La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire

Transcription

La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire

La RAF ou comment changer le monde par la violence
révolutionnaire ?
Marie Fonjallaz
Sous la direction de M. Guido Albertelli
3M3, Gymnase Auguste Piccard
remis le 31 octobre 2011
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
Résumé :
Ce travail traite de « Die Rote Armee Fraktion » (RAF – La fraction armée rouge), de sa
pensée politique et des moyens qu’elle a décidés d’employer pour atteindre ses objectifs. Il
s’articule autour de plusieurs questions distinctes.
Dans quel contexte la RAF s’est-elle fondée ? L’histoire du pays a-t-elle eu une influence
sur le groupe et ses actes révolutionnaires ? L’Allemagne en pleine crise d’identité, dans
les années soixante, laisse se fonder un parti extraparlementaire, majoritairement formé
d’étudiants dont les revendications, influencées par le marxisme, sont antiaméricanistes,
anticonsuméristes et anticapitalistes. Au fil du temps, certains, conscients des limites
qu’offrent la légalité, s’en détachent et revendiquent des actions violentes. Pour contrer ces
attaques, les autorités prennent des mesures d’exceptions qui poussent Andreas Baader,
Ulrike Meinhof, Gudrun Enslin, Horst Mahler et d’autres militants à s’organiser, dans le
courant de l’année 1970, en groupe de guérilla urbaine qui deviendra clandestin. L’acte
fondateur du groupe est associé à la libération d’Andreas Baader – emprisonné pour avoir
attaquer à la bombe une grande surface de Berlin – puisque c’est la première fois que les
militants utilisent des armes. Une guerre psychologique débute entre le gouvernement qui
prend des mesures de sécurités extrêmes et les membres du groupe qui multiplient leurs
attaques. La RAF, dont les masses et l’Etat a peur, est perçue comme un groupe terroriste
et est déclarée « ennemi public n° 1 » en BRD (Bundesrepublik Deutschland – République
d’Allemagne fédérale). Les principaux membres du groupe sont emprisonnés, en 1972,
dans des conditions très spéciales, auxquelles ils s’opposent. C’est durant cette période,
que la majorité de leurs textes sont rédigés pour assurer leur défense .
Comment le groupe s’organise-t-il ? Quelles sont ses influences ? La RAF est un groupe de
guérilla urbaine qui s’appuie sur les capacités des masses à renverser le pouvoir de l’Etat et
ainsi démontrer sa vulnérabilité. La vision qu’ont les militants de la société et de ses
individus est proche des doctrines marxistes. Par contre, dans la pratique, ils s’inspirent de
la tradition anarchiste de la fin du XIXe siècle et prônent l’action directe, seule capable de
montrer l’aliénation complète des exploités et la possibilité d’un changement. Le système
s’étant imposé dans la vie privée et publique des masses, il est temps pour elles de s’en
libérer. Tout individu qui décide de combattre au côté de la RAF devient sujet
révolutionnaire.
Pourquoi la RAF mène-t-elle son combat en BRD ? Contre qui dirige-t-elle ses actions ?
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la mise en place du plan Marshall, les U.S.
sont présents en BRD. Selon la RAF, ils utilisent l’Allemagne comme un point d’attache
économique en Europe, ils occupent militairement le territoire afin d’optimiser leur lutte
anti-communiste et imposent leur idéologie politique. De plus, le SPD
(Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti social-démocrate d’Allemagne) pour se
conformer aux exigences U.S. pratique une politique néofasciste. Considérant l’occupation
américaine et la subordination de la BRD comme trop intrusives et inacceptables, la RAF
décide de lutter pour détruire le système. Leurs actions se veulent ciblées et violentes.
Cette violence structurée permet, selon les militants, la libération des masses,
contrairement aux mesures étatiques qui elles, sont répressives et donc brutales.
1
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
Table des matières :
1.
Introduction
: ..........................................................................................................................3
2.
Contexte
historique
: ............................................................................................................4
2.1
Chemins
vers
l’illégalité
: .......................................................................................................... 4
2.1.1
Le
désarroi
du
peuple
allemand
: .....................................................................................................4
2.1.2
Fondation
de
la
nouvelle
gauche
allemande
: .............................................................................4
2.1.3
Premières
actions
: .................................................................................................................................5
2.1.4
Fondation
du
groupe
: ...........................................................................................................................5
2.2
Phase
offensive
:............................................................................................................................ 6
2.2.1
Attentats
:....................................................................................................................................................6
2.2.2
Emprisonnement
:...................................................................................................................................7
2.2.3
Rôle
de
l’Etat
: ...........................................................................................................................................7
3.
Guérilla
urbaine,
terrorisme
et
RAF
:..............................................................................9
3.1
Définition
des
concepts
de
guérilla
urbaine
et
de
terrorisme
: .................................... 9
3.1.1
Guérilla
urbaine
: .....................................................................................................................................9
3.1.2
Terrorisme
: ...............................................................................................................................................9
3.1.3
Selon
la
RAF
:.......................................................................................................................................... 10
3.1.4
Selon
l’Etat............................................................................................................................................... 11
3.2
La
singularité
de
la
RAF
:..........................................................................................................11
4.
Idéologie
: .............................................................................................................................. 13
4.1
Primauté
de
la
pratique
: .........................................................................................................13
4.2
Sujet
révolutionnaire
: ..............................................................................................................13
4.2.1
Selon
la
RAF
:.......................................................................................................................................... 13
4.2.2
L’impérialisme
:..................................................................................................................................... 14
4.2.3
Le
nouveau
fascisme
:.........................................................................................................................16
4.2.4
L’aliénation
et
la
domination
: ........................................................................................................ 17
4.3
Les
influences
: ............................................................................................................................18
5.
La
violence
une
réponse
à
la
brutalité
: ...................................................................... 20
6.
Conclusion
:........................................................................................................................... 22
7.
Bibliographie
: ..................................................................................................................... 23
2
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
1. Introduction :
Changer le monde est un projet qui m’interpelle et auquel j’aimerais participer dans un
futur proche. Aujourd’hui, il a tout son sens. Le monde, confronté à des problèmes
démographiques, environnementaux, éthiques, politiques et philosophiques nous oblige à
envisager de nouvelles alternatives de vie, comme d’autres, désirant « mieux-vivre », l’ont
fait avant nous. Par ailleurs, l’intérêt que je porte aux événements politiques actuels m’a
donné la certitude que ce sont ceux du passé qui les ont forgés. Il est donc nécessaire de
connaître le passé pour pouvoir, à ce jour, affronter et améliorer l’avenir.
L’interprétation négative des médias au sujet des mouvements d’opposition, laisse souvent
la masse dans la méconnaissance et l’incompréhension. Mais, persuadée que les actions
révolutionnaires ont un sens, je refuse la position de spectatrice qui m’est attribuée par la
société. C’est la raison pour laquelle, essayer de comprendre l’un d’entre eux a été un de
mes premiers objectifs. Mon choix s’est tourné vers « Die Rote Armee Fraktion » (RAF),
parce qu’elle est historiquement proche de nous et que la culture et la langue allemande
m’intéressent beaucoup.
Face à la pseudo stabilité à laquelle la génération de leurs parents voulait croire, l’extrême
violence des militants m’a intriguée, dès le début de mes recherches. Ce qui m’a amené à
réfléchir autour de la question principale :
Pourquoi la RAF a-t-elle employé la violence et la lutte armée ?
A partir de cette problématique, mon travail s’articule autour de plusieurs axes de
réflexions. Pour commencer, j’ai décidé de m’intéresser à des éléments de l’histoire du
pays afin d’en faire le point de départ de mon travail. Une partie de celui-ci a consisté à
comprendre dans quel contexte la RAF s’est fondée et si l’histoire du pays a eu une
quelconque influence sur le groupe et ses idéaux. En parallèle, les écrits de la RAF m’ont
permis de mieux comprendre l’obstination et l’intransigeance des militants qui auraient
aimé réunir l’Allemagne entière pour la libérer du joug U. S. avec comme leitmotiv : « Il
faut lutter ». Pour comprendre leurs références et leur manière de penser et d’agir, je me
suis renseignée sur les différentes doctrines des mouvements politiques qui les ont
précédés. Cette partie du travail est la plus analytique et la plus importante au niveau de
mes recherches.
Au fil du temps, j’ai découvert que, contrairement à mes idées premières, la RAF ne se
définissait pas comme un groupe terroriste, mais comme des militants de la lutte armée.
C’est pourquoi je consacre un chapitre entier à définir et différencier ces deux concepts.
Tout ce travail de recherches m’a finalement conduit à une réflexion sur deux notions
distinctes chez les membres du groupe : la violence et la brutalité qui, au quotidien, portent
souvent à confusion. La définition de ces deux concepts est pour la RAF une manière de
légitimer leurs actions.
Consciente, après de longues recherches, de la richesse du sujet, le véritable défi de ce
travail était de faire revivre, à travers mon exposé, une période, qui aux yeux de ma
génération, est lointaine et dénuée de sens. Je vois, pourtant, dans ce sujet les prémices et
les explications de la situation politique actuelle en Europe et dans le monde. Depuis la
guerre froide, les Etats-Unis ont su garder et étendre leur statut de superpuissance, en
imposant leur suprématie politiquement, militairement et économiquement. Ils ont déplacé
leur cible, au nom de la démocratie et de la liberté, du communisme à l’islamisme.
L’Europe assujettie à l’économie américaine, se voit, aujourd’hui, à nouveau impliquée
dans la lutte contre « l’ennemi des Etats-Unis ».
3
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
2. Contexte historique :
2.1 Chemins vers l’illégalité :
2.1.1 Le désarroi du peuple allemand :
A la fin des années soixante, l’Allemagne, confrontée à son passé nazi, subit une crise
d’identité, due à une fracture générationnelle entre les élites, l’ancienne génération - qui a
des références politiques et économiques, mais n’ose pas affronter l’histoire de son pays et la plus jeune, qui recherche de nouvelles valeurs morales. Cette jeune génération prend
conscience que les structures politiques et sociales telles que la hiérarchie verticale,
l’importance du pouvoir exécutif et la suprématie d’un seul parti, n’ont changé que leur
terminologie et leur apparence, malgré qu’elles aient servi de base au national-socialisme
(NSDAP- Nationalsozialistiche deutsche Arbeiterpartei) et engendré la Deuxième Guerre
Mondiale. Ils constatent qu’ils sont issus d’une génération silencieuse, qui ne s’est pas
opposée au phénomène nazi et que la dénazification des « nouveaux » gouvernants n’est
pas réelle. Kiesinger1, Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne de l’Ouest entre
1966 et 1969, a adhéré au NSDAP et travaillé avec Göbbels2.
A cela s’ajoute en 1967, la première récession économique de l’Allemagne qui révèle la
fragilité de ses institutions politiques et de son modèle social. S’en suit en 1973, le premier
choc pétrolier et ces conséquences économiques. Le pays est plongé dans un chômage
important. Les étudiants inquiets pour leur avenir, entrent dans une phase dite « post
matérialiste ». Elle prône la qualité non économique de la vie et rejette la société
industrielle.
2.1.2 Fondation de la nouvelle gauche allemande :
C’est dans ce contexte historique que des mouvements de contestation se créent et se
politisent peu à peu. Or la « Grande Coalition » entre l’Union des démocrates chrétiens
(CDU - christisch demokrartische Union) et le parti social démocrate d’Allemagne (SPD –
Sozialdemokratische Partei Deutschlands) ne permet pas aux étudiants d’exprimer leur
mécontentement dans le cadre parlementaire. C’est la raison pour laquelle une opposition
extraparlementaire (APO - Außerparlamentarische Opposition) se constitue, dont la
principale force est l’Union Socialiste Allemande des Etudiants (SDS – Sozialistische
Deutsche Studentenbund), initialement proche du SPD. Ces deux fractions se séparent en
1961, lorsque le SPD s’engage dans une politique ouvertement réformiste et que la
contradiction entre les jeunes intellectuels et l’appareil du parti est trop importante.
Cette « nouvelle gauche », libérée des restrictions parlementaires, développe sa propre
réflexion sur les possibilités politiques socialistes en République fédérale d’Allemagne
(BRD – Bundesrepublik Deutschland). Pour cela, elle s’inspire des doctrines marxistes et
des théories libertaires3. Ce nouveau mouvement qui s’organisant en cercle d’étude, se veut
antifasciste, anticapitaliste et anti-américaniste. Il assimile très vite le système politique en
place à un fonctionnement autoritaire, poussant à la production et à la Konsumterror
(terrorisme publicitaire qui pousse à la consommation). Il dénonce également les EtatsUnis, allié de la BRD, dans leur combat au Vietnam, symbole de l’impérialisme.
1
Kurt Georg Kiesinger, né en 1904 et mort en 1988, membre du parti nazi entre 1933 et 1945, il travaille
comme directeur-adjoint de la propagande radiophonique du Reich vers l’étranger. Il devient membre de
l’Union des démocrates chrétiens (CDU - christisch demokrartische Union) depuis 1947.
2
Joseph Göbbels, né en 1897 et mort en 1945, très proche du Führer et partageant sa haine contre le peuple
juif, il est ministre du Reich à l’éducation du peuple et à la propagande de 1933 à 1945, puis chargé de la
guerre total jusqu’en 1945.
3
Théories libertaires : théories basées sur la liberté absolue de l’individu en politique et dans la vie sociale,
souvent synonyme de l’anarchisme.
4
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
2.1.3 Premières actions :
Entre 1967 et 1968, tous ces thèmes sont abordés lors de manifestations violentes
rassemblant des milliers de personnes de toute la BRD. En février 1968, a lieu à Berlin un
congrès sur le Vietnam qui rassemble des milliers de participants. Le mouvement
extraparlementaire est renforcé par l’importance du rassemblement et le recul des autorités
qui ont dans un premier temps interdit la manifestation. Le 2 avril, quatre étudiants –
Andreas Baader4, Grudrun Ensslin5, Thoward Proll et Horst Sohlein - décident de passer à
l’action directe et fabriquent deux bombes artisanales qui détruisent durant la nuit le
Kaufhaus et le Schneider de Francfort. Cette action met en pratique l’idée de la
« propagande par le fait » qui implique, selon les activistes, l’augmentation de la réactivité
des masses face aux actes de violence politique. Par cette destruction, ils veulent toucher le
consommateur dans son quotidien et lui faire prendre conscience de sa manière excessive
de consommer pendant qu’au Vietnam des villages sont brûlés au napalm6. Quelques jours
plus tard, le leader du mouvement étudiant allemand, Rudi Dutschke est victime d’un
attentat à Berlin. L’auteur est un lecteur de la presse du groupe Springer, dont le journal à
sensation Bild est particulièrement virulent contre les actions estudiantines. La question de
la violence est à nouveau à l’ordre du jour. Ulrike Meinhof écrit dans le Konkret7 : « Les
balles tirées sur Rudi ont mis fin au rêve de non-violence »8. Le soir même des
manifestations violentes ont lieu dans toutes les villes d’Allemagne.
Le 2 juin, un étudiant, Benno Ohnesorg, est tué par un policier lors d’une manifestation
contre la visite du Chah d’Iran. Les autorités et la presse accablent les étudiants ce qui
radicalise et élargit le mouvement.
Vingt-deux jours plus tard, le Parlement vote le décret des lois d’exception qui donnent au
gouvernement les pleins pouvoirs en cas de guerre ou de crise interne. Cette interdiction,
comparée par les activistes, à cause de son totalitarisme, à celles faites par les nazis
quelques années auparavant, rend les opposants impuissants face à la brutalité de la
répression. Durant l’été 1969, l’opposition se fragmente et beaucoup de militants
réintègrent le système politique établi afin de le réformer « de l’intérieur », en
démocratisant les institutions. Ceci est appelé, en 1968, la « marche à travers les
institutions » par Rudi Dutschke.
2.1.4 Fondation du groupe :
C’est dans le courant de l’année 1970, qu’Andreas Baader, Gudrun Enslin, Ulrike
Meinhof9, Horst Mahler et une dizaine d’autres militants s’organisent en guérilla selon le
modèle des Tupamaros10 en Uruguay. Les deux premiers militants étant devenus
clandestins depuis la confirmation du jugement11 de l’attaque à la bombe du 2 avril 1968, il
4
Andreas Baader, né le 6 mai 1943 à Munich, officiellement suicidé le 18 octobre 1977 à Stammheim.
Gudrun Ensslin, née le 15 août 1940 à Stuttgart, officiellement suicidée le 18 octobre 1977 à Stammheim.
6
Napalm : substance à base d’essence, utilisée comme bombe incendiaire.
7
Konkret : journal mensuel d’influence de gauche, créé en octobre 1957 par Klaus Rainer Röhl.
8
Konkret, mai 1968, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe
occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 22.
9
Ulrike Meinhof, née le 7 octobre 1934 à Oldenburg, officiellement suicidée le 9 mai 1976 à Stammheim.
10
Tupamaros : officiellement le Mouvement de Libération Nationale - Tupamaros (MLN-T). Il doit son nom
à une déformation de « Tupac Amaru », nom d’un descendant de l’Inca Tupac Amaru I, torturé par les
Espagnols le 18 mai 1781. C’est le plus grand mouvement de guérilla urbaine en Amérique du Sud dans les
années 1960-1970. Il appartient à l’extrême gauche.
11
Après l’attaque à la bombe du 2 avril 1968, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Thoward Proll et Horst
Sohlein sont condamnés à 3 ans de prison. Après 14 mois d’emprisonnement, ils bénéficient de la liberté
provisoire jusqu’à la confirmation du jugement, qui a lieu en novembre 1969, date à laquelle les quatre
accusés doivent retourner en prison. Thoward Proll et Horst Sohlein se rendent quelques mois plus tard, alors
que Gudrun Ensslin et Andreas Baader rentrent dans la clandestinité.
5
5
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
s’avère que le groupe subit une certaine pression extérieure, avant même que des actions
ne soient réalisées. Ces membres, considérés comme les fondateurs de la future Fraction
Armée Rouge (RAF - Rote Armee Fraktion) sont d’anciens universitaires issus des classes
privilégiées. Le 4 mai de cette même année, Andreas Baader est arrêté lors d’un contrôle
de police et emprisonné. Dix jours plus tard, il est autorisé à se rendre à l’Institut des
sciences sociales de Dahlem à Berlin, pour y mener des recherches concernant la rédaction
d’un livre à paraître. Ulrike Meinhof, censée collaborer à cet ouvrage, peut elle seule être
en contact avec lui. Il est libéré par un commando constitué d’un homme et de deux
femmes armés. Tous réussissent à s’enfuir. La presse commente l’action et le nom « Bande
à Baader » ou « Baader-Meinhof » est indiqué pour la première fois. C’est aussi la
première fois que le groupe utilise des armes pour parvenir à ses fins, ce qui marque un
degré supérieur de violence et un point de non-retour qui est considéré comme l’acte
fondateur du groupe. A partir de ce moment, chacun des membres est entrainé dans un
processus collectif irréversible qui les lie tous les uns envers les autres. Ulrike Meinhof
commente cette action le 13 septembre 1974, au tribunal de Berlin Moabit : « (…) notre
action du 14 mai 1970 est et reste l’action exemplaire du guérillero dans les métropoles.
Elle contient/contenait déjà tous les éléments de la stratégie pour la lutte armée contre
l’impérialisme : il s’agissait de libérer un prisonnier des griffes de l’appareil d’Etat. Ce fut
une action de guérilla, l’action d’un groupe qui, en décidant de faire cette action, s’est
organisé en noyau politico-militaire »12. Dans les mois qui suivent, le groupe « BaaderMeinhof » devient l’« ennemi public n°1 ».
2.2 Phase offensive :
Les membres du groupe s’intéressent de plus en plus à la cause palestinienne, pays qui
recherche son indépendance après avoir été divisé au profit des Israéliens par l’ONU en
novembre 1947. Ils vont s’entrainer et acquérir un savoir militaire important dans un camp
d’Al Fath13 en Jordanie pendant deux mois. A leur retour à Berlin, en août 1970, le groupe
est hors la loi et ne peut se joindre au mouvement parlementaire.
2.2.1 Attentats :
A partir d’octobre 1970, les militants tentent de mettre sur pied une infrastructure
logistique de guérilla : ils se procurent des faux papiers, des armes, ont un réseau
d’appartements, braquent des banques, … Les premiers textes de la RAF paraissent chez
un éditeur « underground », mais sont très vite interdits par le gouvernement. Ils y
défendent leur choix de l’illégalité et affirment vouloir détruire la pseudo invulnérabilité de
l’Etat.
La BRD commence une guerre psychologique, en instaurant un climat de suspicion ainsi
qu’en prenant des mesures de sécurité extrême. La police mène de grandes actions de
perquisitions et de contrôles des soi-disant sympathisants. Ce climat policier incite des
auteurs libéraux à s’exprimer, comme le fait Heinrich Böll dans le Spiegel « Comment
peut-on nous faire croire que six personnes peuvent menacer soixante millions
d’Allemands ? »14. Début 1972, la seule preuve de l’existence du groupe est l’arrestation de
12
Ulrike MEINHOF, déclaration de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction
armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 36.
13
En arabe al-Fatah ou al- Fath (« la conquête »), traduction française Fatha : Mouvement de la Libération
Nationale de la Palestine, créé dans la clandestinité en 1959 par Yasser Arafat. Il est issu des camps de
réfugiés palestiniens renvoyés par la décision de partage du pays par l’ONU, en 1947.
14
Heinrich BÖLL, « Freies Geleit für Ulrike Meinhof » (« Sauf-conduit pour Ulrike Meinhof »), 10 janvier
1972, Spiegel. Dans cet article, H. Böll émet l’idée de réintégrer les membres de la RAF et surtout Ulrike
Meinhof dans la légalité.
6
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
soi-disant militants. Cette période de latence permet à la RAF de se réorganiser, de préciser
sa politique ainsi que de se reconstituer en réseau.
En mai, commence une série d’attentats, tous revendiqués par la RAF. Le 12, plusieurs
bombes explosent à la police d’Augsbourg et à celle de Munich, l’attentat fait une
quinzaine de morts. Trois jours plus tard, leur victime est un juge de Karlsruhe, chargé
d’instruire une affaire sur plusieurs membres du groupe. Deux bombes sont posées à la
maison d’édition Springer, le 19. Enfin, le 24 mai 1972, le quartier général américain est
visé, occasionnant de graves dégâts matériels et humains. A la suite de ces attentats, tous
réalisés par bombes artisanales, la RAF dit répondre aux bombardements réalisés au
Vietnam et cela durera jusqu’à ce que les droits des prisonniers soient respectés.
2.2.2 Emprisonnement :
Malgré leur excellente préparation technique, les membres de la RAF sont très vite arrêtés.
Le 1er juin 1972, Andreas Baader, Jan-Carl Raspe15 et Holger Meins16 sont arrêtés dans un
garage de Francfort, où du matériel était stocké. Le 6 juin, Gudrun Esslin est dénoncée par
une vendeuse d’un magasin de Hambourg, dans lequel elle est arrêtée. Neuf jours plus tard,
Ulrike Meinhof est elle aussi arrêtée, à Hanovre, dans l’appartement de Fritz Rodewald qui
après avoir accepté de l’héberger, la dénonce.
En prison, les militants sont détenus dans des conditions particulières, ressenties par les
prisonniers comme de la torture. La privation sensorielle est appliquée : isolement total,
interdiction de tout contact, entraves lors des promenades,… Les prisonniers créent des
comités qui travaillent avec des avocats et établissent une nouvelle stratégie basée sur la
lutte contre les conditions spéciales d’emprisonnement. Ils écrivent et font plusieurs grèves
de la faim pour montrer leur opposition. Ce sont ces actions qui remplacent celles de la
guérilla urbaine et maintiennent la cohésion du groupe. A l’extérieur, les membres de
comités contre la torture en prison s’organisent depuis 1975 pour la reconstruction de
l’organisation. Leurs actions internes et externes à la prison se font en parallèle. Les deux
derniers événements importants survenus à l’extérieur sont la prise en otage de Hans
Martin Schleyer17, revendiquée par la RAF et l’action Mogadiscio18 réalisée par des
militants palestiniens demandant la libération des prisonniers de la RAF et de deux
prisonniers palestiniens. Cette dernière se termine par un échec.
Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin sont retrouvés morts, le 18 octobre
1977. La version officielle annonce un suicide collectif, alors que l’officieuse revendique
des assassinats. Holger Meins meurt avant le procès19 et Ulrike Meinhof durant celui-ci.
Les causes de sa mort restent floues.
2.2.3 Rôle de l’Etat :
La population apeurée collabore de plus en plus avec la police, qui déclare la guerre à la
RAF depuis 1970. L’Etat augmente ses effectifs policiers et créé un véritable climat
d’insécurité et de suspicion, en arrêtant et en contrôlant de plus en plus la population. Avec
les premières arrestations, la police met en place un nouveau système d’incarcération.
Le 28 janvier 1972 le chancelier, Willy Brandt déclare que les « ennemis de l’Etat ou de la
Constitution » ne doivent plus être employés dans les services publics. Ces mesures
veulent empêcher le progrès de la gauche extraparlementaire dans « la marche à travers les
15
Jan-Carl Raspe, né le 24 juillet 1944 à Seefeld, officiellement suicidé le 18 octobre 1977 à Stammheim.
Holger Meins, né le 26 octobre 1941 à Hambourg, mort le 9 novembre 1974 à Wittlich des suites d’une
grève de la faim, assassiné selon les membres de la RAF.
17
Hans Martin Schleyer : Président du patronat allemand, assassiné après la mort des membres fondateurs de
la RAF, le 19 octobre 1977.
18
Action Mogadiscio : détournement d’un avion de la Lufthansa qui relie Palma de Majorque à Francfort.
19
Le procès a duré du 21 mai 1975 au 28 avril 1977, soit 708 jours.
16
7
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
institutions ». En mai 1972, une section spéciale pour la lutte antiterroriste est créée et des
récompenses très importantes sont attribuées à toute personne donnant un indice sérieux.
Ces pratiques sont utilisées autant pour obtenir des informations, que pour « isoler la RAF
de tout ce qu’il peut y avoir d’opinions radicales dans cet Etat »20. Ainsi « les actions
contre la RAF doivent être menées de telle sorte que les positions des sympathisants soient
refoulées »21.
20
Horst Ehmke, chef de la chancellerie, lors d’une intervention au Bundestag, en juin 1972, cité par Anne
STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck,
1987, p. 37.
21
Horst Herold, chef de l’Office fédéral de la police criminelle (BKA-Bundeskriminalamtes), lors de la
conférence des ministres de l’Intérieur des différents Länder, janvier 1972, cité par Anne STEINER et Loïc
DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 37.
8
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
3. Guérilla urbaine, terrorisme et RAF :
3.1 Définition des concepts de guérilla urbaine et de terrorisme :
3.1.1 Guérilla urbaine :
La guérilla urbaine, théorie militaire, est une alternative à la guérilla dite classique et à
celle du foco de Che Guevara. Cette dernière prône une révolution populaire soutenue par
les paysans, mais s’étendant jusqu’à la ville pour renverser le pouvoir. Au contraire, les
communistes ne désiraient pas commencer et étendre leur lutte avant la création d’un parti
révolutionnaire de masse.
La guérilla urbaine est inventée par les organisations d’extrême gauche sud-américaines et
Carlos Marighella22 en a fait une doctrine, dans son « Manuel de guérilla urbaine » (1969).
Elle transpose la théorie du foco de Che Guevara de la campagne à la ville et du tiersmonde au monde occidental. Elle s’appuie sur le fait qu’il n’y a pas d’orientation
révolutionnaire sans initiative révolutionnaire et est utilisée comme une arme dans la lutte
des classes. Elle vise à renverser la domination étatique, à l’empêcher de nuire, à détruire
la représentation qu’a le peuple de l’invulnérabilité du système. Cela signifie que les
militants ne veulent pas se laisser démoraliser par la violence du système.
Dans cette théorie, la ville n’est pas qu’un décor, mais devient une ressource, voire une
cible. Paradoxalement, la guérilla crée son espace et le détruit à la fois.
Même si l’idée de départ est de travailler avec les organisations populaires légales, elle
propose une organisation clandestine, donc illégale. De par cette clandestinité, les
guérilleros se voient devoir causer des dégâts importants avec un minimum de moyens.
En théorie, le concept d’invasion qu’il soit territorial ou psychique est primordial, car c’est
sa menace qui déclenche la riposte (guérilla), s’inscrivant ainsi dans une logique de
protection. La guérilla peut donc être définie comme une réponse à l’intrusion qui met en
danger l’identité du guérillero.
Pour finir, il faut distinguer deux étapes dans la guérilla ; la première, dans le feu de
l’action a un aspect rapide et vif, alors que la deuxième, durant la préparation est
clandestine et minutieuse.
C’est le SDS qui diffuse ce nouveau concept, dès 1967, en BRD.
3.1.2 Terrorisme :
Aujourd’hui, il est assez difficile de donner une définition exhaustive du mot
« terrorisme », phénomène multiforme et qui a un écho très péjoratif dans l’oreille du
public, car il est montré comme illégitime et immoral par les gouvernants.
Le terrorisme est un ensemble d’actes de violence qui dépasse la terreur, car il les emploie
systématiquement et les organise. Or la terreur est un état de peur dû à des répressions
répétées, parfois utilisée en politique. Elle emploie la brutalité comme moyen d’installation
d’un climat d’insécurité. Alors qu’au départ, la terreur venait des forts, de l’élite et/ou de
l’Etat et le terrorisme des faibles, le peuple, on parle aujourd’hui de terrorisme d’Etat en
plus de celui exercé par des groupuscules.
Comme le terrorisme a une connotation négative, le terroriste c’est souvent l’autre. Ainsi
l’Etat endosse ce rôle aux yeux des révolutionnaires de tous temps et inversement, il est
considéré comme un crime par la plupart des Etats.
22
Carlos Marighella, né le 5 décembre 1911 à Salvador de Bahia (Brésil). Dès 1930, il est membre du parti
communiste brésilien (PCB). En 1968, il est exclu du PCB et fonde l’Action du Libération Nationale (ALN),
car il est convaincu de l’importance de l’union des différentes forces révolutionnaires et de la nécessité de la
lutte armée. En 1969, il écrit son œuvre majeure « Manuel de guérilla urbaine ». Il est tué par la police le 4
novembre 1969, à Sao Paulo (Brésil).
9
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
Le concept de terrorisme peut être classé sur la base de deux critères : le champ d’action et
les objectifs. Par conséquent, la distinction est la suivante : premièrement, entre un
terrorisme national et international et deuxièmement entre des mouvements dont le but est
l’anéantissement et la transformation des structures de l’Etat et d’autres dont le but est
d’acquérir leur indépendance identitaire. Il est possible d’illustrer cette différentiation par
les exemples suivants : l’Irish Republican Army (IRA) comme étant un mouvement
terroriste national dont le but était d’obtenir l’indépendance de l’Irlande et le mouvement
taliban comme terrorisme international cherchant la modification des structures politiques
et sociales en place.
Le terrorisme a deux grandes faiblesses : d’une part, il n’a pas de stratégie quant à la
gestion de la violence, qui doit être immédiate, percutante et effective, car elle est le cœur
de son action. A l’inverse, la violence des actions de guérilla se veut plus éducative et
représentative d’un mouvement. D’autre part, il est contraint par l’espace et le temps, a une
précision et une efficacité extrême, au contraire de la guérilla qui a pour base une
mobilisation populaire et peut donc se permettre de se donner du temps et d’apprivoiser
son espace. Si le terrorisme était une technique complémentaire et ponctuelle de la guérilla,
qui permettait aux groupes d’accentuer certaines de leurs actions, il tend à devenir
aujourd’hui un nouveau visage de la guerre.
3.1.3 Selon la RAF :
La RAF distingue précisément terrorisme et guérilla urbaine: « Le terrorisme […] opère
par la peur des masses. La guérilla urbaine porte la peur à l’intérieur de l’appareil. Le
terrorisme prend pour objet les masses. La guérilla urbaine opère à partir de failles entre
l’appareil et les masses, et elle se situe toujours du côté des masses. Les actions de la
guérilla urbaine ne sont jamais dirigées contre le peuple. Ce sont toujours des actions
contre l’appareil impérialiste. La guérilla urbaine combat le terrorisme de l’Etat »23.
Les membres de la RAF mettent en évidence la différence entre les actions qu’ils mènent
et celles menées par l’Etat. Selon eux, le système étatique fonctionne selon un modèle
terroriste, qu’ils nomment « terrorisme de l’Etat », puisqu’il prend les masses pour cible. Il
les terrorise par le contrôle des médias et de l’information, l’omniprésence de la police et
la puissance de la propagande. Il les empêche ainsi d’exprimer leurs opinions.
« Ce sont eux [l’Accusation fédérale, le tribunal, l’Office fédéral de la police criminelle et
le gouvernement] qui produisent l’image de l’ennemi […] ce sont eux qui produisent les
faits qui doivent donner la vérification de leur image de l’ennemi »24. Le concept de
terrorisme imposé par l’Etat est considéré par la RAF comme une manipulation, car il est
définit à partir des pratiques du groupe. Il amène, donc forcément à la « vérification de
l’image de l’ennemi» et autorise l’Etat à détruire la conscience critique des masses. De
plus, il évite que les faiblesses de l’Etat ne soient dévoilées. Cette manipulation stratégique
permet à la RAF de justifier ses actions. « La RAF, tout groupe de guérilla urbaine et toute
action armée, est conditionnée [par les appareils répressifs gonflés de l’Etat et la
surdétermination qu’il exprime] et légitimée […] dans la crise du système
impérialiste. C’est elle qui fait naître la guérilla – elle qui la rend possible »25. Les actions
de guérilla urbaine de la RAF sont toujours dirigées contre l’appareil d’Etat, ou un de ses
représentants.
23
Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de
Stammheim, 6 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p.
111-112.
24
Op. cit,, Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p.109.
25
Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 16 juillet 1975, p. 88.
10
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
« La RAF n’a jamais fondamentalement conçu des actions où il y avait un risque que des
civils puissent être touchés »26, au contraire elle a pour but l’éveil des masses face à
l’impérialisme. Elle n’est qu’un collectif de lutte qui cherche un espace de liberté. « La
politique de la guérilla, l’illégalité, est le contraire de l’étatisation de la société. Elle
concentre sur elle toute la répression de l’Etat, mais aussi tous les espoirs de
libéralisation »27.
A chaque individu appartient un espace qui lui est propre, c’est-à-dire qui n’est pas
contrôlé par l’Etat et qui rend les actions de la RAF possible. Cet espace est appelé
« faille ».
3.1.4 Selon l’Etat
« On crée le concept de « terrorisme ». Ce concept est une projection. Projeté sur la
guérilla urbaine, il est faux »28. Les militants de la RAF, dont les actions sont assimilées
par l’Etat à du terrorisme, expriment leur désaccord avec la définition de l’Etat de ce
concept, car pour eux, il n’est que la reproduction de la politique impérialiste contre les
mouvements révolutionnaires. Ce dernier en imposant à travers le langage ce nouveau
concept et l’en étoffant par des provocations de la police, exacerbe la contre-propagande.
La stratégie employée par la RAF est la guérilla urbaine et elle ne correspond en rien à la
politique impérialiste.
La RAF réfute la définition de Schwarz29 qui met en avant plusieurs points précis : « la
“ règle fondamentale du terrorisme est de tuer le plus de gens possible. Les terroristes
veulent apparemment créer dans le monde entier et chez le plus de gens possible, un
sentiment d’épouvante qui les paralyse” »30. Contrairement à cette définition, la conception
initiale de la RAF n’est pas de tuer des civils, ni de les terroriser mais bien de les mettre en
garde face au système impérialiste en place. De plus, l’Etat veut faire croire par de
multiples méthodes que la RAF s’attaque aux masses, c’est pourquoi les militants
rétorquent : « “L’horreur paralysante” c’est effectivement et précisément le sentiment que
l’Accusation fédérale veut créer chez le plus de gens possible »31.
3.2 La singularité de la RAF :
La composition de la RAF a donné, dès le début, au groupe, une forme particulière. En
effet, elle est majoritairement formée de personnes d’origine bourgeoise, dont cinquante
pourcents de femmes. Les militants réussissent à dépasser la répartition traditionnelle des
rôles dans la lutte armée et créent, en plus de leurs revendications politiques, un mode de
vie alternatif qui permet aux femmes d’être mère et militante. A ce propos, Astrid Proll, ex
militante de la RAF, déclare : « Les femmes avaient dans la RAF le même rôle que les
hommes, ça allait de soi et on n’en a jamais discuté. Pour faire usage de la violence, il
26
Brigitte Mohnhaupt (prisonnière de la RAF), déposition sur la structure du groupe au procès de
Stammheim, juillet – août 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed.,
1977, p. 149
27
Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 16 juillet 1975, p. 96.
28
Op, cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au
procès de Stammheim, 6 août 1975, p. 109.
29
H. Schwarz : Ministre de l’Intérieur du Land de Rhénanie-Palatinat
30
Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de
Stammheim, 6 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p.
110.
31
Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p.110
11
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
fallait dépasser sa peur et cela était aussi dur pour les hommes que pour les femmes »32.
Cette violence révolutionnaire poussée à l’extrême est rejetée par la masse à cause de la
peur que les médias ont suscitée autour d’elle. C’est pour cette raison, que son caractère
politique est dénigré et il est souvent désigné, dans les médias, comme « Bande à Baader »
ou « Groupe Baader-Meinhof », bande et groupe signifiant rebelles sans connotation
politique. Pourtant la RAF, en plus de ses revendications sociales, met majoritairement en
avant ses luttes politiques.
32
Anne STEINER, Interview de Astrid Proll, thèse de doctorat, guérilla urbaine en Europe occidentale : la
RAF, université Paris X, juin 85. Cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en
Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 82.
12
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
4. Idéologie :
4.1 Primauté de la pratique :
Les militants de la RAF ne désiraient pas établir de programme, car il n’y avait, selon eux,
pas de doctrine qui pouvait régir leur lutte, dont le but est de « secouer et réveiller un tas de
gens »33. « Nous doutons que l’alliance entre les intellectuels socialistes et le prolétariat
puisse être soudée par des déclarations de programmes ou être obtenue par la prétention de
créer des organisations prolétariennes. […] Nous affirmons que l’alliance entre eux ne peut
se réaliser que dans une lutte commune dans laquelle la fraction la plus consciente des
ouvriers et des intellectuels ne dirige pas la “mise en scène” mais montre l’exemple »34. Ils
comparent la production théorique des organisations politiques en place à des « joutes
d’intellectuels »35 auxquels les classes populaires ne peuvent pas participer, car elles n’ont
« aucun langage commun »36. Ils donnent donc le premier rôle à la pratique. « Il est juste
d’organiser la résistance armée, si cela est possible ; et c’est par la pratique que se décide si
cela est possible »37 .
Les membres de la RAF ont tout de même écrit des textes individuels ou collectifs de 1970
à 1977, afin de se donner un poids politique et d’essayer de changer les mentalités des
masses : « Les écrit de la “RAF ” étaient des brochures dont le but était de convaincre des
individus qu’il est juste et pourquoi il est juste de soutenir la guérilla urbaine. Nous les
avons définis comme des armes, parce que tout ce qui est utile à la lutte armée dans
l’illégalité est une arme »38.
Leurs premiers textes portent sur les pratiques utilisées par le groupe et les justifient auprès
de l’extrême gauche légale, dont elle attend du soutien. Plus tard, les prisonniers sont
absorbés par la conception de textes pour le procès. A l’extérieur, se crée, pour rallier les
masses et être reconnu d’utilité publique dans la mouvance des guerres en cours, des
comités contre la torture et le comité de défense internationale des prisonniers. La
deuxième vague de militants39 ne s’exprime pas, n’ayant plus le souci de légitimer son
écartement de la gauche légale. Ils se sont ainsi encore plus isolés.
4.2 Sujet révolutionnaire :
LA RAF esseulée justifie, malgré son rejet d’une doctrine, sa raison d’être et de lutte en
mentionnant qu’elle est son sujet révolutionnaire. Celui-ci répond au besoin viscéral de
changement qui permet l’amélioration de la condition de vie des masses. Il est l’objet et
l’acteur de la révolte et varie selon les auteurs et les périodes.
4.2.1 Selon la RAF :
La RAF s’exprime à propos du sujet révolutionnaire, dans un texte de 1972 : « Le système
a accaparé la totalité du temps libre de l’être humain. A l’exploitation physique en usine,
vient s’ajouter l’exploitation de la pensée et des sentiments, des aspirations et des utopies,
33
Lettre reproduite dans « La lanterne Noire », 2ème année n°8, avril 1977, p.45, cité par Anne STEINER et
Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 203.
34
Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à Baader »ou la violence révolutionnaire 1.
De la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe
occidentale, Paris : Edition Champ Libre, 1972, p. 110.
35
Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 110.
36
Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 110.
37
Op. cit., Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge, p. 112.
38
Sans mention d’auteur, extrait de la déclaration sur les faits des prisonniers de la RAF au procès de
Stammheim, janvier 1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977,
p.186.
39
Deuxième vague de militants : considérée comme telle dès 1975
13
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
par les mass média et la consommation massive […]. Le système a réussi, dans les
métropoles, à plonger les masses si profondément dans sa propre merde, qu’elles ont
apparemment perdu leur vision d’elles-mêmes en tant qu’exploités et opprimés. De sorte
que, pour elles, l’auto, une assurance-vie, un contrat épargne-logement, leur font accepter
tous les crimes du système et que, mis à part l’auto, les vacances, la salle de bains, elles ne
peuvent rien se représenter ni espérer »40. Comme en témoigne cet extrait, la RAF
considère que l’aliénation est « parfaite », car la domination et l’exploitation sont présentes
dans tous les domaines, autant privés que publics. Le système impose à chaque individu
de transformer ses pensées, ses envies et ses rêves pour faire partie de la masse. Ce dernier
se laisse aliéner à cause ou par son envie de « mieux vivre » son quotidien, car il ne semble
pas pouvoir se représenter l’existence des classes.
La RAF part du principe que la privation de liberté est l’unique moyen trouvé d’aliéner les
masses. La masse privée d’indépendance et de liberté est le fondement de leur sujet
révolutionnaire. Il ne lui reste que la rébellion. Les militants estiment que les masses ont la
possibilité intellectuelle de commencer ce processus de libération. Ce constat est plus
facile à poser pour les militants de la RAF, car ils se sont déjà libérés du système, en
devenant clandestin.
« Nous concluons, à partir de cela, que le sujet révolutionnaire est tout un chacun qui se
libère de ses contraintes et refuse sa participation aux crimes du système. Que chacun de
ceux qui trouvent leur identité politique dans les luttes de libération des peuples du TiersMonde, chacun de ceux qui refusent, qui ne marchent plus, chacun de ceux-là est un sujet
révolutionnaire »41. Selon la RAF, son sujet révolutionnaire d’interventions et de pratiques
individuelles peut être issu de toutes les classes sociales. Cette caractéristique implique que
la RAF est elle-même, au même titre que ceux qui luttent avec elle contre la domination et
l’exploitation, le sujet révolutionnaire, par son action, ici et maintenant. Elle estime que
chacun doit organiser son combat là où il est et immédiatement. Elle n’est donc pas un
groupe représentatif en soi, mais plutôt un guide. «Il s’agit de nous ! Nous sommes Sujet
révolutionnaire ; celui qui commence à lutter et à résister est l’un d’entre nous »42.
Le but final des militants est qu’on ne pense plus, idée majoritairement répandue dans la
tradition révolutionnaire, que la masse est à éduquer mais que l’on admette qu’elle est
capable de trouver en elle-même les forces de réaction. C’est pour cette raison que
l’exigence : « il faut lutter ensemble», est leur leitmotiv. Dans la guérilla, la transmission
des expériences est possible grâce à la collectivité qui a une place importante dans la
rébellion de la RAF.
4.2.2 L’impérialisme :
« L’Etat national43 » n’est pas reconnu par la RAF, car l’internationalisation du capital, la
dépendance économique, l’uniformisation culturelle et la présence de milliers d’immigrés
le rendent nul. « On assisterait plutôt […] à la formation d’un internationalisme prolétarien
en Europe »44. La RAF pense donc sa lutte dans un contexte international et un système
40
RAF, Texte der RAF : Uberarbeitete und aktualisierte Ausgabe 1983 (textes de la RAF- Édition revue et
actualisée, XXIX, « Den Antiimperialistischen Kampf führen ! Die rote Armee auf bauen !» Revolutionäres
Subjekt, sans mention d’éditeur : 1983, p. 431, cité par Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla
urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 192.
41
Op.cit., RAF, p. 431.
42
Op. cit., RAF, p. 433. Dans cette citation, le « nous » implique tous les mouvements de luttes sans
exclusion.
43
Etat national : c’est l’union d’un état, c’est-à-dire une organisation politique, et d’une nation, individus
appartenant à un même groupe, soit la coexistence de deux notions : juridique et identitaire.
44
Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes
des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 35.
14
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
impérialiste. Elle considère la BRD comme un simple « instrument au profit de la politique
extérieure américaine»45 qui voudrait faire de l’Europe de l’Ouest un bloc de puissances à
son service.
La RAF constate tout d’abord la prise en charge économique de la BRD par le capital U.S.,
en 1948, à travers le plan Marshall46 qui conditionne le fonctionnement d’un Etat vaincu.
« L’Etat, dans ses fonctions, a changé. »47. Celui-ci devenu « une fonction du marché
mondial dominé par les monopoles américains »48 ne peut assumer correctement la
reconstruction de l’Allemagne puisqu’imposée par les U. S., elle est selon la RAF plus un
point d’ancrage européen pour l’économie U. S. que la création d’un nouvel Etat, « c’est-àdire que dans les domaines du capital qui sont nécessaires à la reproduction de la société,
mais qui ne sont plus directement rentables pour le capital »49, l’Etat allemand sous le joug
U.S. n’assume pas ses devoirs envers ses citoyens, mais seulement ses fonctions
économiques.
Du fait de leur puissance, les Américains peuvent imposer à la vieille Europe leur
idéologie politique. Ils organisent l’Etat allemand « de telle sorte que le bloc au pouvoir ne
puisse toujours être que celui du capital U. S. »50. La BRD, à cause du plan Marshall, doit
se soumettre à cette politique qui interdit, par exemple, aux politiciens communistes
allemands d’entrer au gouvernement.
De plus, la BRD n’est, selon la RAF, pas seulement un territoire politiquement et
économiquement occupé, mais aussi militairement, tout comme la Corée du Sud et le sud
du Vietnam. La BRD, leadership européen, aurait été créé en 1945 pour servir de base aux
U. S. afin qu’ils puissent encercler l’Union Soviétique et dominer toute l’Europe de
l’Ouest. « Ces Etats [la BRD, la Corée du Sud et le Sud-Vietnam] étaient conçus comme
des bases opérationnelles de l’armée américaine dans la stratégie de l’encerclement et du
“roll-back” (la prise à revers) final de l’Union Soviétique, comme les bases opérationnelles
du capital U. S. pour soumettre les régions de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, là-bas, de
l’Europe de l’Ouest, ici, aux intérêts du capital U. S. »51. La libération des peuples de ces
pays est un des fondements du groupe. « Le mouvement contre la guerre du Vietnam était
donc […] la condition subjective à partir de laquelle devait se développer et s’est
développé la RAF »52 .
Les militants aimeraient ébranler l’Etat allemand, ses dirigeants et ses institutions (police,
justice, presse) soumis à la puissance U. S. « La guérilla urbaine a pour but de toucher
l’appareil d’Etat en des points précis, de le mettre hors d’usage, de détruire le mythe de
45
Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des
preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril
1976, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 75.
46
Plan Marshall : programme de reconstruction européenne proposé en 1947 par les USA et accepté en 1948,
85% d’aide gratuite et 15% de prêt à long terme ajouté à une orientation politique imposée par les USA.
47
Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au procès de
Stammheim, 21 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p.
142.
48
Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p. 142.
49
Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, p. 142.
50
Op. cit., Ulrike MEINHOF et Andreas BAADER, projet d’intervention pour un autre procès, fin avril
1976, p. 63.
51
Op. cit., Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production
des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril
1976, p. 75.
52
Op. cit., Deux prisonniers de la RAF, extraits de dépositions (d’après le procès-verbal) sur la structure du
groupe, au procès de Stammheim, juillet août 1976, p. 172
15
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
l’omniprésence et de l’invulnérabilité du système »53, car il n’est pas concevable qu’un
pays comme l’Allemagne au potentiel énorme soit sous l’entière autorité d’un autre pays.
« La conception stratégique que la RAF a développée en 1972, était dirigée contre la
présence militaire et politique des USA en Allemagne fédérale »54. C’est pour cette raison
que la RAF s’engage dans la lutte armée. « Qu’un Etat qui possède le potentiel
économique de la RFA55 ne dispose pas encore, depuis maintenant plus de trente ans, du
pouvoir de déterminer sa propre politique est l’une des raisons pour lesquelles une
orientation politique radicale est particulièrement difficile à prendre à l’intérieur de cet
Etat et, nous l’avons appris, ne peut en fin de compte être conquise que par la lutte armée
contre l’impérialisme »56. Cette lutte armée visant l’ « anéantissement de l’impérialisme »57
a plus précisément pour but « d’anéantir, de détruire, de briser le système de domination
impérialiste sur le plan politique, économique et militaire ; de briser les institutions
culturelles par lesquelles l’impérialisme donne une homogénéité aux élites dominantes, et
les systèmes de communication qui assurent son emprise idéologique »58. Ce processus est
radical, car les militants ne voient pas d’autre alternative que la destruction complète du
système corrompu par cette politique impérialiste qui laisse la morale légitimer le
capitalisme et mettre, ainsi, les individus à sa disposition. « L’opinion publique, sous la
domination du capital monopoliste, du capital transnational U. S., c’est le contrôle de la
société par l’Etat comme fonction du capital »59. De ce fait, la politique américaine
corrompt et fait disparaître les idéaux, les valeurs et les libertés acquises de la vielle
Europe. « L’Etat impérialiste, tout comme il a aboli, dans l’ordre bourgeois, la base
économique : la libre concurrence – abolit sa morale en assimilant à des criminels ceux qui
continuent à la revendiquer comme leur droit de penser, de juger et d’agir par euxmêmes »60.
4.2.3 Le nouveau fascisme :
Le fascisme est une doctrine mise en place par Benito Mussolini61. Issu du socialisme et du
syndicalisme, conscient des difficultés économiques italiennes, Mussolini en luttant contre
les révoltes ouvrières qu’il désapprouve, gagne la confiance des dirigeants et arrive à
s’imposer. Le fascisme part du principe que le chef de l’Etat et une élite – parti unique –
ont tous les pouvoirs, et que devant ceux-ci, l’individualisme doit s’effacer. Ainsi,
l’endoctrinement se fait dès l’enfance et la critique est interdite envers l’Etat.
53
Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à baader »ou la violence révolutionnaire 1. De
la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe
occidentale, Paris : Edition Champ Libre, 1972, p. 115.
54
Deux prisonniers de la RAF, extraits de dépositions (d’après le procès-verbal) sur la structure du groupe,
au procès de Stammheim, 21 août 1975, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero
Ed., 1977 p. 146
55
RFA : traduction française de BRD, République fédérale d’Allemagne.
56
Op. cit., Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production
des preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, fin avril
1976, p. 76.
57
Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration pour la libération d’Andreas Baader au procès de Berlin- Moabit,
13 septembre 1975, p.33.
58
Op. cit., Ulrike MEINHOF, p.33.
59
Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au
procès de Stammheim, 6 août 1975, p. 115.
60
Op. cit., Ulrike MEINHOF, Andreas BAADER, Gudrun ENSSLIN, Jan-Carl RASPE, déclaration au
procès de Stammheim, 21 août 1975, p. 136
61
Benito Mussolini, né à Predappio en Romagne en 1883, mort à Côme en 1945.
16
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
A l’instar de l’ancien fascisme, le nouveau demande au citoyen une identification à l’Etat,
une prise en compte des concepts principaux et une adhésion entière à la politique étatique.
Au contraire du premier, le nouveau fascisme, dont le pouvoir est assuré n’a plus besoin de
la mobilisation des masses mais de leur obéissance : il s’impose de haut en bas.
Le SPD voulant imposer sa politique néofasciste auprès des masses « a permis de
transformer la RFA en tant qu’Etat en instrument au profit de la politique extérieure
américaine »62, « de dépolitiser les luttes de classes en RFA »63 et d’imposer
« l’anticommunisme comme critère de base d’une politique d’opposition légalement
organisée »64. Pour plaire au capital U.S., « Le SPD [… ] avait repris son vieux rôle de
1918, celui de barrage contre l’influence des communistes et contre toute tentative
d’autonomie ouvrière, avec la différence qu’il était maintenant financé par le capital
U.S. »65. Jusqu’à la révolte des étudiants, à la fin des années soixante « la socialdémocratie avait usurpé et étranglé tous les mouvements d’opposition »66. L’absence de
tout parti d’opposition est la preuve que le fascisme est bien présent en BRD.
La contre stratégie élaborée par la RAF consiste à démasquer le fascisme et le pied à terre
que la social-démocratie offre aux U.S.. En démontrant cette politique pratiquée, la RAF
souhaite que la BRD reprenne son indépendance de décision et accepte les contremouvements. Pour obtenir du soutien, les militants se tournent vers l’étranger « afin de
mobiliser nécessairement contre la RFA tout ce qu’il peut y avoir de ressentiment politique
à l’étranger contre elle, un vieil antifascisme et tout ce qu’il peut y voir de ressentiment
contre l’impérialisme allemand, contre sa volonté d’hégémonie, dans tous les groupes du
spectres qui va de l’extrême gauche aux sociaux-démocrates, ainsi que dans les
gouvernements de chaque nation »67.
4.2.4 L’aliénation et la domination :
On considère l’aliénation comme la perturbation de l’individu par les conditions
extérieures qui le font devenir étranger à lui-même. Il n’est plus maître de son existence.
Le point de départ de la lutte des militants de la RAF, c’est l’aliénation et la détresse des
masses, qui « dans toutes ses couches et de tous les côtés, est dans les griffes et sous le
contrôle du système »68. Cette constatation légitime leur lutte. « C’est seulement
maintenant que l’on découvre quel espèce d’homme on est. On découvre l’individu-desmétropoles : il est issu du processus de décomposition du système, des relations aliénées,
fausses, mortelles, qu’il crée dans la vie – à l’usine, au bureau, à l’école, à l’université,
dans les groupes révisionnistes, lors de l’apprentissages ou des jobs occasionnels »69.
De la détérioration de la société découle, selon les militants, l’aliénation. Celle-ci est
nommée « engeance » - groupe de personnes indignes et répugnantes – et est due aux vices
du système : « procédures d’anéantissement et de destruction de la société des métropoles,
de la guerre de tous contre tous, de la concurrence de chacun contre chacun, du système où
règne la loi de la peur, de l’obligation du rendement, du profit des uns au détriment des
62
Sans mention d’auteur, fragment d’une intervention au procès de Stammheim lors de la production des
preuves par la défense, sur le thème : l’histoire de la RFA et la gauche allemande traditionnelle, 4 mai 1976,
Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 79.
63
Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79.
64
Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79.
65
Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 78.
66
Op. cit., Sans mention d’auteur, p. 79.
67
Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens
Klincksieck, 1987, p. 202.
68
Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes
des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 38.
69
Op. cit., Ulrike MEINHOF, p. 37.
17
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
autres, de la division du peuple en homme et femmes, en jeunes et vieux, en malades et
bien portants, en étrangers et allemands, et des luttes de prestiges »70.
D’après une étude faite par des collaborateurs de la RAF, les conséquences physiques et
somatiques de cette aliénation montrent plus la détresse que la révolte chez les masses.
Ces dernières, prises dans cet engrenage incontrôlable, n’ont pour seule issue que de
présenter des symptômes tels que, « la migraine, les maux de dents, le mal de dos, l’ulcère
d’estomac, l’asthme, les accidents du travail, le suicide »71.
Pour la RAF, lutter contre l’aliénation, c’est « cesser de se voir avec les yeux du système,
ne plus se laisser déterminer par ses contraintes, se libérer de l’angoisse »72. Dans la lutte,
en plus de se libérer lui-même, l’individu donne la possibilité et le courage à d’autres de se
rebeller. Les militants sont conscients qu’il existe d’autres voies pour lutter et que celle
qu’ils ont choisie est « un processus de longue haleine »73.
Le développement de la personnalité n’est pas possible dans les institutions d’Etat, c’est
pourquoi les militants n’ont « rien à perdre dans la destruction du système, mais tout à
gagner dans la lutte armée : la libération collective, la vie, la dignité humaine, notre
identité »74. Pour cette conquête, le seul « territoire libéré » est l’illégalité. Non pas parce
qu’elle crée des conditions matérielles meilleures – au contraire, les conditions de vie dans
la clandestinité sont difficiles – mais parce qu’elle donne la possibilité de reconquérir son
identité et sa personnalité, essentiels à la liberté.
4.3 Les influences :
Pour faire reconnaître leur ligne politique, les militants donnent une place importante au
marxisme. A l’image de son créateur, Karl Marx75 qui accorde au prolétariat un rôle
émancipateur, ils s’attachent à la force de rébellion de l’individu aliéné. Sur la base du
matérialisme dialectique76, l’histoire de la lutte des classes, dont le fondement est
l’exploitation des classes ouvrières, a une place importance dans l’Histoire.
D’après le marxisme, la société est divisée en système de classe socio-économique, c’està-dire selon leur fonction dans la société. La classe dominante régit l’Etat et l’économie en
forçant la classe des travailleurs à la production. A ce propos, la RAF estime que les forces
de la classe ouvrière sont détournées de leur but premier, au profit de l’Etat bourgeois
« dont la fonction est de maintenir le rapport de production capitaliste contre la tendance
globale des forces productives vers le socialisme »77.
Malgré un attachement essentiel au marxisme, les militants revendiquent une sympathie et
un respect pour les thèses anarchistes78, en particuliers pour celles des Tupamaros, groupe
70
Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes
des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 37.
71
SPK, faire la maladie une arme, pas de mention du lieu d’édition : Champs Libre, 1973, 158p. cité par
Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens
Klincksieck, 1987, p. 184.
72
Anne STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens
Klincksieck, 1987, p. 185.
73
Ulrike MEINHOF, pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13 septembre 1974, Textes
des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 38.
74
Op. cit., Ulrike MEINHOF, p. 38.
75
Karl Marx (1818 – 1883) : philosophe, économiste et homme politique allemand. Il est connu pour sa
théorie du matérialisme historique.
76
Matérialisme dialectique : Il met en comparaison le passé et l’avenir, dans une perspective sociale et
économique.
77
Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 26 août 1975, Textes des prisonniers de la
Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 93.
78
Anarchisme : doctrine politique du XIXe siècle qui projette la suppression de l’Etat et une liberté totale de
l’individu.
18
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
de guérilla urbaine d’Amérique latine, car elles prônent l’action directe. « Le mot d’ordre
des anarchistes “A bas ce qui vous abat !” vise à la mobilisation directe de la base, de la
jeunesse dans les prisons, dans les foyers, dans les écoles, pendant les études. Il s’adresse à
ceux qui sont le plus dans la merde. Il peut être spontanément compris. Il appelle à la
résistance directe »79.
La pratique des actions mène les militants à réfléchir à leur signification. « Beaucoup de
gens disent que piller une banque n’est pas révolutionnaire ; mais depuis quand la question
du financement d’une organisation n’est pas politique ? »80 Dans les traditions anarchistes,
les attaques de banques sont appelées « reprise individuelle » ou « reprise collective », le
but étant de redistribuer l’argent. Continuant leur « propagande par le fait », les militants
exécutent des dirigeants et commettent des attentats à la bombe qui non seulement
détruisent l’adversaire mais aussi encouragent les exploités, en leur prouvant que les
systèmes en place ne sont pas imbattables. « J’estime que les actes de brutale révolte
portent juste, car ils réveillent la masse, la secouent d’un violent coup de fouet et lui
montrent le côté vulnérable de la bourgeoisie toute tremblante encore au moment où le
révolté monte à l’échafaud »81. Ce sont les preuves que la conception de la liberté des
membres de la RAF s’apparente vraiment à la tradition anarchiste de la fin du XIXe et du
début du XXe siècle. Ils veulent « le règne de la liberté » aujourd’hui. Ce désir
d’immédiateté les conduit vers l’illégalité « territoire de liberté », ils ne veulent ni étapes,
ni médiations multiples, ni « génération sacrifiée », ni « résignation historique ». La liberté
pour eux c’est la lutte.
Ce qui dérange la RAF, c’est que l’Etat utilise le concept d’anarchisme comme prétexte à
sa lutte contre le communisme. Il profite du désaccord chez certains révolutionnaires entre
anarchisme et marxisme, à son avantage, pour que les militants soient rejetés par le peuple.
Il est également important de noter que les militants de la RAF ne veulent aucunement
prendre le pouvoir qui pour eux n’est qu’un instrument de domination et d’exploitation.
79
Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à baader »ou la violence révolutionnaire 1. De
la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe
occidentale, Paris : édition champ libre, 1972, p. 118.
80
RAF, Texte der RAF : Uberarbeitete und aktualisierte Ausgabe 1983 (textes de la RAF- Édition revue et
actualisée, XXIX, « Dem Volk dienen!», sans mention d’éditeur : 1983, p. 407, cité par Anne STEINER et
Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, p. 219.
81
Emile HENRY, déclaration à son procès. Cité par Henri DUBIEFF, Les Anarchistes (1870-1940), dossier
« Sciences humaines » n°36, pas de mention du lieu d’édition : Armand Colin, 1972, cité par Anne
STEINER et Loïc DEBRAY, RAF guérilla urbaine en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck,
1987, p. 219.
19
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
5. La violence une réponse à la brutalité :
« Mach kaputt, was dich kaputt macht ! » [Fous en l’air ce qui te fout en l’air !]82
Selon moi, les événements qui sont à l’origine de la vie – la germination, l’éclosion, la
naissance – contiennent, comme tous changements d’état, une part de violence. Elle est
une composante fondamentale de chaque être, puisqu’elle permet une création, entre autre
celle de l’humain. Libératrice, elle donne la vie, fait naître en l’homme la perception d’un
espace vierge permettant la conquête de liberté et de valeurs nouvelles, la possibilité
d’expériences innovantes et la vision de projets inédits. L’homme gagne ainsi en
assurance, en lui d’abord, en son milieu ensuite. L’utopie lui est alors permise. Elle lui
permet de se mettre à la recherche d’une société qu’il voudrait idéale et correspondant à
ses attentes. Il se retrouve, hélas, souvent face à son rêve brisé et la frustration de son
utopie devient alors moteur d’une violence primitive, seul moyen trouvé pour exprimer sa
déception, son désaccord. Les quelques libertés qu’il croit avoir acquises le poussent à en
vouloir d’autres au prix d’une violence toujours plus extrême.
En opposition à la violence, la brutalité, fondée sur une contrainte, ne rend pas l’utopie
possible. La force qui y mène est extérieure et dirigée. Elle est un geste répressif qui met
fin à la liberté avec comme seule raison la négation et la destruction de l’acte libre. Elle
permet à l’exécutant, déjà détenteur d’un certain pouvoir, de maintenir son statut.
La RAF, génération née de la deuxième guerre mondiale et souffrant de la domination du
système U. S. auquel son pays est soumis, construit une utopie de reconquête identitaire,
en mettant en place certains actes de violence. « Nous sommes un groupe de camarades qui
avons décidé d’agir, de quitter le stade de la léthargie, du radicalisme seulement de mots,
des discussions de plus en plus vaines sur la stratégie, de nous battre »83 contre le piège de
la société de consommation, car c’est seulement contre lui, que « l’identité peut se
développer – c’est toujours un processus que l’on réalise en combattant »84. Leurs actions
souhaitant frapper le cœur de l’Etat capitaliste pro-américain et ennemi du prolétariat sont
radicales. Les militants refusant de se laisser diriger ici et maintenant dans un système de
partis, décident de créer un nouveau mode de vie, puisqu’ils n’estiment n’avoir « rien à
perdre dans la destruction du système, mais tout à gagner dans la lutte armée : la libération
collective, la vie, la dignité humaine, notre identité »85.
La réaction des dirigeants est, elle, brutale, inattendue et étendue à tous les domaines
étatiques (presse, police, armée, institutions publiques, …). La chasse de l’Etat contre les
militants est assimilée par ceux-ci à de la brutalité car elle est répressive, aggressive et n’a
pour but unique que la destruction de l’individu et de l’identité du groupe. De plus, l’Etat
propage une image négative de la RAF pour que les masses ne puissent adhérer qu’à ses
propres actions. « Les flics cherchent à nous présenter comme ce qu’ils sont eux-mêmes ;
ils cherchent à présenter la structure de la RAF comme analogue à la leur, une structure
de domination – à l’image de l’organisation et du fonctionnement de leurs propres
appareils de domination […] et ils nous attribuent les moyens mêmes que les masques de
l’impérialisme et leurs marionnettes utilisent pour s’imposer : le chantage, la corruption, la
82
Slogan des années soixante, cité dans Textes réunis par Gius GARGIULO et Otmar SEUL, Terrorismes :
l’Italie et l’Allemagne à l’épreuve des années de plombs (1970-1980) réalités et représentations du
terrorisme, Paris : M. Houdiard, 2008, p. 40.
83
Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13
septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 37.
84
Op. cit., Andreas BAADER, déclaration au procès de Stammheim, 18 juin 1975, p.85.
85
Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit,
13 septembre 1974, p. 38.
20
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
concurrence, le favoritisme, la brutalité, l’habitude de se frayer un chemin sur les
cadavres »86. La violence semble être, selon les militants, la seule solution face à cette
brutalité. L’ennemi démasqué « montre son vrai visage ; - amenant ainsi, par sa propre
terreur, les masses à s’insurger contre lui, renforçant les contradictions et rendant la lutte
révolutionnaire inéluctable »87. Les militants prêtent une attention toute particulière à ne
pas se métamorphoser en l’ennemi qu’ils combattent et utilisent « la violence structurée »,
un mélange de violence spontanée de la vie et de violence révolutionnaire, pour ne pas
devenir à leur tour brutaux. Ce principe de « violence structurée » implique une gestion
stricte de l’organisation de la violence spontanée dans le groupe.
Il faut savoir que plus la brutalité est agressive, plus la réponse violente sera radicale et
perçue comme héroïques par les masses qui voient dans cet acte un brin d’espoir. De ce
fait, les limites de ces deux actions font leur grande différence. « Le guérillero se
matérialise dans le combat – dans l’action révolutionnaire, c’est-à-dire : sans fin ;
justement : le combat jusqu’à la mort, et bien sûr : collectif »88.- Au contraire, la brutalité
s’anéantit à la longue par ses propres excès. A ce propos les militants citent Marx : « un
peuple qui en opprime d’autre ne saurait s’émanciper lui-même »89. Dans cette citation, ils
associent « un peuple » à l’Etat allemand, qui en assujettissant les masses, ne que peut
s’atrophier.
Les conclusions de ce rapport brutalité-violence rendent à la fois une image négative de
l’Allemagne, pour sa répression extrême et surtout de la RAF, pour la terrifiante réputation
qui lui a été faite.
86
Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit, 13
septembre 1974, Textes des prisonniers de la Fraction armée rouge, Paris : Maspero Ed., 1977, p. 41.
87
Op. cit., p. 43 - 44.
88
Op. cit. Holger MEINS, dernière lettre cinq jours avant son assassinat. A un camarde de prison qui venait
d’interompre sa grêve de la fin, 31 octobre 1974, p. 46 – 47.
89
Op. cit., Ulrike MEINHOF, déclaration d’Ulrike pour la libération d’Andreas au procès de Berlin-Moabit,
13 septembre 1974, p. 34.
21
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
6. Conclusion :
L’idée de découvrir et de développer un nouveau sujet, selon mes intérêts m’a plu. Afin
d’élaborer un travail qui réponde à mes questionnements, j’ai décidé d’axer ma réflexion
sur des problématiques qui étaient miennes.
J’ai choisi de travailler majoritairement avec des textes, dont la traduction française est
disponible écrits en prison et utilisés lors du procès, car leur radicalité m’intéressait.
Cependant les notions compliquées que les membres du groupe manient, la forme et le
langage utilisés rendent ces textes difficilement accessibles. Il a donc été malaisé de
comprendre et retranscrire cette pensée qui n’est pas la mienne, tout en essayant de
construire ma propre réflexion.
Approfondir mes connaissances de la période de Baader et Meinhof, qui tout compte fait
est proche de nous, m’a permis de gagner du recul et de pouvoir tirer des parallèles entre la
politique antiterroriste actuelle et celle de cette époque. J’ai compris qu’il fallait que
j’adopte une position beaucoup plus critique face à la politique et les informations qu’elle
transmet au travers de différents supports médiatiques. Je pense avoir pu atteindre un des
mes premiers objectifs : ne plus être spectatrice face au terrorisme, mais comprendre, en
tout cas partiellement, le sens des actions des militants. Sans pour autant adhérer à toutes
leurs idées, j’ai cru comprendre que la violence qui semble être, au premier abord, le
fondement de leur lutte n’est pas un but en soi, mais une manière, pour les membres de la
RAF d’exprimer leur opposition. Ils avaient une idéologie de vie et de lutte pour une
société meilleure, mais aussi la certitude que leur combat était juste, c’est pour cette raison
que leur implication était totale et qu’elle les a conduits à y laisser leur vie. En effet, toute
cause juste mérite un investissement vital, parfois la mort. Le résultat de la lutte qu’ils ont
mené m’a montré qu’il ne suffisait pas seulement d’un concept, d’une idée, d’un rêve pour
changer le monde. C’est pour cette raison que cette grande entreprise pose un certain
nombre de questions, telles que l’organisation du groupe, la méthode de lutte, l’adhésion
des masses, qui ont mis la RAF en difficulté, sans pour autant qu’elle perde sa volonté et
son envie de changer le monde. Cette envie est aujourd’hui beaucoup plus difficile à
appréhender, parce que la masse s’est faite à l’idée que la réalité c’est la norme. Il ne lui
reste qu’à essayer de survivre en se satisfaisant des limites qui lui sont imposées et qu’elle
accepte. Le terrorisme actuel s’inscrit, lui aussi, dans cette nouvelle vision de la réalité,
puisqu’il massacre des populations civiles démunies dans le but d’acquérir le pouvoir et
faire passer son message « publicitaire » nationaliste, religieux ou communautaire. Au
contraire, les militants de la RAF, eux, désiraient conduire la masse vers de nouveaux
idéaux et ainsi vivre plus librement.
Quel héritage la RAF a-t-elle laissé ? Cette question a, d’après moi, toute sa légitimité, à la
fin de ce travail. Historiquement, il ne reste malheureusement rien du groupe, mis à part un
sentiment nouveau pour l’Europe, à cette époque : la peur. Les membres du groupe
n’avaient aucunement l’intention de provoquer ce sentiment parmi la masse. Il a été créé
par les gouvernants qui ont su utiliser les médias et ainsi donner à la masse une image
terrifiante de la RAF. Cette peur de l’action terroriste qui a persisté jusqu’à aujourd’hui, est
sûrement l’une des causes principales de la réaction radicale occidentale face au terrorisme
islamique. Les gouvernants, conscients du pouvoir de manipulation qu’ils exercent grâce
aux médias, sont toujours plus alarmants face à la menace terroriste. Cela leur permet,
toujours aujourd’hui, de mener le combat antiterroriste de la même manière qu’à l’époque
de Baader et Meinhof : appliquer à des événements particuliers une procédure et des
traitements exceptionnels.
La violence est-elle la source de ce rejet populaire du terrorisme ? Y a-t-il une alternative à
la violence terroriste ?
22
La RAF ou comment changer le monde par la violence révolutionnaire
Marie Fonjallaz
7. Bibliographie :
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
‐
Thomas ELSAESSER [traduit de l’anglais par Noël Burch], Terrorisme, mythes
et représentations la RAF de Fassbinder aux T-shirts Prada-Meinhof, La
Madeleine : Tausend Augen, 2005, 96 p.
Rémi BAUDOUÏ, Géopolitique du terrrorsime, Paris : Armand Colin, 2009,
119 p.
Alain BAUER et Jean-Louis BRUGUIÈRE, Les 100 mots du terrorisme, Paris :
Que sais-je ?, 2010, 127 p.
Stefan AUST, Der Baader-Meinhof-Komplex, München : Goldmann, 2010, 895
p.
Textes des prisonniers de la Fraction Armée Rouge et dernières lettres d’Ulrike
Meinhof, Paris : Maspero, 1977, 244 p.
Anne STEINER et Loïc DEBRAY, La fraction armée rouge guérilla urbaine
en Europe occidentale, Paris : Méridiens Klincksieck, 1987, 254 p.
Emile MARENSSIN et la fraction armée rouge. La « bande à baader »ou la
violence révolutionnaire 1. De la préhistoire à l’histoire 2. Sur la conception de
la guérilla urbaine et sur la lutte armée en Europe occidentale, Paris : Edition
Champ Libre, 1972, 218 p.
Textes réunis par Gius GARGIULO et Otmar SEUL, Terrorismes : l’Italie et
l’Allemagne à l’épreuve des années de plombs (1970-1980) réalités et
représentations du terrorisme, Paris : M. Houdiard, 2008, p. 350
Uli EDEL, Chronique des années de plomb la bande à baader, Martina
GEDECK, Moritz BLEIBTREU, Johanna WOKALEK, Bruno GANZ,
Allemagne, Metropolitan Filmexport, 2008, 144min.
Petit Robert dictionnaire universel des noms propres 2, Paris : Dictionnaire Le
Robert, 1991, 1952 p.
Petit Larousse illustré 2006, Paris : Edition Larousse, 2005, 1855p.
Herbert MARCUSE [traduit de l’anglais par Monique Wittig], l’homme
unidimensionnel, Paris : Les Editions de Minuit, 1968, 1514 p.
Le petit Robert des noms propres 2010, Paris : Dictionnaire le Robert, 2009,
2470 p.
.Encyclopédie Universalis, article terrorisme, 2011, 05 juin 2011,
http://www.universalis.fr/encylopedie/terrorisme
http://www.melchior.fr/Nouveaux-mouvements-sociaux-et.7886.0.html, 2008,
03 juin 2011
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l’Allemagne_depuis_1945, 8 juin
2011, 10 juin 2011
http://www.cafe-feo.net/article.php3?id_article=1416, 3 octobre 2008, 9 juin
2011.
http://www.terrorisme.net, 20 mars 2010, 9 juin 2011.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Fatah/119100, 2008, 21 juin 2011
http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1
ARTf0005140, 2011, 27 juin 2011.
http://www.socialisme.be/marxismeorg/materialisme.html, sans mention de date
de création, 27 juin 2011, Genièvre Favre
http://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_de_Pando, le 26 juin 2011 à 7h03, le 28 juin
2011
23


Documents pareils