le fil de diffusion ! J’ai le bonheur de travailler avec une enseignante et ses élèves de 15-16 ans autour de défis en twittérature5. Ils ont à s’exprimer sur un thème donné, en respectant des contraintes stylistiques ainsi qu’un Retour au sommaire Du côté des enseignants, la production de micros textes permet d’isoler des problèmes d’expression spécifiques. En imposant de fragmenter le texte dans ces unités minimales, l’intervention pédagogique devient plus ciblée et, si l’on permet à l’enseignant de procéder à des rétroactions (ce qui n’existe pas dans Twitter mais que nous proposons dans le logiciel), nous formons ainsi une boucle de références textuelles à l’intérieur de laquelle les reprises et commentaires peuvent se poursuivre jusqu’à ce que le texte soit jugé parfait. La réécriture devient jeu, défi, dépassement de soi ! L’élève dépasse le statut de producteur d’écrit pour revêtir l’habit de créateur littéraire. La création stimule l’apprentissage ; l’apprentissage structure la créativité. Interview par Marie-France Rachédi 1. Pseudo Twitter : @Centquarante. 2. Voir quelques exemples : http://asl.univ-montp3.fr/ e54slm/FeneonNouvellesEn3lignes.pdf 3. Pseudo de Jean-Yves Fréchette sur Twitter. 4. Le blog : http://www.twittexte.com 5. Voir un exemple de cours de twittérature en vidéo : http://staracademie.ca/nouvelle/de-pere-en-fils. Animation & Education - Mai-Juin 2012 - n° 228 33