Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en
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Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en
MEMOIRE DU DIPLÔME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL Ecole Supérieure de Travail Social Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif spécialisé de prévention et de soins ? Mémoire présenté par : Catherine Gallo Sous la direction de : Elisabeth Vidalenc Février 2005 MEMOIRE DU DIPLÔME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL Ecole Supérieure de Travail Social Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif spécialisé de prévention et de soins ? Mémoire présenté par : Catherine Gallo Sous la direction de : Elisabeth Vidalenc Février 2005 A Matthieu Je remercie chaleureusement tous ceux qui m’ont aidée, soutenue, tout au long de la rédaction de ce mémoire. Du désir à la réalisation, j’ai parcouru un long chemin. Il a fallu beaucoup de patience à ma famille pour me laisser le temps de travailler, d’évoluer, et je lui en sais gré. Durant ces trois années, nos formateurs nous ont appris à « déconstruire » nos savoirs, à prendre du recul par rapport à notre expérience, à formaliser notre pensée. Ils m’ont permis de progresser et je leur en suis reconnaissante. A Jeanne Balland, une pensée toute particulière pour sa fine perception des intempéries qui perturbent le voyage, pour son écoute attentive et thérapeutique. Je remercie mes camarades de leur présence chaleureuse, de leur humour, petite musique sans laquelle « on peut vivre… mais pas si bien ». Je remercie enfin ma directrice de mémoire, Elisabeth Vidalenc, pour sa pédagogie, pour le soin qu’elle a apporté à m’orienter dans une juste direction. 1 SOMMAIRE INTRODUCTION p. 4 PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE LA RECHERCHE p. 12 I- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE p. 12 I-1 L’alcool : données générales I-1-1 Définitions I-1-2 La notion de dépendance I-1-3 Quelques données épidémiologiques p. 13 p. 13 p. 14 p. 16 I-2 Une histoire de la lutte contre un « fléau social » I-2-1 Les précurseurs I-2-2 Le tournant des années 1950 I-2-3 Une nouvelle implication de l’Etat à partir de 1970 I-2-4 L’évolution du dispositif spécialisé à partir de 1998 p. 16 p. 17 p. 18 p. 18 p. 21 I-3 La complexité du réseau actuel de prise en charge des personnes vivant p. 25 avec un problème d’alcool p. 26 I-3-1 Les réseaux de professionnels non spécialisés p. 26 I-3-2 Les associations d’anciens malades p. 26 I-3-3 Le dispositif de soins ambulatoires et de prévention p. 28 I-3-4 Les soins hospitaliers p. 29 I-3-5 Les centres de cure p. 29 I-3-6 Les centres de post-cure I-4 L’organisation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie p. 31 I-5 Le Centre A. R. I-5-1 Une équipe pluriprofessionnelle I-5-2 La fonction, le rôle et les tâches du travailleur social I-5-3 L’exercice du travail social en équipe pluriprofessionnelle p. 32 p. 36 p. 33 p. 37 I-6 Le Congrès de Nîmes (juin 2004) : une instance de réflexion sur le travail social en alcoologie p. 41 II- APPROCHE THEORIQUE p. 44 II-1 Définitions des concepts II-1-1 Institution et Organisation II-1-2 Stratégie p. 44 p. 44 p. 45 II-2 Le choix des modèles théoriques p. 46 II-3 L’analyse stratégique selon M. Crozier et E. Friedberg II-3-1 Les quatre principes de l’analyse stratégique II-3-2 L’intérêt de l’analyse stratégique II-3-3 Les postulats de la stratégie des acteurs dans une organisation p. 47 p. 47 p. 47 p. 48 2 II-3-4 La zone d’incertitude II-3-5 Les jeux de pouvoir II-3-6 La méthodologie de l’analyse stratégique p. 48 p. 49 p. 50 II-4 L’action du travailleur social fondée sur la légitimité de compétence selon H. Hatzfeld p. 52 II-5 Les dimensions cachées d’une organisation : le regard clinique d’E. Enriquez II-5-1 Le niveau mythique II-5-2 Le niveau « social-historique » II-5-3 Le niveau de l’organisation p. 55 p. 55 p. 56 p. 57 II-6 La mise en œuvre des stratégies du travailleur social II-6-1 De nouvelles stratégies à envisager p. 58 p. 58 Synthèse de la problématique et hypothèse p. 61 p. 62 DEUXIEME PARTIE : LA RECHERCHE p. 63 I- METHODOLOGIE ET CONDITIONS DE REALISATION DE L’ENQUETE p. 63 I-1 Les étapes préliminaires à l’enquête I-1-1 Le choix de l’objet de recherche I-1-2 L’outil méthodologique : l’entretien semi-directif I-1-3 Les entretiens exploratoires I-1-4 Les critères de choix des personnes interrogées I-1-5 Le guide d’entretien I-1-6 Les limites de la recherche p. 63 p. 63 p. 63 p. 63 p. 64 p. 66 p. 66 I-2 Les conditions de réalisation de la recherche I-2-1 Le cadre de l’entretien I-2-2 Le déroulement des entretiens p. 67 p. 67 p. 68 I-3 La méthodologie pour l’analyse des données I-3-1 La méthodologie d’analyse du contenu I-3-2 La difficulté de l’analyse catégorielle p. 68 p. 68 p. 69 II- L’ENQUETE II-1 La reconnaissance interne II-1-1 Les missions du CCAA II-1-1-1 Les textes II-1-1-2 Le modèle théorique des CCAA p. 71 p. 71 p. 71 p. 71 p. 73 p. 75 II-1-2 Le type d’organisation du CCAA II-1-2-1 Le rôle spécifique du travailleur social par rapport p. 75 aux autres intervenants en CCAA p. 82 II-1-2-2 Le mode de fonctionnement du CCAA 3 II-1-3 L’évaluation des activités en interne p. 84 II-1-4 Conclusion de la reconnaissance interne p. 84 II-2 La reconnaissance externe II-2-1 L’identité du CCAA et l’orientation institutionnelle p. 88 p. 89 II-2-2 L’identité professionnelle du travailleur social II-2-2-1 Le positionnement du travailleur social par rapport aux autres métiers de « la relation d’aide individualisée » II-2-2-2 Le positionnement du travailleur social par rapport aux formations universitaires II-2-2-3 L’ambiguïté de l’identité du travailleur social II-2-2-4 La représentation du travailleur social en CCAA auprès du public II-2-3 Les relations du travailleur social avec l’organisme gestionnaire p. 90 II-2-4 Les actions transversales : réseau et partenariat II-2-4-1 Le réseau des travailleurs sociaux en alcoologie II-2-4-2 Les réseaux thérapeutiques II-2-4-3 Les réseaux d’insertion tissés avec les autres secteurs du travail social II-2-4-4 Le partenariat contractualisé avec les associations p. 95 p. 95 p. 96 p. 97 p. 91 p. 91 p. 92 p. 93 p. 94 p. 99 II-2-5 L’évaluation des activités en externe : statistiques, comptes rendus, présentation de résultats p. 99 II-2-6 Conclusion de la reconnaissance externe p. 100 III- ANALYSE DES RESULTATS A PARTIR DES INTERVIEWS p. 101 III-1 La position du travailleur social dans son cadre organisationnel III-1-1 L’incertitude et la contingence de « l’ordre local » III-1-2 Les divergences dans l’approche du soin III-1-3 La cohésion des CCAA III-1-4 Les groupes de parole de travailleurs sociaux p. 101 p. 101 p. 102 p. 103 p. 103 III-2 Les différents types de stratégies du travailleur social p. 105 III-3 Quelques réflexions sur les conditions de réussite de ces stratégies p. 106 CONCLUSION GENERALE p. 110 BIBLIOGRAPHIE p. 115 ANNEXES 4 « Ne te demande pas ce qu’on a fait de toi. Demande- toi ce que tu fais de ce qu’on a fait de toi ». Les Sages (L’Express, décembre 2004) INTRODUCTION La question du rôle du travailleur social dans une équipe de soins est née de notre expérience d’assistante sociale dans un centre d’alcoologie désigné actuellement sous le terme de Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA). La fonction du travailleur social en alcoologie, dont l’objectif principal est la réinsertion du malade alcoolique, se situe dans une zone intermédiaire entre le champ "médico-psychologique" et celui de l'action sociale généraliste. Dans le cadre de ce mémoire, nous utiliserons le terme de « travailleur social » parce que la fonction, telle qu’elle se présente en centre d’alcoologie, peut faire appel à plusieurs professions sociales : la plus courante est celle d’assistant de service social mais on rencontre également des éducateurs spécialisés, des conseillers en économie sociale et familiale et aussi des « visiteurs sociaux » que nous définirons plus loin. La mission de ce type de structure est de prévenir le consommateur des risques encourus par l'usage abusif de l’alcool et de soigner le sujet devenu dépendant. La personne qui vient consulter peut être un buveur occasionnel, un buveur excessif, un alcoolo-dépendant ou encore un membre de l’entourage qui vient demander conseil. L'objectif principal de l’institution est de permettre au buveur de prendre conscience qu'il risque de briser les liens qui le maintiennent inséré dans le tissu social, ou de chercher, avec lui, à les rétablir lorsqu'ils sont rompus. L'abstinence n'est pas une finalité mais un moyen d'action pour soigner cette "pathologie de la liberté", cette "maladie de la relation" qui définit l'alcoolisme. Expérience professionnelle Notre approche du travail social au sein d’une équipe de soins s’est construite à partir de plusieurs expériences : la formation en alcoologie dans le cadre de séminaires d’enseignement spécialisé, notre travail au quotidien en centre d’alcoologie, l’échange entre travailleurs sociaux à l’intérieur d’un groupe de parole. La formation qualifiante proposée par les séminaires de l’Association pour la Recherche et l’Enseignement en Alcoologie et sur les Toxicomanies (AREAT) nous a permis d’aborder de façon approfondie la problématique alcool. 5 L’AREAT est un creuset pédagogique, un lieu de rencontre de plusieurs professions médico-psycho-sociales qui exercent leur métier dans le même champ, l’alcoologie. Audelà de la formation didactique proprement médicale et psychologique et de l’introduction à différents outils thérapeutiques (analyse transactionnelle, systémique), les stagiaires sont confrontés à l’épreuve de « l’itinéraire » de leur propre alcoolisation. Cette réflexion, menée en petits groupes pendant douze jours et relatée à l’ensemble des participants, fait émerger nos représentations, notre expérimentation du produit, nos préjugés. Cette formation a pour but de donner du sens à nos pratiques professionnelles quotidiennes, d’affermir nos positions non seulement grâce à l’apprentissage de notions théoriques mais aussi à travers une nécessaire déconstruction de nos préjugés, de nos savoirs empiriques, de nos représentations de l’alcool et du malade alcoolique. Dans ce contexte de formation, notre position de « professionnelle en alcoologie » a trouvé ses fondements sur le plan des savoirs et de notre relation au patient. Cependant, ce travail en groupe pluriprofessionnel n’avait pas pour objectif de délimiter le cadre de la fonction de travailleur social en alcoologie. L’objet du travail social en alcoologie, c’est-à-dire l’accompagnement social du sujet alcoolique, se trouvait défini mais pas les modalités de cet accompagnement. La délimitation d’une zone d’intervention entre le médico-psychologique et le social restait encore silencieuse. Un deuxième enseignement nous a été donné par l’expérience du travail en équipe. En découvrant cette discipline nommée « alcoologie », nous avons appris que la maladie alcoolique était une pathologie de la relation, de la communication que l’on pouvait soigner en mettant en synergie les actions de plusieurs intervenants au sein d’une équipe pluriprofessionnelle (médecins, infirmière, psychologue, secrétaire, assistante sociale). Le travail social en centre d'alcoologie s'inscrit en effet dans une démarche commune à une équipe dont la mission est de prendre soin de toute personne concernée directement ou indirectement par un problème d'alcool. L’objectif commun de l'équipe d'une telle structure est de travailler à "l'élucidation des rapports entre l'homme et l'alcool", ce qui, dans cette optique, donne un rôle important à la parole et à l’écoute, en tant qu’outils thérapeutiques. L’intérêt du travail en équipe, c’est la richesse que peuvent apporter les approches différenciées du sujet alcoolo-dépendant, selon la fonction qu’occupe chaque intervenant. 6 « C’est de la différence de perception des situations entre les membres de l’équipe que peut émerger le respect de la complexité de la situation. Le travail en équipe permet de partir de l’individuel (relation d’aide) et du commun (vie d’équipe) pour arriver au collectif (décisions, valeurs)… »1. Le travail en équipe, groupe restreint, implique la nécessité de se fixer des règles, « d’effectuer sans cesse sa propre réorganisation » selon Sartre (Critique de la raison dialectique, tome 1, 1960)2. Or, à travers notre expérience, nous avons pu observer les difficultés auxquelles l’équipe s’expose lorsque ces règles ne sont pas respectées. En effet, comment l’équipe peut-elle rester solide, s’adapter et évoluer si les tâches restent imprécises et non délimitées, si les fonctions des membres et les rôles distribués ne sont pas bien différenciés, si les différentes perceptions d’une situation ne peuvent s’exprimer et être entendues ? Si les membres de l’équipe n’effectuent pas en permanence un travail sur eux-mêmes, le risque qui guette l’organisation, lorsqu’elle est bien rôdée, comme le dit Sartre, peut être soit l’inertie, la bureaucratie où les formalités prennent le pas sur les objectifs, soit les conflits de compétences avec des initiatives individuelles contraires aux tâches fixées. Ce travail est difficile à réaliser au quotidien dans la mesure où les membres de l’équipe ont tendance à adopter parfois une attitude de « défense de territoire ». Et la juxtaposition des différentes fonctions entraîne souvent des problèmes de positionnement dans l’équipe et de coordination entre les intervenants. Cette difficulté à coordonner les fonctions à l’intérieur d’une même équipe et à trouver sa place peut conduire à un sentiment d’isolement pour certains membres de l’équipe. C’est pour cette raison que nous avons créé en 2001 une instance de réflexion : un groupe de parole de travailleurs sociaux oeuvrant dans le champ de l’alcoologie. Ce partage entre « pairs » sur nos diverses perceptions de la place du travail social en alcoologie nous apparaissait alors comme un espace de parole où nous pourrions dire ce que nous faisions, pourquoi et comment nous le faisions. Nous avons donc évoqué les différentes étapes de la construction de notre fonction : la formation spécifique en alcoologie et l’expérience du travail en équipe d’une part, le 1 2 VIDALENC E., Le Défi du Partenariat dans le Travail Social, p.32 cité par ANZIEU D., la Dynamique des groupes restreints, p.59 7 partage de savoirs et compétences dans un groupe de parole de travailleurs sociaux, d’autre part. Nous verrons à présent comment s’est élaborée notre problématique et quelles sont les questions qui se sont posées. Constats et hypothèses de travail Si l'on considère qu'un centre d'alcoologie est un lieu de soins qui prend en compte la personne dans sa globalité, nous pouvons en déduire que ce type de structure se situe non seulement dans le champ de l’intervention médicale - c’est la notion de cure- c’est-à-dire le travail d’intervention ponctuelle, technique, qui définit généralement l’activité du médecin, mais aussi dans celui du « soin social » - c’est à dire la notion de care. (H. Mintzberg)3. L’équipe ne cherche pas à changer l’individu mais l’aide à prendre conscience de ce que signifie pour lui la conduite à risque qu’il a adoptée. Cette conduite est le résultat d’une vaste problématique qui dépend étroitement de la situation biologique et psychosociale, individuelle et familiale, personnelle et professionnelle du patient. Si l’approche médicale et psychologique de la pathologie alcoolique est indiscutable dans un centre d’alcoologie, l’approche sociale est moins évidente. Le travail social repose en effet sur des missions et des moyens. Ces missions sont-elles intégrées par tous les membres de l’équipe ? Le rôle du travailleur social est-il reconnu par son organisation ? La structure donne-t-elle au travailleur social les moyens nécessaires pour exercer son action ? Cette recherche portera ainsi sur la position professionnelle du travailleur social au sein de son équipe de soins et par rapport à son environnement, et sur les conditions dans lesquelles sa parole s’exprime et son action s’exerce. Nous avons choisi cet axe parce qu’il pouvait donner un sens à la pratique du métier. Le rôle et les tâches du travailleur social restent soumis à la nature de la structure, c’est-à-dire à sa connotation médicale, et aux contraintes de la taille restreinte d’une équipe de soins extra-hospitalière. Mais le travailleur social ne dispose-t-il pas cependant d’une certaine marge d’autonomie et de négociation pour organiser son travail ? L’exercice de ce métier en structure spécialisée interroge deux notions : 3 CABIN P., « Nous vivons dans le culte du management » in : Les Organisations p. 93 8 - la profession, à laquelle le travailleur social a été formé et qui le qualifie par l’acquisition de savoirs théoriques et de savoirs d’action validés par un diplôme - la capacité du travailleur social à s’adapter à un contexte particulier, ce qui implique l’acquisition de nouveaux savoirs en rapport avec la finalité de l’action. En l’occurrence, la formation en alcoologie permet l’acquisition de connaissances sur le mécanisme de la dépendance, la clarification des représentations personnelles de l’alcool, l’approche de divers outils thérapeutiques pour soigner la pathologie. Cette démarche de professionnalisation permet au travailleur social d’articuler ces nouveaux savoirs avec ses connaissances de telle sorte qu’il devient capable de développer des compétences pour l’action. La phase exploratoire de ce mémoire comprend trois aspects : une analyse de l’organisation actuelle de notre structure de travail, trois entretiens exploratoires, une étude du cadre institutionnel. L’analyse de notre structure nous a conduit à poser plusieurs questions: - le cadre de travail est-il bien défini ? - comment peut-on envisager la prise d’initiatives lorsque la délégation précise des tâches et des responsabilités n’est pas formalisée ? - l’organisation du travail des « permanents » (secrétaire, infirmière, psychologue, assistante sociale) permet-elle de prendre en compte les orientations actuelles des institutions médico-sociales qui placent « l’usager au centre du dispositif » ? - quelles sont les possibilités de développement des compétences des intervenants pour favoriser à la fois le déploiement des activités du centre et la reconnaissance de leur travail? Ces questions concernent directement l’activité du travailleur social et contribuent à nourrir notre réflexion sur le rôle de cet acteur dans ce type de structure. Le rôle du travailleur social se définit selon quatre axes : - un travail relationnel avec la personne, - une position d’interface entre le patient et les soignants, - une position de médiation entre le patient et les partenaires sociaux extérieurs, - un rôle de représentation de l’ensemble de la structure à l’extérieur ou de coordination de projets dans lesquels l’organisation est impliquée. Ce quatrième axe est important pour l’implication du travailleur social dans une structure de soins. 9 Si ce rôle de représentation n’est pas clairement reconnu par son organisation, comment le travailleur social pourra-t-il être identifié par ses partenaires extérieurs ? Il nous semble d’autant plus nécessaire d’interroger cette position interne que l’ensemble des professionnels des structures de soins sont aujourd’hui fortement sollicités par les pouvoirs publics pour intervenir dans la formation en alcoologie et le soutien des travailleurs sociaux « de première ligne », c’est-à-dire directement confrontés, dans leur pratique quotidienne, aux problèmes de désocialisation et d’exclusion d’un public en difficulté avec l’alcool. Si le travailleur social de l’équipe ne participe pas pleinement à ces interventions, ne risque-t-on pas d’occulter la dimension sociale de la problématique alcool 4 ? Le centre d’alcoologie est une structure de soins qui se définit comme « plurielle »5, c’està-dire pluriprofessionnelle. L’action du travailleur social du centre ne peut-elle trouver tout son sens dans sa dimension d’interface, de vecteur de communication entre le médical et le social, à l’intérieur de l’organisation comme à l’extérieur, et ceci dans le respect des différentes fonctions ? La question centrale qui sous-tend notre réflexion vise la finalité de l’action du travailleur social. L’effort global de la prise en charge du malade alcoolique lui permet-il de sortir de la dépendance au produit et de trouver les ressources nécessaires pour « mieux vivre » ? Dans la mesure où l’alcoolisme est considéré comme une « pathologie sociale », on peut penser que le rôle du travailleur social est particulièrement important dans l’accompagnement du patient et la modification de la représentation de la maladie alcoolique par son environnement. Au terme de cette exploration effectuée dans un contexte particulier et sur une seule structure, il s’avérait indispensable de confronter notre perception personnelle de la position du travailleur social à l’intérieur d’une équipe de soins à celle d’autres professionnels pour vérifier la validité de notre objet de recherche. Nous avons alors interrogé des travailleurs sociaux exerçant leur métier, soit dans un autre champ (CMP)6, soit dans un autre secteur de l’alcoologie (unité d’alcoologie hospitalière). Nous souhaitions repérer les points forts et les point faibles caractérisant leur positionnement professionnel. 4 5 6 HELFTER C., Vers une « sanitarisation » du travail social in : ASH, (2340), pp. 35-38 Conférence de consensus 1999, 2002 Centre Médico-Psychologique 10 Nous avons aussi interrogé un cadre socio-éducatif hospitalier, ayant exercé la fonction d’assistante sociale en CSST7. Il s’avère que ce type de questionnement se retrouve dans ces entretiens. Mais cette enquête exploratoire reste toutefois assez limitée et ne permet que d’introduire la recherche. Enfin, nous avons cherché à repérer le rôle du travailleur social spécialisé en alcoologie dans les circulaires législatives, les décrets d’application des lois et les quelques articles relatifs à l’accompagnement du malade alcoolique rédigés par des travailleurs sociaux. Dans les années 1980, il semble que les travailleurs sociaux occupaient une place effective au sein de la Société Française d’Alcoologie, constituant un groupe de réflexion8. Mais à l’heure actuelle, seulement 3% des membres de cette association sont des travailleurs sociaux. Il y a lieu de chercher la cause du déclin de la représentation de la profession dans cette instance. Le contexte institutionnel donne une place légitime au travailleur social en mentionnant la nécessité d’un accompagnement social dans la prise en charge du malade alcoolique en centre d’alcoologie. Mais il ne délimite ni sa fonction ni son rôle. Est-ce une richesse ou un frein au développement de son action ? Il se peut que cette imprécision dans les textes favorise la souplesse de fonctionnement des structures. Mais n’engendrerait-elle pas néanmoins des difficultés ? Ainsi cette exploration nous a permis de problématiser notre question de départ. Dans le cadre de ce mémoire, à travers une approche essentiellement organisationnelle, nous avons voulu étudier la tension qui caractérise la position du travailleur social pris dans un jeu d’interactions, et repérer les stratégies qu’il développe pour accroître la reconnaissance de son rôle. Nous proposons donc de vérifier l’hypothèse suivante : Dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en externe. 7 Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes 11 A l’issue de notre recherche, il se pourrait que les résultats de l’enquête effectuée dans le cadre d’entretiens semi-directifs viennent démentir le fait que le travailleur social développe des stratégies. Cela signifierait que son rôle est bien reconnu par son organisation ou qu’il n’en a pas perçu la nécessité. Dans une première partie, nous construirons la problématique de notre objet de recherche : la position du travailleur social en CCAA, au sein d’une équipe de soins pluriprofessionnelle. Une approche socio-historique nous permettra, tout d’abord, de situer, dans sa complexité, le contexte institutionnel et organisationnel de la prise en charge de l’alcoolisme en France. Puis, dans une approche théorique, nous étudierons l’intérêt que l’analyse stratégique peut avoir pour repérer la position du travailleur social en centre d’alcoologie et les difficultés qu’il peut rencontrer dans la mise en œuvre de ses stratégies, selon le contexte de son organisation. Nous nous référerons au modèle proposé par M. Crozier et E. Friedberg. Dans ce chapitre consacré au modèle stratégique, nous introduirons également l’analyse de la notion de compétence, développée par H. Hatzfeld. En complément de cette grille de lecture, nous procéderons à une approche clinique, proposée par E. Enriquez, approche qui complète la démarche stratégique dans la mesure où elle veut intégrer les dimensions historiques, institutionnelles d’une structure. E. Enriquez va même jusqu’à évoquer la dimension « pulsionnelle » d’une organisation, introduisant ainsi le rôle de l’inconscient dans les actions entreprises. Dans une deuxième partie, nous présenterons la méthodologie utilisée pour vérifier notre hypothèse, c’est-à-dire le choix de l’entretien semi-directif auprès de six travailleurs sociaux exerçant leur activité en CCAA du secteur public, rattaché à un hôpital et en CCAA du secteur privé, dépendant d’une association. Nous avons effectué un septième entretien auprès d’un directeur administratif de CCAA privé qui nous donnera son point de vue sur le rôle du travailleur social en équipe de soins. Puis nous analyserons le contenu de cette enquête et ses résultats. 8 POTIER A., « Le Travail social contre la dépendance alcoolique » in : ASH (1371) p. 23 12 PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE LA RECHERCHE I- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE Avant d’aborder la définition de l’alcoolisme, nous dirons quelques mots de l’histoire de l’alcool. Le mot « alcool », tout d’abord, « provient de l’arabe « Al kohl » qui désigne à la fois le fard qui embellit les yeux et l’esprit du vin - peut-être même ce qui, dans le vin, farde le regard et transforme la vision du monde »9. Comme d’autres produits toxiques psychotropes10, l’alcool joue un rôle important dans l’histoire des civilisations sur le plan religieux. Mais son usage engendre des réactions radicalement opposées de glorification ou d’abomination. La glorification apparaît dans les cultures judéo-chrétiennes tandis que des réactions provoquées par les abus aboutissent à des interdictions, notamment dans les civilisations musulmanes (VII° siècle). Dans les pays de culture judéo-chrétienne, jusqu'à la fin du XVIII° siècle, c’est « l’ivrognerie », considérée comme un péché qui est repérée et punie comme tel, et non la consommation abusive d’alcool. Il faut attendre la Révolution pour que l’on trouve le premier mot de prévention dans la Convention de 1793 : « la protection de la santé est un devoir d’Etat ». S’amorce alors une prise de conscience de la nécessité de protéger les individus contre les grands fléaux11. Le début du XIX° siècle est marqué par une augmentation massive de la consommation d’alcool en raison, notamment, du développement des communications, du perfectionnement de la distillation, de l’amélioration de la conservation et du stockage du vin. Puis la première révolution industrielle fait apparaître le problème d’un prolétariat, ayant recours à l’alcool pour combattre la faim et la fatigue. Par ailleurs, l’eau est le plus souvent polluée, la fièvre typhoïde sévit ; les boissons alcoolisées issues de fruits sont assimilées à l’alimentation et même recommandées. L’alcoolisation va devenir régulière et remplacer les ivresses intermittentes et violentes de la période précédente. Parmi les travaux scientifiques de l’époque, nous retiendrons ceux 9 NATHAN T., De l’Ivresse à l’Alcoolisme, p. 7 cf. définition , p.14 11 PAUTROT Y., « Les Mesures Sociales » in : Alcoologie-Cours d’été 1993 10 13 du docteur suédois Magnus Huss qui vont aboutir à la description des troubles causés par l’alcool et à la formulation, en 1849, du concept d’alcoolisme chronique. Après avoir replacé brièvement l’histoire de l’alcool dans celle des hommes, nous donnerons, en premier lieu, quelques éléments d’explication sur le fait social que représente aujourd’hui l’alcoolisme, sur l’histoire, en France, de la lutte contre ce phénomène, et sur la nature du réseau actuel qui a été mis en place pour la prise en charge des personnes vivant avec un problème d’alcool. Et nous conclurons cette approche sociohistorique sur la présentation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie et sur le fonctionnement de celui dans lequel s’exerce notre activité. I-1 L’alcool : données générales Nous donnerons dans ce chapitre les définitions de l’alcoolisme, de la notion de dépendance et des indications sur les données épidémiologiques du fait social que représente l’alcool. I-1-1 Définitions Ces définitions permettent de situer les risques encourus par l’individu qui s’alcoolise. L’alcoolisme est un « état pathologique lié à une consommation d’éthanol qui, par sa fréquence et/ou son intensité, est dangereuse pour l’individu 12. « Il y a alcoolisme lorsqu’un individu a, en fait, perdu la liberté de s’abstenir de boire »13. « Les alcooliques sont des buveurs excessifs dont la dépendance à l’égard de l’alcool est telle qu’elle présente soit un trouble mental décelable, soit des manifestations affectant leur santé physique ou mentale avec autrui et leur bon comportement social et économique, soit des prodromes (signes précurseurs d’une maladie) ; ils doivent être soumis à un traitement »14. « L’alcoolique est celui qui est dans l’impossibilité de boire modérément : dès qu’il prend un verre, il ne peut plus s’arrêter »15. 12 Glossaire d’alcoologie, Haut Comité d’Etudes et d’Information sur l’Alcoolisme FOUQUET P., cité par BARRUCAND D. in : Alcoologie 14 Organisation Mondiale de la Santé 15 ARCHAMBAUD J-C., « Comprendre et traiter les alcooliques » 13 14 La lecture de ces définitions appellent quelques commentaires. Il convient de distinguer « le buveur occasionnel », le « buveur excessif » et le « buveur alcoolo dépendant ». Ces distinctions ne sont pas gratuites. Elles conditionnent la réponse qui sera apportée à la personne qui s’interroge sur sa consommation d’alcool et le type de prise en charge qui en découlera. Cette diversité du public explique la complexité du dispositif de prévention et de soins à mettre en place dans une société où l’alcool reste évidemment un produit licite. I-1-2 La notion de dépendance Comme le dit le docteur P. Fouquet, est alcoolique celui qui a « perdu la liberté de s’abstenir de boissons alcoolisées ». Cette définition désigne l’alcoolo-dépendant. Il s’agit donc d’une double perte de liberté : de boire et d’arrêter de boire librement. La prise de ce produit toxique, l’alcool, lui fait perdre la liberté de contrôle, l’abstinence aliène sa liberté de consommer16 . On distingue deux types de dépendance : - la dépendance physique, c’est le champ du toxique (du grec, toxicon, poison). Caractérisée par le syndrome du sevrage (malaises intenses, hypersudation,...) survenant après quelques heures ou quelques jours d’abstention d’alcool et disparaissant rapidement avec... une prise d’alcool. C’est elle qui est responsable des complications graves du sevrage : les crises d’épilepsie, le delirium tremens. C’est un phénomène tardif, lié à une consommation continue, régulière et excessive. Les effets de l’alcool ne sont pas évaluables a priori : la vulnérabilité reste individuelle, non prévisible et s’exprime sur le long terme. Le patient consultant décrit au médecin le syndrome de manque, en particulier le matin, qui l’oblige à calculer sa consommation pour être le moins souvent possible en état de manque. - la dépendance psychique, c’est le champ de la psychotropie. Un produit psychotrope ou substance psycho-active est une substance d’origine naturelle ou synthétique qui peut, par son action sur le système nerveux central, modifier l’activité mentale, les sensations et les comportements17. L’alcool répond à cette définition, sa consommation est susceptible de modifier les rapports au monde environnant en levant globalement ses inhibitions. Cette 16 17 KIRITZE-TOPOR P., Comment aider les alcooliques et ceux qui les entourent, p.82 DEBOCK C., « Sociologie des Addictions », in : Les Passions Dangereuses p.12 15 dépendance précède la dépendance physique, pour certains de manière très précoce , ce qui traduit la vulnérabilité et les inégalités des individus face au produit. La rencontre avec « l’alcool-drogue » fait prendre à tout consommateur un risque, là encore individuel, mais qui n’est lié, cette fois, ni à la quantité, ni à la durée de l’intoxication. Ce risque se nomme la tolérance, il se traduit par la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets. Outre les vertus pharmacologiques de l’alcool et le fonctionnement du cerveau, de multiples facteurs personnels, sociaux et culturels interviennent dans l’évaluation des effets de l’alcool. La dépendance psychique trouve ainsi ses racines dans une rencontre entre un sujet et un psychotrope, à un moment donné de son histoire. Le risque peut avoir été pris vingt ans auparavant, dans le cadre de son milieu de travail, par exemple. Si la majorité de la population s’arrête de consommer quand le seuil de tolérance est atteint, environ 10% continue et pour ceux-là, la rencontre avec l’alcool a pour conséquence, très tôt, le passage d’une alcoolisation avec contrôle possible, à un autre état où le patient n’est plus capable de s’arrêter. Les théories neuro-biologiques expliquent le mécanisme de la dépendance qui serait d’ordre purement biologique. Le manque de l’alcoolique correspondrait à la destruction d’une partie du système de protection et l’apparition d’un vide cellulaire lié à l’absence d’alcool qui peut s’apparenter au phénomène de la douleur. Bien qu’extrêmement succincte, l’approche de ces théories se justifie dans notre étude car elle permet de mettre en rapport des données scientifiques avec les réactions d’une société qui considère l’alcoolo-dépendant comme un individu en état de mensonge, sans volonté, alors que la volonté ne peut rien en face du mécanisme bio-chimique. Ces théories ont le mérite de pouvoir déculpabiliser en partie le consommateur et de sortir des jugements moraux. Le risque serait de s’en servir pour le déresponsabiliser. C’est pourquoi la sortie de la dépendance implique une nouvelle organisation de la vie où l’alcool n’aurait plus sa place. Dans cette optique, la recherche d’un substitut est la « voie royale pour traiter les désordres de la dépendance », nous dit A. Memmi18, mais cette voie est difficile à trouver par le patient comme par les soignants et le travailleur social, tant 18 MEMMI A., La Dépendance, p. 189 16 cette démarche est tributaire de la communication, d’une juste définition des mots et des idées qu’ils véhiculent. L’élucidation d’un tel problème ne se trouve ni dans la suppression pure et simple du produit, ni dans la permissivité, mais dans la construction d’un projet réaliste. I-1-3 Quelques données épidémiologiques La consommation d’alcool en France est un problème de santé publique qui se traduit en premier lieu par des chiffres19. En France, 5 millions de personnes sont exposées par leur consommation d'alcool à des difficultés d'ordre médical, psychologique et social (chiffre qui ne prend pas en compte l'entourage familial), 2 millions sont alcoolo-dépendants psychiques ou physiques. Le coût social serait actuellement de l’ordre de 18 milliards d'euros, soit environ 1% du PIB (Direction Générale de la Santé et Direction des Hôpitaux). Chaque année, l'alcool provoque 40 à 50 000 morts. L'abus d'alcool est impliqué dans 33% des accidents de la circulation et 80% des rixes et des violences familiales. La lutte contre les conduites d’alcoolisation revêt de multiples aspects et nous ne présenterons dans ce mémoire qu’un aperçu de la réponse apportée aux problèmes de santé, individuels ou familiaux, liés à une consommation excessive d’alcool ou à une alcoolodépendance. Ceci nous conduit, tout d’abord, à traiter de l’évolution des politiques de santé publique avant de décrire la situation actuelle de prise en compte du problème. I-2 Une histoire de la lutte contre un « fléau social » En matière de lutte anti-alcoolique, l’initiative privée a précédé l’intervention des pouvoirs publics. Elle a contribué à la sensibilisation de l’opinion publique et des politiques, à l’implication de l’Etat, ainsi qu’à la modification de l’approche de l’alcoolisme. 19 Rapport ROQUES, juin 1998 17 I-2-1 Les précurseurs La législation antialcoolique a commencé à s’esquisser au XIX° siècle avec deux dispositions fondamentales : la loi de 1838 sur l’internement des aliénés, et la loi de 1873 sur la répression de l’ivresse publique. On ne s’intéressait alors qu’aux atteintes à l’ordre public occasionnées par l’abus d’alcool. Cependant, au milieu du XIX° siècle, apparaît une prise de conscience de la pathologie alcoolique vue sous l’angle de la neuropsychiatrie. Elle se concrétise le 12 mars 1872, par la création de « l’Association française contre l’abus des boissons alcooliques », le plus ancien organisme de prévention de l’alcoolisme, connu aujourd’hui sous le nom d’Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme et des Addictions (ANPAA). Son objectif était de réagir au développement du fléau et à ses incidences, tant au plan sanitaire que social. Se multiplient alors les études scientifiques qui permettront de lancer une action d’éducation sanitaire, changer les mentalités et combattre deux idées antagonistes : les boissons alcooliques ont des vertus hygiéniques d’une part, et l’alcoolisme est un « vice » d’autre part. Presque à la même époque naissent les mouvements d’anciens buveurs qui veulent sensibiliser l’opinion publique et les politiques. Très prosélytes, ils prônent l’abstinence ou la tempérance dans une société où la consommation d’alcools forts augmente, en particulier l’absinthe. La pédagogie de leurs campagnes est basée sur la peur, montrant l’ivrogne dans toute sa dégénérescence. L’âge d’or de ces associations aux origines diverses (à caractère confessionnel, mais aussi à l’initiative du patronat ou des ouvriers) se situent au début du XX° siècle. Nous n’en citerons que quelques unes : les Alcooliques Anonymes, venus des Etats-Unis, Croix d’or, Croix bleue, Joie et santé, Santé de la Famille des Chemins de Fer français, Amitié PTT,… ou encore la Fédération Interprofessionnelle pour le Traitement et la Prévention de l’Alcoolisme et des autres Toxicomanies (FITPAT). Ces organismes sont toujours très actifs à notre époque. Sous cette pression, le ministère de l’Instruction Publique introduit, en 1897, des cours de sensibilisation aux dangers de l’alcoolisation dans les écoles. Et des mesures sont prises pour commencer à réglementer la production, la distribution et l’offre de boissons mais pas encore pour prendre en charge les malades alcooliques. 18 I-2-2 Le tournant des années 1950 Cette époque est marquée par une évolution des volontés politiques et la mobilisation des professionnels de santé. La loi relative aux alcooliques présumés dangereux pour autrui est votée le 15 avril 1954 : c’est une loi d’assistance jugée alors comme « révolutionnaire » dans la mesure où elle s’intéresse à l’alcoolique en tant que malade. L’alcoolisme n’est plus seulement le symptôme d’une maladie mentale. Il n’est plus considéré uniquement comme un trouble de l’ordre public mais il devient un problème sanitaire. Cette loi ne répond pas à toutes les formes d’alcoolisme mais c’est une étape déterminante. En novembre 1954 est institué le Haut Comité d’Etude et d’Information sur l’Alcoolisme (HCEIA). En novembre 1966, lors du symposium international de Gand, le docteur Pierre Fouquet, donne vigueur à un terme employé pour la première fois en 1903 : « l’alcoologie »20. En 1978 est créée la Société Française d’Alcoologie, sous la présidence de Pierre Fouquet. L’alcoologie est définie comme une discipline consacrée à tout ce qui a trait, dans le monde, à la relation de l’homme à l’alcool : « production, conservation, distribution, consommation, avec les implications de ce phénomène, causes et conséquences, soit au niveau collectif, national et international, social, économique et juridique, soit au niveau individuel, spirituel, psychologique et somatique » 21. Les pouvoirs publics prennent alors conscience que la prise en charge des malades alcooliques reste insuffisante si la pathologie n’est prise en compte que sur le plan médical et non pas également sur le plan social. Il faut donc développer des moyens. I-2-3 Une nouvelle implication de l’Etat à partir de 1970 Les pouvoirs publics s’intéressent tout d’abord au problème de la toxicomanie. La loi du 31 décembre 1970 - dite couramment anti-drogue- manifeste deux soucis: l'aide et la répression, en offrant aux délinquants toxicomanes une alternative à l'incarcération à travers le soin. Il s'agit de la mesure d'injonction thérapeutique. Notons toutefois que cette loi renforce l'image négative du drogué héritée du 19° siècle et qu'elle est profondément contradictoire dans ses termes : « elle définit le drogué comme un 20 Exposé intitulé « Eloge de l’alcoolisme et naissance de l’alcoologie » 21 Définition du HCEIA in : Cours AREAT 1993 19 délinquant responsable devant la loi et comme un malade irresponsable car victime de sa maladie...» 22 et donc incapable de contrôler les conséquences de ses actes. La distinction entre usage et abus ne concerne que la consommation d’alcool. Le toxicomane est un délinquant de fait. L'alcoolo-dépendant ne le devient que s'il a commis un délit sous alcool. Selon les termes de la loi de 1970, comme nous l’avons dit, l'individu en proie à l'alcool est à la fois un "délinquant responsable" et un "malade irresponsable" qui ne jouit plus de sa liberté. La dépendance physique soulève la question de la liberté de disposer de son corps23. Et comme le dit Pascale Ancel24, le législateur pose les limites de cette liberté en considérant que l'usage de ces substances portant atteinte au libre-arbitre est contraire aux impératifs d'autonomie et de dignité de la personne humaine. Le travailleur social peut alors se demander à quel moment il lui faut intervenir, s'ingérer dans la vie d'autrui... avant qu'il ne soit trop tard. D'une façon générale, la question du droit de regard de la société sur l'individu est clairement posée. Par cette loi, les pouvoirs publics institutionnalisent la lutte contre l’alcoolisme en mettant en place un dispositif spécialisé permettant d’assurer un accueil de proximité et une approche globale du problème, notamment en s’intéressant à ses causes. La circulaire du 23 novembre 197025 introduit la création des consultations d’hygiène alimentaire. Les trois objectifs de cette circulaire sont : l’amélioration de la prise en charge des pathologies de la nutrition, dont la maladie alcoolique, la réponse aux besoins des « gros buveurs d’habitude », sans problème psychiatrique lourd et une alternative de soins aux consultations d’hygiène mentale pour ceux que l’étiquette psychiatrique rebute. La circulaire du 31 juillet 197526 prévoit l’ouverture des Centres d’Hygiène Alimentaire (CHA). Elle précise les principes et modalités de traitement du « buveur excessif » et définit la composition et le rôle de l'équipe médico-sociale. Les CHA sont définis comme des postes d’accueil, d’écoute et d’urgence, ouverts en permanence. 22 23 DEBOCK C., « Sociologie des addictions » in : Les Passions Dangereuses, p. 15 C. Debock cite une phrase étonnante du préambule de la loi du 31 décembre 1970: "A une époque où le droit à la santé et aux soins est progressivement reconnu à l'individu, en particulier par la généralisation de la sécurité sociale, il paraît normal en contrepartie que la société puisse imposer certaines limites à l'utilisation que chacun peut faire de son propre corps, surtout lorsqu'il s'agit d'interdire l'usage de substances dont les spécialistes dénoncent unanimement l'extrême nocivité", idem, p.15 24 ANCEL P., et GAUSSOT L., Alcool et Alcoolisme, p. 47 25 Circulaire DGS/1252/MS du 23 novembre 1970 26 Circulaire DGS/2226/MS du 31 juillet 1975 20 La circulaire du 15 mars 198327 élargit les missions du CHA et les transforme en Centres d’Hygiène Alimentaire et d’Alcoologie (CHAA), structures d’accueil, de soins, de prévention et de recherche assurant le suivi ambulatoire de toute personne confrontée à un problème d'alcoolisation et qui deviennent ainsi de véritables lieux d’intervention thérapeutique. La circulaire précise que l’accompagnement du malade alcoolique doit être « médical, relationnel et social ». Le souci des pouvoirs publics est de mettre en place des structures ouvertes à tous, localement implantées de façon à faciliter la collaboration avec des partenaires diversement impliqués (organismes sociaux, justice, médecine du travail et scolaire). Dans le volet social, il est indiqué que « l’équipe pluridisciplinaire du CHAA, par l’intermédiaire de ses travailleurs sociaux, peut aider à la resocialisation grâce à d’étroites collaborations avec les autres structures sociales de la cité ». Mais, dans l’ensemble, la circulaire reste très vague sur la composition de l’équipe et ne donne aucune directive, en dehors du fait que le nombre de ses membres doit rester limité. « L’équipe du CHAA doit être pluridisciplinaire, regroupant des personnes pouvant avoir des formations professionnelles variées (parmi lesquelles peuvent notamment être citées celle d’éducateur, de psychologue, de diététicien, de conseiller conjugal...etc.) ou ayant une expérience personnelle (anciens buveurs, visiteur social) ». Comme le remarque H. Bergeron28, ce qui prime, c’est le désir de créer une spécialité, l’alcoologie, en dépassant la notion de catégorie professionnelle et statutaire. Cette période marquée par l’antipsychiatrie explique cette volonté de constituer une discipline autonome. Et la circulaire de 1983 traduit cette orientation en sortant les CHAA de l’enveloppe budgétaire psychiatrique pour en faire une compétence de l’Etat. Pour tous les acteurs de l’alcoologie, il y a là la possibilité de développer une stratégie de valorisation par la spécialisation. Nous verrons si les travailleurs sociaux spécialisés ont pu réellement se saisir de cette opportunité pour obtenir une reconnaissance de leur activité. Si les missions des CHAA s’élargissent sensiblement, les objectifs de santé publique restent cependant imprécis, les budgets restent précaires et les moyens alloués faibles. Parallèlement aux CHAA s’organise la prise en charge à l’intérieur des hôpitaux, engagés 27 Circulaire DGS/137/MS 2.D. du 15 mars 1983 BERGERON H., Dispositifs spécialisés « alcool » et « toxicomanie », santé publique et nouvelles politiques des addictions p. 8 28 21 par la circulaire du 28 mars 1978 à créer des unités hospitalières d’alcoologie comprenant, outre le service de cure, des consultations externes. I-2-4 L’évolution du dispositif spécialisé à partir de 1998 Dans le milieu de l’alcoologie et de la toxicomanie, deux axes de réflexion apparaissent pour inciter les pouvoirs publics à prendre de nouvelles orientations. Ils portent d’une part, sur les problèmes de financement des CHAA, et d’autre part, sur l’extension de la notion de dépendance. - Le budget des CHAA La pérennité des CHAA restait fragile en raison de leur mode de financement. La loi - dite « contre les exclusions » du 29 juillet 1998 apporte une réponse à cette question en renforçant le statut juridique des CHAA devenus Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA) en leur donnant une base légale et un financement stable (par le régime d’assurance maladie et non plus par la DDASS-Etat). L’orientation « curative » du centre d’alcoologie est ainsi nettement soulignée. « Sont considérées dès lors comme institutions sociales et médico-sociales, au sens de la loi du 30 juin 197529, tous les organismes publics ou privés qui, à titre principal et d'une manière permanente, assurent des soins ambulatoires et des actions d'accompagnement social en faveur des personnes présentant des consommations à risque ou nocives ou atteintes de dépendance alcoolique ». Ces personnes sont exonérées du ticket modérateur, les consultations sont donc gratuites. - La prise en charge des malades dépendant d’un produit licite ou illicite Le réseau de prise en charge du malade toxicomane se développe, mobilisant des crédits importants avec des outils plus élaborés qu’en alcoologie, notamment au niveau de l’hébergement thérapeutique. S’élabore alors toute une réflexion sur la notion de dépendance, en général, et sur la pertinence des dispositifs de soins. Faut-il continuer à distinguer le malade alcoolique du toxicomane, pour quelles raisons, et sinon faut-il imaginer la création d’un lieu unique de soins ? Pour comprendre l'évolution des représentations, il convient de comparer l'image du malade alcoolique à celle du « drogué ». Aujourd'hui, la notion d'alcoolo-dépendance entre 29 Loi n° 75-535 du 30-06-1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales 22 dans le champ de l'addiction, terme utilisé dans tous les textes et qui signifie dépendance à une drogue. Addiction est dérivé du substantif latin addictus qui signifie esclave pour dette, quand celle-ci ne pouvait être remboursée, et du verbe addicere qui renvoie au droit romain de donner par jugement une personne à une autre. La métaphore de l'individu insolvable et de la contrainte par corps éclaire bien les enjeux relationnels des conduites addictives contemporaines. Ce mot, repris par la langue anglaise pour signifier « dépendance aliénante », est employé en France avec la même signification. L'introduction de ce concept dans les sciences humaines correspond au désir de jeter des ponts entre des conduites pathologiques différentes mais qui ont souvent une origine identique. Ainsi l'utilisation de ce concept permet de se focaliser non plus sur le produit mais sur les fondements de la dépendance. Deux rapports sont venus nourrir la réflexion des pouvoirs publics pour aboutir à une prise en compte globale des phénomènes de dépendance, quelque soit le statut légal ou culturel du produit, et à des mesures concrètes. L’objectif du rapport Roques -juin 1998- est de "faire changer le regard" de la France sur son "fléau" atavique, l'alcool. En comparant le potentiel neuro-toxique de l'alcool à celui de l'héroïne et de la cocaïne, le professeur Roques replace le débat sur des bases scientifiques et contribue à faire émerger une prise de conscience par rapport à la dangerosité de l'alcool. Ce rapport s'appuie sur des données statistiques30. Conséquence directe de cette étude : l'extension des compétences de la Mission Interministérielle à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) à l'alcool, permettant le démarrage d'une politique pragmatique. Le rapport Parquet-Reynaud -mars 1999- évalue le dispositif de soins en soulignant la gravité du problème, sous-estimée jusqu'alors, et l'incohérence de la prévention. Ce rapport reprend les conclusions d'une évaluation faite par la société d'audit TEN, en 1993, qui soulignait que le réseau de soins et de prévention existait, qu'il était même particulièrement performant, mais qu'il était méconnu et insuffisant. Le rapport soulignait que les CHAA étaient répartis de façon inégale sur le territoire (dix départements seulement, en 1999 en étaient pourvus, ce qui ne permettait de toucher que 2 à 3% de la population concernée soit 1 à 2 millions de personnes) et travaillaient avec des moyens fort divers. Négligeant les constats positifs de l'existant, ce qui n'a pas manqué de soulever des critiques, le rapport Parquet-Reynaud préconise: 30 citées p.16 23 - la mise en place d'un centre d’alcoologie par département au minimum - une meilleure information du public sur les usages à risque - une meilleure formation des professionnels (médecins, para-médicaux, travailleurs sociaux) au repérage et à la prise en charge des buveurs excessifs, « bien avant que n'apparaissent la dépendance et les complications (cirrhoses, psychoses...) » - une action préventive en direction des jeunes de moins de 15 ans (programme d'éducation à la santé dans l'Education Nationale). Les constats de ce rapport sont confirmés par le Comité de la Lutte contre la Drogue et les Toxicomanies dans le cadre d'un plan triennal adopté en juin 1999, qui met l'accent sur la nécessité d'une approche globale des phénomènes de dépendance, alcool inclus, les impératifs d'une approche de santé publique primant sur le "tout répressif". Le gouvernement décide alors un rapprochement des structures de prise en charge "alcool et toxicomanie", la création en trois ans de 20 nouveaux "réseaux ville-hôpital" coordonnant l'activité des médecins libéraux et hospitaliers, la création de 20 nouvelles équipes de liaison en milieu hospitalier, ainsi que 50 consultations supplémentaires en alcoologie… La mobilisation des pouvoirs publics s'accentue lors du vote de la loi de Rénovation de l'Action Sociale et Médico-Sociale du 2 janvier 2002 (révision de la loi du 30 juin 1975) qui fait entrer officiellement les CCAA dans le champ médico-social en devenant des CSAPA31 afin de souligner que ces structures sont destinées à toutes les victimes de dépendances toxicomaniaques. En réalité, cette loi n’a pas pu imposer la prise en charge de toutes les formes de dépendance en un même lieu de soins. Les praticiens s’y sont opposés en donnant pour raison que les patients toxicomanes et alcoolo-dépendants offrent des profils trop différenciés. Cette opposition souligne la divergence entre la vision des praticiens de terrain et celle des politiciens. Cependant, les CCAA sont concernés par les innovations générées, en principe, par cette loi qui fixe les droits et les devoirs fondamentaux des usagers et les moyens pour les garantir (participation des intéressés au projet, livret d'accueil, charte des droits, contrat de soins). Cette loi organise les partenariats nécessaires entre l'Etat, les départements et les établissements, et elle donne des outils pour adapter l'offre aux besoins. Cette réforme se définit comme une loi de liberté. Elle favorise les capacités d'innovation des institutions 31 En janvier 2003, le ministre de la santé est revenu sur la décision de regrouper les deux types de structures, CCAA et CSST (centre de soins spécialisés pour toxicomanes) sous la dénomination commune de CSAPA, ce qui souligne les fluctuations de la prise en charge des dépendances : le terme de CSAPA disparaît… 24 médico-sociales et elle responsabilise tous les acteurs, grâce à une rénovation de la coordination entre la création de centres, leurs programmations, les modalités de financement, l'évaluation des prestations fournies, le contrôle, la coordination des acteurs. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé oblige chaque intervenant à faire face à ses responsabilités. Cette loi a pour objectif d’établir de nouveaux rapports de confiance entre les malades, leurs familles, les associations de défense et les professionnels. Elle inscrit dans le Code de la Santé Publique des droits qui, jusque là, ne se trouvaient que dans les règles déontologiques ou dans la jurisprudence. L’accès au dossier médical fait désormais partie des droits des malades. Ce dernier point pose question aux professionnels de santé, en particulier en centre d’alcoologie dans la mesure où, dans certains cas extrêmes, ceux-ci peuvent être interpellés par la famille, en particulier lorsqu’un patient se suicide. Le projet de loi de Santé Publique de mai 2003 a deux objectifs : régionaliser la politique de santé et « bâtir une véritable politique de prévention ». Parmi les cinq priorités retenues par le ministre de la santé figurent les conduites addictives. Aujourd’hui, le dispositif spécialisé, dont font partie les CCAA, est reconnu comme pertinent en tant que lieu de soins, lieu d’analyse et d’expertise, centre d’un travail en réseau et d’une coordination à l’échelon départemental et régional. Les modes de soins en centre d’alcoologie permettent une amélioration dans 30% des situations à un an de prise en charge. La spécificité de cette alcoologie ambulatoire repose sur une approche globale replaçant le patient au premier plan dans son intégrité, dans son histoire et dans son devenir32. La stabilité du financement de ce type de structures est à présent garantie par la loi de 1998. Pour conclure la présentation de l’évolution historique de la prise en charge des problèmes d’addictions, nous évoquerons l’existence de conférences de consensus. Quatre se sont déroulées depuis 1998, à la demande de l’Agence Nationale d’Accréditation et 32 Conférence de Consensus, 1999 25 d’Evaluation Sanitaire (ANAES)33 et sous l’égide de la Société Française d’Alcoologie. La finalité de ces conférences est de pouvoir évaluer les résultats des activités et pratiques professionnelles sur des critères universellement reconnus après avoir fait l’état des lieux des connaissances scientifiques et des multiples dispositifs de prise en charge. Ces conférences ont pour but de fixer les objectifs, les indications et modalités de sevrage et d’accompagnement du sujet dépendant (alcool, drogues, tabac), les modalités d’accompagnement après sevrage, ainsi que les recommandations de pratique clinique qui s’adressent, en principe, à tous les métiers de l’addictologie. Mais nous verrons que, dans la réalité, le volet social est le plus souvent occulté. En reprenant toutes les étapes de la prise en charge de l’alcoolisme en France, nous avons voulu souligner qu’il s’agit là d’un problème de société. Le regard porté sur le problème est en perpétuelle évolution. Il est fonction du contexte socio-économique et des représentations de cette pathologie. L’intention des pouvoirs publics comme des structures de prévention et de soins est de travailler non seulement sur l’accompagnement des personnes vivant avec un problème d’alcool mais aussi sur la modification des représentations de l’alcool par la société : l’alcoolo-dépendant est un malade et non pas un être « dégénéré ». Reste encore la question de la distinction à opérer entre alcoolique et toxicomane dans la diversification des approches. I-3 La complexité du réseau actuel de prise en charge des personnes vivant avec un problème d’alcool Dans le cadre de ce mémoire, nous nous focalisons sur le dispositif de prise en charge des personnes en difficulté avec l’alcool, en laissant de côté celui qui concerne les toxicomanes bien que nous soyons conscients du regard global qui est posé aujourd’hui sur toutes les formes de dépendance à un produit toxique. Nous verrons donc la multiplicité des interlocuteurs susceptibles d’apporter une réponse au malade alcoolique. 33 L’un des objectifs de l’ANAES, créée en 1996, est d’établir l’état des connaissances, de créer un référentiel de celles-ci dans le domaine médical (au niveau de la science) et de la technique (méthode) 26 I-3-1 Les réseaux de professionnels non spécialisés Ces réseaux associent divers professionnels (médecins généralistes et spécialistes, psychologues, pharmaciens, personnels hospitaliers, travailleurs sociaux, professionnels de la Justice…). Les réseaux sont centrés sur la prise en charge directe du patient, sur l’orientation du patient vers une structure spécialisée, sur la coordination à établir avec les structures spécialisées ou sur les échanges interprofessionnels. I-3-2 Les associations d’anciens malades Nombreuses en France, d’origine et de taille variée, leur objectif principal est d’aider les buveurs dépendants à devenir et rester abstinents, et leurs familles à comprendre le problème. Elles fonctionnent de manière relativement discrète par rapport à l’extérieur mais elles peuvent intervenir au sein des hôpitaux, des CCAA. Certains mouvements ont ouvert et gèrent des centres de post-cure ou de réadaptation. I-3-3 Le dispositif de soins ambulatoires et de prévention Il a pour missions la prévention, le soin et l’accompagnement social, la liaison avec les autres intervenants sanitaires et sociaux en amont et en aval du soin, l’information, la sensibilisation et la formation de tous les publics. Ce dispositif spécialisé comprend deux principaux types de structures : - les Centres de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA), composés d’équipes pluriprofessionnelles, orientés vers le soin et l’accompagnement social de toute personne concernée directement ou indirectement par un problème d’alcool. Il n’y a pas de lits d’hospitalisation. - les Comités Départementaux de Prévention en Alcoologie et Addictologie (CDPAA) dont la mission essentielle est la prévention, mission qui s’exerce en direction de tous les publics, sur de multiples lieux (établissements scolaires, entreprises). Ils sont à 80% gérés par l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA). Le tableau suivant montre que les CCAA peuvent être de statut privé ou public. 27 Le secteur associatif est prédominant (40% des CCAA sont gérés par l’ANPAA). Dans le secteur public la plupart des CCAA sont gérés par des hôpitaux. Forme juridique des structures gestionnaires des CCAA34 Statut Organismes Nombre en France Privée ANPAA 87 Associations 45 Autres 4 Sous-total Publique 134 Hôpital 51 Commune 11 DDASS 3 Sous-total 65 Total : 201 L’activité du dispositif spécialisé de soin et de prévention s’exerce souvent de façon décentralisée, dans des lieux accessibles aux usagers, ouverts (pour certains) de façon permanente ou pour des périodes de temps limitées. Le nombre de professionnels salariés dans les structures de prévention et de soins peut être estimé à environ 1700 personnes. La plupart exerce leur activité dans ce secteur à temps partiel. Le nombre de salariés en ETP serait de 925 en 1997, dont 38,8% appartiendrait au secteur sanitaire, 15,8% au secteur social , ces deux catégories exerçant en CCAA, et 18,5% en secteur prévention. Evolution des catégories dans l’ensemble du personnel du dispositif spécialisé de 1994 à 1997 (structures de prévention et structures de soins) Sanitaire (CCAA) : 1994 1995 1996 1997 37,1 33,5 34,4 38,8 16,8 17,5 18 15,8 19,6 20,4 20,6 18,5 médecins, infirmiers, aide-soignants, diététiciens, psychologues Social (CCAA) : Assistants sociaux, éduc. spé.,visiteurs sociaux Prévention : animateurs, délégués ou directeurs 28 Dans le tableau ci-dessus, on peut noter que la catégorie sociale (15,8% du personnel des CCAA) a tendance à diminuer au profit de la catégorie sanitaire et que le secteur social comprend plusieurs professions. On distingue les assistants sociaux, les éducateurs spécialisés et, spécifiquement pour l’ ANPAA, les visiteurs sociaux, catégorie regroupant à la fois éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs et un personnel non diplômé composé en général d’anciens malades devenus professionnels en alcoologie et de personnes non diplômées mais avec expérience dans le secteur social. Depuis juillet 2004, l’ANPAA a adopté la convention collective 1966 et les visiteurs sociaux vont disparaître. Ceux qui ne sont pas diplômés sont invités à bénéficier de la loi sur la validation des acquis par l’expérience. Dans le cadre de ce mémoire, la multiplicité des professions sociales nous conduit à parler des « travailleurs sociaux ». Cependant, aucune statistique ne nous permet de distinguer la proportion de chaque profession à l’intérieur de la catégorie des « sociaux ». A côté de ce dispositif et en coordination avec lui, d’autres structures interviennent. I-3-4 Les soins hospitaliers Les soins hospitaliers s’articulent autour : - de consultations d’alcoologie dans les hôpitaux généraux ou psychiatriques au sein des services de médecine interne, de psychiatrie, de gastro-entéro-hépatologie ou aux urgences. - d’unités spécialisées en alcoologie (avec hospitalisation) qui peuvent être une unité fonctionnelle dans le cadre d’un service de médecine ou de psychiatrie, proposant un sevrage (une semaine). A la suite de ce séjour hospitalier, le patient peut être orienté vers une autre structure avec prise en charge globale, en hospitalisation (cure d’environ trois semaines) ou en consultation ambulatoire. - d’équipes d’alcoologie de liaison réunissant médecins, infirmiers, assistants sociaux formés à l’alcoologie, destinées à accompagner les patients et à soutenir les équipes soignantes dans la mise en place des projets de soin. Elles ont pour mission d’assurer un lien avec le milieu hospitalier, le dispositif spécialisé et les professionnels de santé de ville. 34 Source : le dispositif spécialisé de la lutte contre l’alcoolisme, DGS, 1999 29 Le dispositif, relancé en 1996, prévoit la création d’une équipe par région : en 1998, on n’en compte que 18 mais une centaine était prévue en 2004. I-3-5 Les centres de cure Les centres de cure sont des lieux avec hébergement spécialisés dans le traitement de la dépendance à l’alcool qui accueillent des personnes venues pour effectuer un sevrage (durée moyenne de séjour : trois semaines)35. L’admission dans ces établissements se fait sur prescription médicale, les frais sont couverts par l’assurance maladie. En 1993, il en existait 11 en France. A l’heure actuelle, les CCAA travaillent en étroite collaboration avec les centres de cure. Leur sont adressés les patients pour qui une période d’éloignement des conditions de vie quotidienne est salutaire. Il s’agit d’une hospitalisation dans un cadre différent de l’unité d’alcoologie d’un hôpital. La mission du centre de cure est, en premier lieu, le sevrage physique du patient. Cependant, les services disposent d’équipes pluridisciplinaires médico-psycho-sociales qui permettent d’aborder le problème de la dépendance sous ses multiples facettes, comme dans les structures ambulatoires. Le temps que le malade peut consacrer à réfléchir sur sa trajectoire personnelle dans l’alcool, et aussi l’accompagnement spécialisé dont il peut bénéficier sur place sont des atouts importants dans ce type de structure de soins. L’inconvénient majeur, c’est l’angoisse que génère la perspective de la sortie de l’établissement ; d’où la nécessité d’articuler le séjour avec un suivi en CCAA, en amont et en aval de la cure dite « fermée ». I-3-6 Les centres de post-cure Ces centres sont réservés aux personnes ayant suivi une cure de sevrage en milieu fermé ou en ambulatoire. S’il apparaît une difficulté à maintenir l’abstinence, si la détresse psychologique et/ou sociale s’avère trop importante, une post-cure, orientée vers la redynamisation, peut être proposée au patient. En 1999, le rapport Parquet-Reynaud en répertorie 25 en France. Ils sont parfois intégrés aux centres de cure. Comme ceux-ci, ils peuvent être gérés par des associations à but non lucratif, par les collectivités publiques ou des collectivités locales. D’autres sont à but lucratif. 35 Actualité et dossier en santé publique n°4, septembre 1993 30 L’admission se fait sur prescription médicale et le dispositif est également financé par l’assurance maladie. Les centres de consolidation proposent des séjours de courte durée (1 à 2 mois). Les centres de réadaptation (jusqu’à 6 mois) sont réservés à des personnes beaucoup plus atteintes physiquement, psychologiquement et socialement par la maladie alcoolique. Ils visent la réadaptation sociale et quelquefois professionnelle. Dans les deux cas, l’accompagnement est diversifié (prise en charge médicale, psychologique, groupes de parole, ateliers, ergothérapie…) mais, à l’heure actuelle, le problème de « l’après postcure » reste cruellement posé. Notons qu’il existe enfin des centres d’hébergement et de réinsertion sociale qui assument une fonction proche de celle des centres de post-cure mais ces centres non médicalisés sont financés à partir de crédits d’aide sociale. Nous avons, à dessein, inséré le dispositif ambulatoire au cœur de la trame pour souligner la complexité de ce réseau institutionnel dans lequel le centre d’alcoologie joue un rôle essentiel. Les dispositifs se complètent et répondent aux besoins d’un public dont la typologie est extrêmement variée. Il existe de multiples entrées pour étudier les caractéristiques de cette population : la catégorie socioprofessionnelle, l’histoire familiale, l’origine géographique, l’âge…. Parmi ces critères, la trajectoire du patient, de son « itinéraire » et de sa rencontre avec l’alcool nous semble particulièrement pertinentes. Qu’il soit professeur d’université ou agent de sécurité, mère de famille sans emploi ou chauffeur-livreur, le patient fait l’expérience de la dégradation lente, progressive, insidieuse de tous les liens sociaux jusqu’au moment où il risque de basculer dans l’exclusion, sous quelque forme que ce soit et quelque soit son origine sociale. La variété de l’offre de soins permet de répondre aux besoins de la personne, à tous les stades de sa trajectoire dans l’alcool. Toutefois, on peut se demander si les problèmes notés dans le rapport d’évaluation Parquet-Reynaud36ont été réglés : notamment, les difficultés pour les médecins de ville et les services hospitaliers non spécialisés à diagnostiquer l’abus d’alcool, la carence dans ces deux secteurs de la formation en alcoologie, l’insuffisance quantitative des structures de prise en charge des dépendants, la difficulté pour tous les secteurs à travailler en réseau. 36 cf. p.22 31 I-4 L’organisation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie Nous avons choisi d’étudier le fonctionnement d’un des éléments du système institutionnel, le centre d’alcoologie qui relève à la fois du modèle hospitalier et du modèle associatif. Nous avons vu qu’il n’y a pas d’organisation unique qui couvre le problème des conduites d’alcoolisation, mais une multiplicité d’acteurs institutionnels relativement autonomes. L’observation du centre d’alcoologie permet d’évaluer la pertinence de ce dispositif dans l’intérêt des usagers, sa coordination avec les autres types de structures et d’examiner les « processus par lesquels (les intervenants) ajustent leurs comportements et coordonnent leurs conduites dans la poursuite d’une action collective », ce que E. Friedberg définit sous la notion d’ « action organisée »37. La structure d'un centre d'alcoologie se définit comme une unité simple, de taille restreinte, ne disposant pas de lits d'hospitalisation et fonctionnant avec une équipe de salariés réduite. Centrée sur la pathologie de l'alcoolisme, son activité s’exerce en équipe pluriprofessionnelle, caractérisée par des fonctions distinctes mais animée par des croyances communes. On peut parler de "solidarité organique", pour reprendre le concept de E.Dürkheim,38 fondée sur la différenciation et la complémentarité des tâches. Les tâches accomplies sont à dominante relationnelle. Trois points forts caractérisent un centre d'alcoologie aux yeux des patients : l'existence d'un accompagnement spécifique par des spécialistes de la question, une écoute, un travail en équipe et en réseau39. Dans le cadre de ce mémoire, nous étudierons le jeu des interactions au sein de l’équipe de soins, et plus particulièrement le rôle du travailleur social dans ce réseau de relations. Nous partirons des constats résultant de l’observation du CCAA, cadre de notre action de travailleur social. Et nous confronterons notre perception de la situation à celle que nous avons pu recueillir dans les entretiens exploratoires réalisés auprès de travailleurs sociaux en unité hospitalière, en CMP et en CSST. Nous citerons à plusieurs reprises le discours d’un cadre socio-éducatif hospitalier ayant exercé la fonction d’assistante sociale en CSST pendant une dizaine d’années ( que nous nommerons ici Madame D. ) 37 CIVARD-RACINAIS A., et DORTIER J-F., « La Dynamique de l’Action Organisée » in : CABIN P., Les Organisations p. 51 38 DURKHEIM E., De la division du travail social 39 STEUDLER F., THIRY-BOUR C., Histoire et Fonctionnement des CHAA, p. 9 32 I-5 Le Centre A. R. Le CCAA dans lequel nous travaillons est une unité extra-hospitalière, implantée en plein cœur d’une ville de la Région Parisienne. Créé par une association de santé mentale, dépendant d’un hôpital psychiatrique en 1984, sa gestion est passée sous le contrôle d’un hôpital général de proximité en 1997. L’organisation de ce centre relève d’une double logique : sanitaire (fonctionnement hospitalier) et médico-sociale (en référence à la loi du 2 janvier 2002). 1-5-1 Une équipe pluriprofessionnelle L'équipe se compose de six personnes. - deux médecins à temps partiel : Le médecin psychiatre est praticien hospitalier. Il assure la responsabilité du centre, le suivi médical psychiatrique des patients, la coordination avec la Direction Hospitalière, la coordination avec l’organisme de tutelle (CPAM) et la responsabilité des actions de prévention. Le médecin généraliste est vacataire. Il assure le suivi médical des patients, la coanimation du groupe de parole mensuel (avec l’infirmière) pour les patients suivis au centre. - quatre "permanents" : La secrétaire est contractuelle. Elle est responsable de l’accueil, des communications téléphoniques, des relations avec les services administratifs de l’hôpital, de la maintenance du centre et de la tenue du fichier informatique. L’infirmière (IDE) également thérapeute familiale est rattachée à la filière soins de la fonction publique hospitalière. Elle est chargée du premier entretien avec le patient, de l’orientation des patients vers les intervenants de la structure, du suivi ambulatoire du patient en période de sevrage physique en appui à la consultation médicale, de l’enregistrement des dossiers, des entretiens de couple ou famille (en raison de la formation qualifiante complémentaire qu’elle a reçue), de l’accueil des personnes adressées par le juge d’application des peines dans le cadre d’une obligation de soins, de la co-animation du groupe de parole (avec le médecin généraliste), de l’encadrement de stagiaires infirmiers et des interventions/formations en alcoologie en Institut de Formation aux Soins Infirmiers (IFSI). 33 Le psychologue est contractuel. Il assure le suivi psychothérapeutique individuel des patients, la mise à jour du fichier informatique avec la secrétaire et l’encadrement de stagiaires psychologues. Le travailleur social est, en l’occurrence, une assistante sociale (DE) rattachée à la filière socio-éducative de la fonction publique hospitalière. Elle assure l’accompagnement social des patients qui lui sont adressés par les autres intervenants, participe à l’accueil de tous les patients en tant que permanente, assure la coordination avec le partenariat extérieur, la formation des stagiaires assistants sociaux (accueil ponctuel et stages de formation initiale, en qualité de moniteur de stage), les interventions/formation en alcoologie dans les écoles de service social. I-5-2 La fonction, le rôle et les tâches du travailleur social Notre recherche étant centrée sur la spécificité de la position professionnelle du travailleur social au sein d’une équipe d’alcoologie ambulatoire, nous n’évoquerons celle des autres intervenants qu’en rapport avec celle du travailleur social. Sa fonction principale est la réinsertion du patient ou la prévention de sa désinsertion par la médiation administrative, la recherche de centres de cure et post-cure, la recherche de logement, de formation, d’emploi. Il participe également à l’élaboration de projets visant le rétablissement du lien social et la réactivation des facultés cognitives du patient. Son action s’exerce auprès de la personne et aussi auprès de son environnement, dans la mesure où il participe, comme ses collègues, à la modification de la représentation sociale de la maladie alcoolique. Au sein de cette équipe pluriprofessionnelle, le travailleur social est le seul élément -avec la secrétaire- qui ne travaille pas dans le champ proprement dit du soin. Cette spécificité mérite d'être notée dans la mesure où son champ d'intervention est centré sur les aspects économiques et psychosociaux de la vie du patient et non sur l'aspect purement médical du problème de la dépendance. Son rôle, défini comme « un ensemble de normes et d’attentes qui régissent le comportement d’un individu du fait de son statut social ou de sa fonction dans un groupe » (Grand Larousse) tient pour partie de ce que l’on attend de lui et de ce qu’il introduit ou souhaite y introduire. Le travailleur social dans ce centre n’est amené à suivre que 10% des consultants composant la file active du centre (environ 320/an), dans la mesure où les patients ne sont 34 pas tous en difficulté sociale, qu'ils sont déjà suivis par un autre service social, ou qu'ils sont en mesure d'envisager de façon autonome la prise en charge de leurs problèmes. Il peut être sollicité pour des personnes en difficulté mais qui ne sont pas forcément en situation de grande précarité. Dans ce cas, le risque est présent mais la situation n'a pas encore basculé. En outre, le travail social s'inscrit dans une activité pluriprofessionnelle. Conformément aux normes propres à cette structure, le travailleur social n'intervient qu'en deuxième intention pour permettre au patient de prendre en compte la dimension médicale du problème qui l'amène à consulter, avant d'aborder toute question d'ordre social. Il peut y avoir un effet négatif à ce protocole de principe : quand l'orientation du patient vers le service social est trop tardive, sa situation déjà dégradée devient, de ce fait, difficile à rétablir40. Le fonctionnement de la structure, orientée vers le soin, souligne la nécessité d'une constante vigilance de la part du travailleur social vis-à-vis des situations évoquées en synthèse hebdomadaire ou de façon informelle, pour aller "vers" l'information interne. L'intérêt du poste, c'est de pouvoir disposer de toutes les éléments sur le contexte médicopsychologique du patient. La présence d’une équipe pluriprofessionnelle permet au travailleur social de mieux cerner le rapport à la dépendance et de cibler sa propre action, dans le cadre des missions du centre, en fonction de l’évolution de la personne. C’est en tout cas un atout auquel les patients peuvent être sensibles : « Vous, au moins, vous connaissez mon dossier, je n’ai pas besoin de répéter mon histoire… », nous disentils. Cependant, le fonctionnement de ce centre d’alcoologie pose quelques questions. A quelles étapes de la trajectoire du patient le travailleur social doit-il intervenir, qui décide de son intervention, et quel est le champ proprement dit du travailleur social ? Il faut tenir compte du fait que, dans un tel système, tous les acteurs entendent participer au soin, au sens large du terme. C’est la notion de care que H. Mintzberg41 oppose à la notion de cure, c’est-à-dire au travail d’intervention ponctuelle, technique, qui définit généralement l’activité du médecin. 40 L’infirmière qui assure tous les premiers entretiens, oriente les patients vers les différents intervenants : or, à côté de la demande de soins, elle est amenée -de par son rôle- à évaluer les problèmes sociaux. Bien souvent, ces problèmes n’apparaissent pas au premier contact et le patient ne va être orienté vers le service social de la structure qu’au cours du suivi médico-psychologique. 41 CABIN P., « Nous vivons dans le culte du management » in : Les Organisations p. 93 35 Les tâches du travailleur social comportent ainsi plusieurs aspects : - un travail relationnel avec la personne La médiation administrative est l'une des modalités essentielles de l'accompagnement social en alcoologie dans l'élaboration d'un projet, en aval et en parallèle de la demande de sevrage. A la différence de la relation médico-psychologique, il s'agit d'une relation orientée vers le "faire ensemble" sans oublier une position partagée avec les soignants, celle de « l’être avec »42. Nous avons eu l’occasion d’observer à maintes reprises la signification symbolique de l’accompagnement social individualisé : par exemple, il nous est arrivé, en tant que travailleur social, d’accompagner un patient à un « photomaton », démarche qui lui était impossible d’accomplir seul en raison d’un visage défiguré par une allergie médicamenteuse. Le soutien éducatif apporté, ce jour-là, a été le point de départ d’une réinsertion qui passait par la régularisation d’une situation administrative bloquée par le caractère infranchissable de la première étape. Cependant, la relation ne se traduit pas exclusivement par le « faire ensemble ». L’expérience prouve que le rôle du travailleur social s’évalue aussi et même davantage dans la qualité de la relation que dans les solutions proposées et mises en œuvre. De même que ses collègues, le travailleur social peut développer, stimuler chez le patient des aptitudes à résoudre lui-même ses problèmes, réveillant au fil des entretiens un certain dynamisme. Il n’est pas rare de constater qu’après plusieurs mois de recherche d’emploi dans différents secteurs explorés et sollicités sans succès avec l’aide du travailleur social, c’est finalement le patient qui trouve un emploi, de façon autonome. - une position d'interface entre le patient et les soignants Le travailleur social traite des problèmes générés par la pathologie alcoolique mais qui sortent du champ proprement médical. Les soignants attendent donc de son intervention une certaine technicité (administrative, juridique) qui leur permet de se focaliser sur l'aspect proprement médical et psychologique de la dépendance. - une position de médiation entre le patient et les partenaires extérieurs 42 VIDALENC E., op-cit, p. 34 36 Le travailleur social spécialisé se situe au coeur d'un réseau en étoile (entourage, médical, administratif, juridique, éducatif, associatif, social…). Son action a pour but de permettre au patient de retisser des liens avec son environnement, et aux partenaires extérieurs de modifier leur perception de la maladie alcoolique. La méconnaissance de l'alcoolodépendance chez certains travailleurs sociaux non spécialisés entraîne parfois des réactions de rejet. L'entrée dans un CHRS peut être refusée à une personne en raison de son alcoolisme, l'intervention du travailleur social en centre d’alcoologie est alors susceptible de lever des barrières, de rassurer des partenaires soucieux d'être soutenus dans leur propre démarche. - un rôle de représentation de l’ensemble de la structure à l’extérieur, ou de coordination de projets dans lesquels la structure est impliquée. Ce rôle que nous avons souligné en introduction, n’est pas repérable dans notre fonction, à l’heure actuelle. I-5-3 L’exercice du travail social en équipe pluriprofessionnelle Il s’agit ici d’examiner la position professionnelle du travailleur social à travers les interactions de l’équipe qui comportent à la fois des aspects positifs mais aussi des freins à l’exercice du travail social. Dans cette optique, nous confronterons notre expérience à celle de Madame D.43 déjà citée, interrogée dans le cadre d’un entretien exploratoire. Les aspects positifs du travail en équipe L’intérêt de cette organisation, c’est la richesse apportée par les approches différenciées du patient, selon les fonctions occupées. Comme le dit E. Vidalenc, « l’équipe de travail est le lieu de validation du professionnel, et aussi le lieu d’émergence d’une certaine objectivité par croisement entre les différentes subjectivités présentes »44. De la collaboration avec les intervenants émerge le sens du travail social qui s'appuie sur l'analyse clinique. Le travail en équipe s'exprime dans les échanges informels et dans la synthèse hebdomadaire. La réunion de synthèse hebdomadaire permet de faire circuler des informations concrètes sur les patients, d'évoquer les questions qui se posent sur la place et 43 cf. p. 31 44 VIDALENC E., op-cit, p. 54 37 le rôle de chacun. Les réactions des uns et des autres renseignent non seulement sur les patients mais aussi sur les rôles et les statuts respectifs. Ces synthèses permettent au travailleur social d’apporter des informations à l’équipe, de s’enrichir des savoirs théoriques et du savoir-faire de ses collègues, d'émettre des hypothèses sur les besoins des patients. Le travailleur social peut prendre du recul par rapport aux situations difficiles. Il évalue avec ses collègues le risque de manipulation du patient lorsque celui-ci le sollicite pour trouver un lieu de cure, un hébergement, un secours financier...le plus vite possible. A la différence du travailleur social de secteur, le travailleur social spécialisé bénéficie d’un regard pluriel pour faire face à la souffrance des personnes suivies par le service. Ce constat de qualité d’un véritable travail d’équipe rejoint celui de Madame D. : son intégration dans une équipe pluriprofessionnelle constituée et prenant en charge le patient « dans toute sa dimension et dans toute sa précarité » a été très positive. Elle souligne son rôle d’accompagnement social, de formateur (personnel AP-HP et formation initiale des infirmiers et sociaux), d’intervenant dans des colloques sur la toxicomanie, au même titre que ses collègues. Il y avait donc un vrai travail d’équipe avec reconnaissance de la fonction sociale et partage des responsabilités. Dans ce CSST, elle a pu bénéficier d’une totale liberté de fonctionnement dans des échanges qui lui permettaient de solliciter autant que d’être sollicitée, et d’être, à l’occasion, le représentant de son équipe. Les freins rencontrés dans le travail en équipe Ces freins sont de nature institutionnelle et organisationnelle. 1) Ces freins sont liés en premier lieu au champ d’action du CCAA. En effet, les missions du centre d’alcoologie sont centrées sur l’accompagnement du patient . Ceci peut limiter l’action du travailleur social au suivi exclusif de la personne sans l’élargir à son environnement. Nous sommes là confrontés aux contraintes d’une logique institutionnelle, rappelées par le Conseil Supérieur du Travail Social lorsqu’il évoque « le malaise des travailleurs sociaux désireux de prendre en compte la globalité de la personne, amenés à imaginer des actions avec leurs partenaires locaux, en réponse à une demande sociale qui évolue, sans qu’ils 38 puissent nécessairement s’appuyer sur le soutien déterminé de leur Institution employeur qui les cantonne trop souvent dans des missions institutionnelles »45 . Par exemple, c’est à ce titre que le responsable médical du centre peut s’opposer à l’intervention du travailleur social auprès des enfants, responsabilité qui, effectivement, ne relève pas du champ de mission du centre d’alcoologie mais plutôt de celui de l’Aide Sociale à l’Enfance, du service social scolaire ou du service social de polyvalence. Le travailleur social peut alors prendre contact avec un organisme extérieur mais son intervention s’arrêtera à ce stade et il n’y aura pas de continuité de l’accompagnement social du patient dans sa globalité. Par ailleurs, le manque de précision dans les textes sur les missions du travailleur social en CCAA conduit de nombreux responsables de centres, et ceci est vrai pour le nôtre, à limiter le champ d’action du travailleur social aux personnes qui sont assujetties aux minima sociaux, oubliant par là que la notion de précarité est bien plus vaste au sens social. Madame D. pose comme postulat que « le fait de prendre des produits toxiques modifie profondément, pour celui qui le prend, le rapport à la réalité, et l’intervention sociale est justifiée dans cette distorsion du rapport à la réalité....quelque soit le statut social, les facultés intellectuelles, les moyens...de la personne. Si ce principe n’est pas appliqué en équipe pluriprofessionnelle, le service social en structure de soins n’a pas sa raison d’être ». 2) Ces freins sont liés également à la logique de l’organisation, telle qu’elle découle des textes. Les structures de soins ambulatoires mettent en place des équipes de professionnels à compétences différenciées, avec, en particulier dans les centres d’alcoologie, une forte connotation médicale qui donne autorité aux médecins. Il en résulte que ceux-ci peuvent intervenir non seulement dans leur champ d’action mais aussi dans celui du travail social qui n’est pas normalement de leur ressort. Cette tendance des médecins à s’investir dans le domaine social est constatée dans notre centre. Elle s’explique en particulier par le fait que, contrairement à leur spécialité qui exige des outils précis, le travail social semble être considéré par eux comme un secteur 45 L’Intervention Sociale d’Aide à la Personne, CSTS 1996, p. 28 39 d’activité n’exigeant pas de compétence technique spécifique, mis à part la médiation administrative. Nous reprenons ici le constat de Madame D. : « dans certaines structures, le médecin « prescrit du social » en disant au patient d’aller voir le travailleur social pour qu’il lui trouve un logement... » En empêchant le travailleur social de faire son propre diagnostic, Madame D. estime qu’il y a là une grave méconnaissance de la logique de l’autre, du principe de coresponsabilité. En effet, si le travailleur social ne peut pas faire sa propre évaluation d’une situation qui réclame un accompagnement au sens large du terme, il n’a plus la liberté d’établir ses propres priorités qui peuvent éventuellement être différentes de celles du professionnel médical. Dans ce schéma, selon Madame D., il n’y a pas, au départ, une volonté de poser le travail pluriprofessionnel dans toute son amplitude. « Le diagnostic social a ses propres indicateurs...il doit être posé seulement par le travailleur social, et, à partir de là, se dessinent les modalités et le rythme d’une prise en charge à condition que les acteurs médico-sociaux se fassent confiance, reconnaissent la logique de l’autre ». Cette méconnaissance par l’équipe soignante des critères spécifiques de l’intervention sociale peut conduire à des conflits d’objectifs. Par exemple le travailleur social peut, dans certains cas, contester la priorité donnée au sevrage si aucune démarche de réinsertion (logement, travail) n'est accomplie en amont. L'équipe de soins de notre centre répond alors qu'il lui faut inverser la proposition, que la vocation première du centre est de répondre par le soin à la souffrance générée par la pathologie alcoolique. Mais, en même temps, le travailleur social doit faire face à la demande croissante d’un public qui se précarise et pour qui une offre de soins n’a pas de sens si les besoins primaires ne sont pas satisfaits. Il peut arriver également que le travailleur social adopte la position inverse, en privilégiant le soin par rapport à toute action d’insertion. La finalité du centre d'alcoologie est bien l'accès du patient à l'autonomie, quelle que soit la fonction du consultant. Mais les objectifs intermédiaires et les moyens pour les atteindre diffèrent selon le poste que l'on occupe à l'intérieur de l'équipe. Les soignants reçoivent le patient, quel que soit son état de dépendance, dans l'alcool, le déni, la rechute, l'abstinence. Quand au travailleur social, il reste disponible au patient mais il va éviter de se substituer à 40 lui dans la formulation, la réalisation de son projet . Aussi lui arrive t-il de différer la mise en oeuvre du projet, si le patient n'est pas en état de se l'approprier, de le discuter. La logique de l’organisation implique aussi que le travailleur social n’a pas le monopole de l’accompagnement social. Par exemple, dans notre centre, les premiers entretiens d’accueil du patient sont assurés par l’infirmière. L’attribution de cette tâche est variable d’un centre d’alcoologie à l’autre. Dans le cas présent, c’est donc l’infirmière qui établit, pour les autres membres de l’équipe, le premier diagnostic de la situation du patient (évaluation bio-psycho-sociale). De plus, l’infirmière du centre qui a également une qualification de thérapeute familiale, est investie, de ce fait, du suivi du couple et de la famille du patient. Il en résulte que le travailleur social, au sein même de son centre, n’a pas la prise en charge globale de la situation sociale du patient ; d’où la nécessité d’une bonne coordination entre les participants et un soutien actif du responsable médical. Or ce soutien n’est pas toujours acquis. Ce type de structure se caractérise par un mode de fonctionnement collégial où l'affectif et les jeux d’alliance interviennent beaucoup dans la régulation des interactions, où la confiance dans les compétences de l'autre est perpétuellement interrogée. Ainsi l’équipe est, certes, un centre de ressources pour le travailleur social, mais c’est aussi un lieu de déstabilisation qui souligne la singularité de sa position professionnelle. Seul professionnel du secteur social en structure à dominante médico-psychologique, la place du travailleur social est soumise à des contraintes. Il lui faut non seulement susciter l’intérêt des ses collègues mais aussi justifier le bien-fondé de ses interventions pour préserver une « pensée autonome et non soumise ». Il lui est demandé de s’expliquer sur les raisons qui le font intervenir de telle manière auprès d’un patient, s’il a pris le risque de s’écarter, dans une situation précise, de la règle générale qui prévaut dans l’établissement46. En conclusion de l’analyse de l’expérience professionnelle du travailleur social dans un CCAA, nous pensons que la nature même de son activité diffère de celle de ses collègues et que l’évaluation de son travail exige des critères qui ne sont pas identiques à ceux du 46 FUSTIER P., Le Travail d’Equipe en Institution, pp. 144-145 41 secteur médical. Or cette évaluation est nécessaire pour légitimer la place occupée par le travailleur social dans le système institutionnel. Mais comment faire évoluer la notion d’évaluation dans un secteur où seuls les indicateurs biologiques sont pris en compte ? C’est sur cette question qu’a débouché la réflexion des travailleurs sociaux réunis au congrès d’addictologie, en juin 2004. I-6 Le Congrès de Nîmes (juin 2004) : une instance de réflexion sur le travail social en alcoologie 47 Ce congrès concernait tous les acteurs du champ des addictions : non seulement les médecins mais aussi les infirmiers, les travailleurs sociaux, les secrétaires, les psychologues. Bien que le terme « addictologie » ait été utilisé dans les textes proposés, il a surtout été question de l’accompagnement du malade alcoolique. Le sujet présenté était ainsi formulé : « En pratique quotidienne, l’addictologie évolue, les acteurs de tous les métiers s’adaptent et innovent. De son côté, la communauté scientifique cherche, expérimente, écrit, trouve des consensus, propose des connaissances validées. Comment concrètement, ces deux pôles, la science médicale et les métiers de terrain, s’articulent-ils ? ». Notons en premier lieu non seulement la diversité des métiers mais aussi celle des organisations représentées. Ainsi l’atelier des travailleurs sociaux reflétait la multiplicité des acteurs institutionnels. Il nous semble intéressant de rapporter quelques éléments de leur réflexion dans la mesure où, quelque soit la structure d’appartenance, il est ressorti de ce congrès un consensus sur le sujet qui nous intéresse : la place du travailleur social au sein d’une structure de soins en addictologie. Deux sujets principaux ont été abordés. - D’une part, les participants étaient invités à évaluer l’impact des conférences de consensus et des recommandations cliniques, textes à portée scientifique et méthodologique, rédigés par un groupe d’experts ( en majorité des médecins). Question 1 : Comment sont-ils portés à votre connaissance ? Deux tiers des participants répondent qu’il les ignorent. Question 2 : Comment sont-ils reçus ? Les travailleurs sociaux répondent qu’ils regrettent que ces textes ne s’adressent qu’aux médecins sans faire allusion au travail 47 « Métiers de l’addictologie et recommandations cliniques », 9-10-11 juin 2004 42 d’accompagnement réalisé par les professionnels du travail social mais ils ajoutent que, dans la mesure où ils sont repris en équipe, ces textes peuvent constituer un point de départ à une réflexion spécifique sur leur pratique et leur positionnement dans les équipes. Question 3 : Comment sont-ils utilisés par les travailleurs sociaux ? La majorité des participants répondent qu’ils ne se les approprient pas, faute d’information, faute de volet social dans ces textes et de participation à leur élaboration. - D’autre part, la réflexion portait sur la contribution à apporter pour faire évoluer ces textes et améliorer leur efficacité. Question 1 : Comment modifier l’élaboration des textes ? Le groupe souhaite que les travailleurs sociaux y participent, en étant représentés significativement dans les groupes de travail, en réfléchissant au préalable sur les représentations réciproques des métiers, en élargissant la bibliographie -exclusivement médicale- sur lesquels ces textes s’appuient, et en mettant le patient au cœur de ces travaux. Question 2 : Comment améliorer la diffusion de ces textes ? Les participants demandent qu’ils soient adressés directement aux acteurs concernés. Question 3 : Comment renforcer la dimension pédagogique de ces textes ? Un langage accessible à tous (travail de définition, d’explicitation) est requis. Le groupe propose de remplacer la notion de soins par la notion de santé et de bien-être ! Question 4 : Comment faire évoluer la notion d’évaluation ? L’atelier considère que la résistance bien connue des travailleurs sociaux à l’évaluation et en particulier aux statistiques, doit être combattue pour que leur travail soit scientifiquement reconnu. Cependant il serait nécessaire de modifier les critères de validation qui sont, à l’heure actuelle, exclusivement quantitatifs. Référence est faite aux travaux réalisés par deux collègues, à la demande de la SFA, et dont les propositions utilisant uniquement des critères qualitatifs ont été refusées par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation Sanitaire (ANAES) 48. Ce congrès souligne plusieurs points : - les recommandations cliniques restent fondamentalement orientées sur l’aspect médical de la pathologie alcoolique 48 LAMBERT G., « Les Moyens socio-éducatifs » in : Alcoologie et Addictologie (23-2) pp. 183-189 43 - les travailleurs sociaux sont invités, par des manifestations de ce type, à donner leur avis mais ils ne peuvent le faire qu’à la condition que les recommandations soient adaptées à leur champ de compétences. En conséquence, à l’heure actuelle, ces recommandations sont difficilement intégrables dans les pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux. . En conclusion de cette approche socio-historique, nous avons pu mettre en évidence plusieurs points : - l’importance du problème de santé publique que représentent les conduites d’alcoolisation en France - la prise en compte progressive par les pouvoirs publics de la notion de dépendance qui conduit à une autre vision de la personne en difficulté avec l’alcool. - le faible poids du social dans les instances de réflexion institutionnelles. Le travailleur social dans un centre d’alcoologie est ainsi confronté à une absence de texte réglementant sa fonction. Il n’y a pas non plus de véritable volonté institutionnelle pour établir un observatoire social dans lequel le travailleur social aurait un rôle d’expertise. - la complexité du réseau actuel de prise en charge du malade alcoolique et l’importance du CCAA dans ce dispositif - la diversité des fonctions dans un CCAA. Il manque un véritable consensus sur les modalités d’action au sein même de l’organisation. - enfin, la difficulté particulière de la fonction de travailleur social en CCAA. Le professionnel a besoin d’être soutenu par les membres de son équipe et de se coordonner avec les organismes et réseaux extérieurs. Comment le travailleur social peut-il développer son action dans ce contexte ? Avant de présenter l’enquête que nous avons menée auprès de travailleurs sociaux en CCAA, nous poserons le cadre théorique auquel nous nous référons pour mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement dans ce type d’organisation. 44 II- APPROCHE THEORIQUE Nous avons dit que l’accompagnement social en alcoologie est un travail relationnel avec le patient et un travail sur l’environnement de celui-ci. Il est fondé sur des règles communes à tous les intervenants de l’équipe : la participation du patient sujet acteur, la prise en compte du facteur « temps », la nécessité du décloisonnement et de l’ouverture des structures, le respect de la confidentialité. La finalité de l’action en CCAA, c’est la réinsertion du patient sous toutes ses formes. Les outils du travailleur social sont les moyens socio-éducatifs mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission. Ces moyens sont principalement l’évaluation préalable de la situation, la médiation administrative, le conseil et le soutien, le contrat adapté à un logique de processus, ainsi que le travail en équipe et l’intervention de réseaux. Dans ce cadre vont s’élaborer les stratégies du travailleur social, sa manière d’organiser son action pour arriver à un résultat. Ces stratégies personnelles ont pour but d’accroître son influence. Leurs modalités dépendent des valeurs du travailleur social, de la perception qu’il a de sa place et des moyens d’influence dont il dispose. Les stratégies vont se développer dans un cadre organisationnel dont nous démonterons les mécanismes pour comprendre la logique des conduites, les conflits de rationalité, les oppositions et les alliances entre individus, les processus de pouvoir et les mécanismes de régulation des interactions. L’objectif de la recherche théorique est d’analyser le cadre structurel dans lequel les stratégies du travailleur social peuvent se construire, et de définir la manière dont elles peuvent se traduire dans le centre d’alcoologie et au niveau institutionnel. II-1 Définitions des concepts II-1-1 Institution et Organisation Les stratégies des travailleurs sociaux s’inscrivent dans des cadres institutionnels et organisationnels que nous définirons en premier lieu. L’institution peut se définir comme : 45 - une « norme ou pratique socialement sanctionnée, qui a valeur officielle, légale; organisme visant à les maintenir » - « l’ensemble des formes ou des structures politiques, telles qu’elles sont établies par la loi ou la coutume et qui relèvent du droit public » (Grand Larousse 1992). L’organisation peut se comprendre comme : - « l’action d’organiser, de structurer, d’arranger, d’aménager » - un « groupement, association, en général d’une certaine ampleur » (idem). Selon H. Mendras, l’institution est « un ensemble de normes qui s’appliquent dans un système social et qui définissent ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas dans ce système »49, l’institution est ainsi ce qui fonde l’action, lui donne du sens. Pour E. Enriquez., l’institution « a une fonction d’orientation globale, intervenant donc au niveau du politique : des projets, des choix et des limites que la société (citoyens, dirigeants) se donne»50. La notion « d’institution » doit ainsi être distinguée de la notion « d’organisation ». « L’organisation apparaît comme une modalité spécifique et transitoire de structuration et d’incarnation de l’institution » (E. Enriquez)51. J. Beillerot précise : « on s’accorde volontiers pour estimer que le but unique de toute institution est de soumettre l’individu....Pour autant, l’institution donne sens aux actes, elle évite de reconnaître les choses dans leur seule dimension utilitaire ou fonctionnelle parce qu’elle inclut les finalités, les valeurs et les références idéales. Ainsi elle ne pourra pas être réduite à l’organisation »52. II-1-2 Stratégie La stratégie est tout d’abord un concept militaire : c’est « l’art de faire évoluer une armée sur un théâtre d’opérations jusqu’au moment où elle entre en contact avec l’ennemi ». Cette définition rejoint celle de la position de défense -la position stratégique- qui désigne « l’emplacement de troupes, d’installations et de constructions militaires ». 49 BOUMARD P., Autour du mot « institution » in : Connexions n°6 (1973) ibid 50 51 ibid 52 ibid 46 La stratégie est aussi « un ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une victoire ». La stratégie est enfin une « manière d’organiser un travail, une action, pour arriver à un résultat ».53 Ces définitions introduisent la connotation du combat, de la défense d’un territoire, de la nécessité d’organiser l’action, de la coordonner à celle des autres, de négocier, et ceci dans l’objectif d’arriver à un résultat satisfaisant pour l’acteur. II- 2 Le choix des modèles théoriques Nous nous référerons à trois approches théoriques : - le modèle de l’analyse stratégique, défini par M. Crozier et E. Friedberg, pour repérer le comportement des travailleurs sociaux en CCAA face aux autres acteurs de leur organisation, sachant que « tout système social, et l’organisation en est un, peut être compris à partir de l’action des différents agents qui le composent ». - la stratégie de chaque acteur fondée sur la reconnaissance de leur compétence selon H. Hatzfeld - la sociologie clinique, d’inspiration psychanalytique, qui est une approche de « l’inconscient » des organisations développée par E. Enriquez. Dans le cadre de ce mémoire, à travers ces approches stratégique et clinique, nous tenterons de repérer la tension qui caractérise la position professionnelle du travailleur social, point de rencontre entre l’extérieur (l’environnement) et l’intérieur (le lieu de soins). Nous étudierons les conditions dans lesquelles sa parole s’exprime et son action s’exerce. Ces approches nous paraissent complémentaires et la seule analyse psychologique des relations à l’intérieur d’une équipe, grille de lecture fréquemment utilisée, ne nous semble pas suffisante pour définir la position professionnelle des travailleurs sociaux. 53 Définitions du dictionnaire Le Robert (1995) 47 II-3 L’analyse stratégique selon M. Crozier et E. Friedberg L’analyse stratégique fait partie de la théorie des organisations qui a « pour objectif principal l’adaptation des acteurs aux objectifs et à la structure organisationnelle ainsi que celle de l’organisation aux variations de son environnement »54. Le modèle promu par M. Crozier et E. Friedberg s’inspire de l’approche classique de la bureaucratie développée par M. Weber, fondée sur la rationalité, l’objectivité et la formalisation qui caractérisent l’organisation bureaucratique. L’intérêt du modèle réside dans le fait de montrer comment, dans toutes les organisations et à tous les niveaux, les individus se comportent en stratèges. Le modèle proposé qui met l’individu au centre de l’analyse des phénomènes sociaux fait écho au modèle de la prise en charge du malade alcoolique qui considère le patient comme un sujet acteur. II-3-1 Les quatre principes de l’analyse stratégique L’analyse stratégique promue par M. Crozier et E. Friedberg rejette l’idée d’un modèle universel de l’organisation. Leur théorie repose sur quatre principes : - l’acteur en organisation est un stratège, disposant d’une marge d’action (zone d’autonomie) grâce à la maîtrise d’une zone d’incertitude - cet acteur a un comportement rationnel, mais cette rationalité est toujours « limitée » - le pouvoir est une relation d’échange qui se négocie - les interactions entre les acteurs, c’est-à-dire leur manière d’utiliser leurs marges de liberté, de faire des choix, de jouer avec les règles, d’élaborer des plans, des alliances… en jouant sur l’équilibre entre le maintien et le changement, aboutit à la construction d’un système d’action concret, plus ou moins stable que l’analyse stratégique a pour but de mettre à jour. Les stratégies sont toujours contingentes. II-3-2 L’intérêt de l’analyse stratégique L’analyse stratégique est particulièrement adaptée à notre objet de recherche : 54 Encyclopédie Universalis 48 - elle intègre les notions de zone d’incertitude et de contingence essentielles dans le fonctionnement d’une organisation. Ainsi M. Crozier développe le postulat de l’économiste américain F. Ansof (1968) : « la stratégie est devenue essentielle car l’environnement est imprévisible ». - elle comprend la notion de jeux de pouvoir ; la conduite d’un individu, d’un acteur, va être fonction des possibilités qui s’offrent à lui de tisser des alliances, des coalitions. L’acteur saisit ces opportunités qui vont correspondre à ses objectifs et satisfaire ainsi ses intérêts . II-3-3 Les postulats de la stratégie des acteurs dans une organisation Selon M. Crozier, l’analyse de la stratégie d’un individu dans une organisation s’articule autour de trois postulats qui se retrouvent dans les centres d’alcoologie : - l’acteur refuse d’être traité comme un simple « moyen » au service d’une organisation. - l’adhésion au projet de service sous-entend que chaque individu poursuit ses objectifs propres. Il défend son autonomie et sa liberté. - sa stratégie est réfléchie mais limitée dans le temps et contingente parce qu’elle doit s’adapter au contexte. II-3-4 La zone d’incertitude Dans toute organisation, il existe des zones d’incertitude dans la répartition des tâches des différents acteurs. Le degré d’incertitude dépend, d’une part, des finalités de l’organisation, d’autre part, de la manière dont elle structure les relations. Par exemple, la fabrication d’un produit fait appel à des procédures précises contrairement au travail social qui s’exprime dans le champ des sciences humaines. Moins on précise les procédures, plus on crée des zones d’incertitude. Plus les zones d’incertitude sont importantes, plus l’individu disposera de marge d’autonomie, ce qui lui permettra d’asseoir son pouvoir stratégique et de développer ses compétences. Pour augmenter son pouvoir, sa marge d’autonomie, et mieux contrôler celle des autres, M. Crozier pense que l’acteur cherche à se comporter de telle sorte que les autres ne puissent 49 pas deviner son jeu, misant sur l’imprévisibilité de sa fonction. C’est cette zone d’incertitude qui crée la dépendance des uns par rapport aux autres. Mais, pour M. Crozier, la vraie préoccupation de la personne dans une organisation n’est pas la recherche du pouvoir ou la préservation de l’autonomie en tant que but de l’action, mais plutôt la façon dont la personne va pouvoir s’affirmer, travailler avec d’autres et coopérer . En conséquence, « la question n’est pas tant de nier la présence du pouvoir dans les relations humaines mais de savoir comment la gérer »55. II-3-5 Les jeux de pouvoir L’analyse stratégique se fonde sur la notion de jeux de pouvoirs entre acteurs. En ce qui concerne notre étude, ces jeux de pouvoirs peuvent s’exercer aussi bien dans l’organisation qu’au niveau institutionnel 1- Dans l’organisation les relations de pouvoir jouent un rôle essentiel dans les rapports que le travailleur social établit avec ses collègues. Le terme « relation » inclue une réciprocité : par exemple, si le travailleur social se plaint du comportement autocratique du chef de service ou du chevauchement des tâches à ses dépends, il pourrait se demander ce qu’il fait pour entretenir ou modifier la situation et pour négocier. La relation de pouvoir est alimentée par des ressources, des compétences que l’individu développe pour asseoir son propre pouvoir stratégique. « Tout pouvoir s’appuie sur la légitimité dont aucun pouvoir ne peut se passer », nous dit M. Crozier. On voit combien la définition dépasse la place dévolue par les statuts et fonctions. 2- Si les relations de pouvoir ont une grande importance à l’intérieur d’une organisation telle qu’un centre d’alcoologie, elles s’exercent aussi à l’intérieur du cadre institutionnel. Pour illustrer cette situation, nous avons constaté lors du congrès d’addictologie que les réformes sont proposées, les textes élaborés par des experts sans solliciter la participation de tous les acteurs concernés. Il en résulte, selon les travailleurs sociaux, que « les capacités d’autonomie, de communication, les capacités d’action et d’initiative requises pour vivre dans cette société ne sont pas développées »56. Ainsi, ce manque de concertation lié à un défaut d’ordre méthodologique ou à une volonté politique pourrait avoir pour 55 56 CROZIER M., « Le Pouvoir confisqué » in : Les Organisations, p. 155 CROZIER M., op-cit, p. 157 50 conséquence de bloquer toute perspective de changement en profondeur du travail social. Les travailleurs sociaux sont donc invités à participer à l’élaboration de ces réformes et à leur application pour être acteurs de ce changement. II-3-6 La méthodologie de l’analyse stratégique L’hypothèse de E. Friedberg repose sur la rationalité des acteurs, rationalité limitée, contextuelle et culturelle. Elle renvoie au passé de la personne et aux contraintes et opportunités du présent, « c’est-à-dire à la situation d’interaction dans laquelle la personne se trouve ». Ce présent transforme l’identité de l’individu. Pour mettre en évidence la structure et les règles du jeu particulières du contexte, E. Friedberg met entre parenthèses le passé des personnes, pendant la durée de l’analyse, ce qui lui permet de considérer leur comportement comme le seul produit de leur calcul présent. Pour dépasser les blocages, tant au niveau de l’organisation que de l’institution, l’analyse stratégique propose une méthode qui consiste à déceler en commun les failles du fonctionnement. Il s’agit d’organiser des entretiens qualitatifs approfondis pour faire travailler les gens sur des problèmes concrets, puis de délibérer, c’est-à-dire choisir des solutions en instaurant un dialogue capable de faire apparaître oppositions et problèmes réels. Ces échanges et négociations font naître des opportunités, des comportements nouveaux.. Le consensus apparaît alors comme une construction à partir de discussions à tous niveaux de responsabilité. Faire participer les acteurs est un type de management qui ne gomme pas les relations de pouvoir et les conflits mais qui les dévoile pour impulser une dynamique de changement. La notion d’action organisée Cette notion développée par E. Friedberg dans son ouvrage, le Pouvoir et la Règle57, permet de saisir les processus de coopération à l’œuvre dans les organisations. En effet, il faut, d’après E. Friedberg, démontrer la logique de la conduite des acteurs pour comprendre la dynamique des organisations. 57 CIVARD-RACINAIS A., et DORTIER J-F., op-cit, pp. 51-52 51 La notion nous intéresse dans la mesure où elle facilite la compréhension des conduites et stratégies des différents acteurs d’un CCAA, ce qui implique de connaître les structures et règles du jeu sur lesquels repose « l’ordre local ». Dans ce schéma d’analyse, le terme « organisation » désigne à la fois un état et une dynamique. L’état renvoie à un objet social (le CCAA), la dynamique « aux processus par lesquels les individus ajustent leurs comportements et coordonnent leurs conduites dans la poursuite d’une action collective ». L’action organisée existe partout où les hommes doivent se coordonner pour réussir leur coopération. L’objet de la démarche est une réflexion sur les conditions et les mécanismes de la régulation d’action d’un ensemble d’acteurs interdépendants, mais aussi relativement autonomes. La notion de pouvoir et « d’ordre local » E. Friedberg insiste sur le fait que le pouvoir n’est pas seulement une capacité à faire faire ; il structure les relations et, en particulier, il est créateur de règles. Face aux incertitudes, aux conflits qui perturbent l’action collective, le pouvoir est là pour stabiliser les interactions, permettant l’action dans la durée. Nous avons vu qu’il n’y a pas d’organisation unique pour couvrir les problèmes des conduites d’alcoolisation, mais une multiplicité d’acteurs institutionnels relativement autonomes. Ainsi, à l’intérieur d’un CCAA, il n’y a pas de modèle unique qui indique la composition d’une équipe : la dominante est médicale mais le choix des autres intervenants et la prépondérance d’une fonction sont déterminés par le libre-arbitre de la direction, par le projet fondateur, par l’évolution du projet de service. Mais au-delà du désordre apparent dans le fonctionnement d’un CCAA, il y a en fait des régularités profondes qui correspondent à « des équilibres de pouvoir, des chasses gardées, des rapports de concurrence, des partages implicites de rôles. Pour connaître les conduites et stratégies des uns et des autres, il faut connaître cet « ordre local » et les structures et les règles du jeu sur lesquelles il repose ». L’approche organisationnelle devient alors l’étude de notions centrales telles que « le contexte d’action, de négociation, et d’échange politique58, et surtout « d’ordre local », par 58 E. FRIEDBERG entend par « échange politique » le mécanisme de base –distinct de l’échange économique- qui désigne les termes de l’échange, c’est-à-dire les contreparties que j’accepte de donner pour obtenir quelque chose. De ces échanges politiques émergent les ordres sociaux. 52 lequel est introduit un minimum de régularité et de stabilité dans les négociations entre les intéressés ». Conclusion de l’analyse stratégique Critiquée pour son aspect utilitariste, cette approche organisationnelle se veut simplement méthodologique. Il s’agit de découvrir les caractéristiques spécifiques d’un contexte d’action, sa structure, ses enjeux et ses règles du jeu. L’intérêt de cette approche est de considérer chaque contexte d’action dans sa singularité et d’en analyser le fonctionnement. Il est nécessaire de toujours mettre en doute l’uniformité des organisations : tous les CCAA ne sont pas identiques. Pour découvrir les différences, les logiques d’action des acteurs et les caractéristiques de « l’ordre local » sont reconstruites. La méthode comparative permet de révéler les spécificités des contextes d’action, de distinguer de la contingence locale ce qui relève de régularités plus profondes. L’approche organisationnelle n’apporte pas de solution : « elle met simplement en évidence les structures de coopération entre un ensemble d’acteurs et la logique de fonctionnement qui en découle ». Elle peut déclencher chez l’individu un autre raisonnement sur le champ d’action, être un facteur de changement à la condition que les résultats de l’analyse lui soient communiqués. II-4 L’action du travailleur social fondée sur la légitimité de compétence selon H. Hatzfeld H. Hatzfeld s’inscrit dans le schéma de l’analyse stratégique en introduisant la notion de légitimité de compétence. Pour cet auteur, la notion est fondamentale pour la pratique du travail social. Cette notion se distingue en la complétant de la légitimité institutionnelle, fondée sur des règles de droit et de la légitimité démocratique conférée au travailleur social par le soutien du public auquel il s’adresse. « La légitimité de compétence se fonde sur des faits, des résultats concrets, sur son efficacité (celle du travailleur social)»59. 59 HATZFELD H., Construire de nouvelles légitimités en travail social, p. 114 53 La compétence, fondement de cette légitimité, est à la fois une construction sociale, s’appuyant sur la qualification professionnelle et une construction individuelle, propre à chaque individu dans une situation professionnelle. Cette notion de compétence est donc plus large que la seule notion de qualification qui lui est souvent associée. La qualification est une notion qui « renvoie plutôt aux savoirs scolaires et au travail prescrit alors que la compétence se définit plutôt par rapport à l’action concrète, à ce qui est exigé de l’opérateur pour qu’une performance soit atteinte dans une situation réelle »60. Dans le monde du travail, la tendance actuelle serait de raisonner en terme de compétence parce que le système qualification-classification est bureaucratique et rigide, même s’il propose des règles formalisées qui ont le mérite de protéger les plus faibles. La compétence indique la mise en œuvre d’une ou plusieurs capacités pour accomplir une tâche déterminée dans une situation donnée, en utilisant des savoirs et/ou des connaissances issus non seulement de la qualification mais aussi de l’expérience61. Les compétences se construisent ainsi à partir des savoirs, connaissances et capacités de l’individu. Ainsi pour R. Bourdoncle, la notion de compétence renvoie plus « à l’action avec sa finalité et son efficacité qu’à la connaissance, qu’elle mobilise mais sans s’y réduire »62. Enfin H. Hatzfeld complète cette définition de la compétence par deux caractéristiques : l’art de la mise en œuvre des connaissances et des techniques, et aussi la « mobilisation » de l’individu pour savoir se responsabiliser, travailler en équipe et se former. Cette construction de compétences est finalement un « savoir combinatoire » qui permet de mobiliser à la fois des « ressources incorporées (connaissances, savoir-faire, qualités personnelles, expérience) et des réseaux de ressources de son environnement... » (Le Boterf, 1997). Ainsi, nous dit H. Hatzfeld, la légitimité de compétence est fondée « sur un ensemble de connaissances théoriques et pratiques, et de capacités relationnelles permettant de caractériser une situation et de formuler des propositions »63. 60 61 JOBERT G., « De la qualification à la compétence », in : SH (20)/HS WITTORSKI R., séminaire DSTS 4, ETSUP, février 2004 62 BOURDONCLE R., « Autour des mots : professionnalisation, formes et dispositifs » in : Recherche et Formation (35), p.124 63 HATZFELD H., op-cit. p. 118 54 L’auteur précise que l’introduction de cette légitimité fondée sur des compétences spécifiques dérange quelque peu les conceptions anciennes des assistants sociaux qui ont longtemps admis que leur titre suffisait à asseoir leur légitimité, ce qui n’est plus le cas. Cette conception de la légitimité a tendance à prévaloir. Elle « varie en fonction des métiers (des travailleurs sociaux) et plus encore des transformations de leurs rôles et du cadre dans lequel ils interviennent »64. A partir de cette approche théorique de la compétence, H. Hatzfeld donne quelques exemples par lesquels le travailleur social peut démontrer ses compétences : - le travailleur social peut contribuer à réguler les dysfonctionnements, en faisant remonter à l’employeur des informations et des connaissances sur les problèmes sociaux (rôle d’observation sociale mentionné dans l’entretien exploratoire avec Madame D.) - il peut exercer une activité de conseil auprès des usagers, mais aussi auprès des organismes et fournir un conseil personnalisé sur les problèmes sociaux, ce qui implique une bonne connaissance de la diversité des situations - il peut s’investir dans le montage de projets en partenariat, ce qui suppose l’acquisition d’une méthodologie globale d’analyse et de projet - et enfin en ce qui concerne « les pratiques de médiation (qui) restent l’outil essentiel pour tisser des liens au sein de la société », il peut établir des connections entre les différents réseaux. Même si les travailleurs sociaux n’en ont pas l’exclusivité, la médiation étant une compétence partagée par divers acteurs, H. Hatzfeld pense que « leur position d’interface entre l’économique et le politique, leur fonction d’agents spécialisés du social, leur confère une responsabilité particulière : celle de contribuer à la régulation autonome de la société »65. Dans notre champ d’action, la médiation permet, en effet, d’appréhender la situation des patients dans sa globalité, d’introduire une certaine cohérence dans l’organisation de leur vie et par conséquent une meilleure intégration dans leur cadre social. 64 ibid, pp. 209- 214 65 HATZFELD H., op-cit, p. 213 55 II-5 Les dimensions cachées d’une organisation : le regard clinique d’E.Enriquez Si l’analyse stratégique peut être une grille de lecture opérationnelle pour étudier les mécanismes qui régissent les relations entre les acteurs d’un CCAA et les jeux de pouvoir, l’approche clinique que nous avons également retenue propose une démarche qui se veut plus large dans la mesure où elle entend intégrer les dimensions historiques, institutionnelles et pulsionnelles d’une structure. Nous pensons que ces deux approches peuvent être adoptées conjointement. Cette approche permet de révéler certaines dimensions cachées : les mythes fondateurs, le contexte historique, les conflits psychiques… qui règlent ou dérèglent la vie des groupes. Le CCAA est une organisation qui peut être analysée comme le produit d’une culture et d’un imaginaire. « Une organisation n’est pas seulement un ensemble d’individus guidés par des intérêts, des contraintes et des jeux de pouvoir. C’est aussi un système culturel, symbolique et imaginaire »66. Un CCAA n’est-il pas aussi le lieu où se confrontent plusieurs cultures, celles des médecins, des infirmiers, des secrétaires, des psychologues et des travailleurs sociaux, culture qui elle-même se subdivise en plusieurs « familles », notamment celle des assistants sociaux, des éducateurs spécialisés etc... ? Les modes de cohabitation de ces différents groupes culturels, qui ne vont pas sans poser de problèmes, ne sont-ils pas en lien direct avec les jeux de pouvoir qui s’exercent dans la structure ? E. Enriquez distingue plusieurs niveaux d’analyse. Nous retiendrons trois « instances » que nous pouvons appliquer à notre champ d’observation : l’instance mythique, « socialehistorique » et organisationnelle. II-5-1 Le niveau mythique Les textes et les personnages fondateurs de l’alcoologie ont donné du sens à l’institution, l’ont légitimée et valorisée. Ils ont fixé des normes de conduite, des valeurs et des rites. Parmi les grandes figures de l’alcoologie, citons l’exemple du docteur Haas, figure 66 DORTIER J-F., « Les dimensions cachées des organisations » in : Les Organisations, p. 68 56 charismatique, fondateur de l’unité d’alcoologie de St-Cloud il y a cinquante ans et de la Société Française d’alcoologie, en 1978, avec le docteur P. Fouquet. Plusieurs idées-force ont été portées par lui : - il a introduit en particulier la notion de « maladie » alcoolique à prendre en charge par une équipe pluriprofessionnelle - il a revendiqué la rupture avec les savoirs psychiatrique et psychanalytique du malade alcoolique. Son savoir était empirique et intégrait la pratique de terrain, l’expérience propre aux malades. De cette conviction ainsi que de son expérience du compagnonnage et de la force de solidarité du groupe face à l’adversité (il a été déporté) est né son intérêt pour les groupes d’anciens buveurs. Le Dr. Haas va mêler les anciens patients que l’on nomme les « rétablis » aux activités du service. Durant toute sa carrière, il se montrera très attaché à faire vivre cette idée de la coopération nécessaire entre rétablis et soignants. Aujourd’hui encore, l’image du Dr. Haas, chef de service autocrate mais capable de galvaniser son équipe, reste encore très présent dans l’organisation de l’unité d’alcoologie et du CCAA intra-muros de l’hôpital de Saint-Cloud. Cependant le caractère sacré du mythe peut être contesté et provoquer des conflits internes entre les membres du groupe, certains restant inconditionnellement fidèles au père fondateur, d’autres se référant à des normes différentes, sans pour autant remettre en cause la valeur du personnage. L’instance mythique existe dans le monde de l’alcoologie, elle suscite des conflits, liés à l’évolution de prise en charge de la pathologie, qui peuvent ne pas toujours être exprimés ouvertement. II-5-2 Le niveau « social-historique » Selon E. Enriquez, toute organisation est confrontée aux changements sociaux. Depuis 1975, l’évolution des dispositifs de soins en alcoologie est soumise à celle du contexte socio-économique, en particulier à l’apparition de la notion d’exclusion. « L’organisation doit donc s’adapter aux grandes mutations de la société tout en conservant son unité »67. Nous avons vu que les CCAA sont sollicités pour répondre aux besoins d’un public diversifié, y compris les personnes très désocialisées. Or il arrive que certains médecins en CCAA n’adhèrent pas aux préconisations des pouvoirs publics qui leur demandent d’aller à 57 la rencontre de ces populations qui nécessitent une aide mais qui n’ont pas de demande explicite68. Il y a donc là encore une source de conflits importante entre les acteurs qui veulent maintenir la mission traditionnelle du CCAA, fidèles au principe que le soin alcoologique ne s’impose pas, et ceux qui sont prêts à s’ouvrir au changement. Les contraintes peuvent aussi être imposées par les changements de statut d’une structure, par exemple lorsque celle-ci, gérée par une association, passe sous la tutelle administrative d’un hôpital. L’autonomie de gestion disparaît alors et les problèmes de communication avec l’administration peuvent freiner le développement de l’organisation et la motivation des intervenants. II-5-3 Le niveau de l’organisation C’est un troisième niveau d’analyse qui nous permet d’observer les principes et les orientations d’un CCAA au moment de sa création, ce qu’ils sont devenus au fil du temps à travers les projets de service, les changements de direction. L’évolution se lit aussi dans les jeux d’alliances qui nouent et dénouent les liens des membres d’une équipe. Les départs (décès, retraite, démissions…) et les arrivées de nouveaux collègues font varier les alliances. Des différences vont apparaître, par exemple, entre les comportements des « anciens » marqués par un devoir d’allégeance au chef, une fidélité à un ordre ancien et ceux des « nouveaux », soucieux d’analyser les dysfonctionnements et d’innover. L’approche clinique nous intéresse parce qu’elle révèle à la fois le poids des événements et les réactions des acteurs face aux mouvements, aux zones d’incertitude d’une organisation. Pour reprendre les termes d’E. Enriquez, « la sociologie clinique….tient compte aussi bien du rôle du sujet humain que de celui des groupes sociaux et de la complexité de leurs rôles. Si l’individu (comme la société et les groupes organisés) se définit d’abord par la clôture, par l’instauration d’une membrane protectrice, il est capable de s’ouvrir à lui-même, à 67 ibid, p. 69 La loi sur les exclusions a prévu la création de « consultations avancées » auprès de populations qui nécessitent une aide mais n’exprime de demande ni auprès du dispositif spécialisé ni auprès du dispositif général de soin, à l’exception des urgences hospitalières. La mission des CCAA est double : former en alcoologie le personnel des institutions qui accueillent ce public en grande difficulté sociale (CHRS, foyers de jeunes travailleurs, boutiques-solidarité, foyers Sonacotra…) et aller à la rencontre de ces personnes afin de faire émerger une demande de soins. 68 58 autrui, au monde. Il peut aimer la servitude volontaire69 comme vouloir être « créateur d’histoire ». L’être humain comme les groupes sociaux sont considérés à la fois dans leurs aspects de rationalité élargie, de sagesse, de réflexion, de réflexivité, de folie autodestructrice et de folie créatrice, de jeu, de mouvement. L’être humain doit donc être considéré à la fois comme sapiens, demens, ludens70. L’approche clinique prend en compte ces différents aspects, leurs dimensions et leurs combinaisons »71. Ces regards stratégiques et cliniques portés sur le fonctionnement d’une organisation nous semblent complémentaires : l’analyse stratégique nous incite à focaliser notre attention sur la situation, c’est-à-dire sur un ensemble de relations plutôt que sur des personnes, pour mieux découvrir les caractéristiques spécifiques d’un contexte d’action, sa structure, ses enjeux et ses règles du jeu. Elle peut être utilement complétée par une réflexion sur les phénomènes d’organisation qui prend en compte les mythes, le contexte historique et les conflits psychiques. II-6 La mise en œuvre des stratégies du travailleur social Les stratégies de chaque acteur dans une équipe sont limitées par celles qu’élaborent les collègues. Mais la difficulté de la mise en œuvre des stratégies du travailleur social vient aussi de sa position dans un dispositif institutionnel et organisationnel complexe où sa place n’est « pensée » ni par les politiques, ni par les organisations locales. Ces nouvelles stratégies pourront ainsi se développer d’abord pour promouvoir l’accompagnement social, et ensuite pour participer plus activement aux nouvelles orientations de la santé public en matière d’alcoolisme. II-6-1 De nouvelles stratégies à envisager Dans le cadre de son métier traditionnel, d’après F. Dubet, le travailleur social est en partie responsable de ses difficultés de positionnement à l’intérieur d’une équipe et face aux autres corps professionnels. 69 On peut rappeler ici le Discours de la servitude volontaire d’E. de La Boétie (1574) qui pose la question énigmatique : comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? 70 C’est à dire comme un être qui pense, qui est fou et qui joue. 59 F. Dubet préconise des changements dont le travailleur social sera lui-même acteur 72 : il faut qu’il apprenne à défendre la notion de métier, en sachant affirmer des compétences spécifiques à partir desquelles il pourra être évalué (en particulier, écrire ses pratiques pour formaliser ses compétences). Cela signifie qu’il s’accorde avec son service sur des objectifs, refuse de tout faire, mais s’attache à ce qu’il fait. La nécessité d’évaluation concerne d’ailleurs l’ensemble de l’organisation et résulte du passage, pour les structures médico-sociales, d’une logique institutionnelle à une logique de services qui devrait imposer de rendre des comptes tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Or dans le système actuel, cette logique de services n’a pas été intégrée dans les critères d’évaluation. C’est en effet l’organisation tout entière qui va être évaluée au regard des prestations qu’elle offre à l’usager « au cœur du dispositif », et non chaque fonction ce qui, d’après F. Dubet, entraîne le risque de passer complètement à côté des activités d’une profession, en l’occurrence la fonction de travailleur social. Les activités du travailleur social peuvent ne pas être prises en compte dans les critères d’évaluation de l’organisation parce qu’elles ne sont pas appréhendées de façon mesurable. En conséquence, pour retrouver une légitimité, c’est au travailleur social de construire les propres critères d’évaluation de ses activités, d’apprendre à négocier ce qu’il fait à l’intérieur du projet de service. Mais actuellement, son action peut difficilement s’inscrire dans le cadre institutionnel. Par ailleurs, M. Autès et F. Dubet soulignent que les nouvelles politiques de santé publique se fondent davantage sur l’action collective territoriale, la conduite de projets, à partir d’une réflexion globale sur une problématique donnée, alors que les structures médicosociales s’orientent plutôt vers une logique de services. En particulier, l’arrivée des politiques territoriales a bousculé le travail social sur les situations individuelles, mode d’intervention considéré limité en efficacité. Ces actions collectives territoriales sont portées actuellement par les nouveaux métiers du social, et non pas par les travailleurs sociaux traditionnels qui n’ont pas l’habitude de ces pratiques collectives. Pour illustrer le propos de F. Dubet, prenons l’exemple d’un partenariat qui s’est instauré entre un CCAA et une Commission locale d’insertion (CLI) : les travailleurs sociaux de la 71 72 ENRIQUEZ E., cité par DORTIER J-F., Les Organisations, p. 70 DUBET F., Le Déclin de l’Institution, p. 16 60 CLI sont confrontés à des problématiques de santé concernant des bénéficiaires du RMI. Les services instructeurs et les prestataires constatent en effet la souffrance des personnes et le faible recours aux soins de ce public, l’alcoolisation étant l’un des problèmes soulevés. Le CCAA local est alors sollicité par le responsable de la CLI, en tant qu’expert ou « structure-ressource ». Le responsable médical du CCAA évalue le problème au cours de quelques réunions, incluant travailleurs sociaux d’insertion, associations. Un étudiant de 3° cycle en sociologie sera alors engagé par l’hôpital employeur du CCAA sur un budget de prévention alloué par le Conseil Général, pour réaliser l’étude des besoins du public concerné. Le projet, tel qu’il est conçu, exclue donc le travailleur social du CCAA de son élaboration et de sa mise en œuvre. Les professions sociales se trouvent ainsi concurrencées par ces nouveaux métiers correspondant à des postes attribués à des diplômés de l’université et « présentés comme en rupture par rapport au travail social traditionnel »73. Le travail social risque de se trouver alors isolé puisque une séparation est en train de se créer entre les fonctions de gestion et de suivi individuel, organisées autour de l’accompagnement et de l’insertion, et les fonctions d’ingéniérie et de développement local. Dans cette coupure, on voit le paradoxe du travail social, comme le dit M. Autès, qui est à la fois « identifié et immobilisé ». Ainsi actuellement, le travail social traditionnel n’est pas pris en compte, légitimé, dans l’action collective qui a une dimension plus politique. Comme le dit M. Autès, la structure du travail social devrait être double : le travailleur social exerce son activité dans « une logique professionnelle d’intervention parcellaire et individualisée»74, mais il devrait également être amené à remplir des fonctions de développement local dans une logique de projets. Dans la réalité, ces dernières fonctions ne sont pas assurées par lui. D’après M. Autès, cela correspond à une stratégie politique implicite, stratégie de disqualification du travail social, qui veut rompre la structure double du travail social dans le but de réduire son efficacité. Les pouvoirs politiques reprocheraient ainsi au travail social de ne pas s’inscrire dans la modernité alors qu’ils ne lui en donnent pas les moyens et le divisent. 73 74 AUTES M., Les Paradoxes du Travail Social, pp. 145-146 AUTES M., Les Paradoxes du Travail Social, p. 6 61 Néanmoins, la loi sur l’exclusion souligne peut-être un changement dans les orientations politiques puisqu’elle donne une responsabilité particulière au travail social spécialisé en alcoologie dans les interventions collectives auprès de populations désocialisées. Dans cette même orientation politique et en se situant dans la logique d’H. Hatzfeld, comme dans celle de F. Dubet, G. Lambert recommande aux travailleurs sociaux en alcoologie de s’engager plus directement dans des démarches de santé communautaire, de développement social local afin d’inscrire leur action « dans l’orientation voulue par la loi sur les exclusions »75. Ce mode d’intervention commence à trouver sa place en alcoologie. Cette animation collective (groupes de parole, actions de prévention, consultations avancées…) est une nouvelle démarche susceptible de responsabiliser le travailleur social et de lui donner de nouvelles opportunités stratégiques76. Synthèse de la problématique et hypothèse La compréhension d’une organisation à la lumière de l’approche théorique repose sur plusieurs notions que nous avons tenté d’analyser. Quatre d’entre elles nous semblent particulièrement importantes pour comprendre le mode de fonctionnement du CCAA. et peuvent se traduire de manière suivante : - le CCAA est un équilibre de pouvoirs. Chaque membre de l’équipe utilise ses marges de liberté d’une manière rationnelle, en s’appuyant sur les règles formelles et informelles de la structure. - le CCAA est une organisation où les zones d’incertitude sont importantes, ce qui favorise le développement des jeux de pouvoir - les freins limitant l’action du travailleur social peuvent se situer tant au niveau de l’organisation elle-même qu’au niveau institutionnel. - pour développer son action et obtenir une reconnaissance interne et externe, le travailleur social s’appuiera sur ses compétences, notion distincte de la qualification. 75 LAMBERT G., op-cit 76 cf. note 68 62 Nous considérons que la finalité de l’action d’un centre de soins est le rétablissement de la communication de la personne alcoolo-dépendante avec son environnement. Du fait de son caractère transversal bio-psycho-social, la fonction du travailleur social se réfère à de multiples champs : administratif, juridique, sociologique, psychologique, médical … Le travailleur social en centre d’alcoologie ne pourrait-il être alors l’acteur central d’une politique globale de l’action sociale en matière d’alcoologie, tant à l’intérieur de sa structure qu’au niveau institutionnel ? Quelles sont les conditions dans lesquelles sa parole pourrait s’exprimer et son action s’exercer ? L’analyse du contexte socio-historique qui situe l’action du travailleur social dans un cadre institutionnel et organisationnel complexe et l’approche théorique qui permet de comprendre les ressorts de l’action de chaque intervenant, nous donnent des éléments pour formuler notre hypothèse : Dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en externe. 63 DEUXIEME PARTIE : LA RECHERCHE I- METHODOLOGIE ET CONDITIONS DE REALISATION DE L’ENQUETE I-1 Les étapes préliminaires de l’enquête I-1-1 Le choix de l’objet de recherche L’objet de notre recherche, la position professionnelle du travailleur social en centre d’alcoologie, nous semblait intéressant dans la mesure où il correspond à une des préoccupations majeures de l’ensemble des travailleurs sociaux en alcoologie. Ces préoccupations nous sont apparues dans le cadre de groupes de parole entre travailleurs sociaux constitués pour analyser les pratiques professionnelles. Notre recherche s’était orientée initialement sur le groupe de parole comme outil de consolidation de la position professionnelle de ces travailleurs sociaux. Mais au fur et à mesure du développement de notre étude et après plusieurs entretiens exploratoires, nous avons préféré cibler notre sujet non pas sur le fonctionnement du groupe de parole mais sur les stratégies des travailleurs sociaux, objet de recherche qui nous semblait correspondre à un réel questionnement de la profession. I-1-2 L’outil méthodologique : l’entretien semi-directif Le choix d’une méthodologie d’enquête répond à une double préoccupation : - ne pas oublier d’aborder des sujets importants ce qui excluait le principe de l’entretien non directif - favoriser l’expression d’une parole libre pour nous permettre de collecter le maximum d’informations et avoir ainsi un aperçu le plus large possible des différentes dimensions de notre sujet. Cette double nécessité nous a conduit à choisir un mode d’entretien semi-directif avec des questions sur des sujets bien cernés, comme par exemple, leur perception du volet social à l’intérieur des textes, les points précis sur l’organisation de leur centre d’alcoologie et des 64 questions plus ouvertes concernant leur rôle, leurs difficultés, les relations avec leurs collègues, leur formation. Pour compléter l’entretien semi-directif, nous nous sommes reportés à deux compte rendus de réunions d’un des groupes de parole auxquelles ont participé deux des interviewés. Ces deux réunions ont eu lieu en octobre 2002 et en juin 2003, l’ensemble des entretiens de juin à octobre 2004. I-1-3 Les entretiens exploratoires Nous avons interrogé trois assistantes sociales exerçant en milieu extra et intra-hospitalier : la première en CMP, la seconde en unité d’alcoologie hospitalière et la troisième que nous avons déjà citée (Madame D.), précédemment assistante sociale en CSST, et actuellement cadre socio-éducatif dans un Centre Hospitalier Universitaire. La seule consigne était de répondre à une question très générale : que pensez-vous du rôle du travailleur social en équipe pluriprofessionnelle ? L’objectif était de confronter les expériences sociales hors du champ de l’alcoologie et hors du milieu organisationnel que représente le CCAA avec notre propre perception du positionnement du travailleur social en équipe de soins. Nous avons pu ainsi confirmer nos axes de recherche. En effet, le contenu de l’entretien avec le cadre socio-éducatif nous a permis de constater que notre objet de recherche est considéré par notre interlocuteur comme la question fondamentale posée dans son cadre d’action quotidien : « Quand je travaille dans des pratiques de supervision avec des collègues, de quoi parle-t-on ? Qu’est-ce qui est renvoyé ? C’est la place du travailleur social au sein d’une équipe » . I-1-4 Les critères de choix des personnes interrogées Pour obtenir un échantillon assez représentatif, nous avons souhaité retenir les critères du statut du CCAA, de son département d’implantation, du sexe du travailleur social, de l’ancienneté dans la profession et dans le métier, de la formation initiale et complémentaire. Nous avons donc interrogé six travailleurs sociaux et un cadre administratif dont la position distanciée nous paraissait a priori intéressante. 65 Le tableau suivant présente les 7 personnes interviewées : N° Statut du entret CCAA ien (Région) 1 Associatif Ancienneté Ancienneté dans la profession 12 ans Expérience Origine dans le Professionnelle culturelle métier autre 12 ans ANPAA Profession Directeur Cadre administratif commercial A.S. (D.E) A.S. DDASS- Sexe française H française F F (Dordogne) 2 Hospitalier 15 ans 11 ans (R P) 3 Hospitalier Etat 20 ans 5 ans (Gard) T.S. T.S hôpital, anglaise diplômée en associations sud-africaine G.B. britanniques, Afrique Noire 4 Associatif 30 ans 1 an A.S. (D.E) A.S. latino- ANPAA Am.Latine, américaine (RP) A.S. France: H A.S.E, hôpital 5 Associatif 3 ans 3ans A.S. (D.E) Secrétaire française F 5 ans 3 ans T.S. non Prof.maths française H française F ANPAA (RP) 6 Associatif ANPAA diplômé (RP) 7 Hospitalier (RP) 17 ans 17 ans A.S. (D.E) + thérapeute familiale Pour situer notre recherche dans un cadre historique, nous aurions souhaité interroger également deux assistantes sociales, ayant travaillé au développement des centres d’hygiène alimentaire en alcoologie (CHAA) dans les années 1980 en région parisienne. Malheureusement la première, engagée dans d’autres fonctions, a considéré que son expérience était trop ancienne, et la seconde était déjà partie en retraite. 66 I-1-5 Le guide d’entretien Pour conduire nos entretiens et formuler nos questions, nous nous sommes appuyés sur les trois entretiens exploratoires et sur les comptes-rendus de deux réunions de groupes de parole. Les questions portaient sur le contexte institutionnel, le contexte organisationnel et sur la notion de compétence. Au travers de ces questions, les personnes interviewées ont été amenées à exprimer leur positionnement en termes de stratégies personnelles. Ces questions ont été présentées au début de chaque entretien pour que l’interviewé ait connaissance des sujets sur lesquels il était invité à s’exprimer. I- Sur le « volet social » à l’intérieur des textes relatifs à la prise en charge de la personne en difficulté avec l’alcool : - que pensez-vous des textes publiés sur le sujet, en particulier la loi sur les exclusions de 1998 qui consolide le CCAA en lui donnant le statut d’institution médico-sociale et la loi du 2 janvier 2002 qui responsabilise tous les acteurs du CCAA? - comment les centres d’alcoologie organisent-ils leur action à l’intérieur de ce cadre législatif ? II- Sur les fonctions du travailleur social : - que pensez-vous du rôle du travailleur social à l’intérieur et à l’extérieur du CCAA ? - comment analysez-vous la délimitation des fonctions et des rôles à l’intérieur et à l’extérieur du CCAA ? Pouvez-vous caractériser vos relations avec les membres de l’équipe et en particulier avec vos responsables médical et administratif ? III- Que pensez-vous des notions de qualification et de compétence ? La troisième question était plus ouverte pour permettre aux interviewés d’engager une réflexion plus personnelle. I-1-6 Les limites de la recherche Les limites de cette recherche tiennent en premier lieu au statut de l’interviewer qui pourrait dévier l’analyse, et en deuxième lieu à la nature de l’échantillon des personnes interrogées. 67 - la position d’acteur et de chercheur de l’interviewer Nous avons pris conscience que cette position délicate pouvait entraîner un manque de distanciation. Le risque était d’orienter les discours par notre propre connaissance des sujets abordés. Par ailleurs, la personne interviewée pouvait se sentir jugée dans ses propos par un pair. Ces risques ont été écartés, d’une part, par une recherche de neutralité dans les questions posées, et, d’autre part, par l’assurance, dès le début des entretiens, d’une parfaite confidentialité sur l’ensemble de leur contenu. - la validité de l’échantillon Notre échantillon a été constitué pour nous permettre de connaître la position de travailleurs sociaux dans plusieurs contextes de CCAA, avec des formations et des qualifications différentes. C’est ainsi que nous avons interrogé quatre assistants sociaux, deux travailleurs sociaux non diplômés mais avec une forte expérience dans divers secteurs du social et un directeur administratif de deux centres d’alcoologie. De plus, deux des personnes interviewées font partie de centres établis en province, ce qui nous a permis d’échapper au contexte spécifique de la région parisienne. Nous aurions pu craindre que la diversité des personnes et des situations nous conduisent à des visions hétérogènes du métier, ce qui n’a pas été le cas. Cette étude pourrait être prolongée par une enquête auprès de représentants des autres professions intervenant dans le domaine de l’alcoologie pour avoir connaissance leur propre représentation du travailleur social en CCAA. I-2 Les conditions de réalisation de la recherche I-2-1 Le cadre de l’entretien Les RV. ont été fixés par téléphone, en nous adressant directement à la personne intéressée et en nous situant d’emblée à notre place d’étudiante en DSTS. Nous n’avons rencontré aucune difficulté pour obtenir ces entretiens. Cinq entretiens (1, 2, 5, 6, 7) ont eu lieu dans les établissements des interviewés. Un sixième (4) a eu lieu pour des raisons de confidentialité dans les locaux d’une association 68 extérieure. Le dernier (3) s’est tenu dans un café, à l’issue du Congrès d’addictolologie de Nîmes (juin 2004). I-2-2 Le déroulement des entretiens Les conditions des entretiens étaient, dans l’ensemble, favorables à la concentration. Même lorsque ces entretiens ont eu lieu dans le cadre professionnel, le choix des lieux n’a pas eu d’incidence sur la confidentialité et la liberté d’expression. Ces entretiens ont tous été d’une durée moyenne d’1h45 pendant laquelle les personnes étaient entièrement disponibles. Dans tous les interviews, les entretiens se sont terminés à l’initiative de l’enquêteur. Dans trois situations, les personnes interrogées auraient voulu poursuivre la discussion. Bien que les entretiens aient été enregistrés sur magnétophone, une libre communication s’est établie immédiatement. Ils ont tous été considérés comme une expérience enrichissante pour l’interviewé autant que pour l’enquêteur. Les personnes interrogées ont toujours été très réactives et nous avons eu le sentiment que l’objet de recherche correspondait à un réel questionnement sur leur métier. Pour notre part, nous nous sommes attachés à présenter les questions de manière très large, sans orienter le discours, pour que les interviewés puissent évoquer également des questions connexes qui leur tenaient à cœur, ce qui a permis d’enrichir le sujet traité. En ce qui concerne la nature de leur discours, à une exception près (1), les personnes ont toujours associé aux informations qu’elles donnaient, des interprétations personnelles, expression de leurs attentes ou de leur satisfaction. Une personne (7) a même été assez déstabilisée en découvrant par elle-même des éléments dont elle n’avait jamais pris conscience. Nous n’avons pas eu le sentiment que les personnes cherchaient à dissimuler des informations soit par crainte d’être jugées, soit par crainte de transmettre des informations confidentielles ou compromettantes. I-3 La méthodologie pour l’analyse des données I-3-1 La méthodologie d’analyse du contenu 69 - retranscription des entretiens Ces entretiens enregistrés ont été retranscrits intégralement (15 pages en moyenne), en tenant compte au maximum des hésitations, des temps de réflexion nécessaires à la conceptualisation, des expressions traduisant les doutes, l’amertume mais aussi l’enthousiasme et les espoirs de la personne interviewée. Les entretiens et les lignes ont été numérotés pour indiquer la référence de la citation ou du thème évoqués. Exemple : 1 (l’interviewé)/ 24-33 (le discours) ou : 1 (le thème évoqué par l’interviewé 1). - grille d’analyse Une grille d’analyse préliminaire a été construite sur la base d’unités thématiques et d’indicateurs élaborés empiriquement selon notre connaissance du sujet, les entretiens exploratoires et interviews, et à la lumière des bases théoriques. Les textes ont été découpés selon l’ordre d’apparition de ces unités thématiques (79 unités thématiques) . La grille d’analyse a alors été finalisée en classifiant et numérotant l’ensemble des unités thématiques par catégories et sous catégories (cf. Annexe A). - retranscription des discours Tous les enregistrements ont été rangés transversalement selon les sujets (thèmes et catégories) en repérant ce qui d’un entretien à un autre se référait au même sujet et en recherchant une cohérence thématique inter-entretien, de façon à pouvoir procéder à une analyse comparative transversale, point par point . Lorsque le thème était particulièrement important par rapport à notre recherche, nous n’avons pas voulu le fractionner pour ne pas perdre la cohérence du discours (par exemple les thèmes « délimitation des tâches » et « défense du métier » repris en annexes B1 et B2). I-3-2 La difficulté de l’analyse catégorielle Les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés sont essentiellement d’ordre méthodologique : - éviter qu’un thème ne se retrouve dans plusieurs rubriques - prendre tout en compte pour ne pas avoir à revenir à la transcription initiale des enregistrements - garder la stabilité du découpage d’un entretien à l’autre - analyser en parallèle les sept retranscriptions 70 - ne pas perdre l’architecture cognitive et affective du discours de ces personnes qui est ici détruite par la classification thématique. Cette méthodologie d’analyse du contenu des enquêtes nous a demandé un très fort investissement en temps. Mais elle nous a permis d’éviter de nombreux écueils et la rédaction de notre chapitre « Enquête » s’est trouvé grandement facilitée par le repérage thématique que nous avons pu ainsi effectuer. 71 II- ENQUETE A travers l’enquête que nous avons réalisée, nous avons analysé les conditions dans lesquelles le travailleur social peut trouver la reconnaissance de son rôle à l’intérieur et à l’extérieur de son équipe. II-1 La reconnaissance interne Les entretiens effectués auprès de travailleurs sociaux en centres d’alcoologie hospitaliers et associatifs nous permettent de repérer leur position professionnelle en interne à travers deux indicateurs significatifs : - les missions du CCAA - le type d’organisation ou contexte d’action dans lequel évoluent les intervenants d’une même équipe. II-1-1 Les missions du CCAA II-1-1-1 Les textes Parmi les textes qui définissent les missions du centre d’alcoologie, nous avons choisi de retenir les deux lois récentes auxquelles se sont souvent référés nos interlocuteurs. En donnant aux CCAA le statut d’institution médico-sociale et en leur assurant un budget pérenne, les orientations de la loi sur les exclusions de 1998 ont permis de renforcer la stabilité de ces structures qui étaient auparavant précaires et de rassurer ainsi leur personnel. La loi de rénovation des institutions sociales et médico-sociales du 2 janvier 2002 a créé une rupture en redonnant à l’usager une place centrale dans le dispositif de soins. Le législateur a voulu par là responsabiliser la personne, en l’occurrence le patient, le rendre acteur du changement de sa situation en lui donnant des droits mais aussi des obligations à respecter. L’un des interviewés (1) considère cette évolution comme quelque chose de très positif pour l’institution, pour les soignés et les soignants, en particulier pour les travailleurs 72 sociaux. En effet, l’introduction de la notion de « contrat de soins » responsabilise non seulement le patient mais aussi le travailleur social en affirmant son rôle de médiateur, de lien entre le patient et les autres membres de l’équipe, de vecteur entre le patient et les organismes extérieurs. La loi du 2 janvier 2002 affirme l’intérêt d’une prise en charge globale de la personne, ce qui correspond tout à fait aux orientations du travail social. Cette loi a également institutionnalisé le rôle du travailleur social dans les centres d’alcoologie dans la mesure où elle inscrit dans les missions du CCAA la triple prise en charge médico-psycho-sociale du patient, trois volets devant figurer désormais dans les projets d’établissement. (5/ 39-40). En règle générale, les travailleurs sociaux interrogés dans nos entretiens affirment que si ces lois reconnaissent leur place dans ces organisations, cela signifie que ces structures ont effectivement pour vocation d’apporter du soin sur un plan qui n’est pas exclusivement médical. Mais le rôle du travailleur social, de l’avis de tous, n’est pas précisé dans ces textes. Pour certains interviewés, c’est un problème parce que leur rôle peut dès lors être limité à des tâches purement administratives (1) ou les amener à intervenir en « électrons libres », c’est à dire comme un professionnel à la fois éloigné de son groupe de référence (le corps des assistants sociaux, des éducateurs spécialisés…) et plus ou moins inséré dans son groupe d’appartenance (l’équipe) (5) . D’autres ne le regrettent pas : « moi, je trouve que ce n’est pas plus mal comme ça parce que je suis quelqu’un qui pense que plus on veut délimiter les choses, plus on les appauvrit » (2/18-20). Tous les travailleurs sociaux regrettent également que ces textes aient institutionnalisé le pouvoir du médecin, seul responsable du projet thérapeutique dans ces structures médicosociales. Il en résulte un déséquilibre des répartitions des fonctions dans la réalité des pratiques. Une des personnes interrogées le dit de façon plus directe : « le législateur a mélangé ou confondu les structures à visée hospitalière et les structures à visée ambulatoire, ce sont des gens qui ont réfléchi dans une démarche hospitalière, c’est-à-dire dans une démarche de lieu fermé et non ouvert » (1/ 24-33). 73 Notre interlocuteur considère, pour sa part, que le législateur a voulu donner à ces structures ambulatoires le cadre qui, précisément, manquait jusqu’alors. Mais il l’a fait en privilégiant la connotation médicale et sanitaire (création de postes d’infirmiers et même d’aides-soignants), au détriment de ce qui faisait le pluralisme de l’équipe, au sens défini par la circulaire du 15 mars 1983, intervenant dans des champs d’activité variés « sanitaire, social, culturel, etc... ». Et, sur ce point, la loi, d’après lui, ne favorise pas la reconnaissance du travail social dont le champ de compétences ne se trouve toujours pas précisé. II-1-1-2 Le modèle théorique des CCAA Place du volet social La question du modèle de référence en CCAA est centrale dans le positionnement du travail social. Elle traduit les jeux de pouvoirs qui imprègnent toutes les interrelations et qui peuvent mettre en difficulté le travailleur social dans l’exercice de sa fonction. Deux situations se présentent fréquemment : 1) soit l’approche médicale et psychologique n’est pas prégnante et la prise en charge du patient est vraiment globale, ce qui permet au travailleur social de trouver sa place (2 et 6) ; 2) soit l’approche par la pathologie est prédominante, le travailleur social se trouve alors en position incertaine (1, 4, 5) dans la mesure où il peut contester cette dominante médico psychologique. Un professionnel va même jusqu’à dire que « l’approche de la personne en difficulté avec l’alcool par la pathologie ne peut pas marcher ». (1) D’après cet interviewé, le malade alcoolique n’est pas un malade comme les autres. Ce qui signifie que l’intervenant, quelqu’il soit, doit avant tout centrer son approche thérapeutique sur « ce qui va bien chez le patient » et non pas se polariser sur sa pathologie. Sans ignorer l’importance du diagnostic médical, cette approche aurait pour conséquence de vouloir limiter, dans le temps, l’intervention du médecin et, en revanche, de pouvoir renforcer celle du travailleur social. Si les complications de la maladie alcoolique exigent une prise en charge proprement médicale, il n’est pas certain en effet que tous les patients consultant en centre d’alcoologie nécessitent un suivi médical sur le long cours, ce qui est pourtant le cas dans les faits. L’un des interviewés considère également que les patients sont trop souvent adressés au psychothérapeute qui aurait tendance à faire prévaloir le principe que « tout ce qui n’est pas psychanalyse n’est pas vrai… n’est pas sérieux (4/ 439-440) ». 74 Selon l’interviewé (1), la thérapie d’inspiration psychanalytique peut freiner le travail social dans la mesure où il l’empêche d’avoir une approche globale (par exemple, la rencontre des familles). Cette approche pourrait traduire une méconnaissance du volet social de l’accompagnement du patient et aller jusqu’à la négation des compétences du travailleur social (5/488-489). La personne interrogée (5) va même plus loin : la prégnance du modèle psychanalytique peut être telle que le psychologue va nier l’utilité du recours au médecin quand une analyse est en cours. «Lorsque la théorie est posée…on n’a besoin de personne…même pas du médecin... ça a été un grand problème d’équipe …le responsable médical a failli démissionner » (5/557-559). Cette différence d’approche est d’autant plus difficile à gérer « qu’il faut savoir aussi à quelle école le psychothérapeute appartient, l’école comportementaliste ou l’école psychanalytique…et même en ce qui concerne les médecins, certains sont très axés sur l’aspect biologique, d’autres sur l’aspect psychosocial, d’autres, enfin, suivent un courant psychanalytique (4/34-37). La psychologie est actuellement elle-même divisée, en différents courants…il y a la psychologie évolutive...la psychologie expérimentale…la psychologie sociale…c’est un champ très vaste et il faut savoir où le psychologue travaille » (4/313-315). Ainsi, en général, d’après les personnes interrogées, l’approche sociale de la problématique alcool de la personne n’est pas suffisamment développée dans les CCAA. Pourtant, le travailleur social pourrait être considéré comme le moteur de l’équipe dans la prise en charge sociale du patient (1). En effet, selon nos interlocuteurs, l’éventail des activités et des connaissances du travailleur social lui permet de conduire le patient vers une démarche volontaire de soin, de l’amener à changer son regard sur lui-même et sur son environnement en abordant ses relations avec sa famille, son travail, son cadre social. Il ressort de trois entretiens (1, 4, 5) que la divergence entre l’approche médico – psychologique et l’approche sociale tient aussi à la définition de la notion de précarité. Pour certains médecins, la précarité est l’état de l’individu qui a déjà basculé dans l’exclusion, alors que pour le travailleur social, la notion de précarité s’applique à toute personne abusant d’un produit toxique, quelque soit son niveau d’insertion dans la société, dans la mesure où son rapport à la réalité sociale est déjà dévié. A ce titre, le travailleur social peut intervenir dès lors qu’il y a un problème lié à l’alcoolisation de la personne, 75 « quelque soit son niveau de difficultés, ses moyens intellectuels et financiers » (1/300304), et pas uniquement pour régler des problèmes d’insertion, au sens économique du terme, lorsqu’il est bien souvent trop tard77. II-1-2 Le type d’organisation du CCAA Pour mieux comprendre le problème de positionnement des travailleurs sociaux tel que l’expriment ceux que nous avons interrogés, il y a lieu d’analyser comment fonctionnent ces petites structures pluriprofessionnelles. II-1-2-1 Le rôle spécifique du travailleur social par rapport aux autres intervenants en CCAA Il est intéressant de constater que les personnes interviewées ont une image assez cohérente de leur rôle au sein de leur équipe. Elles considèrent que le travailleur social doit être le moteur de l’équipe dans sa dimension sociale, être le lien entre les patients, les différents professionnels de l’équipe et l’extérieur afin d’assurer effectivement une prise en charge globale de la personne et poser ainsi un « diagnostic social » au même titre que le médecin et le psychologue posent le leur. En application de ces principes, nos interlocuteurs pensent que le travailleur social pourrait avoir des actions spécifiques bien définies et structurelles. Parmi les plus souvent citées, nous retrouvons les tâches suivantes : assurer le premier entretien des patients à leur arrivée, effectuer l’évaluation et l’accompagnement psychosocial du patient au moyen de la médiation administrative, animer seul ou en partenariat des ateliers avec des malades ou d’anciens alcooliques. De plus, le travailleur social pourrait effectuer des missions de prévention par des consultations avancées par exemple en CHRS78 ou dans diverses associations et construire et entretenir un réseau avec des partenaires extérieurs. 77 LAMBERT G. , et al. « Evaluation de la précarité sociale en alcoologie » in : Alcoologie 1999 ; 21 (2) « Il est nécessaire de distinguer les notions de précarité sociale et de pauvreté. La précarité sociale correspond à la fragilisation de l’individu face à un système social qui lui échappe et dont il risque de se trouver progressivement désinséré, voire exclu. Cette fragilisation peut s’opérer à travers diverses dimensions (emploi, revenu, logement, système relationnel). La pauvreté a des définitions monétaire (…), matérielle (…), ou subjective (…) p. 350 76 A une exception près (6), la réalité de leur activité est bien différente. Pour reprendre l’exemple du premier entretien, la majorité des travailleurs sociaux n’en a pas la responsabilité. La non-attribution de cette compétence serait un obstacle pour réaliser l’évaluation et l’accompagnement psychosocial du patient dans la mesure où le patient ne leur est pas orienté dès le départ (1, 2, 4, 5, 7). En ce qui concerne l’animation des ateliers et la pratique des consultations avancées (6), l’implication du travailleur social n’est pas, en général, sujette à discussion dans l’équipe, mais ces activités ne figurent pas dans tous les projets de service des CCAA. Quant à la participation du travailleur social aux réunions des partenaires extérieurs pour une coordination des interventions, trois interviewés soulignent leur difficulté à sortir du centre, ce qui signifierait que le travailleur social ne peut pas jouer son rôle de représentation de la structure à l’extérieur ou n’est pas mandaté par l’équipe pour ce type d’actions (1, 2, 4). Seules les tâches de type administratif semblent être une fonction généralement exercée par le travailleur social : « l’assistant social est-il là pour régler les problèmes administratifs que présente le malade alcoolique ou bien est-il là pour faire partie d’une équipe dans sa dimension bio-psycho-sociale ? » (4). Au delà des raisons constamment évoquées du positionnement du social par rapport aux acteurs médicaux et psychothérapeutiques dans le CCAA, cette distorsion entre le métier tel qu’il est souhaité par le travailleur social et la réalité de son rôle au sein de l’équipe a, d’après les entretiens, plusieurs causes structurelles principales : - une mauvaise répartition des tâches liée à l’absence de définition de fonction - un problème de formation du travailleur social, compte tenu des compétences spécifiques de plus en plus demandées dans les interventions sociales, ce qui peut le mettre en difficulté face à d’autres professionnels plus spécialisés qui relèvent du paramédical, (relaxologue, kinésithérapeute, ergothérapeute) ou du social (animateur socio-éducatif, conseillère en économie sociale et familiale), ou qui ont des compétences particulières en psychologie (thérapie familiale) - un manque de temps dû à la dispersion de son activité ou à l’organisation des CCAA. 78 cf. note 68 77 - un problème d’organisation et de répartition des tâches au sein du CCAA ? D’après les personnes interrogées, la position du travailleur social par rapport à ses collègues tient en premier lieu à un problème d’organisation dans les CCAA En effet, un CCAA est composé de 4 à 8 personnes, rarement plus, et de surcroît avec seulement 2 ou 3 permanents. De ce fait, dès qu’une personne s’absente, l’équipe est fragilisée. « Cela nous oblige à être pluridisciplinaire et donc à ne pas être enfermé exclusivement dans nos propres missions » (2/143-147). Ce principe de pluridisciplinarité79, présent dans tous les textes législatifs, est d’ailleurs appliqué par l’ensemble des responsables des CCAA . L’une des applications de ce principe se retrouve particulièrement dans les modalités d’accueil du patient : « la première visite » au centre d’alcoologie. Le premier entretien est sans doute la phase la plus importante de l’approche du patient. « L’entretien a pour but de déceler les points faibles, les atouts et les possibilités de ces malades, et surtout connaître son parcours…et c’est là, la base » (4/213-220). Il peut être ainsi conduit à deux, de manière systématique par le médecin et travailleur social dans l’équipe 7 et occasionnellement dans l’équipe 6, ou alors indifféremment par la secrétaire, l’infirmière, le travailleur social, le médecin généraliste ou le psychothérapeute dans les autres équipes. Dans la réalité de la plupart des situations, ou bien l’attribution de cette tâche n’est pas formalisée, le principe de la polyvalence de « l’alcoologue » primant alors sur la fonction et dans ce cas, chacun est supposé pouvoir l’assumer ; ou bien la connotation médicale prévaut sur le social, et c’est l’infirmière ou le médecin qui sont désignés. Les aspects sociaux de la situation du patient qui risquent de le conduire à l’exclusion passent alors relativement inaperçus et bien souvent le travailleur social n’est interpellé que lorsque la situation s’est fortement dégradée. Se pose une nouvelle fois la question du moment où le travailleur social peut et doit intervenir. Un autre exemple concerne les interventions en thérapie familiale, qui est une des applications de l’approche systémique, particulièrement utilisée en alcoologie. Conduite 79 Nous reprenons le terme pluridisciplinaire de notre interlocuteur pour rester fidèle à la citation mais nous avons utilisé dans ce mémoire le terme pluriprofessionnel qui correspond mieux à la réalité de la composition d’une équipe de CCAA. 78 par un psychothérapeute, une infirmière, un travailleur social ou un médecin ayant reçu une formation qualifiante complémentaire spécifique, cette intervention est, dans ses modalités d’action, différente de l’approche de l’accompagnement social des familles concernées par l’alcoolisation d’un proche. Dans le modèle systémique, la famille est considérée comme un système dans lequel l’alcool vient perturber le fonctionnement global de la famille et de chacun de ses membres. La thérapie familiale a pour principaux objectifs d’aider le patient à retrouver une place adéquate dans la famille, d’améliorer la communication et notamment l’expression des sentiments de chacun. C’est un outil thérapeutique qui permet de travailler à la résolution des conflits sans violence, de renforcer les sentiments positifs pour ressouder les liens familiaux, de donner aux parents les ressorts psychologiques pour qu’ils assument leurs rôles parentaux et notamment leur rôle de protection des enfants. L’accompagnement social des familles a une autre perspective plus opérationnelle : expliquer la pathologie du patient à ses proches, les amener à repérer les conséquences de ce comportement sur le conjoint, les enfants, les proches, et agir concrètement auprès des institutions qui prennent soin des enfants. Les frontières entre ces deux champs sont, en fait, très floues et le risque de chevauchement entre les actions du thérapeute familial et celles du travailleur social est permanent, sauf si celui-ci a reçu une formation en thérapie familiale, ce qui n’est vrai que dans une situation observée lors des entretiens (7). La seule différence notoire entre les deux fonctions, c’est le champ dans lequel s’inscrit l’action du professionnel. Le thérapeute familial fait venir le couple, la famille dans un espace d’entretiens clos. Il se situe dans le champ du soin (cure). Le travailleur social « non thérapeute familial » peut se déplacer, ne serait-ce que pour contacter les partenaires qui s’occupent de la famille. Il se situe dans le champ du « soin social » (care). Mais dans la réalité, le thérapeute familial est amené, dans ses entretiens avec la famille, à aborder des questions qui relèvent du champ du travailleur social. Cette interférence des membres de l’équipe dans le champ du social repose aussi sur une confusion des rôles qui peut être générale. Une des personnes le dit avec un certain humour : « le médecin peut faire de la psychothérapie, il peut faire du médical ou du social, le psychologue aussi, … dans pas mal 79 de CCAA les infirmiers, quand il y en a, font du social. Donc tout est mélangé, comme une maladie mentale » (4/71-72). Selon l’avis exprimé par l’ensemble des personnes interrogées, le problème majeur vient des relations avec le psychothérapeute. « Les psychologues font des psychothérapies, mais en général, ils ne font que des entretiens de soutien » (4/32-34). Le psychothérapeute va alors s’occuper de la situation par rapport à l’emploi, par rapport à la formation, à la situation familiale, domaines de compétences qui relèvent spécifiquement du travailleur social. Et s’ils exercent effectivement en tant que psychothérapeutes de formation analytique, ils risquent d’imposer leur modèle à l’ensemble de l’équipe : « il y a une psychologue ici qui s’opposerait à ce que vous, travailleur social, alliez voir la famille : « on a le patient, tu n’as pas à aller voir la famille. Parce que, dans ce que tu vas me traduire, tu vas fausser mon jugement. La psychologue ici est très lacanienne…, et là, on a le problème du travail d’équipe qui n’est plus un travail en équipe : cela s’appelle de la juxtaposition ». (1/754759) Malgré ces obstacles, dans trois centres, la présence de plusieurs professions est considérée comme une force, et l'empiètement sur le champ du « social » est perçu par les personnes interrogées de façon plus nuancée. « Voilà, ce n’est pas ça qui est important, après tout...si la relation passe mieux avec le médecin, pourquoi pas, moi, je m’en fous, mais ce qui me paraît important, c’est qu’effectivement on soit dans le champ de la relation, et non pas dans le champ du soin proprement dit » (1/ 238-242). Il y a ici, comme principe d’action, le respect de la notion de relation qui laisse le choix du thérapeute au malade. Dans ces centres, selon l’avis des professionnels interviewés, il y a une réelle confiance et une bonne communication au sein de l’équipe. La confiance réciproque et le respect du fonctionnement de l’autre prennent le pas sur un comportement de défense de territoire et de guerre des fonctions. « On se fait confiance et on arrive à écouter l’autre mais aussi à écouter le malade » (3/98-99). « La question importante, c’est aussi la façon d’appréhender les choses...et de vouloir travailler avec les autres...alors ça, ce n’est pas critiquable...il y a des médecins qui veulent fonctionner seuls et des médecins qui « aiment » partager et accompagner la situation avec un autre intervenant professionnel...en l’occurrence, moi » (7/298-301). 80 - un problème de formation du travailleur social ? Ce problème de formation a été évoqué spécifiquement dans trois domaines revendiqués par le travailleur social . En règle générale, tous les travailleurs sociaux en CCAA reçoivent, dans le cadre de la formation permanente, une formation en alcoologie indispensable à la compréhension de la problématique. Nous n’évoquerons donc que la question des formation annexes. 1- les actions collectives (animation de groupes, consultations avancées …) Le groupe de parole de patients permet de laisser s’exprimer, s’il est bien conduit, toutes les difficultés relationnelles ressenties par les membres du groupe ; en cela l’action collective devrait être un élément essentiel du travail social. Plusieurs travailleurs sociaux ont eux-mêmes exprimé l’importance d’une formation spécifique pour assurer l’animation de ces groupes, tout en précisant que leur formation initiale leur garantissait ces compétences. Le fait même qu’ils aient évoqué ce point permet d’être plus réservé quand à l’affirmation d’une compétence totalement maîtrisée. Il est d’ailleurs peu fréquent que le travailleur social assume seul l’animation des groupes. L’animation se fait le plus souvent avec un autre intervenant, généralement formé à l’animation collective. 2- la thérapie familiale Nous avons déjà abordé ce thème à propos de la répartition des tâches en CCAA. L’utilisation de l’outil systémique peut être un plus dans la formation du travailleur social confronté aux nombreux dysfonctionnements que provoque l’alcoolisme d’un membre de la famille. C’est une orientation de travail que le professionnel doit choisir lui-même. Mais, d’après l’une des personnes interrogées (7), il est parfois difficile de cumuler cette fonction avec les tâches qui relèvent du travail social proprement dit. En effet en tant que thérapeute familiale, elle travaille régulièrement avec le groupe familial. En tant qu’assistante sociale, elle est amenée à traiter des problèmes de la famille avec les partenaires extérieurs, ce qui exige d’elle une vigilance particulière à l’égard des règles de confidentialité. Cependant, cette formation complémentaire peut être extrêmement valorisée par l’équipe et donc « un atout dans la stratégie de reconnaissance du travailleur social ». 81 3- les interventions extérieures La participation des travailleurs sociaux aux congrès est essentiel pour affermir son image à l’intérieur de l’équipe. Mais est-il formé pour cela ? Un intervenant l’a exprimé avec humour : « quand je vais dans des colloques, je suis toujours très surpris. On veut la parole mais à chaque fois qu’on nous la donne, on se plante…ça part dans tous les sens…il faudrait peut-être qu’on apprenne à causer en public…à causer politique…à être rigoureux, synthétique ! « (6/ 54-55). L’analyse des pratiques professionnelles en groupe peut être alors une instance de formation qui permettrait aux participants de formaliser leurs pratiques, de construire des compétences individuelles et collectives, de modifier leur mode d’expression et d’être ainsi plus persuasifs et reconnus au sein même de leur équipe. - un problème de disponibilité ? Il peut être lié tout d’abord aux contraintes géographiques et structurelles : de longues distances à parcourir sur un grand département, un statut à mi-temps dans certains CCAA . Il est aussi lié au fait que le travailleur social est le plus souvent un permanent dans l’équipe et, à ce titre, il est naturellement désigné pour assurer l’accueil en l’absence de la secrétaire, pour effectuer des tâches purement administratives ou logistiques, ce qui est exprimé par plusieurs interviewés sous le terme de « mutualisation des tâches » à laquelle échappent le plus souvent médecins et psychothérapeutes. L’argument de la disponibilité doit surtout être associé au fait que les limites de l’action du travailleur social dans ce type d’organisation sont très peu définies : évaluation psychosociale, accompagnement individualisé, conseils aux familles, aux intervenants extérieurs, travail en partenariat, animation de groupes, consultations avancées…. Au nom du principe de la prise en charge globale de l’individu, le travailleur social, selon sa sensibilité et ses propres centres d’intérêt, et pas seulement en fonction des limites imposées par le responsable médical, s’investira dans tel ou tel domaine au détriment des autres, ce qui rend encore plus flou le sens de son action auprès de ses collègues. 82 II-1-2-2 Le mode de fonctionnement du CCAA 1- les règles et procédures La procédure se définit comme « un ensemble de règles qu’il faut appliquer strictement, de formalités auxquelles il faut se soumettre, dans une situation déterminée »80. Quelles sont les procédures qui prévalent dans les sept CCAA observés ? Et de quelle manière interfèrent-elles dans le positionnement du travailleur social ? En fait, il apparaît qu’il n’y a pratiquement jamais de procédures bien définies mais plutôt des constantes d’action ou des règles implicites. Par exemple, il n’existe pas de définition de fonction précise, ce qui se traduit comme nous l’avons vu, par une mauvaise séparation des tâches, par l’absence de règles formalisées pour le premier entretien ou de procédure sur le dossier du patient qui permettraient à chacun d’être bien informé des problèmes révélés par le patient et de l’action de ses collègues… L’intervention d’une des personnes interviewées est symptomatique de cet état de fait : « moi, je faisais la « photo psycho-sociale » du patient, après il y avait un entretien médical et le médecin posait exactement les mêmes questions que je venais de poser, après venait le psychologue qui faisait exactement la même chose » (4/ 230-232). La hiérarchie interne dans les CCAA est également un problème latent. Mise à part l’autorité reconnue du responsable du centre (généralement un médecin), il n’y a pas de hiérarchie formelle entre les autres membres de l’équipe. Et pourtant, le plus souvent, un pouvoir informel est exercé par les autres médecins ou par le psychothérapeute sur la secrétaire, l’infirmière ou le travailleur social. Ce dernier admet difficilement cette situation car elle soulignerait soit une hiérarchie de compétences, soit une hiérarchie liée à l’importance de la fonction sous-entendant encore une fois que les problèmes sociaux sont en arrière-plan des problèmes médicaux. Cette hiérarchie tacite est d’ailleurs ressentie par certains travailleurs sociaux (4 et 5) lors des réunions de synthèse. 80 Dictionnaire Hachette 1992 83 Ces réunions sont la seule instance bien définie et générale à tous les CCAA. Elles ont pour objet de confronter les divers points de vue sur la situation des patients et / ou d’analyser des problèmes organisationnels. Mais, dans ces réunions de type collégial, il peut arriver que l’avis du travailleur social ne soit pas pris en considération ou que le travailleur social ne soit pas sollicité dans une décision à prendre par rapport à un patient (4). 2- les méthodes La méthodologie du travail social est peu exprimée par les professionnels interrogés, ce qui nous invite à penser, à la suite de S. Karsz, que les pratiques ne sont pas suffisamment théorisées81. Au même titre que pour les procédures d’action, il n’apparaît pas de méthodes bien formalisées dans l’approche sociale du patient. La seule référence clairement exprimée par les personnes interrogées est celle du « contrat de soin » conclu avec le patient car inscrite dans les textes et bien formulée par un des intervenants : « compte tenu de ce que vous avez dit (le patient)….à l’ensemble de l’équipe… aujourd’hui, par rapport au point où vous en êtes, on vous propose d’en arriver là… qu’est ce que vous êtes prêt à faire, à y mettre, et nous de même ?… » (1/710-718). Ce contrat de soin sollicite l’action du patient lui-même, en premier lieu, en le responsabilisant, mais aussi l’action de chacun des intervenants de l’équipe. Toutefois, l’appropriation et l’application de cette notion ne nous semblent pas généralisées dans tous les CCAA. Ce qui apparaît clairement sans être jamais mentionné explicitement par les sept personnes interrogées, c’est l’absence quasi totale de directives de l’organisme gestionnaire public ou privé, hôpital ou association. On aurait pourtant attendu de ces organismes des instructions tendant à assurer une cohérence dans l’action des CCAA, ainsi qu’une approche méthodologique de la prise en charge psycho-sociale du patient. L’exemple le plus significatif concerne les expériences de travail en groupe avec les patients. Comme l’exprime l’un des intervenants (4), ces expériences souvent menées par le travailleur social sont laissées à la libre initiative des CCAA : groupe de parole, atelier 81 KARSZ S. , « Pourquoi le travail social ? Définitions, figures, cliniques » in : Lien Social p. 21 84 de lecture, atelier budget, atelier jeux, atelier senteur animés par quelques professionnels interrogés…. Quelle est l’efficacité relative de ces ateliers ? Comment ces initiatives s’inscrivent-elles dans l’action générale des CCAA ou dans les orientations de la santé publique en matière d’alcoologie ? Dans la mesure où ces actions nécessitent un fort investissement en temps et ne font pas l’objet d’un projet écrit et d’une évaluation régulière, elles risquent de ne pas être validées par l’ensemble des membres de l’équipe et ne peuvent pas contribuer à valoriser l’image du travail social. Si l’absence de cadre formalisé dans les actions de l’accompagnement social peut être parfois considéré comme un élément de liberté revendiqué par le travailleur social (2), elle peut aussi contribuer à aggraver ce sentiment d’incertitude dans sa position. II-1-2-3 L’évaluation des activités en interne Cette absence de méthodologie explicite freine l’évaluation des activités du travailleur social comme de celle de ses collègues. En alcoologie, les statistiques portent sur les traitements, les profils de patients, le nombre de consultations, ce qui donne une représentation des activités du service mais aucun indicateur ne permet d’évaluer les activités respectives des intervenants, y compris celles du travailleur social, ni le type d’actes posés pour chaque situation. Il n’y a donc ni appréciation des résultats qualitatifs des actions engagées par le groupe, ni de visibilité réelle du travail de chacun. La notion d’évaluation commence cependant à pénétrer dans les centres d’alcoologie dépendant du secteur privé. Le directeur d’un des sept CCAA l’exprime ainsi : « vous aviez dit en début d’année quels étaient vos objectifs, est-ce que vous les avez réalisés ? Est ce qu’on continue ? Sinon, que mettre en place en termes de formation ou d’organisation… ? » (1/413-419). Quatre professionnels interrogés ont exprimé le désir que leur activité soit évaluée, tout en précisant que le frein à une évaluation des activités respectives des membres de l’équipe venait principalement des médecins et psychologues qui justifient leur résistance en avançant la difficulté de sa mise en place dans les thérapies médicales et psychopathologiques. 85 II-1-4 Conclusion de la reconnaissance interne En conclusion de ce chapitre concernant le problème de la reconnaissance du travailleur social au sein de son organisation, il ressort des entretiens les enseignements suivants : - une absence de définition de son rôle dans les textes - une absence d’orientation de l’organisme gestionnaire - un modèle théorique de référence qui privilégie le plus souvent l’approche médicopsychologique - une organisation interne sans règle ni méthodes bien définies - une absence d’évaluation des activités Il résulte de ces facteurs une fragilisation de la position du travailleur social dans sa propre organisation ; c’est ce qui explique principalement ce malaise exprimé par la majorité des personnes interviewées. Lorsque le responsable du centre d’alcoologie est ouvert aux questions sociales, lorsqu’ un climat de confiance règne au sein de l’organisation, ce qui est le cas dans trois des sept centres concernés par l’enquête, le travailleur social peut avoir le sentiment d’avoir sa place au sein de l’équipe et de remplir son rôle de façon satisfaisante. Le poste de travailleur social dans un CCAA est une obligation définie dans les textes, mais est-il une nécessité ressentie par les autres membres de son organisation ? Cette interrogation amène deux autres questions qui sont latentes dans tous les entretiens que nous avons menés : Comment le travailleur social peut-il exercer sa fonction de façon autonome et sans dépendre de l’assentiment de ses collègues ? D’après les travailleurs sociaux, cette question est moins critique pour les autres membres de l’équipe, en particulier, pour le médecin généraliste, le psychiatre ou le psychothérapeute qui peuvent exercer leur métier sans forcément faire appel au travailleur social. Le besoin de réciprocité ne serait donc pas manifeste. 86 Comment le travailleur social peut-il convaincre ses collègues de la nécessité et de l’efficacité de son intervention ? La réponse à ces deux questions est fondamentale pour que le travailleur social parvienne à être reconnu de façon réelle et non purement formelle au sein de son organisation. Même si ces deux questions ne sont pas aussi directement exprimées dans les discours, des éléments de réponses peuvent être clairement identifiés : 1- le travailleur social réfléchit sur sa propre action pour réduire ses propres contradictions - Quel va être le champ effectif de son action ? Le volet de la prise en charge sociale du patient peut être sans limite. Il est ainsi paradoxal que le travailleur social revendique la responsabilité du premier entretien alors que, bien souvent, il ne dispose pas du temps nécessaire pour mener les autres actions qu’il considère de son ressort. Jamais les professionnels interrogés n’ont évoqué le besoin de réfléchir sur leurs priorités en terme d’actions concrètes. - A-t-il la compétence demandée pour mener à bien les actions qu’il engage ? En particulier pour toutes les actions d’animation de groupe très souvent évoquées, n’a-t-il pas besoin d’une formation spécifique et complémentaire ? - A-t-il conduit lui-même une réflexion sur l’efficacité des actions qu’il engage, et ceci sans attendre nécessairement un processus formel d’évaluation au sein de son organisation ? A cette question, nous pouvons répondre que les travailleurs sociaux, et en particulier les personnes interrogées, participent à des groupes de réflexion de travailleurs sociaux que l’on peut qualifier de groupes d’analyse de pratiques. Mais ce qui pose problème jusqu’à présent, c’est la restitution de rapports de synthèses ou de recommandations susceptibles d’être communiqués aux équipes du groupe d’appartenance et qui permettraient une 87 avancée de l’action sociale et l’affirmation de la compétence des travailleurs sociaux. Ceux-ci commencent à prendre conscience de cette lacune dans leur méthode de travail. 2- le travailleur social engage une action vis à vis de son organisation Cette action pourrait être menée dans deux objectifs : expliquer ce que le travailleur social fait (le contenu du travail social est le plus souvent méconnu des autres fonctions), et de cette façon, convaincre de son efficacité (5, 7). Nous pourrions ainsi parler d’ une stratégie de positionnement ou d’identification. - Comme nous l’avons vu dans toutes les situations rencontrées, il n’y a pas de définition formalisée de la fonction. Plutôt que de vivre cette situation tout en la contestant, et ainsi de gérer ses interventions au gré des priorités définies le plus souvent par les autres membres de l’équipes, le travailleur social va négocier avec son responsable et les autres membres de l’équipe une répartition précise et formalisée des rôles et responsabilités. - Le travailleur social peut être le moteur d’un processus de coordination avec ses collègues, en instaurant, en particulier, le principe du rapport d’activité comportant une description précise des actions engagées, leurs conditions de réussite et les résultats obtenus. L’instauration de cette procédure contribuera à éviter de façon permanente le besoin de se justifier, de rechercher les informations auprès de ses collègues et de convaincre de l’efficacité de son action, ce dont se plaignent la majorité des professionnels interrogés. 3- Le travailleur social va changer d’état d’esprit vis-à-vis de ses collègues Deux intervenants ont souligné la nécessité d’avoir une stratégie mais sans l’appréhender totalement . L’ affirmation d’identité passe, pour l’un d’eux, par la capacité à s’opposer à des orientations ou à des mesures qui seraient contraires à la perception de la situation spécifique du patient par le travailleur social. « Cette capacité de dire non, c’est sortir de la dépendance. Ca se travaille : pour les 88 travailleurs sociaux, ça permettrait de ne plus être dans la subsidiarité par rapport au médical. Quand on sait dire non, que l’on soit malade alcoolique ou travailleur social…ou directeur…, on sort de la dépendance » (1/737-738). «La stratégie du travailleur social est défendable, il y a quelque chose à construire, c’est vraiment mon sentiment….on sait bien qu’il y a toujours la fonction et la personne » (2/360-365). D’une manière générale, nous avons l’impression que les professionnels interrogés se positionnent eux-mêmes dans une attitude soit rebelle (3 et 4), soit soumise (5 et 7) et rarement adulte et proactive vis-à-vis de leurs collègues (selon la classification de l’analyse transactionnelle). Deux intervenants sortent de ce cadre : l’un se présente comme le leader de son équipe (2) et l’autre se qualifie « d’extra-terrestre », c’est à dire comme un travailleur social « hors normes » ayant la chance d’être accepté comme tel (6). Mais la faiblesse de notre échantillon ne nous permet pas de dire que ces deux personnes sont représentatives de leur métier, tandis que les autres attitudes nous semblent plus fréquentes. Après avoir examiné les conditions dans lesquelles la parole et l’action du travailleur social sont reconnues à l’intérieur de son équipe ou groupe d’appartenance, nous analyserons la représentation de sa position par les instances extérieures. II-2 La reconnaissance externe Nous avons vu que tous les entretiens soulignent que le travailleur social dans son organisation, le CCAA, n’a pas une position parfaitement identifiée et reconnue par ses collègues. Il en résulte une volonté maintes fois exprimée, de sortir du cadre strict du CCAA pour se rapprocher du groupe de référence ou engager des actions de partenariat. En effet, nous montrerons que pour mieux gérer les problèmes spécifiques de ses patients, enrichir son expertise dans son domaine, rompre son isolement, pour assurer son statut par rapport à ses collègues, le travailleur social cherchera des appuis dans ses réseaux extérieurs. Cette volonté de participation à des instances externes est exprimée dans tous les entretiens. 89 Ces réseaux sont de nature structurelle, essentiellement l’organisme de tutelle (la CPAM), l’organisme gestionnaire (l’hôpital ou l’association, plus rarement la municipalité), ou fonctionnelle (le réseau de partenaires externes : réseaux thérapeutiques et réseaux d’insertion). Nous verrons que la position du travailleur social à l’intérieur de ces réseaux telle qu’elle est ressentie par les personnes interrogées, n’est pas non plus parfaitement claire, ce qui contribue à perpétuer ce malaise général ressenti chez le professionnel. Mais il paraît aussi essentiel de s’interroger sur l’image des CCAA et à travers eux, celle du travailleur social « alcoologue », auprès des personnes ayant un problème avec l’alcool. Nous sommes donc conduits à nous interroger sur la reconnaissance externe du travailleur social en utilisant plusieurs indicateurs : - l’identité du CCAA qui donne une certaine orientation à l’activité du travailleur social - l’identité professionnelle du travailleur social vis-à-vis de l’extérieur - les relations du travailleur social avec l’organisme gestionnaire de rattachement - les actions transversales du travailleur social - l’évaluation des activités en externe II-2-1 L’identité du CCAA et l’orientation institutionnelle Sous le même terme CCAA, on trouve des centres qui peuvent être rattachés à un hôpital, à une commune, à des associations privées telles que l’ANPAA. Ils n’y a donc pas d’unité dans leur statut. Ces organismes gestionnaires ne donnent en général aucune directive aux CCAA, il n’y a donc pas d’unité d’action. Quand aux textes, réglementations, recommandations des experts des conférences de consensus, nous avons vu qu’ils concernent principalement les médecins et non pas l’ensemble de l’équipe du CCAA. Une seule constante se retrouve dans tous les CCAA : ce sont des structures de soins ambulatoires pluriprofessionnelles. Cette absence d’unité dans les centres est soulignée dans les entretiens mais certains y voit l’avantage d’une plus grande liberté d’action par rapport à une structure hospitalière 90 beaucoup plus réglementée. « Le fait d’être une structure ambulatoire doit permettre d’apporter des réponses qu’une structure hospitalière ne peut pas donner en raison de ses contraintes. Le fait d’être ambulatoire doit nous démarquer de la structure hospitalière et nous démarquer aussi dans les réponses » (1/524-527). Deux autres travailleurs sociaux insistent sur la souplesse de fonctionnement de ce type de structures dans lesquelles ils ont effectivement une place qu’ils n’auraient pas en milieu fermé. Cette diversité n’entraîne pas de problèmes particuliers pour les médecins dont les missions sont claires. Mais comme le précisent les travailleurs sociaux, l’orientation spécifique d’un centre d’alcoologie peut amener des difficultés dans leur positionnement, par rapport au patient ou par rapport à leur organisme gestionnaire, et dans leur propre action. Ainsi, dans un des centres (7), la thérapie familiale est l’outil thérapeutique prédominant mais non exclusif d’autres interventions sociales. L’hôpital reconnaît le travailleur social dans sa fonction d’assistante sociale exécutant des tâches qui relèvent de l’action sociale généraliste mais pas dans sa spécificité de thérapeute familiale en alcoologie. Les conséquences de cette absence d’unité d’action entre les CCAA sont doubles : 1- la méthodologie d’intervention sociale peut être différente entre les travailleurs sociaux de deux CCAA voisins, ce qui peut nuire éventuellement à leur collaboration ou à la mutualisation des tâches . Le même travailleur social (7) souligne qu’il ne peut, compte tenu de son orientation de thérapeute familiale voulue par son centre, remplacer un collègue d’un autre centre d’alcoologie pourtant rattaché au même hôpital. 2- l’image des CCAA peut être très trouble pour les personnes confrontées à un problème d’alcool et qui chercheraient de l’aide (4, 7) puisque les réponses à leurs attentes peuvent différer d’un centre à un autre. II-2-2 L’identité professionnelle du travailleur social Le travailleur social se positionne par rapport aux autres métiers relationnels, aux formations universitaires, aux nombreuses professions sociales, au public. 91 II-2-2-1 Le positionnement du travailleur social par rapport aux autres métiers de « la relation d’aide individualisée » Le problème identitaire du travailleur social vient de la multiplicité des professions qui sont aujourd’hui appelées à apporter une aide à la personne et qui vont empiéter sur le champ traditionnellement réservé aux travailleurs sociaux. Deux exemples ont été particulièrement développés dans cette enquête : celui des psychologues et celui des infirmiers. L’un de nos interlocuteurs estime que « l’arrivée en masse des psychologues sur le marché du travail » (4/78-81), depuis les année 1980, ainsi que la recrudescence des situations de détresse psychologique liées à la dégradation des conditions socio-économiques ont contribué à créer des fonctions qui étaient antérieurement assurés par des travailleurs sociaux (4). La même personne (4) considère que la concurrence avec les infirmiers s’expliquerait par l’évolution de leur carrière. La difficulté des conditions de travail à l’hôpital amène les infirmiers à travailler en milieu extra hospitalier (CMP, CCAA...). Dès lors, la nature de leurs activités change : les gestes techniques de la profession disparaissent et le travail relationnel prend toute sa place. Les infirmiers seraient donc conduits à développer d’autres compétences (animations d’ateliers, thérapie familiale...) qui vont concurrencer celles du travailleur social. II-2-2-2 Le positionnement du travailleur social par rapport aux formations universitaires Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de ce mémoire, les fonctions d’ « ingénierie sociale » et de développement local dans le cadre de projets montés en partenariat avec des instances départementales ne sont pas assurées par des travailleurs sociaux mais par des universitaires psychosociologues ou sociologues82. D’où vient le problème ? Notre interlocuteur (4), très sensibilisé au problème de qualification pense que l’institution accorde peu de confiance au travailleur social pour mener de telles actions du fait d’un manque supposé d’expertise, position qu’il conteste 92 personnellement. Mais un autre interviewé (6) se demande, pour sa part, si les travailleurs sociaux ont effectivement la formation requise pour remplir ce type de missions. II-2-2-3 L’ambiguïté de l’identité du travailleur social L’incertitude de la position du travailleur social en CCAA repose tout d’abord sur le fait que, sous cette appellation, coexistent plusieurs professions correspondant à des diplômes différents : assistant de service social, conseiller en économie sociale et familiale, éducateur spécialisé, moniteur-éducateur.… Dans le milieu associatif, il se peut également que certains professionnels exercent leur activité sans diplôme social. Ainsi l’ANPAA a créé une catégorie socioprofessionnelle particulière -les visiteurs sociaux- qui comprenait, jusqu’en juillet 2004, non seulement des éducateurs spécialisés mais aussi des professionnels formés « sur le tas » ou anciens malades. Comme l’ont souligné trois des personnes interviewées, cette diversité de statut et de formation peut nuire à l’image du travailleur social (4, 5, 6). Mais cela dépend aussi du contexte institutionnel. En effet, la culture associative peut admettre dans l’institution la présence d’un professionnel « hors normes », tandis que la culture hospitalière est beaucoup plus vigilante à la détention d’un diplôme social correspondant à l’exercice de la fonction d’assistant socio-éducatif (assistant de service social ou éducateur spécialisé). C’est la diversité de ces profils qui nous a incité à parler tout au long de ce mémoire, du « travailleur social », sachant que l’imprécision du terme renvoyait à des formations initiales différentes, voire aucune. Dans les faits, la profession d’assistant de service social est prédominante mais il nous semblait impossible d’ignorer les autres qualifications qui sont amenées à exercer les mêmes missions. Quelque soit le statut du CCAA, il apparaît donc qu’il n’y a pas de norme imposée pour l’exercice du travail social. Le législateur laisse le champ ouvert dans le recrutement du professionnel social en CCAA, ce qui sous-entend que l’accompagnement social n’est pas réservé à une profession déterminée. Cette prise de position favorise la souplesse de fonctionnement du CCAA (2), l’émergence d’une « culture alcoologique »83 mais elle peut aussi entraîner le maintien 82 83 cf. p. 60 cf. p. 20 93 d’une position de subsidiarité du social par rapport au médical dont les fonctions sont, quant à elles, parfaitement définies (1, 4, 5). Notre échantillon confirme cette diversité puisqu’il comporte une majorité d’assistants de service social (2, 4, 5, 7), mais aussi une éducatrice spécialisée (mentionnée dans l’équipe 1), et deux travailleurs sociaux non diplômés (3, 6). Le problème du diplôme est perçu de façon variable par les travailleurs sociaux interrogés. D’une façon générale, tous les titulaires du diplôme d’assistant de service social sont soucieux de défendre la profession mais ne sont pas hostiles à la présence des autres diplômés en travail social à l’intérieur de l’institution, à la condition qu’ils présentent un niveau de qualification analogue (éducateurs spécialisés, conseillers ESF). Par contre, la reconnaissance des « non diplômés » est moins évidente. L’un des interviewés leur refuse même complètement l’entrée dans le « sérail » (4). Les deux travailleurs sociaux « hors normes » (3, 6) sont conscients de leur situation précaire et comptent sur la passerelle proposée par la loi de validation des acquis par l’expérience pour consolider leur position. II-2-2-4 La représentation du travailleur social en CCAA auprès du public Par quelle démarche une personne désirant obtenir de l’aide pourra t-elle être mise en contact avec un CCAA et plus particulièrement avec le travailleur social de cette structure84 ? Si cette personne désire avoir surtout un soutien d’ordre social (problèmes professionnels, familiaux) comment pourra-t-il être assuré de trouver dans ces centres l’aide dont il a besoin tant les approches thérapeutiques des CCAA sont diverses (orientation essentiellement médicale, psychanalytique, sociale) ? Quelle image aura t-il du travailleur social si celui ci n’intervient qu’en arrière-plan du médical alors que, pour le demandeur, c’est peut-être en premier lieu une aide sur le plan social dont il aura besoin ? En effet, ainsi que l’exprime l’ensemble des interviewés, d’une manière générale, la volonté de l’institution est de provoquer une démarche de soins qui passe d’abord par la 84 Les résultats obtenus en moyenne nationale permettent de mettre en évidence l’origine de la démarche vers le CCAA des nouveaux consultants accueillis en 2000: 33,6% (services administratifs et judiciaires), 28,8% 94 consultation médicale et /ou psychologique, l’orientation vers le social n’arrivant qu’en deuxième intention. II-2-3 Les relations du travailleur social avec l’organisme gestionnaire D’après les travailleurs sociaux interrogés, les liens avec l’organisme gestionnaire semblent à l’heure actuelle plus conflictuels dans le milieu hospitalier qu’à l’ANPAA. Ceci tient vraisemblablement à la vocation plus « sociale » de cette association . La loi de 1998 a renforcé la mission de soins de l’ANPAA, qui, jusque là, s’occupait surtout de la prévention dans les écoles et dans les entreprises. Les comités départementaux sont devenus des institutions médico-sociales avec une double mission de prévention et de gestion des CCAA, ce qui donne plus de place au social selon l’interviewée (5), qui se sent à présent soutenue dans ses initiatives par la directrice départementale de son CCAA. A l’hôpital, l’ambiguïté de la situation des membres d’un CCAA est telle qu’ils peuvent être soumis à une double hiérarchie : fonctionnelle par le responsable du centre, administrative par un cadre socio-éducatif qui assure « la notation » de l’assistant socioéducatif fonctionnaire sans forcément connaître le contenu exact de son activité85 . « Le cadre socio-éducatif n’est jamais venu visiter notre structure mais s’est imposé, à son arrivée, pour la notation » (7). Dans cet exemple, la position du cadre intermédiaire de l’organisme gestionnaire n’est pas considérée comme un élément de soutien et de supervision, mais au contraire comme un risque de déstabilisation du travailleur social, bien intégré jusqu’alors dans son organisation où l’évaluation de son travail était faite en interne, par le responsable médical. Dans le cas que nous citons, l’arrivée du cadre socio-éducatif (CSE) a introduit un débat qui n’existait pas auparavant dans l’équipe, en révélant un désaccord entre ses propres conceptions et celles du responsable du centre sur la manière de conduire l’accompagnement social du malade. Le travailleur social risque d’être la première victime de cette divergence de vue. (services médicaux hospitaliers, spécialisés, généralistes), 10% (services sociaux et organismes à caractère social), 9% (entourage proche du consultant) 85 Le principe d’un cadre pour cinq agents socio-éducatifs est retenu (circulaire n°93-37 du 20 décembre 1993) 95 Cependant cette situation n’est pas générale et, principalement dans le milieu associatif, l’autorité de la direction administrative est souvent reconnue et acceptée par le travailleur social. Il n’y a pas alors de lien hiérarchique officiel dans l’équipe avec le responsable médical (5). Ceci permet au travailleur social de chercher un appui auprès de la direction administrative et de le trouver pour lancer un projet. Ce constat se trouve vérifié dans le discours, d’une autre personne (6) exerçant elle aussi en CCAA associatif. Le cadre administratif est sa seule hiérarchie mais elle n’en parle pas, la régulation interne ne nécessitant pas d’avoir recours à une autorité extérieure. Dans les deux exemples évoqués, la direction administrative ne semble pas imposer des normes contraignantes aux travailleurs sociaux. Là aussi le travailleur social doit gérer sa double dépendance pour pouvoir être reconnu non seulement dans son équipe mais aussi par son organisme gestionnaire. Cette situation n’est pas très critique à ce jour puisque, comme nous l’avons vu, l’organisme gestionnaire ne donne pas, en règle générale, d’orientations en matière de politique de soins qui pourraient entrer en conflit avec celles qui sont préconisées par les responsables des centres. La situation pourrait s’aggraver si les directeurs d’associations s’orientaient véritablement vers une politique de soins moins médicalisée. II-2-4 Les actions transversales : réseau et partenariat De l’ensemble des discours des interviewés, nous avons retenu qu’ils considèrent tous que leurs liens avec le partenariat extérieur sont fondamentaux ; et la plupart regrette de ne pas pouvoir y consacrer plus de temps. L’un d’entre eux déclare : « on a besoin des travailleurs sociaux pour une bonne raison : pour tisser un réseau, rien ne vaut les gens du sérail » (1/609-610). Le travailleur social construit donc des réseaux avec ses pairs, il participe à la construction de réseaux thérapeutiques, il tisse des liens avec les autres secteurs du travail social. II-2-4-1 le réseau des travailleurs sociaux en alcoologie Tous les travailleurs sociaux interrogés participent à des groupes de réflexion entre « pairs » sur leurs pratiques professionnelles. Deux exemples de groupes ont été cités : un groupe homogène de travailleurs sociaux de cinq centres d’alcoologie dépendant d’un même hôpital (2 et 7 en font partie) dans un premier cas, un groupe mixte de travailleurs 96 sociaux travaillant dans l’ensemble des secteurs de l’alcoologie sur une même zone géographique (4, 5 , 6) dans le second cas. Les travailleurs sociaux mettent l’accent sur plusieurs points : - l’histoire et l’esprit de ces groupes sont très importants. Ainsi l’un des groupes a été créé par une assistante sociale qui reste une « présence fédératrice, coordonnatrice » (7/465466). - ces instances de réflexion régulières sont vécues comme des « bouffées d’air », comme des opportunités pour « se repositionner » (7/354-361), pour demander le conseil des collègues : « au sein de ces réunions… si j’ai un souci, je n’hésite pas à me tourner vers une de mes collègues…je ne suis presque jamais seule dans une situation » (2/469-47). - ces réunions ont aussi un effet positif sur le positionnement de retour dans l’équipe : « parce que j’avais vu des collègues, parce qu’on avait échangé aussi les uns avec les autres, eh bien finalement, j’ai parlé plus facilement en équipe de mon expérience au travers de suivis communs » (5/ 425-430-431). - ces réunions permettent d’analyser ensemble les pratiques pour les formaliser, pour devenir ainsi force de propositions dans l’institution. Ceci est souligné par trois travailleurs sociaux interrogés (5, 6, 7). - la participation à ces réunions permet à certains travailleurs sociaux non reconnus dans leur équipe ou au sein de l’institution de retrouver un équilibre (par exemple, une des personnes interrogées (3) a pu démarrer une activité avec ses collègues des CCAA associatifs de sa région, compensant ainsi sa mise à l’écart par ses collègues sociaux hors alcoologie qui ne reconnaissaient pas son diplôme étranger). Ces groupes de réflexion sont donc essentiels en tant que lieux d’échange d’expérience et d’expertise. Il apparaît très clairement que le travailleur social y retrouve « ses marques » et son identité. II-2-4-2 les réseaux thérapeutiques Il s’agit principalement de la mise en place d’une coordination avec les centres de cures, post-cures alcoologiques et aussi avec les services intra et extra-hospitaliers généraux et psychiatriques. La synergie des compétences médicales, psychiatriques et sociales sont indispensables au bon déroulement du processus thérapeutique. Les travailleurs sociaux y 97 assurent le plus souvent un rôle déterminant de liaison au sein du réseau tissé autour de la personne. Ils peuvent alors devenir les « vecteurs de ce processus ». II-2-4-3 les réseaux d’insertion tissés avec les autres secteurs du travail social Les liens avec les collègues hors secteur alcoologie sont toujours ressentis comme une nécessité. De fait, la participation aux réunions d’informations générales de l’unité territoriale (circonscriptions, ou espace territorial), les commissions d’évaluation technique et d’insertion (CETI), le contact avec les associations de quartier représentent pour trois des travailleurs sociaux (6, 5, 7) une part très significative de leur activité, leur permettant ainsi d’être bien repérés, d’être sollicités et de représenter leur équipe à l’extérieur. Le travail en réseau fait partie du quotidien de leur activité. Pour ces personnes, il semble essentiel de rester en contact permanent non seulement avec les travailleurs sociaux des centres d’alcoologie de leur association mais aussi avec les professionnels des autres institutions (en particulier l’école, l’entreprise, les associations). Ces contacts correspondraient d’ailleurs également à une demande de leurs collègues extérieurs. Les remarques que nous avons faites sur le travail en réseau auprès des autres secteurs du social rejoignent les conclusions d’une étude réalisée par L. Bénichou en 199786 qui montrait que 95% des travailleurs sociaux non spécialisés repéraient des conduites d’alcoolisation excessive dans les populations qu’ils accompagnaient mais que 80% d’entre eux éprouvaient des difficultés à engager un suivi relationnel avec ces sujets à risque. Ces professionnels avaient donc besoin de l’information et du soutien que pouvaient leur apporter leurs collègues des CCAA qui deviennent alors des « personnesressources ». Avec leur aide, les travailleurs sociaux extérieurs sont ainsi en mesure de mieux comprendre la pathologie de l’usager et de l’orienter vers un centre de soins. Toutefois, le travail en réseau pose parfois des problèmes : l’un des interviewés (5) émet des réserves sur la qualité des relations qui se créaient entre partenaires. Il peut alors s’établir un jeu de concurrence surtout lorsque le travailleur social alcoologue et son 86 BENICHOU L., Conduites d’alcoolisation, travail social et réseau 98 collègue non spécialisé interviennent ensemble dans une même situation. « Il y en a encore trop qui cassent du sucre l’un sur l’autre en essayant d’enfoncer l’autre pour mieux exister » (5/653-654). Ces interviewés plaident pour la recherche d’une véritable solidarité qui permettrait au métier, « à un moment donné, d’exister et d’être reconnu véritablement » (5/705-710). Par ailleurs, le travailleur social se trouve souvent et une fois de plus en rivalité avec le psychologue pour représenter son établissement à l’extérieur. Ainsi que l’a exprimé un des interviewés (2), en règle générale, c’est au psychologue de la structure que revient « historiquement » le rôle d’expertise dans l’accompagnement des patients au cours d’interventions extérieures ou dans la mission de représentation du CCAA auprès des différentes instances extérieures. De ce constat émerge moins une revendication par rapport au collègue psychologue que la reconnaissance d’un dysfonctionnement : « à une époque, c’était très actif et on avait au moins une fois tous les deux mois une information un peu générale qui regroupait tous les collègues un peu localement…alors ça, ça ne se fait plus du tout et il y a là un énorme manque… on n’est plus du tout sollicité pour des réunions d’informations…que ce soit par les espaces ou par d’autres structures » (2/340-350). Mais souvent l’absence d’implication du travailleur social vient également d’un manque de disponibilité (2). La contrepartie et l’effet pervers d’un investissement total du travailleur social dans son centre peuvent être une absence de reconnaissance externe, et au delà, de reconnaissance du rôle de la structure dans le développement territorial de l’action médicosociale, sur le long terme. En synthèse de l’ensemble des réactions des interviewés sur ce sujet, la participation du travailleur social à la constitution et l’animation d’un réseau d’insertion serait donc en grande partie fonction de « l’ordre local » (liberté d’action du travailleur social au sein de son organisation, présence ou non d’un psychologue dans cette équipe…), et non pas d’une attribution formelle de cette fonction au travailleur social. Ceci souligne une fois de plus la fragilité de la fonction du travailleur social résultant du manque de règles formelles. . 99 II-2-4-4 le partenariat contractualisé avec les associations L’exemple de la participation du travailleur social aux consultations avancées est une illustration de sa reconnaissance externe. Il convient de noter toutefois qu’un seul interviewé y fait référence (6), ce qui laisse à penser que les autres structures n’ont pas encore mis en application les préconisations de la loi sur les exclusions. Cette personne précise que son intervention porte sur deux volets : un appui donné aux équipes : « chaque mois, je vais à la Mie de Pain où je fais une réunion d’analyse de pratiques avec les travailleurs sociaux, à la pension de famille et dans le relais social », et une action directe avec le public : « je reçois avec le travailleur social, à B.…on fait des entretiens à trois…avec des gens qui veulent engager une démarche de soins en alcoologie » (6/461466). Cette activité exprime la reconnaissance -à la fois externe et interne- du rôle du travailleur social par ses compétences spécifiques, dans cette démarche très particulière de soutien et de sensibilisation. II-2-5 L’évaluation des activités en externe : statistiques, comptes rendus, présentation de résultats Au delà de la reconnaissance de compétences, telle qu’elle peut être perçue lors de la participation des travailleurs sociaux aux groupes de réflexion extérieurs à leur organisation, les CCAA et les travailleurs sociaux en particulier, doivent prouver l’efficacité de leur action pour justifier de l’usage le plus approprié des ressources budgétaires qui leur sont octroyées. Il est ainsi demandé par le Ministère de la Santé et la CPAM à tous les centres d’alcoologie de recenser le public consultant et de transmettre les résultats, en fin d’année. Cette demande existait déjà lorsque le budget était alloué par la DDASS-Etat et que les CCAA n’étaient pas encore considérés comme des institutions médico-sociales, mais une plus grande rigueur est exigée à l’heure actuelle puisque leur fonctionnement est soumis, depuis 1998, au contrôle du Comité Régional de l'Organisation Sanitaire et Sociale (CROSS). Cette évaluation ne va pas sans poser quelques problèmes compte-tenu des activités très spécifiques de ces structures, souvent difficiles à comptabiliser, en raison également de la 100 culture des institutions médico-sociales encore peu familiarisées à raisonner en termes de résultats. Cette question de l’évaluation en termes quantitatif et qualitatif des activités du travailleur social n’est abordée que dans un seul entretien (7), ce qui prouve qu’elle n’est pas encore intégrée dans les normes de fonctionnement des CCAA ni dans les préoccupations du travailleur social. Et pourtant, c’est un point important pour la reconnaissance externe du travail social. II-2-6 Conclusion de la reconnaissance externe En synthèse de ce chapitre concernant le problème de la reconnaissance du travailleur social en dehors de son organisation, il ressort des entretiens quelques constantes. - La diversité des statuts et des orientations des CCAA nuit à l’unité d’action des centres essentiellement sur le plan social. - L’image du travailleur social en CCAA reste trouble pour le public intéressé et pour les organismes extérieurs du fait de l’ambiguïté de sa qualification, de l’hétérogénéité de la fonction de travailleur social dans ce type de structure et du peu de clarté de sa mission compte tenu de l’orientation surtout médicale de ces centres. - Le travailleur social occupe une position intermédiaire entre son organisme gestionnaire et sa structure de travail. Cette situation peut être une source de tension mais également une marge de manœuvre. - Le réseau formé avec ses collègues et avec les organismes extérieurs est essentiel pour son épanouissement personnel et pour le développement de son expertise mais insuffisamment formalisé. - Les actions transversales qui permettent au travailleur social de développer différents réseaux, comme ses actions internes, ne font l’objet d’aucune évaluation effective. De la même manière qu’ils s’efforcent de promouvoir leur rôle à l’intérieur de leur organisation, la majorité des travailleurs sociaux de notre enquête engagent des actions de partenariat et participent activement à l’ensemble des réseaux extérieurs. Mais là aussi, ils font face à de nombreuses contraintes d’ordre structurel ou relationnel sur lesquelles ils tentent d’agir, même si cette démarche reste souvent isolée et individuelle. Par ailleurs la question de la compétence nécessaire pour animer un réseau et intervenir en colloques a été en revanche très peu évoquée. 101 III- ANALYSE DES RESULTATS A PARTIR DES INTERVIEWS L’analyse des discours des interviewés nous donne des indications sur leur position professionnelle à l’intérieur de leur organisation et sur les types de stratégie qu’ils tentent de mettre en place. III-1 La position du travailleur social dans son cadre organisationnel III-1-1 L’incertitude et la contingence de « l’ordre local » Le CCAA est une organisation où les zones d’incertitude et de contingence sont très élevées. Ce type de structure traite en effet de problèmes humains par définition très variés, imprévus, dont l’analyse est incertaine et les réponses aléatoires. Compte tenu de ces zones d’incertitude, et selon l’analyse de Crozier, pour assurer son équilibre et sa solidité, l’équipe se fixe des tâches précises et limitées, en différenciant en son sein les fonctions attribués à ses membres, en leur distribuant des rôles et en utilisant leurs compétences. L’interviewé (1) considère que la répartition des rôles et des tâches est essentielle au bon fonctionnement d’une équipe. Cette délimitation claire permet alors au travailleur social « d’ être le moteur de l’équipe dans la dimension sociale de la prise en charge du patient » tout comme le médecin, l’infirmier, le psychologue et la secrétaire le sont dans leurs domaines respectifs (1/ 456-457). Parmi les personnes interrogées, la délimitation précise des rôles n’est réalisée que dans un seul cas (6) ; elle est perçue comme un avantage pour la fonction du travailleur social. La situation opposée est la plus fréquente. Elle est vécue par les interviewés (4, 5, 7) comme un obstacle au positionnement du travailleur social à l’intérieur de son organisation. Seule l’interviewée (2) considère que la répartition des rôles et des tâches dans l’équipe n’est pas une nécessité. Elle va même plus loin en disant : « plus on veut délimiter les choses, plus on les appauvrit » (2/ 18-20). Comme cela a été exprimé dans les entretiens (4) et (5), cette pénurie de règles formelles contribue à créer des risques de conflits liés aux relations interpersonnelles, à des enjeux de pouvoir ou à des problèmes organisationnels. 102 III-1-2 Les divergences dans l’approche du soin Les problèmes organisationnels ou relationnels masquent le plus souvent une divergence plus fondamentale dans l’approche du soin donné au malade alcoolique L’analyse des entretiens souligne plusieurs points qui éclairent l’origine de ces problèmes. La méthode d’approche du patient par le travailleur social n’est pas forcément identique à celles des collègues médecins, infirmiers, psychologues (1). La méconnaissance par l’équipe soignante des critères spécifiques de l’intervention du travailleur social peut conduire à des conflits d’objectifs et finalement à un certain cloisonnement (5/457-464) et (7/304-308). La nature même de son activité diffère de celle de ses collègues. Le travailleur social a besoin d’obtenir l’adhésion des autres membres de son équipe pour développer son action et ne la trouve pas (4,5). Ce besoin n’est pas aussi réel pour les médecins du fait de leur statut de responsable du groupe ou de leur expertise non contestée dans leur discipline, ce qui est aussi le cas pour les psychologues. L’évaluation d’une situation par le travailleur social peut être différente de celle de ses collègues. Il peut faire entendre son point de vue, mais cette démarche est d’autant plus difficile que sa position peut être interprétée précisément comme une contestation de l’avis du médecin et de celui du psychologue qui font autorité. Nous retrouvons ici l’analyse clinique d’ E. Enriquez. Le comportement du travailleur social est lié à la confrontation de sa culture professionnelle avec celles de ses collègues, aux jeux d’alliances qu’il noue avec les membres de l’équipe, en particulier avec le responsable médical87. L’illustration de ce jeu d’alliances nous est donné par la plupart des interviewés : pour certains, cette relation peut jouer en leur faveur (2, 3, 6, 7), pour d’autres, l’absence d’alliance avec le responsable médical nuit à leur positionnement (4, 5). De plus, les travailleurs sociaux interrogés ont souvent souligné la divergence entre leurs aspirations et la réalité des tâches demandées. Ils considèrent l’accompagnement social dans toute sa dimension, ce qui inclue la nécessité d’une évaluation sociale faite par le travailleur social (1, 4). Dans la réalité, pour reprendre l’expression de Madame D. (entretien exploratoire), les tâches quotidiennes du travailleur social correspondent le plus souvent à l’exécution de « prescriptions sociales » : trouver un hébergement, un centre de cure, résoudre des problèmes administratifs. L’interviewé (4) l’exprime ainsi : 87 cf. p. 56 103 « L’assistant social est-il là pour régler les problèmes administratifs que présente le malade alcoolique ? Ou bien est-il là pour faire partie d’une équipe dans sa dimension bio-psychosociale ? » (4/21-24). Le rôle indispensable de médiation conduit le travailleur social à utiliser ces moyens socioéducatifs mais il considère que la finalité de son action est bien plus large. Ainsi le regard posé par certains collègues sur le travail social peut parfois apparaître quelque peu réducteur et faire émerger chez le travailleur social un sentiment de dévalorisation. III-1-3 La cohésion des CCAA Les CCAA apparaissent néanmoins comme des unités assez solides. Dans trois CCAA concernés par notre enquête (3, 4, 7), les membres du groupe évitent de créer des situations ouvertement conflictuelles. Seule l’interviewée (5) est prête à prendre le risque du débat. Elle décide de provoquer un changement en allant exprimer son problème au responsable médical : « je me prépare à aller le voir, à lui faire part du peu d’orientations (de patients vers le social)…il faut bien sûr l’apprivoiser…c’est une forme de stratégie pour moi que d’aller poser la question » (5/502-510). Dans deux situations (2, 6), la cohésion de l’équipe existe. Les travailleurs sociaux l’attribuent à l’ancienneté de l’organisation (2) ou au pouvoir fédérateur du responsable médical (6). III-1-4 Les groupes de parole de travailleurs sociaux Le travailleur social cherche son équilibre au travers des groupes de parole entre pairs. L’importance accordée à cette activité menée à l’extérieur de l’organisation est clairement exprimée par cinq interviewés (2, 4, 5, 6, 7). Lorsqu’ils n’ont plus ni le temps, ni la possibilité d’y participer, ils le regrettent. Les groupes de parole mettent en place un cadre permettant une discussion collective sur les pratiques. Les travailleurs sociaux cherchent alors à faire ensemble un travail de construction de compétences. Ces réunions peuvent ainsi avoir une influence sur les représentations que les travailleurs sociaux du groupe se font de leur métier, et sur leurs pratiques professionnelles respectives88. Pour une personne interrogée (5), le groupe de 88 Les fonctions de ce type de groupe de réflexion ont été étudiées par S. DEBRIS, dans son mémoire de DSTS (ETSUP) : D’échanges en analyses. L’analyse des échanges, janvier 2000 104 parole auquel elle participe lui permet de mieux expliquer à son équipe le contenu de son travail. Le groupe de parole aurait ainsi une fonction d’explicitation des pratiques et serait un outil de légitimation du travail social par le groupe d’appartenance. Ces groupes extérieurs peuvent contribuer à créer chez les travailleurs sociaux un modèle de référence, de valeurs, d’attitudes qui fondent leur identité professionnelle. L’un des points importants de la participation des travailleurs sociaux à ces groupes est la possibilité de produire collectivement des projets formalisés destinés à être présentés aux organisations et aux instances gestionnaires. Le groupe professionnel devient alors force de propositions et consolide le positionnement de chaque participant. Signalons cependant les risques liés à la participation à ces groupes extérieurs, susceptibles de déstabiliser le travailleur social. En effet les relations établies avec ses pairs ne risquent t-elles pas de lui donner une vision du métier de plus en plus contradictoire avec celle de son groupe d’appartenance ? L’un des interviewés (6) apprécie l’existence de ces groupes. Mais il fait remarquer que ces réunions pourraient faire émerger un certain esprit corporatiste qui nuirait alors à l’intégration du travailleur social dans son équipe. Le résultat de ce travail de réflexion collective irait alors à l’encontre de son objectif de valorisation du travail social. La participation du travailleur social à ces groupes extérieurs ne peut-elle pas également devenir une source de frustration s’il s’aperçoit qu’un travailleur social, dans une situation comparable, bénéficie d’un statut, d’une autonomie d’action et de responsabilités supérieurs ? Au terme de cette étude, un aspect particulièrement marquant ressort de l’ensemble des analyses. Le travailleur social en centre d’alcoologie se trouve au centre de multiples tensions tant sur le plan relationnel que sur le plan des objectifs. En effet, son action intègre non seulement les préoccupations de ses patients, mais aussi celles de son équipe, de son organisme gestionnaire, de ses collègues extérieurs également spécialisés en alcoologie, ou des autres travailleurs sociaux. Cette difficulté de positionnement du travailleur social l’amène à s’interroger sur le sens et l’efficacité de son action. Ce constat nous permet de valider notre hypothèse. Pour pouvoir gérer les tensions qu’il subit du fait de sa fonction, pour trouver une cohérence à son action, 105 dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en externe. Mais ces stratégies sont, en règle générale, individuelles et circonstancielles. Comme nous le verrons, la réussite de ces stratégies, de l’avis même des personnes interrogées, dépend d’une remise en cause de leur propre action. Par ailleurs, les discours indiquent que les travailleurs sociaux souhaitent une prise de conscience collective de la nécessité de défendre le métier en définissant des stratégies au niveau de la profession. III-2 Les différents types de stratégies du travailleur social Ces stratégies sont développées par chaque travailleur social pour lui permettre d’avoir une action cohérente par rapport à sa mission d’accompagnement et de réinsertion du malade alcoolique. Plusieurs voies stratégiques sont repérables dans les discours des interviewés : - Considérer que sa reconnaissance professionnelle passe avant tout par une intervention directe auprès des patients, dans son organisation Le travailleur social engage alors des actions vis à vis de ses collègues et de son responsable pour promouvoir le volet social des missions du CCAA auquel il appartient (2, 3, 5, 6). - Chercher des appuis psychologiques et professionnels à l’extérieur et non pas à l’intérieur de son organisation Puisqu’il ne trouve pas une réelle sensibilité à la prise en charge sociale du patient dans sa structure, il va chercher un soutien essentiellement auprès de ses « pairs » spécialisés en alcoologie ou non, et auprès d’organismes qui font appel à lui parce qu’ils reconnaissent sa compétence (4, 5). - Chercher des alliances auprès de son organisme de gestion Le travailleur social amène ainsi son organisme gestionnaire à exercer son influence sur les orientations données par la direction médicale du centre d’alcoologie (5). - Renoncer à assumer l’ensemble des missions de base attachées à sa fonction 106 Le travailleur social tente alors de développer son activité soit dans une spécialité particulière (ex. thérapeute familiale) au sein de son organisation interne, soit dans des activités à l’extérieur, actions de prévention par exemple (7, 6). - Se conformer aux règles générales imposées par l’équipe sans chercher à les faire évoluer ni à les contester Pour éviter d’avoir à gérer une opposition entre une approche sociale et une approche psychologique orientée sur le fonctionnement inconscient du patient et détachée de toute recherche de résultats immédiats, le travailleur social choisit de se conformer à la culture générale du groupe en adoptant le modèle thérapeutique en usage dans la structure (modèle analytique, systémique...) (2, 7). Ces stratégies sont mises en œuvre à la fois pour répondre à un besoin de reconnaissance personnelle et pour une meilleure efficacité de l’action vis à vis des patients. Dans cette optique, les travailleurs sociaux élaborent des stratégies visant la reconnaissance du volet social, et donc de leur propre action, par les membres de l’équipe et par les partenariats extérieurs. III-3 Quelques réflexions sur les conditions de réussite de ces stratégies A travers l’analyse des entretiens, quels sont les facteurs qui conditionnent la réussite de ces stratégies ? Ce mémoire n’avait pas pour objet d’étudier ce point précis, mais les discours des personnes que nous avons interrogées permettent d’apporter quelques éléments de réponse : - s’attacher à réduire la charge affective de son activité Les interviews font apparaître l’importance de la dimension affective des interactions dans l’équipe. D’après M. Autès, le comportement du travailleur social serait lié en partie à sa situation professionnelle. Habitué à traiter de problèmes relationnels qui affectent gravement la vie des usagers, il peut arriver qu’il se projette inconsciemment dans les difficultés sociales des patients. Le CCAA soigne des personnes. Comme ses collègues, le travailleur social cherche à déculpabiliser le patient sans le déresponsabiliser. La charge affective est donc constante et touche l’ensemble de l’organisation, en particulier les relations entre les individus. 107 En effet, n’est-il pas difficile pour un professionnel s’impliquant personnellement comme un travailleur social, de conserver sa stabilité émotionnelle en toute circonstance, d’être capable de dire « non » sans émotion ni agressivité à une « prescription » ou un avis d’un membre de l’équipe avec lequel il ne serait pas d’accord ? C’est, en tout cas, la recommandation de notre interlocuteur (1) qui soutient que « cette capacité de dire non (permet) de sortir de la dépendance » et il ajoute que pour les travailleurs sociaux, cette position « se travaille » et qu’elle leur « permettrait de ne plus être dans la subsidiarité par rapport au médical » (1/739-745). Si le travailleur social parvient à conserver une « bonne distance » par rapport au discours du patient, à gérer son propre contre-transfert et à objectiver la situation de la personne à laquelle il est confronté, il semble que ce travail de distanciation ne soit pas développé dans les rapports qu’il établit avec l’équipe. Face à l’équipe, cette capacité d’objectivation dénuée d’affect semble parfois disparaître pour faire place à un comportement de justification. - avoir le courage de provoquer le changement Pour reprendre l’exemple donné par M. Crozier lors de l’étude des jeux de pouvoirs dans le cadre de son analyse stratégique, si le travailleur social se plaint du comportement autocratique du chef de service ou du chevauchement des tâches à ses dépends, il peut se demander ce qu’il fait lui-même pour entretenir la situation ou pour la modifier et négocier. Selon les principes de l’analyse stratégique et des pratiques mises en oeuvre dans le modèle systémique, nous avons constaté que le travailleur social tente d’instaurer un dialogue capable de faire apparaître des oppositions et des problèmes réels et de faire naître ainsi de ces échanges et négociations des comportements et opportunités nouvelles (5). Mais la régulation des tensions n’est réalisable qu’à deux conditions : - la possibilité pour les acteurs de confronter sereinement leurs points de vue au cours de réunions par un échange oral essentiel pour mieux se connaître et s’apprécier (ce qui est le cas dans les équipes 1, 2, 3, 6 ; relativement possible dans les équipes 5 et 7 ; absolument impossible dans l’équipe 4). 108 Cet apprentissage de la communication, quand il est mis en œuvre, a pour effet de mieux comprendre l’autre sur le plan de ses représentations, de ses émotions, des relations qu’il instaure avec les autres. - le soutien actif ou tacite du responsable du centre : celui-ci a-t-il la capacité ou la volonté d’intervenir pour réguler les tensions, est-il neutre ou partisan, favorise-t-il la concertation ? Les décisions sont-elles collégiales ou imposées par le responsable ou par un sous-groupe ? Y a-t-il complète liberté d’expression ? L’entretien (5) nous révèle une situation extrême. Un sous-groupe, en l’occurrence celui des psychologues psychanalystes, peut prendre le pouvoir au détriment de celui du médecin. « La théorie est posée…on n’a besoin de personne…pas même du médecin…ça a été un grand problème d’équipe…le responsable médical a même failli démissionner à cause de ça » (5/557-561). Dans une organisation telle qu’un CCAA, la non-intervention du responsable médical pour réguler les tensions peut être interprétée soit comme un aveu d’impuissance soit comme un refus de s’impliquer et d’affronter les problèmes. - se former pour communiquer et convaincre Comme le dit F. Dubet, le travailleur social est en partie responsable de ses difficultés de positionnement à l’intérieur d’une équipe et face aux autres corps professionnels89. F. Dubet préconise des changements dont le travailleur social serait lui-même acteur, en apprenant à défendre la notion de métier, en sachant affirmer des compétences spécifiques à partir desquelles il pourra être évalué (en particulier, écrire ses pratiques pour formaliser ses compétences). Cela signifie qu’il puisse s’accorder avec son service sur des objectifs, qu’il refuse de tout faire, mais s’attache à ce qu’il fait. Ce changement de position pour le travailleur social implique le recours à des arguments concrets, fiables et précis. Or, d’après une des personnes interrogées (6), les travailleurs sociaux ne savent pas synthétiser leur pensée, l’exprimer clairement et objectivement. Ce jugement excessif est plus nuancé dans le discours des autres interviewés, notamment lorsqu’ils sont habitués à animer des réunions à l’intérieur de la structure, ce qui est rare 89 cf. p. 58 109 (2), ou à représenter leur centre d’alcoologie dans des réunions extérieures (7 et progressivement 5). Toutefois, pour aller dans le sens de l’interviewé (6), l’ensemble des personnes interrogées s’accordent pour attribuer une grande importance à la construction d’une attitude réflexive. Cette mobilisation intellectuelle permettrait d’observer et d’évaluer la pensée du travailleur social pour la théoriser. Mais cela implique moins un changement comportemental qu’une véritable formation en communication, en expression orale, en animation de groupe. - agir pour faire évoluer son métier, ses compétences, et parallèlement, pour faire évoluer son organisation L’évolution de la représentation du travail social en alcoologie implique l’apprentissage de comportements nouveaux, l’acceptation de nouveaux objectifs, la remise en cause de son métier. Mais le CCAA en lui-même est-il une organisation capable d’évoluer ? Ceci tient, encore une fois, à l’implication personnelle que chacun de ses membres met dans la défense de ses compétences, notion qui est souvent confondue avec celle de qualification pour reprendre la distinction de H. Hatzfeld. Plusieurs travailleurs sociaux interrogés considèrent que leur métier est l’expression de leurs compétences (2, 3, 4,). Or, comme nous l’avons vu dans l’analyse de H. Hatzfeld, le métier détermine les compétences à acquérir. Deux personnes interviewées ont mis en application ce principe (6, 7). Le premier, n’ayant aucune qualification sociale au départ, s’est adapté au contexte organisationnel. Par un processus d’auto-formation, il a acquis les savoirs nécessaires à l’accomplissement de ses tâches. La seconde, titulaire d’un diplôme d’assistant de service social, a répondu à la demande de l’équipe en complétant sa formation initiale par une formation en thérapie familiale. En revanche, la position de l’interviewée (5) est un peu différente : elle considère que son diplôme d’assistante sociale la qualifie mais elle est désireuse de formations complémentaires pour mieux exercer ses missions et pour son développement personnel. Cette analyse des résultats sur la position du travailleur social à partir des interviews nous ont permis de déceler les difficultés qu’il rencontre à l’intérieur de son équipe et les 110 conditions qui lui permettraient de mieux développer une stratégie tendant à valoriser le volet social de l’action de son organisation. CONCLUSION GENERALE L’ensemble de notre recherche a porté sur la position professionnelle du travailleur social au sein de son équipe de soins et par rapport à ses partenaires extérieurs, et plus précisément sur les conditions dans lesquelles sa parole s’exprime et son action s’exerce. Dans une première partie, nous avons analysé le contexte institutionnel et organisationnel de l’activité du travailleur social en CCAA. Nous avons voulu comprendre le fonctionnement de ces centres d’alcoologie à travers plusieurs modèles théoriques. Ces modèles nous ont permis d’identifier les ressorts de l’action des intervenants, les règles formelles et informelles à partir desquelles ils affirment leur pouvoir, en utilisant à leur profit les zones d’incertitude. Par ailleurs, notre analyse a mis en lumière les freins qui limitent le pouvoir du travailleur social, tant au niveau de l’institution que de l’organisation. Nous avons vu également que le travailleur social est lui-même en partie responsable de sa position professionnelle et de la reconnaissance de son rôle ; il lui appartient en effet d’affirmer et de développer des compétences, à l’intérieur comme à l’extérieur de son organisation, et d’engager une stratégie lui permettant d’être mieux reconnu. Dans une deuxième partie, nous avons effectué une enquête auprès de travailleurs sociaux exerçant en CCAA hospitaliers et associatifs pour vérifier l’existence de stratégies mises en œuvre par ces professionnels dans le but de faire reconnaître leur rôle par leur organisation respective. L’enquête a révélé qu’à l’intérieur de sa structure, le travailleur social n’est pas protégé par un cadre fixe réglementant son action ; en conséquence, sa position dépend de « l’ordre local »90. Les entretiens ont souligné également que le travailleur social s’interroge sur la cohérence de ses actions et sur son positionnement au sein de l’équipe. L’enquête a aussi montré toute l’importance que le travailleur social attache à sa participation à des actions hors structure, en tant que représentant de la fonction sociale de son centre. Mais là aussi, sa position est fragilisée en raison principalement du peu d’unité 111 dans les statuts et les fonctions, et dans les orientations thérapeutiques des centres euxmêmes. Enfin, les outils d’évaluation des activités sociales tant en interne qu’en externe font défaut. Dans ce contexte organisationnel et institutionnel qui ne lui permet pas de trouver les appuis nécessaires à son action, l’enquête montre que les travailleurs sociaux ont adopté une démarche personnelle pour renforcer leur position et exercer pleinement leur métier. Nous avons pu ainsi vérifier notre hypothèse. Pour conclure cette étude, nous sommes conduits à nous interroger sur la nécessité de repenser l’organisation de la structure de soins ambulatoires en alcoologie, de redéfinir la place du social dans cette organisation, et de préciser la nature des compétences exigées en matière de soins, de prévention et d’accompagnement social. Dans le cadre d’un dispositif « repensé » pour reprendre l’expression de M. Autès, le travailleur social pourrait avoir un rôle essentiel. En effet comme nous l’avons déjà souligné, le travailleur social est au centre de plusieurs champs d’intervention : administratif, juridique, sociologique, psychologique, médical. Il se trouve ainsi dans une position « d’observation sociale » qui pourrait justifier sa participation à une action de redéfinition des politiques et des organisations dans ce domaine. Mais cette participation ne peut se réaliser qu’à la condition que le travailleur social ait une réflexion toujours renouvelée sur ses propres pratiques et sur le rôle qu’il pourrait jouer dans la modification du système actuel . La réflexion du travailleur social sur ses pratiques pourrait alors s’élaborer au sein d’un groupe de parole d’analyse des pratiques, dispositif qui existe déjà mais qui reste encore peu fréquent. A l’occasion de l’exercice d’analyse des pratiques, une compétence particulière est mise en œuvre : la « compétence de processus ». Cette compétence tournée vers l’analyse de l’action permet au professionnel d’être moins « rigide » selon les termes de R. Wittorski ; dans la mesure où il réfléchit à son propre fonctionnement, il est incité à se remettre en question. De ce fait, cette compétence peut être valorisée par les organisations. 90 cf.p. 51 112 Ainsi, en nous référant au modèle de R. Wittorski, ce type de groupe de parole peut contribuer à renforcer la position professionnelle des participants au sein de leurs organisations respectives. En effet, ce modèle propose de « formaliser les compétences implicites produites dans l’action et ainsi de les transformer en savoirs d’action…communicables, validés par le groupe, transmissibles ». Il s’agit « d’une logique de réflexion sur l’action ». Ce modèle permet aussi au participant de « définir par anticipation de nouvelles pratiques » à mettre en œuvre, de retour au travail. Il relève alors « d’une logique de réflexion pour l’action »91. Ainsi, grâce à l’analyse des pratiques, les travailleurs sociaux peuvent être acteurs de changement à l’intérieur de l’organisation en devenant force de propositions. A titre d’exemples, la réflexion du groupe peut porter sur plusieurs points. 1- La conduite de projets de santé communautaire, de développement social local La participation du travailleur social à ce type d’action s’inscrirait dans « l’orientation voulue par la loi sur les exclusions » selon M. Autès et G. Lambert 92. Dans le cas contraire, ainsi que nous l’avons déjà exprimé, ces actions collectives seront conduites par de nouveaux métiers avec des compétences différentes. Le travailleur social risquerait alors d’être marginalisé au sein de l’action sociale. Mais dans le champ du travail social, qui pourrait mener cette réflexion sur l’organisation interne et externe du système de soins ? 2- La création d’un poste de cadre social intermédiaire au niveau institutionnel Ces cadres intermédiaires auraient comme principale fonction la coordination des actions des CCAA dans le domaine social. Pour les structures hospitalières, nous avons vu dans l’enquête que les cadres socioéducatifs pourraient théoriquement jouer ce rôle. Mais dans la pratique, le plus souvent, ils ne sont pas en mesure d’encadrer les travailleurs sociaux des CCAA. En effet, leur domaine d’action est plutôt axé sur l’activité sociale intra-hospitalière et ils ne sont pas toujours familiarisés au fonctionnement particulier de ces structures externalisées. 91 WITTORSKI R., « Analyse de pratiques et professionnalisation » in : Blanchard-Laville C. et Fablet D., Travail Social et Analyse des Pratiques Professionnelles, pp. 80-81 92 LAMBERT G., op-cit 113 Dans le milieu associatif, en particulier à l’ANPAA, les responsables administratifs ont pour fonction d’encadrer l’ensemble des intervenants des équipes ambulatoires et non pas spécifiquement les travailleurs sociaux. De ce fait, ils ne sont en mesure d’assurer ce rôle de coordination des travailleurs sociaux. 3- La création d’un outil d’évaluation du travail social en CCAA Les entretiens ont souligné le besoin de disposer d’un outil d’évaluation spécifique à chaque fonction du CCAA. En ce qui concerne le travail social, cette évaluation nécessiterait au préalable la conception d’une grille et d’indicateurs communs à tous les professionnels sociaux en CCAA. Cet outil permettrait de recenser toutes les actions réalisées dans le domaine social. Il nous semble important que le projet soit porté par le groupe d’analyse de pratiques pour disposer d’une base de négociation avec les organismes gestionnaires. 4- La création d’un référentiel métier Pour pallier le manque de cohérence décelé dans les actions des travailleurs sociaux en CCAA, il serait souhaitable de construire un référentiel métier. Ce référentiel pourrait être élaboré au sein d’une commission composée de travailleurs sociaux, de cadres intermédiaires et d’un consultant spécialiste de l’organisation. Il pourrait s’inspirer du référentiel de compétences des assistants socio-éducatifs réalisé en 2003 dans le cadre de l’Association Professionnelle des Services Sociaux Hospitaliers et de la Santé (A.Pro.S.S.H.e.S.) 93. 5- La création de services sociaux départementaux spécialisés en alcoologie Nous avons vu l’insuffisance de coordination entre les dispositifs d’alcoologie (prévention et soins) et les différents secteurs du service social 94. La création d’un service social spécialisé en alcoologie au niveau départemental permettrait l’amélioration du travail en réseau, en application des politiques territoriales de santé publique. 93 Le référentiel de compétences des Assistants socio-éducatifs a été élaboré de 1997 à 2003 par une commission composée de cadres et assistants socio-éducatifs de différentes régions, avec la collaboration de B. Blairon, consultant au Centre de Développement Professionnel Individuel et Organisationnel (C.P.I.O) 94 Nous avons connaissance de l’existence d’un service social spécialisé en alcoologie auprès du Conseil Général du Calvados. 114 Notre espoir serait de voir se dessiner dans les années à venir une double évolution. Les travailleurs sociaux en centres d’alcoologie pourraient changer le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et sur leurs structures afin de développer leurs propres stratégies ; les organisations pourraient intégrer davantage l’action des travailleurs sociaux dans la démarche globale de soins. Nous n’avons pas voulu donner du travailleur social spécialisé l’image d’un militant, ni celle d’un soliste, sourd à la musique de ses collègues, mais celle d’un professionnel à la recherche de son identité. Pour reprendre la métaphore de F. Dubet, nous souhaiterions que l’équipe fonctionne comme un ensemble de musique de chambre qui, « du trio au quintette, réalise le miracle consistant à donner à chacun sa pleine expressivité tout en construisant un ordre collectif »95. . 95 DUBET F., op-cit, p. 401 115 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES - ANCEL P., et GAUSSOT L. (1998), Alcool et Alcoolisme, pratiques et représentations, Paris, L'Harmattan, 237 p. - ANZIEU D., MARTIN J-Y. (2003), La dynamique des groupes restreints, Paris, PUF, (13°édition), 397 p. - AUTES M. (1999), Les Paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 313 p. - BLANCHARD-LAVILLE C., FABLET D. et al. (2001), Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, Savoir et Formation, 207 p. - BLANCHARD-LAVILLE C. FABLET D., et al. (2003), Travail social et Analyse des pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, Savoir et Formation, 212 p. - BLANCHET A. et TROGNON A. 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Dans son chapitre II relatif au « développement de la formation professionnelle », la section première intitulée « validation des acquis de l’expérience » (articles 133 à 146) pose les fondements de ce nouveau droit - Accord du 26-03-2003 relatif au transfert de l’accord d’entreprise de l’ANPAA du 28-031986 vers la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15-03-1966 - Loi n° 2002-303 du 04-03-02 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner » Sites législatifs : http://www.legifrance.gouv.fr http://www.sante.gouv.fr - Mission Interministérielle de Lutte contre La Drogue et la Toxicomanie (MILDT) Plan triennal 1999-2002 - Plan quinquennal 2004-2008, http://www.ladocumentationfrançaise.fr - Arrêté du 11-09-02 relatif à la rénovation des missions et l’aménagement de la composition du Conseil Supérieur de Travail Social (5°mandature), in : TSA (927) p.17-18 - Association Professionnelle des Services Sociaux et de la Santé (2003), Le Référentiel de compétences des assistants socio-éducatifs, Paris. - Conférences de consensus et recommandations de pratiques cliniques (de 1998 à 2003) http://www.alcoologie.org - Carrefour de l’addictologie de terrain – Journées de Nîmes 2004 http://www.alcoologie.org 121 MEMOIRES : - DEBRIS S., (2000), D’échanges en analyses. L’analyse des échanges, DSTS-ETSUP - TOULORGE P. (2002-2003), Le praticien face à l’alcool et aux drogues, Diplôme Universitaire d’Alcoologie, Paris VII - LE CLEC’H F. (1993), Unité d’alcoologie : apports de l’action pluridisciplinaire au travail social individuel, Diplôme Universitaire d’Alcoologie, Paris VI COURS : - BLAIRON B. (20001-2004), Sociologie des organisations, DSTS 4-ETSUP - CAMBERLEIN P. (2001-2004), Analyse des institutions sociales et éducatives, DSTS 4ETSUP ANNEXE A - GRILLE D’ANALYSE - Catégories, Sous catégories 1 Institutionnel Dispositif de prise en charge Thèmes Principes et valeurs du CCAA Dénominations : du CHA au CCAA Circulaires, rapports d’évaluation, lois, textes, experts Organisation réseau CCAA sur le département Représentation de la maladie alcoolique Hôpital ou ANPAA Statistiques Missions / Evaluation du dispositif Budget Projet d’établissement Hiérarchie institutionnelle Procédures Relation Institution / CCAA Objectifs / cadre d’action Relations responsable CCAA – responsable institution Evaluation 2- Organisationnel Contexte Principes fondateurs, valeurs, déontologie Circulaires, rapports d’évaluation, lois , textes Missions du CCAA Hiérarchie Taille équipe Locaux Projet de service, d’établissement Représentation de la maladie alcoolique Mode d’intervention thérapeutique Modèles théoriques de référence Equipe Composition de l’équipe / statuts Ancienneté Repérage de l’équipe par le patient Repérage de l’équipe par les partenaires Rôles / tâches Disponibilité Qualification et compétences Compétences extérieures Fonctionnement du CCAA Procédures (général) Méthodes Pouvoir formel et informel Type de management Délégation Réunion de synthèse Décisions collectives Rapport d’activité 1 Réf. 1-0-0 1-1-0 1-1-1 1-1-2 1-1-3 1-1-4 1-1-5 1-2-0 1-2-1 1-2-2 1-2-3 1-2-4 1-2-5 1-2-6 1-3-0 1-3-1 1-3-2 1-3-3 2-0-0 2-1-0 2-1-1 2-1-2 2-1-3 2-1-4 2-1-5 2-1-6 2-1-7 2-1-8 2-1-9 2-1-10 2-2-0 2-2-1 2-2-2 2-2-3 2-2-4 2-2-5 2-2-6 2-2-7 2-2-8 2-3-0 2-3-1 2-3-2 2-3-3 2-3-4 2-3-5 2-3-6 2-3-7 2-3-8 ANNEXE A - GRILLE D’ANALYSE - 2 Activités connexes Evaluation 2-3-10 2-3-11 2-4-0 Reconnaissance de l’autre Coordination / Coopération Délimitation des tâches Mutualisation des tâches Partenariat interne - externe Statut Formation initiale / formation complémentaire Nouvelles compétences Principes et valeurs 2-4-1 2-4-2 2-4-3 2-4-4 2-4-5 3-0-0 3-1-0 3-1-1 3-1-2 3-1-3 3-1-4 Attentes 3-1-5 Rôle spécifique 3-1-6 3-2-0 3-2-1 3-2-2 3-2-4 3-2-5 3-2-6 3-2-7 3-3-0 3-3-1 3-3-2 3-3-3 3-3-4 3-3-5 3-3-6 3-3-7 3-4-0 3-4-1 3-4-2 3-4-3 3-4-4 3-4-5 3-4-6 3-4-7 3-4-8 3-4-9 3-5-0 3-5-1 3-5-2 3-5-3 3-5-4 Relation entre les membres de l’équipe (général) 3- position du TS Identité Relation TS / patient Repérage du TS par le patient Représentation de la maladie alcoolique par le TS Interface patient/TS Prise de RV / Accueil du patient Activité de consultation Activité de médiation Relation TS / Equipe Limites de l’action au regard du contexte et de la pathologie Légitimation de l’action du TS par l’équipe (général) Conflit de compétences (générale) Relation avec responsable du centre Relation avec les autres membres de l’équipe Actions communes Activités spécifiques Relation TS / extérieur Reconnaissance réciproque (général) Relation avec le cadre (CSE, cadre administratif) Relation avec les autres TS alcoologues Relation avec les TS hors alcoologie Relation avec les partenaires Lien patient / partenariat Consultations avancées Groupes de parole Compétences spécifique TS Propositions du TS Défense du métier Compétences à développer Construction d’une compétence collective Evaluation des activités ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3 THEME 2-4-3 Délimitation des tâches 1 c’est vrai qu’effectivement le médecin, c’est vrai qu’un psychologue, il peut à un moment donné empiéter mais voilà, c’est pas ça qui est important, après tout, si la relation passe mieux avec le médecin, pourquoi pas, moi, je m’en fous, mais ce qui me paraît important, c’est qu’effectivement on soit dans le champ de la relation, et non pas dans une…un champ du soin proprement dit 238-242 savoir pour chaque fonction -médecin, psychologue, TS- savoir repérer ses limites, et savoir accompagner la personne vers la personne effectivement la plus compétente de l’équipe pour essayer d’amener des éléments de réponse à cette personne-là 257-260 il faut être vigilant à ne pas mélanger les genres, les fonctions, mais il n’empêche que la difficulté, c’est quand on est face à une personne comme ça, elle va nous amener sur des terrains qui ne sont pas forcément de notre champ de compétences. Mais il va bien falloir quand même les entendre parce que…parce que notre tête revient mieux, parce que elle ne peut pas voir le travail social, elle ne peut pas voir le médecin, le psychologue, donc elle va confier ses problèmes à une personne. C’est ça qui est important, c’est lui permettre effectivement dans chaque lieu, d’avoir un espace de parole….Que au niveau, après, des équipes, ce soit retravaillé au niveau des équipes, et comment elle peut médecin, psychologue, TS : voilà, ça, c’est du champ social, moi, je n’ai pas les compétences, je ne sais pas répondre, avoir l’honnêteté de le dire, on ne sait pas tout, et comment on peut travailler …peut-être qu’effectivement, ça veut dire qu’à un moment donné, je suis peut-être utopiste, mais ça peut être des entretiens à deux…par exemple. Moi, je connais des structures qui font ça 267-279...ça permet de passer le relais… C’est pas systématique 283... Et en plus, ça évite des manipulations. Surtout chez les alcooliques. 288-289 2 Le rôle de l’AS à l’intérieur d’un CCAA, ...d’une institution à l’autre, ça varie…en fonction des équipes présentes, de l’historique des équipes 8185 Le fait qu’ici l’AS fasse le premier entretien...93-94 (pour le 1°entretien), j’ai deux autres collègues permanents : le psy et l’infirmière…me remplacent pour des raisons X… si je ne suis pas disponible 102-103 notre infirmière qui est arrivée il y a un an… pour elle je sens bien…enfin je fais plus que sentir parce qu’elle le verbalise…et c’est très bien d’ailleurs…c’est vrai que c’est difficile…plus elle avance dans la connaissance des patients, plus elle se sent à l’aise dans la spécification de son rôle…alors qu’au début, c’est difficile pour elle parce qu’elle voyait des visages, des histoires, des noms, mais…pour raccrocher 110-115 les interrelations dans l’équipe… c’est très important… pour l’organisation d’un poste 137-140 on est intriqué dans…on ne peut pas être à côté…ou se sentir à distance de l’organisation du service dans lequel on travaille 141-143 Il y a un autre atelier…il y a la création de la deuxième séquence de 10 3 le chevauchement des tâches… dans le passé, j’ai eu pas mal de problèmes avec les infirmières qui… se disent…donc…je leur pose toujours la question : quelle formation ont-elles suivie ? Et qu’ontelles fait de cette formation ? 131134 Puisque je leur rappelle toujours que moi, du moment que le malade va me parler de médicaments, j’arrête…ce n’est pas parce que je ne veux pas les connaître, je les connais mais je ne veux pas en parler avec le malade…parce que si j’en parle, je vais changer ma fonction. Donc c’est pareil…Et je suis très stricte sur ça 135-138 Dans les réunions de synthèse, je demande tout le temps à mes collègues que ce soit psy ou infirmière : qui fait quoi, comment et pourquoi ? Donc je suis très claire…je ne fais pas de la thérapie, je fais un accompagnement social qui est très large 138-141 1 4 Approche médicale, psy et sociale et tout le monde fait tout 28-29 évidemment, nous, AS on ne peut pas envahir le camp médical, ce n’est pas notre compétence…et on ne peut pas envahir peut-être le champ psychothérapeutique…..mais….le médecin et le psy interviennent dans le social…de plus en plus. 28-31 (les psy) font de la thérapie, en général, ils ne font pas de la thérapie, ils font des entretiens de soutien 32-34 les textes sont là…mais après ça se joue dans la répartition des tâches à l’intérieur de l’équipe 38-39 la place de l’AS, je répète, n’est pas très nette et le psy va s’occuper de la situation par rapport à l’emploi, par rapport à la formation, à la situation familiale…parfois, le TS peut être qq qui va intervenir sur le plan du couple, de la formation, des conseils par rapport au travail, l’accompagnement et tout ça…parfois non 47-50 c’est très flou ce que je te dis, mais ça dépend des équipes 51 On ne peut pas dire qu’il y a une application, que l’AS doit faire ceci ou cela, non, l’AS c’est dans un contexte. En résidentiel, en milieu ouvert, ou en milieu hospitalier, parce que là, c’est très différent du centre de cure et post-cure, ou du CCAA 51-54 Dans pas mal de CCAA les infirmiers …quand il y en a…font du social. Donc tout est mélangé, comme une maladie mentale 71-72 (le médecin) peut faire de la psychothérapie, il peut faire du médical, biologique, social, etc etc…Le psychologue aussi, il est … hors normes… n’importe quelle école, n’importe quel système…il est psychologue 97-99 je sais pas…la formation dans l’école d’infirmières, d’après ce que j’ai compris dans les papiers, ne font pas ça : ce sont des auxiliaires médicales pour des trucs qu’elles 5 Au centre M., à l’époque, on a cantonnée (l’AS) là où on pouvait la cantonner…à savoir soit dans les travaux de secrétariat s’il n’y avait pas de secrétaire à ce moment-là...soit aller « faire du partenariat » entre guillemets, parce que faire du partenariat sans savoir ce que font les collègues, sans avoir les transmissions, moi, je dis : faut être douée ! (rire)340-345 A V., jusqu’à une réunion d’équipe…où là…j’avais eu sans doute le temps de plus me poser…on arrivait sur 2004…et où finalement, on me dit : « mais finalement qu’est ce que tu fais ?............ !!! Tu as l’air très occupée…mais qu’est ce que tu fais ? 409-411 à V, par rapport, par ex à un suivi …de soutien de type psychosocial…que j’empiéterai à un moment donné sur la relation psychothérapeutique 451-452 mais le contraire ...c’est à dire le psychologue…peut empiéter sur les tâches sociales ah ça, oui , par contre 454-457 à V le cloisonnement nous provient essentiellement des deux raisons au sein de l’équipe, pour l’instant…qu’on retrouve ailleurs, du reste… :1) les médecins qui nous connaissent mal… de toute façon, il n’y en a plus qu’un…c’est dans la méconnaissance, je fais pas dans la mauvaise foi…c’est pas de la mauvaise volonté… c’est simplement qu’il ne sait pas ce que je fais…un médecin d’ici . 2) les psychanalystes « nous sommes les seuls à pouvoir sortir le malade de là…même le médecin ne sert à rien »…donc l’AS, n’en parlons même pas…on est là pour colmater des brèches…donc des vraies deux psychanalystes, je n’ai aucune orientation 457-464 6 je vais pas empiéter, l’autre n’empiète pas… 203 je pense pas que tout le monde fait du social 216 il se peut très bien qu’un jour…bon, jusqu’à présent, ça se passe bien…qu’on recrute un médecin …qui n’ait pas compris ça…bon, il va jouer l’AS en disant : vous n’avez pas d’hébergement, je vais appeler… (rire) 523-526 A partir du moment où le client aborde quelque chose, je sais que c’est pas de mon domaine…que ça appartient au psychologue…je dis : eh bien écoutez, là, c’est quelque chose que vous pouvez tout à fait reprendre avec votre psychologue…j’entends, ok, mais… ça s’arrête là et on continue ce qu’on a à faire 216-220 Donc, moi, je fais vraiment du travail social ici 224 l’idée que tout le monde fasse un peu tous les ateliers…c’est pour pouvoir bien poser l’indication…c’est à dire qu’un jour ou l’autre…c’est pas obligatoire…parce que c’est sur indication qu’on envoie les gens vers les ateliers…c’est pas systématique…dans la pc 350-353 7 il y a un risque de chevauchement des tâches...ou d’ignorance...de méconnaissance en fin de compte...c’est en permanence un mélange 304-307-308 le médecin avec lequel j’ai l’habitude de bosser...avec lequel on a des relations de thérapie familiale...a un regard très social sur les situations et...donc, ça, c’est plutôt positif 308-309-310 ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3 il y a…un savoir de socle commun au TS et au psychologue….Le psychologue travaille sur le symptôme, le TS, il va travailler sur tout ce qui est la déformation de la réalité….accompagner la personne pour qu’elle se réinsère dans cette fameuse réalité, de manière très pragmatique 322-325 Je vais vous expliquer comment on fonctionne et quel est le rôle de l’infirmière et celui du TS qu’il y a chez nous. Pour parer un petit peu la difficulté du positionnement dont je parlais tout à l’heure, effectivement du TS et de l’infirmière qui sont des postes flous dans leurs actes quotidiens. D’un commun accord avec l’équipe, ces deux fonctions sont celles chez nous qui font les premiers entretiens 479-483 Cette phase de contact, d’explication, de rencontre, c’est le rôle pour moi, pour nous, soit de l’infirmière, soit du TS 495-496 après, effectivement, il y a d’abord la sensibilité de chacune des personnes qui sont différentes, et puis il y a aussi des approches différentes une approche d’infirmière n’est pas forcément une approche sociale. Mais ce qui permet quand même de leur donner, à mon avis, un positionnement clé dans l’accueil des nouveaux arrivants. Ca, ça me paraît important, et en tous les cas, de pouvoir les situer avec une vraie place dans l’équipe 503-508 on est dans une petite guerre de fonctions qui rend la lisibilité des fonctions parfois difficile… C’est vrai pour les psychologues, les sociaux... mais c’est vrai aussi pour les secrétaires…. Parfois aussi pour les directeurs 630-631 Comment on va faire en sorte que chacun trouve sa place ? De temps en temps, on va faire en sorte qu’il y ait des réajustements dans l’équipe parce que les choses bougent. Et des négociations. Effectivement, les gens vont prendre du pouvoir. Mais dans la douleur et aux dépends de l’autre 632-635 séances d’un atelier d’écriture qui vient de s’ouvrir suite à l’arrivée de l’infirmière…et là…bon, c’est uniquement animé par psy et infirmière…c’était inclus dans le profil de poste…on souhaitait justement qu’il y ait cette participation au gp qui existe depuis 12 ans et qu’il y ait la création d’un atelier en coopération avec le collègue psy. Donc là, je n’interviens absolument pas…d’abord, je ne pourrais pas en termes de temps…et il faudrait que je laisse quelque chose…je ne pourrais pas animer en plus un autre 240-247 2 savent très bien soigner…mais c’est pas la même chose. L’AS…mais c’est la base même de notre profession… L’entretien a pour but de déceler, dès le premier entretien, les points faibles, les atouts et les possibilités de ces malades, et surtout connaître son parcours…et c’est là, la base… les médecins ne savent faire ça, les psy ne savent pas faire ça, les AS …du passé, je ne sais pas actuellement exactement comment sont formés….je te parle de notre formation, à nous…des « anciens combattants »…et on était formé pour ça 213-220 le médecin va regarder surtout l’aspect médical, le psychologue va regarder surtout… bon… déceler s’il y a des troubles de la personnalité 221-222 nous, on va essayer de faire une « photo » de la situation, savoir si cet homme a été suivi ou pas …ou cette femme…qu’a t-elle fait par rapport à ce qu’on demande…bien préciser la demande ; si c’est la personne qui vient, si c’est quelqu’un qui l’envoie…ça, on sait le faire. A partir de là, on peut faire des études de cas 222-226 moi, je faisais la « photo psychologue sociale » du patient, après il y avait un entretien médical et le médecin posait exactement les mêmes questions que je venais de poser, après venait le psychologue qui faisait exactement la même chose…tu sais pourquoi... parce qu’ils ne lisent pas le dossier…parce qu’ils pensent qu’on n’est pas capable (230 les psy, c’est une profession qui est en train…c’est un problème d’offre et de demande…un pb de marché…on produit énormément de psycho…donc les psycho, c’est une masse puissante qui commence à mordre dans les activités du travail social 383-386 donc je ne travaille qu’avec une des psy qui n’est pas fondamentalement et à fonds dans la psychanalyse…elle est beaucoup plus ouverte à d’autres thérapeutiques. Donc j’ai trois personnes qui m’orientent bien…c’est à dire deux médecins et une psychologue 468-471 des collègues qui empiètent sur mon travail ? oui…à savoir les trois qui ne m’orientent pas 485486 le premier 486... c’est empiéter par méconnaissance de l’autre…on va essayer de se débrouiller…un petit peu dans l’idée du « libéral »…c’est toujours la même histoire…et, finalement, demander à l’autre, c’est toujours embêtant…donc en plus on ne sait pas trop ce qu’il fait, comment il fait, où ça commence et où ça finit, eh bien, finalement, je vais peut-être le faire (moi-même)…alors, ça , je pense que c’est la première option 488-493 La deuxième option, c’est…pour les 2 psychanalystes, en l’occurrence…c’est ne pas être du tout attentifs…au problème social…en ne lui donnant aucune importance…c’est donc très clair 493-495 (le troisième médecin) est plus vers des problèmes de dettes ou des problèmes d’ASE…, ça vient d’une réelle méconnaissance du travail social 500-502 ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3 3 ANNEXE B2 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 3-5-1 THEME 3-5-1 Défense du métier 1 Il y va aussi de notre responsabilité, je parle en tant que personne, à privilégier notre façon de travailler. On s’auto-conforte dans cette position en même temps 616-617 L’objectif du contrat avec le malade, c’est lui rendre sa capacité à dire non, on s’en fout qu’il continue de boire ou pas…c’est pas notre problème, aujourd’hui… Ca ne veut pas dire qu’on va dire oui à tout. Nous, en tant que professionnel, on ne peut pas vous proposer ça, pour telle et telle raison. On peut et on doit le dire, ça 732-735 quand on sait dire non, que l’on soit malade alcooliq.a ou TS…ou directeur…, on sort de la dépendance 737-738 Cette capacité de dire non, c’est sortir de la dépendance. Ca se travaille : pour les TS, ça permettrait de ne plus être dans la subsidiarité par rapport au médical. Et l’avantage fantastique, pour moi, c’est qu’on sort du produit. On sort de la pathologie alcool. Ca peut être intéressant de ne plus parler alcool, dans une structure qui, normalement, est là pour parler alcool. Par contre, on va travailler 2 la stratégie du TS est défendable, il y a quelque chose à construire, c’est vraiment mon sentiment….on sait bien qu’il y a toujours la fonction et la personne…ça, c’est partout…mais je pense que les CCAA permettent au professionnel de mettre sa touche personnelle…dans sa fonction 360-365 3 formation d’adaptation ?…trois ans…175 je leur ai dit…vulgairement : « u… y… » 181 je les dérange puisque je fais…je me suis mise en grève…toute seule (rire) je leur fais des courriers…je les force de me rencontrer (rire)…donc je suis …alors, à l’hôpital, ils n’en peuvent plus ! Les directeurs ne me supportent plus…mais, tu vois, c’est important, je pense que justement, si nous sommes dans un mouvement, 218-221 il faut être dans un mouvement aussi, parfois, personnel…j’ai le soutien aussi des malades…j’aime mon travail…je trouve que ces barrières, ces étiquettes…221-223 4 Le problème, c’est qu’il n’y a pas… actuellement, je dis bien…de mobilisation des travailleurs sociaux…en particulier des AS. Il y a trente ans, l’ANAS était une association puissante, il y avait des commissions d’étude, il y a eu une représentation dans toutes les instances. Actuellement, ça se dégrade et l’image de l’AS est noyée dans le travail social. Et le travail social, on ne sait pas actuellement exactement ce que c’est 144-148 c’est notre faute, c’est notre faute parce qu’on n’a pas su…bien préciser ce qu’on fait et comment on le fait…c’est pour ça qu’il faut être très clair, très précis et se battre pour des choses très simples. Faire un bilan psychosocial, on sait le faire, conduire l’animation d’un groupe à l’intérieur d’une équipe, d’une réunion, ou avec des patients…ça, on peut le faire…et accompagner un patient ou bien… l’adresser à d’autres services…c’est pas pour nous pour faire un ( ?)…c’est en coordination et travailler en réseau. Ca, on sait le faire, c’est notre boulot de tous les jours… 241-248 définir un profil de ce qu’on fait et essayer quand même de défendre ça avec des instances qui peuvent être de discussion... travailler avec l’ANAS…Mais il faut se bouger…je suis un peu sceptique 263-265 Moi, je défends encore la profession d’AS bien que je me sois occupé aussi d’ autre chose dans la vie 272-273 l’AS, soit on le fait disparaître dans une masse très vague…c’est du travail social, soit on se dit : non, les AS vont être là pour…et réfléchir 276-277 on va envoyer un mail à toute l’association pour voir si le service social à l’intérieur de l’association a 1 5 (dans les CC),ils sont au moins trois (AS)… à s’être battus pour qu’à un moment donné, ça ne reste pas seulement….ce que je disais tout à l’heure pour le centre du M…une note sur un papier…c’est à dire finalement, oui, ok, il y a une dimension sociale, et puis point. 88-91 le travail social, ça passe par tout ce qu’on appelle revalorisation de la personne etc… justement, c’est là qu’il faut qu’on théorise un peu pour dire aux collègues... 224-225 sur le centre M, on va dire que l’AS…enfin moi, je venais en remplacement de congé longue durée…donc je suis venue sur un poste déjà existant d’une AS diplômée et qui occupait, en termes de fonction, plutôt celle d’un secrétariat amélioré que celle d’une assistante de service social…bon…elle m’a dit au tél. que c’était « par choix » parce que le travail social, elle ne s’y retrouvait pas 331-335 à M., quand j’ai commencé à taper dans la fourmilière... 353 moi, j’avais tapé sur la table, lui (mon successeur) a retapé plus fort 373 vu que la direction ANPAA est foncièrement à fonds là-dedans…donc, c’est plutôt bien pour le travail social…et l’avenir à l’ANPAA…du coup, on a une place à part entière…à nous de la prendre…de la revendiquer et de la prendre…maintenant il faut voir comment…comment l’agencer…c’est pas évident du tout… 378-381 à V, j’ai pris la décision avant mes vacances…je ne lui ai pas dit mais je l’ai prise, moi…donc je me prépare bientôt…de le voir entre quatre z’yeux…de lui faire part du peu d’orientations qu’il me donne…et de savoir pourquoi 502-505 c’est une forme de stratégie pour moi… que d’aller poser la question… Vu que je le connais mieux, je commence à comprendre son fonctionnement et il me demande aussi beaucoup…donc je peux me permettre de lui en demander aussi un peu 510-514 j’ai dit que je n’étais pas là pour faire les « bouchetrous » (rire)…et que si je le décidais (faire le premier entretien), c’est que je le voulais bien…donc, j’ai un peu jeter mon caillou dans la mare…bon…c’est passé…apparemment 533-538 alors à V, par contre, je pourrais tout à fait en faire un cheval de bataille en disant : « oui, je veux… ». Et là, je peux... 544-546 alors moi, ce que je crois…mais alors là, c’est presque une conviction…ce doit être mon côté 6 on n’est pas là où il faudrait… pour expliquer ce qu’on fait et pourquoi on devrait le faire 50-51 chaque fois qu’on demande aux gens de terrain de s’exprimer, ça se passe toujours très mal…c’est extraordinaire…quand je vais dans des colloques, je suis toujours très surpris…on veut la parole mais à chaque fois qu’on nous donne la parole, on se plante…ça part dans tous les sens 51-54 il faudrait peut-être qu’on apprenne à causer en public…à causer politique…à être rigoureux, synthétiques… 54-55 quand certaines personnes de notre groupe (de parole de TS) défendent la notion de qualification et de diplôme avec un peu de rigidité, on peut quand même aussi comprendre…158-160 7 Ca vaut le coup de se battre ? ...ben oui...même si parfois, c’est difficile, frustrant...moi, je suis passée par tous ces sentiments-là...j’y passe encore régulièrement...mais je crois que le fait de se questionner, c’est avancer...donc je pense que ça vaut le coup, oui...668-672 ANNEXE B2 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 3-5-1 ses capacités à dire non…avec quels outils 739-745 envie de faire quelque chose 279-280 toute profession qui n’est pas défendue par ses membres est vouée à... 358 c’est un problème fondamentalement de lobby… les psychologues se sont battus 388 on a laissé passer des choses…tu vois, à une époque, souviens-toi, on sortait avec le diplôme d’AS, on trouvait facilement un travail…bon…il y en a encore des offres… et si tu fais une statistique dans les ASH…actuellement il y a le triple d’offres pour les éducateurs… il y a d’autres professions spécialisées qui avancent… pourquoi ? parce que c’est une image différente… 399-403 les éducateurs ont beaucoup mieux su défendre leur beefsteak en général 435 2 militant…j’aimerais déjà…pouvoir être…fière …de dire que je suis une AS. Je n’en suis pas systématiquement fière…dans le sens où….au travers de tous les média possibles….à travers des contacts que j’ai avec les partenaires… où il arrive trop souvent que…pour le moins la compréhension et pour le pire le rejet voire « l’assassinat » en direct devant un patient se passe d’un professionnel pour un autre…alors là je reste dans la paroisse des AS 634-639 un manque de solidarité dans le métier-même ? 640 cette reconnaissance, moi je suis convaincue que si on la veut, il faut peut-être aller la chercher…c’est à dire qu’il faut peut-être bouger un peu. 641-643 ce n’est pas simplement en se rassemblant à l’ ANAS et en racontant des tas de trucs qu’on va y arriver. Au travers des média, quelque ils soient, si objectifs soient-ils, ne serait-ce que dans les films, l’AS est systématiquement « la vieille chèvre »…643-646 si la spécificité, c’est d’avoir le discours de certains collègues « ah et bien moi, je m’y connais, donc je vous écrase parce que, en gros, vous me faîtes suer parce que vous êtes une privilégiée »….c’est pas la majorité, bien sûr que non…mais ça reste trop fréquent….et ça, je pense qu’à un moment donné, il faudrait s’unir avant de subir de se désunir… 664668 il faudrait se manifester déjà dans les média…ça peut être des manifs dans la rue…moi, je n’ai jamais vu une AS manifester 674-675 Ca peut être aussi par le biais de l’écrit, mais c’est un autre type de reconnaissance…différent du visuel de la manif 676-677 au bout de trois ans d’études… on a logiquement de vrais savoir-faire…par ex, j’ai rencontré récemment successivement trois CESF… une en post-cure, une en demande de stage d’alcoologie, une en mairie…elles ont fini par me dire toutes les trois qu’elles ne savaient pas faire des entretiens, qu’elles avaient la trouille de leur vie pour en faire… Elles n’étaient pas formées à la conduite d’entretien ni à la relation d’aide…alors par contre, elles sont formées à des choses différentes de nous…c’est ce que j’expliquais à ma directrice…elles savent très bien gérer un budget… 683-689 il y a ça…le contenu des formations…après à chaque formation de se battre si elle veut que le contenu augmente…ou change…ou évolue 693-694 Toujours est-il que quand l’AS n’est pas capable de faire un entretien de relation d’aide, ça m’inquiète 695-696 Nom : GALLO Prénom : Catherine Date du Jury : Février 2005 Formation : Mémoire du Diplôme Supérieur en Travail Social Titre : Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif spécialisé de prévention et de soins ? Résumé : La fonction du travailleur social en alcoologie, dont l’objectif principal est la réinsertion du malade alcoolique, se situe dans une zone intermédiaire entre le champ « médicopsychologique » et celui de l’action sociale généraliste. Exerçant sa fonction au sein d’une équipe pluriprofessionnelle, le travailleur social se trouve confronté à de multiples tensions, jeux de pouvoirs, divergences d’objectifs et d’approches du soin, qui le conduisent à s’interroger sur le sens et l'efficacité de son action. Cette recherche porte ainsi sur les conditions dans lesquelles s’exerce l’action du travailleur social tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’une organisation à connotation médicale. Notre étude souligne également la nécessité de redéfinir la place du social dans les structures de soins ambulatoires en alcoologie et de préciser la nature des compétences exigées en matière de soins, de prévention et d'accompagnement social. En nous référant à plusieurs modèles d’analyse des organisations, nous avons mené une enquête auprès de travailleurs sociaux en centres d’alcoologie afin d’identifier leur positionnement professionnel et les stratégies qu’ils développent pour renforcer leur rôle et le faire reconnaître par leur structure et les instances extérieures. Les enjeux sont importants dans la mesure où les CCAA sont aujourd'hui fortement sollicités par les pouvoirs publics pour intervenir non seulement sur le plan du soin mais aussi dans la formation en alcoologie des partenaires extérieurs et dans la prévention. Si le travailleur social ne participe pas à ces projets de santé communautaire et de développement social local, ne risque-t-il pas d'être marginalisé au sein de l'action sociale? Nombre de pages : 121 Volume annexe : 0 Mots-clés : alcoologie, organisation, stratégie Centre de formation : ECOLE SUPERIEURE DE TRAVAIL SOCIAL 75014 PARIS ERRATUM - p. 27 tableau bas de page, rajouter une ligne : Commun : secrétaires et autres métiers 1994 26,5 1995 28,6 1996 27 1997 26,9