La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
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La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire ? Marie Fonjallaz Sous la direction de M. Guido Albertelli 3M3, Gymnase Auguste Piccard remis le 31 octobre 2011 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz Résumé : Ce travail traite de « Die Rote Armee Fraktion » (RAF – La fraction armée rouge), de sa pensée politique et des moyens qu’elle a décidés d’employer pour atteindre ses objectifs. Il s’articule autour de plusieurs questions distinctes. Dans quel contexte la RAF s’est-elle fondée ? L’histoire du pays a-t-elle eu une influence sur le groupe et ses actes révolutionnaires ? L’Allemagne en pleine crise d’identité, dans les années soixante, laisse se fonder un parti extraparlementaire, majoritairement formé d’étudiants dont les revendications, influencées par le marxisme, sont antiaméricanistes, anticonsuméristes et anticapitalistes. Au fil du temps, certains, conscients des limites qu’offrent la légalité, s’en détachent et revendiquent des actions violentes. Pour contrer ces attaques, les autorités prennent des mesures d’exceptions qui poussent Andreas Baader, Ulrike Meinhof, Gudrun Enslin, Horst Mahler et d’autres militants à s’organiser, dans le courant de l’année 1970, en groupe de guérilla urbaine qui deviendra clandestin. L’acte fondateur du groupe est associé à la libération d’Andreas Baader – emprisonné pour avoir attaquer à la bombe une grande surface de Berlin – puisque c’est la première fois que les militants utilisent des armes. Une guerre psychologique débute entre le gouvernement qui prend des mesures de sécurités extrêmes et les membres du groupe qui multiplient leurs attaques. La RAF, dont les masses et l’Etat a peur, est perçue comme un groupe terroriste et est déclarée « ennemi public n° 1 » en BRD (Bundesrepublik Deutschland – République d’Allemagne fédérale). Les principaux membres du groupe sont emprisonnés, en 1972, dans des conditions très spéciales, auxquelles ils s’opposent. C’est durant cette période, que la majorité de leurs textes sont rédigés pour assurer leur défense . Comment le groupe s’organise-t-il ? Quelles sont ses influences ? La RAF est un groupe de guérilla urbaine qui s’appuie sur les capacités des masses à renverser le pouvoir de l’Etat et ainsi démontrer sa vulnérabilité. La vision qu’ont les militants de la société et de ses individus est proche des doctrines marxistes. Par contre, dans la pratique, ils s’inspirent de la tradition anarchiste de la fin du XIXe siècle et prônent l’action directe, seule capable de montrer l’aliénation complète des exploités et la possibilité d’un changement. Le système s’étant imposé dans la vie privée et publique des masses, il est temps pour elles de s’en libérer. Tout individu qui décide de combattre au côté de la RAF devient sujet révolutionnaire. Pourquoi la RAF mène-t-elle son combat en BRD ? Contre qui dirige-t-elle ses actions ? Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la mise en place du plan Marshall, les U.S. sont présents en BRD. Selon la RAF, ils utilisent l’Allemagne comme un point d’attache économique en Europe, ils occupent militairement le territoire afin d’optimiser leur lutte anti-communiste et imposent leur idéologie politique. De plus, le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti social-démocrate d’Allemagne) pour se conformer aux exigences U.S. pratique une politique néofasciste. Considérant l’occupation américaine et la subordination de la BRD comme trop intrusives et inacceptables, la RAF décide de lutter pour détruire le système. Leurs actions se veulent ciblées et violentes. Cette violence structurée permet, selon les militants, la libération des masses, contrairement aux mesures étatiques qui elles, sont répressives et donc brutales. 1 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz Table des matières : 1. Introduction : ..........................................................................................................................3 2. Contexte historique : ............................................................................................................4 2.1 Chemins vers l’illégalité : .......................................................................................................... 4 2.1.1 Le désarroi du peuple allemand : .....................................................................................................4 2.1.2 Fondation de la nouvelle gauche allemande : .............................................................................4 2.1.3 Premières actions : .................................................................................................................................5 2.1.4 Fondation du groupe : ...........................................................................................................................5 2.2 Phase offensive :............................................................................................................................ 6 2.2.1 Attentats :....................................................................................................................................................6 2.2.2 Emprisonnement :...................................................................................................................................7 2.2.3 Rôle de l’Etat : ...........................................................................................................................................7 3. Guérilla urbaine, terrorisme et RAF :..............................................................................9 3.1 Définition des concepts de guérilla urbaine et de terrorisme : .................................... 9 3.1.1 Guérilla urbaine : .....................................................................................................................................9 3.1.2 Terrorisme : ...............................................................................................................................................9 3.1.3 Selon la RAF :.......................................................................................................................................... 10 3.1.4 Selon l’Etat............................................................................................................................................... 11 3.2 La singularité de la RAF :..........................................................................................................11 4. Idéologie : .............................................................................................................................. 13 4.1 Primauté de la pratique : .........................................................................................................13 4.2 Sujet révolutionnaire : ..............................................................................................................13 4.2.1 Selon la RAF :.......................................................................................................................................... 13 4.2.2 L’impérialisme :..................................................................................................................................... 14 4.2.3 Le nouveau fascisme :.........................................................................................................................16 4.2.4 L’aliénation et la domination : ........................................................................................................ 17 4.3 Les influences : ............................................................................................................................18 5. La violence une réponse à la brutalité : ...................................................................... 20 6. Conclusion :........................................................................................................................... 22 7. Bibliographie : ..................................................................................................................... 23 2 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 1. Introduction : Changer le monde est un projet qui m’interpelle et auquel j’aimerais participer dans un futur proche. Aujourd’hui, il a tout son sens. Le monde, confronté à des problèmes démographiques, environnementaux, éthiques, politiques et philosophiques nous oblige à envisager de nouvelles alternatives de vie, comme d’autres, désirant « mieux-vivre », l’ont fait avant nous. Par ailleurs, l’intérêt que je porte aux événements politiques actuels m’a donné la certitude que ce sont ceux du passé qui les ont forgés. Il est donc nécessaire de connaître le passé pour pouvoir, à ce jour, affronter et améliorer l’avenir. L’interprétation négative des médias au sujet des mouvements d’opposition, laisse souvent la masse dans la méconnaissance et l’incompréhension. Mais, persuadée que les actions révolutionnaires ont un sens, je refuse la position de spectatrice qui m’est attribuée par la société. C’est la raison pour laquelle, essayer de comprendre l’un d’entre eux a été un de mes premiers objectifs. Mon choix s’est tourné vers « Die Rote Armee Fraktion » (RAF), parce qu’elle est historiquement proche de nous et que la culture et la langue allemande m’intéressent beaucoup. Face à la pseudo stabilité à laquelle la génération de leurs parents voulait croire, l’extrême violence des militants m’a intriguée, dès le début de mes recherches. Ce qui m’a amené à réfléchir autour de la question principale : Pourquoi la RAF a-t-elle employé la violence et la lutte armée ? A partir de cette problématique, mon travail s’articule autour de plusieurs axes de réflexions. Pour commencer, j’ai décidé de m’intéresser à des éléments de l’histoire du pays afin d’en faire le point de départ de mon travail. Une partie de celui-ci a consisté à comprendre dans quel contexte la RAF s’est fondée et si l’histoire du pays a eu une quelconque influence sur le groupe et ses idéaux. En parallèle, les écrits de la RAF m’ont permis de mieux comprendre l’obstination et l’intransigeance des militants qui auraient aimé réunir l’Allemagne entière pour la libérer du joug U. S. avec comme leitmotiv : « Il faut lutter ». Pour comprendre leurs références et leur manière de penser et d’agir, je me suis renseignée sur les différentes doctrines des mouvements politiques qui les ont précédés. Cette partie du travail est la plus analytique et la plus importante au niveau de mes recherches. Au fil du temps, j’ai découvert que, contrairement à mes idées premières, la RAF ne se définissait pas comme un groupe terroriste, mais comme des militants de la lutte armée. C’est pourquoi je consacre un chapitre entier à définir et différencier ces deux concepts. Tout ce travail de recherches m’a finalement conduit à une réflexion sur deux notions distinctes chez les membres du groupe : la violence et la brutalité qui, au quotidien, portent souvent à confusion. La définition de ces deux concepts est pour la RAF une manière de légitimer leurs actions. Consciente, après de longues recherches, de la richesse du sujet, le véritable défi de ce travail était de faire revivre, à travers mon exposé, une période, qui aux yeux de ma génération, est lointaine et dénuée de sens. Je vois, pourtant, dans ce sujet les prémices et les explications de la situation politique actuelle en Europe et dans le monde. Depuis la guerre froide, les Etats-Unis ont su garder et étendre leur statut de superpuissance, en imposant leur suprématie politiquement, militairement et économiquement. Ils ont déplacé leur cible, au nom de la démocratie et de la liberté, du communisme à l’islamisme. L’Europe assujettie à l’économie américaine, se voit, aujourd’hui, à nouveau impliquée dans la lutte contre « l’ennemi des Etats-Unis ». 3 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 2. Contexte historique : 2.1 Chemins vers l’illégalité : 2.1.1 Le désarroi du peuple allemand : A la fin des années soixante, l’Allemagne, confrontée à son passé nazi, subit une crise d’identité, due à une fracture générationnelle entre les élites, l’ancienne génération - qui a des références politiques et économiques, mais n’ose pas affronter l’histoire de son pays et la plus jeune, qui recherche de nouvelles valeurs morales. Cette jeune génération prend conscience que les structures politiques et sociales telles que la hiérarchie verticale, l’importance du pouvoir exécutif et la suprématie d’un seul parti, n’ont changé que leur terminologie et leur apparence, malgré qu’elles aient servi de base au national-socialisme (NSDAP- Nationalsozialistiche deutsche Arbeiterpartei) et engendré la Deuxième Guerre Mondiale. Ils constatent qu’ils sont issus d’une génération silencieuse, qui ne s’est pas opposée au phénomène nazi et que la dénazification des « nouveaux » gouvernants n’est pas réelle. Kiesinger1, Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne de l’Ouest entre 1966 et 1969, a adhéré au NSDAP et travaillé avec Göbbels2. A cela s’ajoute en 1967, la première récession économique de l’Allemagne qui révèle la fragilité de ses institutions politiques et de son modèle social. S’en suit en 1973, le premier choc pétrolier et ces conséquences économiques. Le pays est plongé dans un chômage important. Les étudiants inquiets pour leur avenir, entrent dans une phase dite « post matérialiste ». Elle prône la qualité non économique de la vie et rejette la société industrielle. 2.1.2 Fondation de la nouvelle gauche allemande : C’est dans ce contexte historique que des mouvements de contestation se créent et se politisent peu à peu. Or la « Grande Coalition » entre l’Union des démocrates chrétiens (CDU - christisch demokrartische Union) et le parti social démocrate d’Allemagne (SPD – Sozialdemokratische Partei Deutschlands) ne permet pas aux étudiants d’exprimer leur mécontentement dans le cadre parlementaire. C’est la raison pour laquelle une opposition extraparlementaire (APO - Außerparlamentarische Opposition) se constitue, dont la principale force est l’Union Socialiste Allemande des Etudiants (SDS – Sozialistische Deutsche Studentenbund), initialement proche du SPD. Ces deux fractions se séparent en 1961, lorsque le SPD s’engage dans une politique ouvertement réformiste et que la contradiction entre les jeunes intellectuels et l’appareil du parti est trop importante. Cette « nouvelle gauche », libérée des restrictions parlementaires, développe sa propre réflexion sur les possibilités politiques socialistes en République fédérale d’Allemagne (BRD – Bundesrepublik Deutschland). Pour cela, elle s’inspire des doctrines marxistes et des théories libertaires3. Ce nouveau mouvement qui s’organisant en cercle d’étude, se veut antifasciste, anticapitaliste et anti-américaniste. Il assimile très vite le système politique en place à un fonctionnement autoritaire, poussant à la production et à la Konsumterror (terrorisme publicitaire qui pousse à la consommation). Il dénonce également les EtatsUnis, allié de la BRD, dans leur combat au Vietnam, symbole de l’impérialisme. 1 Kurt Georg Kiesinger, né en 1904 et mort en 1988, membre du parti nazi entre 1933 et 1945, il travaille comme directeur-adjoint de la propagande radiophonique du Reich vers l’étranger. Il devient membre de l’Union des démocrates chrétiens (CDU - christisch demokrartische Union) depuis 1947. 2 Joseph Göbbels, né en 1897 et mort en 1945, très proche du Führer et partageant sa haine contre le peuple juif, il est ministre du Reich à l’éducation du peuple et à la propagande de 1933 à 1945, puis chargé de la guerre total jusqu’en 1945. 3 Théories libertaires : théories basées sur la liberté absolue de l’individu en politique et dans la vie sociale, souvent synonyme de l’anarchisme. 4 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 2.1.3 Premières actions : Entre 1967 et 1968, tous ces thèmes sont abordés lors de manifestations violentes rassemblant des milliers de personnes de toute la BRD. En février 1968, a lieu à Berlin un congrès sur le Vietnam qui rassemble des milliers de participants. Le mouvement extraparlementaire est renforcé par l’importance du rassemblement et le recul des autorités qui ont dans un premier temps interdit la manifestation. Le 2 avril, quatre étudiants – Andreas Baader4, Grudrun Ensslin5, Thoward Proll et Horst Sohlein - décident de passer à l’action directe et fabriquent deux bombes artisanales qui détruisent durant la nuit le Kaufhaus et le Schneider de Francfort. Cette action met en pratique l’idée de la « propagande par le fait » qui implique, selon les activistes, l’augmentation de la réactivité des masses face aux actes de violence politique. Par cette destruction, ils veulent toucher le consommateur dans son quotidien et lui faire prendre conscience de sa manière excessive de consommer pendant qu’au Vietnam des villages sont brûlés au napalm6. Quelques jours plus tard, le leader du mouvement étudiant allemand, Rudi Dutschke est victime d’un attentat à Berlin. L’auteur est un lecteur de la presse du groupe Springer, dont le journal à sensation Bild est particulièrement virulent contre les actions estudiantines. La question de la violence est à nouveau à l’ordre du jour. Ulrike Meinhof écrit dans le Konkret7 : « Les balles tirées sur Rudi ont mis fin au rêve de non-violence »8. Le soir même des manifestations violentes ont lieu dans toutes les villes d’Allemagne. Le 2 juin, un étudiant, Benno Ohnesorg, est tué par un policier lors d’une manifestation contre la visite du Chah d’Iran. Les autorités et la presse accablent les étudiants ce qui radicalise et élargit le mouvement. Vingt-deux jours plus tard, le Parlement vote le décret des lois d’exception qui donnent au gouvernement les pleins pouvoirs en cas de guerre ou de crise interne. Cette interdiction, comparée par les activistes, à cause de son totalitarisme, à celles faites par les nazis quelques années auparavant, rend les opposants impuissants face à la brutalité de la répression. Durant l’été 1969, l’opposition se fragmente et beaucoup de militants réintègrent le système politique établi afin de le réformer « de l’intérieur », en démocratisant les institutions. Ceci est appelé, en 1968, la « marche à travers les institutions » par Rudi Dutschke. 2.1.4 Fondation du groupe : C’est dans le courant de l’année 1970, qu’Andreas Baader, Gudrun Enslin, Ulrike Meinhof9, Horst Mahler et une dizaine d’autres militants s’organisent en guérilla selon le modèle des Tupamaros10 en Uruguay. Les deux premiers militants étant devenus clandestins depuis la confirmation du jugement11 de l’attaque à la bombe du 2 avril 1968, il 4 Andreas Baader, né le 6 mai 1943 à Munich, officiellement suicidé le 18 octobre 1977 à Stammheim. Gudrun Ensslin, née le 15 août 1940 à Stuttgart, officiellement suicidée le 18 octobre 1977 à Stammheim. 6 Napalm : substance à base d’essence, utilisée comme bombe incendiaire. 7 Konkret : journal mensuel d’influence de gauche, créé en octobre 1957 par Klaus Rainer Röhl. 8 Konkret, mai 1968, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 22. 9 Ulrike Meinhof, née le 7 octobre 1934 à Oldenburg, officiellement suicidée le 9 mai 1976 à Stammheim. 10 Tupamaros : officiellement le Mouvement de Libération Nationale - Tupamaros (MLN-T). Il doit son nom à une déformation de « Tupac Amaru », nom d’un descendant de l’Inca Tupac Amaru I, torturé par les Espagnols le 18 mai 1781. C’est le plus grand mouvement de guérilla urbaine en Amérique du Sud dans les années 1960-1970. Il appartient à l’extrême gauche. 11 Après l’attaque à la bombe du 2 avril 1968, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Thoward Proll et Horst Sohlein sont condamnés à 3 ans de prison. Après 14 mois d’emprisonnement, ils bénéficient de la liberté provisoire jusqu’à la confirmation du jugement, qui a lieu en novembre 1969, date à laquelle les quatre accusés doivent retourner en prison. Thoward Proll et Horst Sohlein se rendent quelques mois plus tard, alors que Gudrun Ensslin et Andreas Baader rentrent dans la clandestinité. 5 5 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz s’avère que le groupe subit une certaine pression extérieure, avant même que des actions ne soient réalisées. Ces membres, considérés comme les fondateurs de la future Fraction Armée Rouge (RAF - Rote Armee Fraktion) sont d’anciens universitaires issus des classes privilégiées. Le 4 mai de cette même année, Andreas Baader est arrêté lors d’un contrôle de police et emprisonné. Dix jours plus tard, il est autorisé à se rendre à l’Institut des sciences sociales de Dahlem à Berlin, pour y mener des recherches concernant la rédaction d’un livre à paraître. Ulrike Meinhof, censée collaborer à cet ouvrage, peut elle seule être en contact avec lui. Il est libéré par un commando constitué d’un homme et de deux femmes armés. Tous réussissent à s’enfuir. La presse commente l’action et le nom « Bande à Baader » ou « Baader-Meinhof » est indiqué pour la première fois. C’est aussi la première fois que le groupe utilise des armes pour parvenir à ses fins, ce qui marque un degré supérieur de violence et un point de non-retour qui est considéré comme l’acte fondateur du groupe. A partir de ce moment, chacun des membres est entrainé dans un processus collectif irréversible qui les lie tous les uns envers les autres. Ulrike Meinhof commente cette action le 13 septembre 1974, au tribunal de Berlin Moabit : « (…) notre action du 14 mai 1970 est et reste l’action exemplaire du guérillero dans les métropoles. Elle contient/contenait déjà tous les éléments de la stratégie pour la lutte armée contre l’impérialisme : il s’agissait de libérer un prisonnier des griffes de l’appareil d’Etat. Ce fut une action de guérilla, l’action d’un groupe qui, en décidant de faire cette action, s’est organisé en noyau politico-militaire »12. Dans les mois qui suivent, le groupe « BaaderMeinhof » devient l’« ennemi public n°1 ». 2.2 Phase offensive : Les membres du groupe s’intéressent de plus en plus à la cause palestinienne, pays qui recherche son indépendance après avoir été divisé au profit des Israéliens par l’ONU en novembre 1947. Ils vont s’entrainer et acquérir un savoir militaire important dans un camp d’Al Fath13 en Jordanie pendant deux mois. A leur retour à Berlin, en août 1970, le groupe est hors la loi et ne peut se joindre au mouvement parlementaire. 2.2.1 Attentats : A partir d’octobre 1970, les militants tentent de mettre sur pied une infrastructure logistique de guérilla : ils se procurent des faux papiers, des armes, ont un réseau d’appartements, braquent des banques, … Les premiers textes de la RAF paraissent chez un éditeur « underground », mais sont très vite interdits par le gouvernement. Ils y défendent leur choix de l’illégalité et affirment vouloir détruire la pseudo invulnérabilité de l’Etat. La BRD commence une guerre psychologique, en instaurant un climat de suspicion ainsi qu’en prenant des mesures de sécurité extrême. La police mène de grandes actions de perquisitions et de contrôles des soi-disant sympathisants. Ce climat policier incite des auteurs libéraux à s’exprimer, comme le fait Heinrich Böll dans le Spiegel « Comment peut-on nous faire croire que six personnes peuvent menacer soixante millions d’Allemands ? »14. Début 1972, la seule preuve de l’existence du groupe est l’arrestation de 12 Ulrike MEINHOF, déclaration de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 36. 13 En arabe al-Fatah ou al- Fath (« la conquête »), traduction française Fatha : Mouvement de la Libération Nationale de la Palestine, créé dans la clandestinité en 1959 par Yasser Arafat. Il est issu des camps de réfugiés palestiniens renvoyés par la décision de partage du pays par l’ONU, en 1947. 14 Heinrich BÖLL, « Freies Geleit für Ulrike Meinhof » (« Sauf-conduit pour Ulrike Meinhof »), 10 janvier 1972, Spiegel. Dans cet article, H. Böll émet l’idée de réintégrer les membres de la RAF et surtout Ulrike Meinhof dans la légalité. 6 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz soi-disant militants. Cette période de latence permet à la RAF de se réorganiser, de préciser sa politique ainsi que de se reconstituer en réseau. En mai, commence une série d’attentats, tous revendiqués par la RAF. Le 12, plusieurs bombes explosent à la police d’Augsbourg et à celle de Munich, l’attentat fait une quinzaine de morts. Trois jours plus tard, leur victime est un juge de Karlsruhe, chargé d’instruire une affaire sur plusieurs membres du groupe. Deux bombes sont posées à la maison d’édition Springer, le 19. Enfin, le 24 mai 1972, le quartier général américain est visé, occasionnant de graves dégâts matériels et humains. A la suite de ces attentats, tous réalisés par bombes artisanales, la RAF dit répondre aux bombardements réalisés au Vietnam et cela durera jusqu’à ce que les droits des prisonniers soient respectés. 2.2.2 Emprisonnement : Malgré leur excellente préparation technique, les membres de la RAF sont très vite arrêtés. Le 1er juin 1972, Andreas Baader, Jan-Carl Raspe15 et Holger Meins16 sont arrêtés dans un garage de Francfort, où du matériel était stocké. Le 6 juin, Gudrun Esslin est dénoncée par une vendeuse d’un magasin de Hambourg, dans lequel elle est arrêtée. Neuf jours plus tard, Ulrike Meinhof est elle aussi arrêtée, à Hanovre, dans l’appartement de Fritz Rodewald qui après avoir accepté de l’héberger, la dénonce. En prison, les militants sont détenus dans des conditions particulières, ressenties par les prisonniers comme de la torture. La privation sensorielle est appliquée : isolement total, interdiction de tout contact, entraves lors des promenades,… Les prisonniers créent des comités qui travaillent avec des avocats et établissent une nouvelle stratégie basée sur la lutte contre les conditions spéciales d’emprisonnement. Ils écrivent et font plusieurs grèves de la faim pour montrer leur opposition. Ce sont ces actions qui remplacent celles de la guérilla urbaine et maintiennent la cohésion du groupe. A l’extérieur, les membres de comités contre la torture en prison s’organisent depuis 1975 pour la reconstruction de l’organisation. Leurs actions internes et externes à la prison se font en parallèle. Les deux derniers événements importants survenus à l’extérieur sont la prise en otage de Hans Martin Schleyer17, revendiquée par la RAF et l’action Mogadiscio18 réalisée par des militants palestiniens demandant la libération des prisonniers de la RAF et de deux prisonniers palestiniens. Cette dernière se termine par un échec. Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin sont retrouvés morts, le 18 octobre 1977. La version officielle annonce un suicide collectif, alors que l’officieuse revendique des assassinats. Holger Meins meurt avant le procès19 et Ulrike Meinhof durant celui-ci. Les causes de sa mort restent floues. 2.2.3 Rôle de l’Etat : La population apeurée collabore de plus en plus avec la police, qui déclare la guerre à la RAF depuis 1970. L’Etat augmente ses effectifs policiers et créé un véritable climat d’insécurité et de suspicion, en arrêtant et en contrôlant de plus en plus la population. Avec les premières arrestations, la police met en place un nouveau système d’incarcération. Le 28 janvier 1972 le chancelier, Willy Brandt déclare que les « ennemis de l’Etat ou de la Constitution » ne doivent plus être employés dans les services publics. Ces mesures veulent empêcher le progrès de la gauche extraparlementaire dans « la marche à travers les 15 Jan-Carl Raspe, né le 24 juillet 1944 à Seefeld, officiellement suicidé le 18 octobre 1977 à Stammheim. Holger Meins, né le 26 octobre 1941 à Hambourg, mort le 9 novembre 1974 à Wittlich des suites d’une grève de la faim, assassiné selon les membres de la RAF. 17 Hans Martin Schleyer : Président du patronat allemand, assassiné après la mort des membres fondateurs de la RAF, le 19 octobre 1977. 18 Action Mogadiscio : détournement d’un avion de la Lufthansa qui relie Palma de Majorque à Francfort. 19 Le procès a duré du 21 mai 1975 au 28 avril 1977, soit 708 jours. 16 7 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz institutions ». En mai 1972, une section spéciale pour la lutte antiterroriste est créée et des récompenses très importantes sont attribuées à toute personne donnant un indice sérieux. Ces pratiques sont utilisées autant pour obtenir des informations, que pour « isoler la RAF de tout ce qu’il peut y avoir d’opinions radicales dans cet Etat »20. Ainsi « les actions contre la RAF doivent être menées de telle sorte que les positions des sympathisants soient refoulées »21. 20 Horst Ehmke, chef de la chancellerie, lors d’une intervention au Bundestag, en juin 1972, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 37. 21 Horst Herold, chef de l’Office fédéral de la police criminelle (BKA-Bundeskriminalamtes), lors de la conférence des ministres de l’Intérieur des différents Länder, janvier 1972, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 37. 8 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 3. Guérilla urbaine, terrorisme et RAF : 3.1 Définition des concepts de guérilla urbaine et de terrorisme : 3.1.1 Guérilla urbaine : La guérilla urbaine, théorie militaire, est une alternative à la guérilla dite classique et à celle du foco de Che Guevara. Cette dernière prône une révolution populaire soutenue par les paysans, mais s’étendant jusqu’à la ville pour renverser le pouvoir. Au contraire, les communistes ne désiraient pas commencer et étendre leur lutte avant la création d’un parti révolutionnaire de masse. La guérilla urbaine est inventée par les organisations d’extrême gauche sud-américaines et Carlos Marighella22 en a fait une doctrine, dans son « Manuel de guérilla urbaine » (1969). Elle transpose la théorie du foco de Che Guevara de la campagne à la ville et du tiersmonde au monde occidental. Elle s’appuie sur le fait qu’il n’y a pas d’orientation révolutionnaire sans initiative révolutionnaire et est utilisée comme une arme dans la lutte des classes. Elle vise à renverser la domination étatique, à l’empêcher de nuire, à détruire la représentation qu’a le peuple de l’invulnérabilité du système. Cela signifie que les militants ne veulent pas se laisser démoraliser par la violence du système. Dans cette théorie, la ville n’est pas qu’un décor, mais devient une ressource, voire une cible. Paradoxalement, la guérilla crée son espace et le détruit à la fois. Même si l’idée de départ est de travailler avec les organisations populaires légales, elle propose une organisation clandestine, donc illégale. De par cette clandestinité, les guérilleros se voient devoir causer des dégâts importants avec un minimum de moyens. En théorie, le concept d’invasion qu’il soit territorial ou psychique est primordial, car c’est sa menace qui déclenche la riposte (guérilla), s’inscrivant ainsi dans une logique de protection. La guérilla peut donc être définie comme une réponse à l’intrusion qui met en danger l’identité du guérillero. Pour finir, il faut distinguer deux étapes dans la guérilla ; la première, dans le feu de l’action a un aspect rapide et vif, alors que la deuxième, durant la préparation est clandestine et minutieuse. C’est le SDS qui diffuse ce nouveau concept, dès 1967, en BRD. 3.1.2 Terrorisme : Aujourd’hui, il est assez difficile de donner une définition exhaustive du mot « terrorisme », phénomène multiforme et qui a un écho très péjoratif dans l’oreille du public, car il est montré comme illégitime et immoral par les gouvernants. Le terrorisme est un ensemble d’actes de violence qui dépasse la terreur, car il les emploie systématiquement et les organise. Or la terreur est un état de peur dû à des répressions répétées, parfois utilisée en politique. Elle emploie la brutalité comme moyen d’installation d’un climat d’insécurité. Alors qu’au départ, la terreur venait des forts, de l’élite et/ou de l’Etat et le terrorisme des faibles, le peuple, on parle aujourd’hui de terrorisme d’Etat en plus de celui exercé par des groupuscules. Comme le terrorisme a une connotation négative, le terroriste c’est souvent l’autre. Ainsi l’Etat endosse ce rôle aux yeux des révolutionnaires de tous temps et inversement, il est considéré comme un crime par la plupart des Etats. 22 Carlos Marighella, né le 5 décembre 1911 à Salvador de Bahia (Brésil). Dès 1930, il est membre du parti communiste brésilien (PCB). En 1968, il est exclu du PCB et fonde l’Action du Libération Nationale (ALN), car il est convaincu de l’importance de l’union des différentes forces révolutionnaires et de la nécessité de la lutte armée. En 1969, il écrit son œuvre majeure « Manuel de guérilla urbaine ». Il est tué par la police le 4 novembre 1969, à Sao Paulo (Brésil). 9 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz Le concept de terrorisme peut être classé sur la base de deux critères : le champ d’action et les objectifs. Par conséquent, la distinction est la suivante : premièrement, entre un terrorisme national et international et deuxièmement entre des mouvements dont le but est l’anéantissement et la transformation des structures de l’Etat et d’autres dont le but est d’acquérir leur indépendance identitaire. Il est possible d’illustrer cette différentiation par les exemples suivants : l’Irish Republican Army (IRA) comme étant un mouvement terroriste national dont le but était d’obtenir l’indépendance de l’Irlande et le mouvement taliban comme terrorisme international cherchant la modification des structures politiques et sociales en place. Le terrorisme a deux grandes faiblesses : d’une part, il n’a pas de stratégie quant à la gestion de la violence, qui doit être immédiate, percutante et effective, car elle est le cœur de son action. A l’inverse, la violence des actions de guérilla se veut plus éducative et représentative d’un mouvement. D’autre part, il est contraint par l’espace et le temps, a une précision et une efficacité extrême, au contraire de la guérilla qui a pour base une mobilisation populaire et peut donc se permettre de se donner du temps et d’apprivoiser son espace. Si le terrorisme était une technique complémentaire et ponctuelle de la guérilla, qui permettait aux groupes d’accentuer certaines de leurs actions, il tend à devenir aujourd’hui un nouveau visage de la guerre. 3.1.3 Selon la RAF : La RAF distingue précisément terrorisme et guérilla urbaine: « Le terrorisme […] opère par la peur des masses. La guérilla urbaine porte la peur à l’intérieur de l’appareil. Le terrorisme prend pour objet les masses. La guérilla urbaine opère à partir de failles entre l’appareil et les masses, et elle se situe toujours du côté des masses. Les actions de la guérilla urbaine ne sont jamais dirigées contre le peuple. Ce sont toujours des actions contre l’appareil impérialiste. La guérilla urbaine combat le terrorisme de l’Etat »23. Les membres de la RAF mettent en évidence la différence entre les actions qu’ils mènent et celles menées par l’Etat. Selon eux, le système étatique fonctionne selon un modèle terroriste, qu’ils nomment « terrorisme de l’Etat », puisqu’il prend les masses pour cible. Il les terrorise par le contrôle des médias et de l’information, l’omniprésence de la police et la puissance de la propagande. Il les empêche ainsi d’exprimer leurs opinions. « Ce sont eux [l’Accusation fédérale, le tribunal, l’Office fédéral de la police criminelle et le gouvernement] qui produisent l’image de l’ennemi […] ce sont eux qui produisent les faits qui doivent donner la vérification de leur image de l’ennemi »24. Le concept de terrorisme imposé par l’Etat est considéré par la RAF comme une manipulation, car il est définit à partir des pratiques du groupe. Il amène, donc forcément à la « vérification de l’image de l’ennemi» et autorise l’Etat à détruire la conscience critique des masses. De plus, il évite que les faiblesses de l’Etat ne soient dévoilées. Cette manipulation stratégique permet à la RAF de justifier ses actions. « La RAF, tout groupe de guérilla urbaine et toute action armée, est conditionnée [par les appareils répressifs gonflés de l’Etat et la surdétermination qu’il exprime] et légitimée […] dans la crise du système impérialiste. C’est elle qui fait naître la guérilla – elle qui la rend possible »25. Les actions de guérilla urbaine de la RAF sont toujours dirigées contre l’appareil d’Etat, ou un de ses représentants. 23 Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 6 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 111-112. 24 Op. cit,, Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p.109. 25 Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 16 juillet 1975, p. 88. 10 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz « La RAF n’a jamais fondamentalement conçu des actions où il y avait un risque que des civils puissent être touchés »26, au contraire elle a pour but l’éveil des masses face à l’impérialisme. Elle n’est qu’un collectif de lutte qui cherche un espace de liberté. « La politique de la guérilla, l’illégalité, est le contraire de l’étatisation de la société. Elle concentre sur elle toute la répression de l’Etat, mais aussi tous les espoirs de libéralisation »27. A chaque individu appartient un espace qui lui est propre, c’est-à-dire qui n’est pas contrôlé par l’Etat et qui rend les actions de la RAF possible. Cet espace est appelé « faille ». 3.1.4 Selon l’Etat « On crée le concept de « terrorisme ». Ce concept est une projection. Projeté sur la guérilla urbaine, il est faux »28. Les militants de la RAF, dont les actions sont assimilées par l’Etat à du terrorisme, expriment leur désaccord avec la définition de l’Etat de ce concept, car pour eux, il n’est que la reproduction de la politique impérialiste contre les mouvements révolutionnaires. Ce dernier en imposant à travers le langage ce nouveau concept et l’en étoffant par des provocations de la police, exacerbe la contre-propagande. La stratégie employée par la RAF est la guérilla urbaine et elle ne correspond en rien à la politique impérialiste. La RAF réfute la définition de Schwarz29 qui met en avant plusieurs points précis : « la “ règle fondamentale du terrorisme est de tuer le plus de gens possible. Les terroristes veulent apparemment créer dans le monde entier et chez le plus de gens possible, un sentiment d’épouvante qui les paralyse” »30. Contrairement à cette définition, la conception initiale de la RAF n’est pas de tuer des civils, ni de les terroriser mais bien de les mettre en garde face au système impérialiste en place. De plus, l’Etat veut faire croire par de multiples méthodes que la RAF s’attaque aux masses, c’est pourquoi les militants rétorquent : « “L’horreur paralysante” c’est effectivement et précisément le sentiment que l’Accusation fédérale veut créer chez le plus de gens possible »31. 3.2 La singularité de la RAF : La composition de la RAF a donné, dès le début, au groupe, une forme particulière. En effet, elle est majoritairement formée de personnes d’origine bourgeoise, dont cinquante pourcents de femmes. Les militants réussissent à dépasser la répartition traditionnelle des rôles dans la lutte armée et créent, en plus de leurs revendications politiques, un mode de vie alternatif qui permet aux femmes d’être mère et militante. A ce propos, Astrid Proll, ex militante de la RAF, déclare : « Les femmes avaient dans la RAF le même rôle que les hommes, ça allait de soi et on n’en a jamais discuté. Pour faire usage de la violence, il 26 Brigitte Mohnhaupt (prisonnière de la RAF), déposition sur la structure du groupe au procès de Stammheim, juillet – août 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 149 27 Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 16 juillet 1975, p. 96. 28 Op, cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 6 août 1975, p. 109. 29 H. Schwarz : Ministre de l’Intérieur du Land de Rhénanie-Palatinat 30 Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 6 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 110. 31 Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p.110 11 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz fallait dépasser sa peur et cela était aussi dur pour les hommes que pour les femmes »32. Cette violence révolutionnaire poussée à l’extrême est rejetée par la masse à cause de la peur que les médias ont suscitée autour d’elle. C’est pour cette raison, que son caractère politique est dénigré et il est souvent désigné, dans les médias, comme « Bande à Baader » ou « Groupe Baader-Meinhof », bande et groupe signifiant rebelles sans connotation politique. Pourtant la RAF, en plus de ses revendications sociales, met majoritairement en avant ses luttes politiques. 32 Anne STEINER, Interview de Astrid Proll, thèse de doctorat, guérilla urbaine en Europe occidentale : la RAF, université Paris X, juin 85. Cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 82. 12 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 4. Idéologie : 4.1 Primauté de la pratique : Les militants de la RAF ne désiraient pas établir de programme, car il n’y avait, selon eux, pas de doctrine qui pouvait régir leur lutte, dont le but est de « secouer et réveiller un tas de gens »33. « Nous doutons que l’alliance entre les intellectuels socialistes et le prolétariat puisse être soudée par des déclarations de programmes ou être obtenue par la prétention de créer des organisations prolétariennes. […] Nous affirmons que l’alliance entre eux ne peut se réaliser que dans une lutte commune dans laquelle la fraction la plus consciente des ouvriers et des intellectuels ne dirige pas la “mise en scène” mais montre l’exemple »34. Ils comparent la production théorique des organisations politiques en place à des « joutes d’intellectuels »35 auxquels les classes populaires ne peuvent pas participer, car elles n’ont « aucun langage commun »36. Ils donnent donc le premier rôle à la pratique. « Il est juste d’organiser la résistance armée, si cela est possible ; et c’est par la pratique que se décide si cela est possible »37 . Les membres de la RAF ont tout de même écrit des textes individuels ou collectifs de 1970 à 1977, afin de se donner un poids politique et d’essayer de changer les mentalités des masses : « Les écrit de la “RAF ” étaient des brochures dont le but était de convaincre des individus qu’il est juste et pourquoi il est juste de soutenir la guérilla urbaine. Nous les avons définis comme des armes, parce que tout ce qui est utile à la lutte armée dans l’illégalité est une arme »38. Leurs premiers textes portent sur les pratiques utilisées par le groupe et les justifient auprès de l’extrême gauche légale, dont elle attend du soutien. Plus tard, les prisonniers sont absorbés par la conception de textes pour le procès. A l’extérieur, se crée, pour rallier les masses et être reconnu d’utilité publique dans la mouvance des guerres en cours, des comités contre la torture et le comité de défense internationale des prisonniers. La deuxième vague de militants39 ne s’exprime pas, n’ayant plus le souci de légitimer son écartement de la gauche légale. Ils se sont ainsi encore plus isolés. 4.2 Sujet révolutionnaire : LA RAF esseulée justifie, malgré son rejet d’une doctrine, sa raison d’être et de lutte en mentionnant qu’elle est son sujet révolutionnaire. Celui-ci répond au besoin viscéral de changement qui permet l’amélioration de la condition de vie des masses. Il est l’objet et l’acteur de la révolte et varie selon les auteurs et les périodes. 4.2.1 Selon la RAF : La RAF s’exprime à propos du sujet révolutionnaire, dans un texte de 1972 : « Le système a accaparé la totalité du temps libre de l’être humain. A l’exploitation physique en usine, vient s’ajouter l’exploitation de la pensée et des sentiments, des aspirations et des utopies, 33 Lettre reproduite dans « La lanterne Noire », 2ème année n°8, avril 1977, p.45, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 203. 34 Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à Baader »ou la violence révolutionnaire 1. De la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe occidentale, Paris : Edition Champ Libre, 1972, p. 110. 35 Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 110. 36 Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 110. 37 Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 112. 38 Sans mention d’auteur, extrait de la déclaration sur les faits des prisonniers de la RAF au procès de Stammheim, janvier 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p.186. 39 Deuxième vague de militants : considérée comme telle dès 1975 13 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz par les mass média et la consommation massive […]. Le système a réussi, dans les métropoles, à plonger les masses si profondément dans sa propre merde, qu’elles ont apparemment perdu leur vision d’elles-mêmes en tant qu’exploités et opprimés. De sorte que, pour elles, l’auto, une assurance-vie, un contrat épargne-logement, leur font accepter tous les crimes du système et que, mis à part l’auto, les vacances, la salle de bains, elles ne peuvent rien se représenter ni espérer »40. Comme en témoigne cet extrait, la RAF considère que l’aliénation est « parfaite », car la domination et l’exploitation sont présentes dans tous les domaines, autant privés que publics. Le système impose à chaque individu de transformer ses pensées, ses envies et ses rêves pour faire partie de la masse. Ce dernier se laisse aliéner à cause ou par son envie de « mieux vivre » son quotidien, car il ne semble pas pouvoir se représenter l’existence des classes. La RAF part du principe que la privation de liberté est l’unique moyen trouvé d’aliéner les masses. La masse privée d’indépendance et de liberté est le fondement de leur sujet révolutionnaire. Il ne lui reste que la rébellion. Les militants estiment que les masses ont la possibilité intellectuelle de commencer ce processus de libération. Ce constat est plus facile à poser pour les militants de la RAF, car ils se sont déjà libérés du système, en devenant clandestin. « Nous concluons, à partir de cela, que le sujet révolutionnaire est tout un chacun qui se libère de ses contraintes et refuse sa participation aux crimes du système. Que chacun de ceux qui trouvent leur identité politique dans les luttes de libération des peuples du TiersMonde, chacun de ceux qui refusent, qui ne marchent plus, chacun de ceux-là est un sujet révolutionnaire »41. Selon la RAF, son sujet révolutionnaire d’interventions et de pratiques individuelles peut être issu de toutes les classes sociales. Cette caractéristique implique que la RAF est elle-même, au même titre que ceux qui luttent avec elle contre la domination et l’exploitation, le sujet révolutionnaire, par son action, ici et maintenant. Elle estime que chacun doit organiser son combat là où il est et immédiatement. Elle n’est donc pas un groupe représentatif en soi, mais plutôt un guide. «Il s’agit de nous ! Nous sommes Sujet révolutionnaire ; celui qui commence à lutter et à résister est l’un d’entre nous »42. Le but final des militants est qu’on ne pense plus, idée majoritairement répandue dans la tradition révolutionnaire, que la masse est à éduquer mais que l’on admette qu’elle est capable de trouver en elle-même les forces de réaction. C’est pour cette raison que l’exigence : « il faut lutter ensemble», est leur leitmotiv. Dans la guérilla, la transmission des expériences est possible grâce à la collectivité qui a une place importante dans la rébellion de la RAF. 4.2.2 L’impérialisme : « L’Etat national43 » n’est pas reconnu par la RAF, car l’internationalisation du capital, la dépendance économique, l’uniformisation culturelle et la présence de milliers d’immigrés le rendent nul. « On assisterait plutôt […] à la formation d’un internationalisme prolétarien en Europe »44. La RAF pense donc sa lutte dans un contexte international et un système 40 RAF, Texte der RAF : Uberarbeitete und aktualisierte Ausgabe 1983 (textes de la RAF- Édition revue et actualisée, XXIX, « Den Antiimperialistischen Kampf führen ! Die rote Armee auf bauen !» Revolutionäres Subjekt, sans mention d’éditeur : 1983, p. 431, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 192. 41 Op.cit., RAF, p. 431. 42 Op. cit., RAF, p. 433. Dans cette citation, le « nous » implique tous les mouvements de luttes sans exclusion. 43 Etat national : c’est l’union d’un état, c’est-à-dire une organisation politique, et d’une nation, individus appartenant à un même groupe, soit la coexistence de deux notions : juridique et identitaire. 44 Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 35. 14 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz impérialiste. Elle considère la BRD comme un simple « instrument au profit de la politique extérieure américaine»45 qui voudrait faire de l’Europe de l’Ouest un bloc de puissances à son service. La RAF constate tout d’abord la prise en charge économique de la BRD par le capital U.S., en 1948, à travers le plan Marshall46 qui conditionne le fonctionnement d’un Etat vaincu. « L’Etat, dans ses fonctions, a changé. »47. Celui-ci devenu « une fonction du marché mondial dominé par les monopoles américains »48 ne peut assumer correctement la reconstruction de l’Allemagne puisqu’imposée par les U. S., elle est selon la RAF plus un point d’ancrage européen pour l’économie U. S. que la création d’un nouvel Etat, « c’est-àdire que dans les domaines du capital qui sont nécessaires à la reproduction de la société, mais qui ne sont plus directement rentables pour le capital »49, l’Etat allemand sous le joug U.S. n’assume pas ses devoirs envers ses citoyens, mais seulement ses fonctions économiques. Du fait de leur puissance, les Américains peuvent imposer à la vieille Europe leur idéologie politique. Ils organisent l’Etat allemand « de telle sorte que le bloc au pouvoir ne puisse toujours être que celui du capital U. S. »50. La BRD, à cause du plan Marshall, doit se soumettre à cette politique qui interdit, par exemple, aux politiciens communistes allemands d’entrer au gouvernement. De plus, la BRD n’est, selon la RAF, pas seulement un territoire politiquement et économiquement occupé, mais aussi militairement, tout comme la Corée du Sud et le sud du Vietnam. La BRD, leadership européen, aurait été créé en 1945 pour servir de base aux U. S. afin qu’ils puissent encercler l’Union Soviétique et dominer toute l’Europe de l’Ouest. « Ces Etats [la BRD, la Corée du Sud et le Sud-Vietnam] étaient conçus comme des bases opérationnelles de l’armée américaine dans la stratégie de l’encerclement et du “roll-back” (la prise à revers) final de l’Union Soviétique, comme les bases opérationnelles du capital U. S. pour soumettre les régions de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, là-bas, de l’Europe de l’Ouest, ici, aux intérêts du capital U. S. »51. La libération des peuples de ces pays est un des fondements du groupe. « Le mouvement contre la guerre du Vietnam était donc […] la condition subjective à partir de laquelle devait se développer et s’est développé la RAF »52 . Les militants aimeraient ébranler l’Etat allemand, ses dirigeants et ses institutions (police, justice, presse) soumis à la puissance U. S. « La guérilla urbaine a pour but de toucher l’appareil d’Etat en des points précis, de le mettre hors d’usage, de détruire le mythe de 45 Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 75. 46 Plan Marshall : programme de reconstruction européenne proposé en 1947 par les USA et accepté en 1948, 85% d’aide gratuite et 15% de prêt à long terme ajouté à une orientation politique imposée par les USA. 47 Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 21 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 142. 48 Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p. 142. 49 Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p. 142. 50 Op. cit., Ulrike MEINHOF et Andreas BAADER, projet d’intervention pour un autre procès, fin avril 1976, p. 63. 51 Op. cit., Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril 1976, p. 75. 52 Op. cit., Deux prisonniers de la RAF, extraits de dépositions (d’après le procès-verbal) sur la structure du groupe, au procès de Stammheim, juillet août 1976, p. 172 15 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz l’omniprésence et de l’invulnérabilité du système »53, car il n’est pas concevable qu’un pays comme l’Allemagne au potentiel énorme soit sous l’entière autorité d’un autre pays. « La conception stratégique que la RAF a développée en 1972, était dirigée contre la présence militaire et politique des USA en Allemagne fédérale »54. C’est pour cette raison que la RAF s’engage dans la lutte armée. « Qu’un Etat qui possède le potentiel économique de la RFA55 ne dispose pas encore, depuis maintenant plus de trente ans, du pouvoir de déterminer sa propre politique est l’une des raisons pour lesquelles une orientation politique radicale est particulièrement difficile à prendre à l’intérieur de cet Etat et, nous l’avons appris, ne peut en fin de compte être conquise que par la lutte armée contre l’impérialisme »56. Cette lutte armée visant l’ « anéantissement de l’impérialisme »57 a plus précisément pour but « d’anéantir, de détruire, de briser le système de domination impérialiste sur le plan politique, économique et militaire ; de briser les institutions culturelles par lesquelles l’impérialisme donne une homogénéité aux élites dominantes, et les systèmes de communication qui assurent son emprise idéologique »58. Ce processus est radical, car les militants ne voient pas d’autre alternative que la destruction complète du système corrompu par cette politique impérialiste qui laisse la morale légitimer le capitalisme et mettre, ainsi, les individus à sa disposition. « L’opinion publique, sous la domination du capital monopoliste, du capital transnational U. S., c’est le contrôle de la société par l’Etat comme fonction du capital »59. De ce fait, la politique américaine corrompt et fait disparaître les idéaux, les valeurs et les libertés acquises de la vielle Europe. « L’Etat impérialiste, tout comme il a aboli, dans l’ordre bourgeois, la base économique : la libre concurrence – abolit sa morale en assimilant à des criminels ceux qui continuent à la revendiquer comme leur droit de penser, de juger et d’agir par euxmêmes »60. 4.2.3 Le nouveau fascisme : Le fascisme est une doctrine mise en place par Benito Mussolini61. Issu du socialisme et du syndicalisme, conscient des difficultés économiques italiennes, Mussolini en luttant contre les révoltes ouvrières qu’il désapprouve, gagne la confiance des dirigeants et arrive à s’imposer. Le fascisme part du principe que le chef de l’Etat et une élite – parti unique – ont tous les pouvoirs, et que devant ceux-ci, l’individualisme doit s’effacer. Ainsi, l’endoctrinement se fait dès l’enfance et la critique est interdite envers l’Etat. 53 Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à baader »ou la violence révolutionnaire 1. De la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe occidentale, Paris : Edition Champ Libre, 1972, p. 115. 54 Deux prisonniers de la RAF, extraits de dépositions (d’après le procès-verbal) sur la structure du groupe, au procès de Stammheim, 21 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977 p. 146 55 RFA : traduction française de BRD, République fédérale d’Allemagne. 56 Op. cit., Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril 1976, p. 76. 57 Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration pour la libération d’Andreas Baader au procès de Berlin- Moabit, 13 septembre 1975, p.33. 58 Op. cit., Ulrike MEINHOF, p.33. 59 Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 6 août 1975, p. 115. 60 Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de Stammheim, 21 août 1975, p. 136 61 Benito Mussolini, né à Predappio en Romagne en 1883, mort à Côme en 1945. 16 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz A l’instar de l’ancien fascisme, le nouveau demande au citoyen une identification à l’Etat, une prise en compte des concepts principaux et une adhésion entière à la politique étatique. Au contraire du premier, le nouveau fascisme, dont le pouvoir est assuré n’a plus besoin de la mobilisation des masses mais de leur obéissance : il s’impose de haut en bas. Le SPD voulant imposer sa politique néofasciste auprès des masses « a permis de transformer la RFA en tant qu’Etat en instrument au profit de la politique extérieure américaine »62, « de dépolitiser les luttes de classes en RFA »63 et d’imposer « l’anticommunisme comme critère de base d’une politique d’opposition légalement organisée »64. Pour plaire au capital U.S., « Le SPD [… ] avait repris son vieux rôle de 1918, celui de barrage contre l’influence des communistes et contre toute tentative d’autonomie ouvrière, avec la différence qu’il était maintenant financé par le capital U.S. »65. Jusqu’à la révolte des étudiants, à la fin des années soixante « la socialdémocratie avait usurpé et étranglé tous les mouvements d’opposition »66. L’absence de tout parti d’opposition est la preuve que le fascisme est bien présent en BRD. La contre stratégie élaborée par la RAF consiste à démasquer le fascisme et le pied à terre que la social-démocratie offre aux U.S.. En démontrant cette politique pratiquée, la RAF souhaite que la BRD reprenne son indépendance de décision et accepte les contremouvements. Pour obtenir du soutien, les militants se tournent vers l’étranger « afin de mobiliser nécessairement contre la RFA tout ce qu’il peut y avoir de ressentiment politique à l’étranger contre elle, un vieil antifascisme et tout ce qu’il peut y voir de ressentiment contre l’impérialisme allemand, contre sa volonté d’hégémonie, dans tous les groupes du spectres qui va de l’extrême gauche aux sociaux-démocrates, ainsi que dans les gouvernements de chaque nation »67. 4.2.4 L’aliénation et la domination : On considère l’aliénation comme la perturbation de l’individu par les conditions extérieures qui le font devenir étranger à lui-même. Il n’est plus maître de son existence. Le point de départ de la lutte des militants de la RAF, c’est l’aliénation et la détresse des masses, qui « dans toutes ses couches et de tous les côtés, est dans les griffes et sous le contrôle du système »68. Cette constatation légitime leur lutte. « C’est seulement maintenant que l’on découvre quel espèce d’homme on est. On découvre l’individu-desmétropoles : il est issu du processus de décomposition du système, des relations aliénées, fausses, mortelles, qu’il crée dans la vie – à l’usine, au bureau, à l’école, à l’université, dans les groupes révisionnistes, lors de l’apprentissages ou des jobs occasionnels »69. De la détérioration de la société découle, selon les militants, l’aliénation. Celle-ci est nommée « engeance » - groupe de personnes indignes et répugnantes – et est due aux vices du système : « procédures d’anéantissement et de destruction de la société des métropoles, de la guerre de tous contre tous, de la concurrence de chacun contre chacun, du système où règne la loi de la peur, de l’obligation du rendement, du profit des uns au détriment des 62 Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, 4 mai 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 79. 63 Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79. 64 Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79. 65 Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 78. 66 Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79. 67 Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 202. 68 Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 38. 69 Op. cit., Ulrike MEINHOF, p. 37. 17 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz autres, de la division du peuple en homme et femmes, en jeunes et vieux, en malades et bien portants, en étrangers et allemands, et des luttes de prestiges »70. D’après une étude faite par des collaborateurs de la RAF, les conséquences physiques et somatiques de cette aliénation montrent plus la détresse que la révolte chez les masses. Ces dernières, prises dans cet engrenage incontrôlable, n’ont pour seule issue que de présenter des symptômes tels que, « la migraine, les maux de dents, le mal de dos, l’ulcère d’estomac, l’asthme, les accidents du travail, le suicide »71. Pour la RAF, lutter contre l’aliénation, c’est « cesser de se voir avec les yeux du système, ne plus se laisser déterminer par ses contraintes, se libérer de l’angoisse »72. Dans la lutte, en plus de se libérer lui-même, l’individu donne la possibilité et le courage à d’autres de se rebeller. Les militants sont conscients qu’il existe d’autres voies pour lutter et que celle qu’ils ont choisie est « un processus de longue haleine »73. Le développement de la personnalité n’est pas possible dans les institutions d’Etat, c’est pourquoi les militants n’ont « rien à perdre dans la destruction du système, mais tout à gagner dans la lutte armée : la libération collective, la vie, la dignité humaine, notre identité »74. Pour cette conquête, le seul « territoire libéré » est l’illégalité. Non pas parce qu’elle crée des conditions matérielles meilleures – au contraire, les conditions de vie dans la clandestinité sont difficiles – mais parce qu’elle donne la possibilité de reconquérir son identité et sa personnalité, essentiels à la liberté. 4.3 Les influences : Pour faire reconnaître leur ligne politique, les militants donnent une place importante au marxisme. A l’image de son créateur, Karl Marx75 qui accorde au prolétariat un rôle émancipateur, ils s’attachent à la force de rébellion de l’individu aliéné. Sur la base du matérialisme dialectique76, l’histoire de la lutte des classes, dont le fondement est l’exploitation des classes ouvrières, a une place importance dans l’Histoire. D’après le marxisme, la société est divisée en système de classe socio-économique, c’està-dire selon leur fonction dans la société. La classe dominante régit l’Etat et l’économie en forçant la classe des travailleurs à la production. A ce propos, la RAF estime que les forces de la classe ouvrière sont détournées de leur but premier, au profit de l’Etat bourgeois « dont la fonction est de maintenir le rapport de production capitaliste contre la tendance globale des forces productives vers le socialisme »77. Malgré un attachement essentiel au marxisme, les militants revendiquent une sympathie et un respect pour les thèses anarchistes78, en particuliers pour celles des Tupamaros, groupe 70 Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 37. 71 SPK, faire la maladie une arme, pas de mention du lieu d’édition : Champs Libre, 1973, 158p. cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 184. 72 Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 185. 73 Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 38. 74 Op. cit., Ulrike MEINHOF, p. 38. 75 Karl Marx (1818 – 1883) : philosophe, économiste et homme politique allemand. Il est connu pour sa théorie du matérialisme historique. 76 Matérialisme dialectique : Il met en comparaison le passé et l’avenir, dans une perspective sociale et économique. 77 Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 26 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 93. 78 Anarchisme : doctrine politique du XIXe siècle qui projette la suppression de l’Etat et une liberté totale de l’individu. 18 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz de guérilla urbaine d’Amérique latine, car elles prônent l’action directe. « Le mot d’ordre des anarchistes “A bas ce qui vous abat !” vise à la mobilisation directe de la base, de la jeunesse dans les prisons, dans les foyers, dans les écoles, pendant les études. Il s’adresse à ceux qui sont le plus dans la merde. Il peut être spontanément compris. Il appelle à la résistance directe »79. La pratique des actions mène les militants à réfléchir à leur signification. « Beaucoup de gens disent que piller une banque n’est pas révolutionnaire ; mais depuis quand la question du financement d’une organisation n’est pas politique ? »80 Dans les traditions anarchistes, les attaques de banques sont appelées « reprise individuelle » ou « reprise collective », le but étant de redistribuer l’argent. Continuant leur « propagande par le fait », les militants exécutent des dirigeants et commettent des attentats à la bombe qui non seulement détruisent l’adversaire mais aussi encouragent les exploités, en leur prouvant que les systèmes en place ne sont pas imbattables. « J’estime que les actes de brutale révolte portent juste, car ils réveillent la masse, la secouent d’un violent coup de fouet et lui montrent le côté vulnérable de la bourgeoisie toute tremblante encore au moment où le révolté monte à l’échafaud »81. Ce sont les preuves que la conception de la liberté des membres de la RAF s’apparente vraiment à la tradition anarchiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ils veulent « le règne de la liberté » aujourd’hui. Ce désir d’immédiateté les conduit vers l’illégalité « territoire de liberté », ils ne veulent ni étapes, ni médiations multiples, ni « génération sacrifiée », ni « résignation historique ». La liberté pour eux c’est la lutte. Ce qui dérange la RAF, c’est que l’Etat utilise le concept d’anarchisme comme prétexte à sa lutte contre le communisme. Il profite du désaccord chez certains révolutionnaires entre anarchisme et marxisme, à son avantage, pour que les militants soient rejetés par le peuple. Il est également important de noter que les militants de la RAF ne veulent aucunement prendre le pouvoir qui pour eux n’est qu’un instrument de domination et d’exploitation. 79 Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à baader »ou la violence révolutionnaire 1. De la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe occidentale, Paris : édition champ libre, 1972, p. 118. 80 RAF, Texte der RAF : Uberarbeitete und aktualisierte Ausgabe 1983 (textes de la RAF- Édition revue et actualisée, XXIX, « Dem Volk dienen!», sans mention d’éditeur : 1983, p. 407, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 219. 81 Emile HENRY, déclaration à son procès. Cité par Henri DUBIEFF, Les Anarchistes (1870-1940), dossier « Sciences humaines » n°36, pas de mention du lieu d’édition : Armand Colin, 1972, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 219. 19 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 5. La violence une réponse à la brutalité : « Mach kaputt, was dich kaputt macht ! » [Fous en l’air ce qui te fout en l’air !]82 Selon moi, les événements qui sont à l’origine de la vie – la germination, l’éclosion, la naissance – contiennent, comme tous changements d’état, une part de violence. Elle est une composante fondamentale de chaque être, puisqu’elle permet une création, entre autre celle de l’humain. Libératrice, elle donne la vie, fait naître en l’homme la perception d’un espace vierge permettant la conquête de liberté et de valeurs nouvelles, la possibilité d’expériences innovantes et la vision de projets inédits. L’homme gagne ainsi en assurance, en lui d’abord, en son milieu ensuite. L’utopie lui est alors permise. Elle lui permet de se mettre à la recherche d’une société qu’il voudrait idéale et correspondant à ses attentes. Il se retrouve, hélas, souvent face à son rêve brisé et la frustration de son utopie devient alors moteur d’une violence primitive, seul moyen trouvé pour exprimer sa déception, son désaccord. Les quelques libertés qu’il croit avoir acquises le poussent à en vouloir d’autres au prix d’une violence toujours plus extrême. En opposition à la violence, la brutalité, fondée sur une contrainte, ne rend pas l’utopie possible. La force qui y mène est extérieure et dirigée. Elle est un geste répressif qui met fin à la liberté avec comme seule raison la négation et la destruction de l’acte libre. Elle permet à l’exécutant, déjà détenteur d’un certain pouvoir, de maintenir son statut. La RAF, génération née de la deuxième guerre mondiale et souffrant de la domination du système U. S. auquel son pays est soumis, construit une utopie de reconquête identitaire, en mettant en place certains actes de violence. « Nous sommes un groupe de camarades qui avons décidé d’agir, de quitter le stade de la léthargie, du radicalisme seulement de mots, des discussions de plus en plus vaines sur la stratégie, de nous battre »83 contre le piège de la société de consommation, car c’est seulement contre lui, que « l’identité peut se développer – c’est toujours un processus que l’on réalise en combattant »84. Leurs actions souhaitant frapper le cœur de l’Etat capitaliste pro-américain et ennemi du prolétariat sont radicales. Les militants refusant de se laisser diriger ici et maintenant dans un système de partis, décident de créer un nouveau mode de vie, puisqu’ils n’estiment n’avoir « rien à perdre dans la destruction du système, mais tout à gagner dans la lutte armée : la libération collective, la vie, la dignité humaine, notre identité »85. La réaction des dirigeants est, elle, brutale, inattendue et étendue à tous les domaines étatiques (presse, police, armée, institutions publiques, …). La chasse de l’Etat contre les militants est assimilée par ceux-ci à de la brutalité car elle est répressive, aggressive et n’a pour but unique que la destruction de l’individu et de l’identité du groupe. De plus, l’Etat propage une image négative de la RAF pour que les masses ne puissent adhérer qu’à ses propres actions. « Les flics cherchent à nous présenter comme ce qu’ils sont eux-mêmes ; ils cherchent à présenter la structure de la RAF comme analogue à la leur, une structure de domination – à l’image de l’organisation et du fonctionnement de leurs propres appareils de domination […] et ils nous attribuent les moyens mêmes que les masques de l’impérialisme et leurs marionnettes utilisent pour s’imposer : le chantage, la corruption, la 82 Slogan des années soixante, cité dans Textes réunis par Gius GARGIULO et Otmar SEUL, Terrorismes : l’Italie et l’Allemagne à l’épreuve des années de plombs (1970-1980) réalités et représentations du terrorisme, Paris : M. Houdiard, 2008, p. 40. 83 Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 37. 84 Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 18 juin 1975, p.85. 85 Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, p. 38. 20 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz concurrence, le favoritisme, la brutalité, l’habitude de se frayer un chemin sur les cadavres »86. La violence semble être, selon les militants, la seule solution face à cette brutalité. L’ennemi démasqué « montre son vrai visage ; - amenant ainsi, par sa propre terreur, les masses à s’insurger contre lui, renforçant les contradictions et rendant la lutte révolutionnaire inéluctable »87. Les militants prêtent une attention toute particulière à ne pas se métamorphoser en l’ennemi qu’ils combattent et utilisent « la violence structurée », un mélange de violence spontanée de la vie et de violence révolutionnaire, pour ne pas devenir à leur tour brutaux. Ce principe de « violence structurée » implique une gestion stricte de l’organisation de la violence spontanée dans le groupe. Il faut savoir que plus la brutalité est agressive, plus la réponse violente sera radicale et perçue comme héroïques par les masses qui voient dans cet acte un brin d’espoir. De ce fait, les limites de ces deux actions font leur grande différence. « Le guérillero se matérialise dans le combat – dans l’action révolutionnaire, c’est-à-dire : sans fin ; justement : le combat jusqu’à la mort, et bien sûr : collectif »88.- Au contraire, la brutalité s’anéantit à la longue par ses propres excès. A ce propos les militants citent Marx : « un peuple qui en opprime d’autre ne saurait s’émanciper lui-même »89. Dans cette citation, ils associent « un peuple » à l’Etat allemand, qui en assujettissant les masses, ne que peut s’atrophier. Les conclusions de ce rapport brutalité-violence rendent à la fois une image négative de l’Allemagne, pour sa répression extrême et surtout de la RAF, pour la terrifiante réputation qui lui a été faite. 86 Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 41. 87 Op. cit., p. 43 - 44. 88 Op. cit. Holger MEINS, dernière lettre cinq jours avant son assassinat. A un camarde de prison qui venait d’interompre sa grêve de la fin, 31 octobre 1974, p. 46 – 47. 89 Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, p. 34. 21 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 6. Conclusion : L’idée de découvrir et de développer un nouveau sujet, selon mes intérêts m’a plu. Afin d’élaborer un travail qui réponde à mes questionnements, j’ai décidé d’axer ma réflexion sur des problématiques qui étaient miennes. J’ai choisi de travailler majoritairement avec des textes, dont la traduction française est disponible écrits en prison et utilisés lors du procès, car leur radicalité m’intéressait. Cependant les notions compliquées que les membres du groupe manient, la forme et le langage utilisés rendent ces textes difficilement accessibles. Il a donc été malaisé de comprendre et retranscrire cette pensée qui n’est pas la mienne, tout en essayant de construire ma propre réflexion. Approfondir mes connaissances de la période de Baader et Meinhof, qui tout compte fait est proche de nous, m’a permis de gagner du recul et de pouvoir tirer des parallèles entre la politique antiterroriste actuelle et celle de cette époque. J’ai compris qu’il fallait que j’adopte une position beaucoup plus critique face à la politique et les informations qu’elle transmet au travers de différents supports médiatiques. Je pense avoir pu atteindre un des mes premiers objectifs : ne plus être spectatrice face au terrorisme, mais comprendre, en tout cas partiellement, le sens des actions des militants. Sans pour autant adhérer à toutes leurs idées, j’ai cru comprendre que la violence qui semble être, au premier abord, le fondement de leur lutte n’est pas un but en soi, mais une manière, pour les membres de la RAF d’exprimer leur opposition. Ils avaient une idéologie de vie et de lutte pour une société meilleure, mais aussi la certitude que leur combat était juste, c’est pour cette raison que leur implication était totale et qu’elle les a conduits à y laisser leur vie. En effet, toute cause juste mérite un investissement vital, parfois la mort. Le résultat de la lutte qu’ils ont mené m’a montré qu’il ne suffisait pas seulement d’un concept, d’une idée, d’un rêve pour changer le monde. C’est pour cette raison que cette grande entreprise pose un certain nombre de questions, telles que l’organisation du groupe, la méthode de lutte, l’adhésion des masses, qui ont mis la RAF en difficulté, sans pour autant qu’elle perde sa volonté et son envie de changer le monde. Cette envie est aujourd’hui beaucoup plus difficile à appréhender, parce que la masse s’est faite à l’idée que la réalité c’est la norme. Il ne lui reste qu’à essayer de survivre en se satisfaisant des limites qui lui sont imposées et qu’elle accepte. Le terrorisme actuel s’inscrit, lui aussi, dans cette nouvelle vision de la réalité, puisqu’il massacre des populations civiles démunies dans le but d’acquérir le pouvoir et faire passer son message « publicitaire » nationaliste, religieux ou communautaire. Au contraire, les militants de la RAF, eux, désiraient conduire la masse vers de nouveaux idéaux et ainsi vivre plus librement. Quel héritage la RAF a-t-elle laissé ? Cette question a, d’après moi, toute sa légitimité, à la fin de ce travail. Historiquement, il ne reste malheureusement rien du groupe, mis à part un sentiment nouveau pour l’Europe, à cette époque : la peur. Les membres du groupe n’avaient aucunement l’intention de provoquer ce sentiment parmi la masse. Il a été créé par les gouvernants qui ont su utiliser les médias et ainsi donner à la masse une image terrifiante de la RAF. Cette peur de l’action terroriste qui a persisté jusqu’à aujourd’hui, est sûrement l’une des causes principales de la réaction radicale occidentale face au terrorisme islamique. Les gouvernants, conscients du pouvoir de manipulation qu’ils exercent grâce aux médias, sont toujours plus alarmants face à la menace terroriste. Cela leur permet, toujours aujourd’hui, de mener le combat antiterroriste de la même manière qu’à l’époque de Baader et Meinhof : appliquer à des événements particuliers une procédure et des traitements exceptionnels. La violence est-elle la source de ce rejet populaire du terrorisme ? Y a-t-il une alternative à la violence terroriste ? 22 La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire Marie Fonjallaz 7. Bibliographie : ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ Thomas ELSAESSER [traduit de l’anglais par Noël Burch], Terrorisme, mythes et représentations la RAF de Fassbinder aux T-shirts Prada-Meinhof, La Madeleine : Tausend Augen, 2005, 96 p. 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Houdiard, 2008, p. 350 Uli EDEL, Chronique des années de plomb la bande à baader, Martina GEDECK, Moritz BLEIBTREU, Johanna WOKALEK, Bruno GANZ, Allemagne, Metropolitan Filmexport, 2008, 144min. Petit Robert dictionnaire universel des noms propres 2, Paris : Dictionnaire Le Robert, 1991, 1952 p. Petit Larousse illustré 2006, Paris : Edition Larousse, 2005, 1855p. Herbert MARCUSE [traduit de l’anglais par Monique Wittig], l’homme unidimensionnel, Paris : Les Editions de Minuit, 1968, 1514 p. 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