quelques elements sur les scissions contemporaines d`etats

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quelques elements sur les scissions contemporaines d`etats
QUELQUES ELEMENTS SUR LES
SCISSIONS CONTEMPORAINES D’ETATS
Philippe Hubert
Thomas Charlier
Septembre
Editrice responsable : A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000 Bruxelles
2010
A.
Tchécoslovaquie : le divorce de velours (1993) .............................. 2
1.
Les éléments facilitateurs de la séparation tchécoslovaque ............ 2
2.
Aux origines ............................................................................ 3
3.
Les faits .................................................................................. 4
4.
Sécession de la Slovaquie ou dissolution de l’Etat Tchèque ............ 5
5.
Une légitimité sans référendum ? ............................................... 6
6.
Quid des frontières ? ................................................................. 6
7.
Quelles nouvelles nationalités ? .................................................. 7
8.
Quelle succession pour les traités internationaux ? ....................... 7
9.
Comment
se
règle
l’appartenance
aux
organisations
internationales ? ............................................................................... 8
10.
Comment se partage la dette ? .................................................. 8
B.
Séparation Serbie/Monténégro (2006) .......................................... 8
C.
Indépendance du Kosovo (2008) ................................................. 10
D.
Indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie (1992-2008) . 11
1
Institut Emile Vandervelde – www.iev.be - [email protected]
Avec l’approfondissement de la crise institutionnelle que connaît l’Etat belge
depuis les élections de juin 2010, de nouveaux champs de réflexions se sont
ouverts jusqu’au cœur de la société. Des hypothèses jusqu’ici taboues circulent
désormais largement, même si elles demeurent toujours sur un mode théorique.
Les expériences de pays qui, durant la période contemporaine, ont connu une
scission ou une dissolution, s’avèrent, dès lors, instructives tant pour envisager
des pistes possibles que pour prendre la mesure des difficultés imposées par de
telles évolutions.
Cette rapide analyse de quelques mutations de ce type, survenues ces dernières
années sur le continent européen n’a pas pour objectif d’identifier des
« recettes », transposables ou adaptables à la situation belge. Elle se propose
simplement de pointer, dans des exemples plus ou moins comparables, les
éléments pouvant nous instruire des problèmes rencontrés dans le cadre d’un
processus de scission.
En cela, ces quelques pages doivent être appréhendées comme une première
prise
de
contact
avec
cette
réalité,
nécessitant
confirmation
et
approfondissement.
Même en se limitant à la période contemporaine et en excluant les
recompositions étatiques consécutives aux deux conflits mondiaux du siècle
dernier, les disparitions, scissions et naissances d’Etats sont nombreuses, de la
séparation de la Suède et de la Norvège jusqu’à l’« indépendance » de l’Ossétie
du Sud et de l’Abkhazie. On pense notamment aux conséquences de l’éclatement
de l’URSS, à l’explosion de la Yougoslavie, à la scission de la Tchécoslovaquie, à
la séparation Serbie-Monténegro, à l’indépendance du Kosovo mais aussi à celle
de l’Erythrée et du Timor Leste, pour n’évoquer que ces cas parmi les plus
connus.
Cette note se centrera sur les cas européens de la Serbie/Monténégro, du
Kosovo, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, en mettant en exergue celui qui,
a priori, s’avère le plus évocateur pour nous : le divorce tchécoslovaque.
A. Tchécoslovaquie : le divorce de velours (1993)
Les raisons pour lesquelles le divorce tchécoslovaque n’a « rien de comparable »
avec la situation belge sont multiples et sont fréquemment évoquées chez nous,
tantôt par rigueur scientifique, tantôt pour insister sur le caractère improbable
d’une scission subite et facile de la Fédération belge.
1.
Les
éléments
tchécoslovaque
facilitateurs
de
la
séparation
De fait, un certain nombre de problèmes politico-pratiques ne se
posaient pas en Tchécoslovaquie :
la Tchécoslovaquie était une construction étatique récente (1918) ;
l’Etat tchécoslovaque était loin d’être aussi centralisé que la Belgique ;
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dans l’Etat fédéral tchécoslovaque, la sécurité sociale était déjà séparée
entre les deux entités ;
la justice était scindée, à l’exception de la Cour suprême ;
la dette publique commune était très faible, environ 10% du PIB ;
de 1945 à 1968, l’Etat était asymétrique puisque seule la Slovaquie
disposait d’un parlement et d’un gouvernement propres. Ce n’est qu’en
1968, à l’initiative de la Slovaquie, que la fédéralisation de l’Etat fut
réalisée, par son extension au côté tchèque ;
la capitale commune, Prague, est peuplée essentiellement de Tchèques et
se situe dans la partie tchèque du pays ;
les échanges économiques entre les deux parties du pays étaient
relativement faibles (les relations économiques se faisaient surtout avec
l’Union soviétique) ;
bien que moins nombreux et moins riches, ce sont les Slovaques qui ont
manifesté, dès la naissance de l’Etat, une revendication autonomiste et
identitaire. Les Tchèques, plus nombreux et prospères, ont fini par être
lassés des querelles et ont pleinement participé au démantèlement dans
lequel ils n’avaient rien à perdre économiquement parlant ;
la scission a eu lieu au moment du démantèlement du rideau de fer et les
deux nouveaux pays ont connu, alors, une arrivée importante
d’investisseurs occidentaux.
Tous ces éléments rendant illusoire une transposition littérale à la situation
belge, il n’en reste pas moins vrai que – puisqu’aucun cas n’est
identique – la manière dont ce pays s’est scindé apparaît comme la voie
qui aurait le plus de chance d’orienter une évolution séparatiste de l’Etat
belge, si elle devait advenir. Il s’agit, en effet, d’une solution pacifique,
négociée, où aucune partie n’assume le « mauvais rôle », où la volonté est
d’éviter la rupture des relations entre les anciens partenaires par la conclusion de
multiples accords bilatéraux et où l’objectif partagé est l’intégration rapide de
toutes les nouvelles entités dans les instances internationales.
2.
Aux origines
C’est au XIXe siècle, sous la domination autrichienne, que se développe le
sentiment national tchèque. A l’issue de la Première Guerre mondiale, qui voit le
démantèlement de l’empire austro-hongrois, les Tchèques et les Slovaques
s’unissent en un même Etat : la Tchécoslovaquie. Seule démocratie d’Europe
centrale de l’Entre-deux-Guerres, elle ne résiste pas aux nationalismes allemand
et slovaque.
Sous l’Empire des Habsbourg, les Slovaques subissaient un environnement
hongrois offensif qui les avait presque assimilés. Ils espéraient que la
Tchécoslovaquie reconnaisse leur caractère slovaque. Cependant l’Etat central
voulut faire émerger un sentiment national tchécoslovaque artificiel, source d’une
nouvelle tentative d’assimilation. Suite aux conséquences des accords de Munich
en 1938, la dislocation de la Tchécoslovaquie et la naissance d’un Etat slovaque
« indépendant » furent acceptées en Slovaquie.
Après la seconde guerre mondiale, libérée par l’armée soviétique, la
Tchécoslovaquie devient rapidement une République socialiste cherchant sa voie
propre jusqu’à l’intervention de l’URSS,mettant un terme à l’expérience du
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Printemps de Prague. Fin 1989, la Révolution de velours met
communiste et Vaclav Havel est élu Président de la République.
élections libres se déroulent en juin 1990. Dès ce moment,
politique fort n’opère sur l’ensemble du territoire, ce qui
l’absence de partis fédéraux en Belgique.
fin au régime
Les premières
aucun parti
s’apparente à
Il faut encore savoir qu’en 1991, la population de la Tchécoslovaquie était
composée à 63 % de Tchèques, à 31 % de Slovaques et à 3,8% de Hongrois.
3.
Les faits
Deux vainqueurs radicalement différents sortent des élections de
juin 1992 destinées à renouveler le Parlement. En République tchèque, le
Parti démocratique civil réclame un Etat fédéral fort et fonctionnel. En
Slovaquie, c’est le Mouvement pour la Slovaquie démocratique, luttant
pour l’émancipation du peuple slovaque et prônant le confédéralisme, qui
l’emporte.
Le 20 juin, après (seulement !) cinq cessions de pourparlers, les
négociations entre les deux échouent et l’impasse est actée.
Le 17 juillet, le Conseil National Slovaque proclame sa déclaration
de souveraineté.
Le 20 juillet, le président Havel démissionne avant le terme de son mandat
et l’assemblée fédérale se trouve dans l’incapacité de réélire un autre
président.
Le 23 juillet, un Gouvernement fédéral restreint et paritaire est formé pour
gérer les affaires courantes.
Le 28 juillet, le Gouvernement slovaque approuve un projet de
constitution que le Conseil national slovaque adopte le 1er septembre, à
114 voix sur 150.
Le
25 novembre,
l’assemblée
fédérale
approuve
la
Loi
constitutionnelle sur la dissolution de la République fédérative
tchèque et slovaque pour le 1er janvier suivant. La séparation est
donc actée par voie constitutionnelle.
Le 16 décembre, deux semaines avant l’indépendance, le Conseil
national tchèque approuve la constitution de la République
tchèque.
Il n’aura donc fallu que 6 mois pour que le processus d’indépendance se
concrétise.
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4.
Sécession de la Slovaquie ou dissolution de l’Etat
Tchèque
Aucun des deux Etats n’a revendiqué d’être l’unique continuateur de la
Tchécoslovaquie, ce qui accrédite la thèse de la dissolution.
Pourtant, une autre thèse aurait pu être défendue, celle du départ de la
Slovaquie, laissant à la République tchèque le bénéfice de la continuité de la
Tchécoslovaquie :
la Slovaquie n’avait jamais tout à fait accepté l’idée constitutionnelle de la
nation tchécoslovaque. Un Etat slovaque avait existé pendant la guerre et,
à la libération, le Conseil national slovaque avait demandé à être admis à
l’ONU ;
la fédéralisation effective de la Tchécoslovaquie en 1968 avait été
demandée par les Slovaques exprimant une volonté de s’affranchir du
centralisme praguois ;
les Tchèques ont présenté la partition comme résultat des efforts
unilatéraux des Slovaques en faveur de l’indépendance ;
le Gouvernement slovaque a adopté sa constitution le 17 juillet 1992 et le
Parlement l’a ratifiée le 1er septembre, soit avant que le Parlement fédéral
ne décide officiellement de la scission, le 25 novembre de la même
année ;
de leur côté, les Tchèques ne font jamais référence à une nation, même
dans leur constitution, contrairement aux Slovaques. Le texte
constitutionnel parle d’ailleurs des « citoyens de la République Tchèque ».
De même, on n’y parle pas de « Tchéquie », mais de « République
tchèque » ;
le jour de la fête nationale tchèque est resté le même que celui de la
Tchécoslovaquie, ainsi que le drapeau et l’hymne (qui reprend la première
partie de l’ancien hymne tchécoslovaque). Vaclav Havel, dernier président
tchécoslovaque, est devenu le premier président tchèque.
On pourrait donc penser que rien ne s’opposait à ce que la Communauté
internationale traite la République tchèque comme continuateur de la
République tchécoslovaque.
Néanmoins :
L’accord politique voté au parlement fédéral interprète la séparation
comme une dissolution réalisée de façon concertée par les deux parties.
Cet accord ne lie pas la Communauté internationale qui aurait pu adopter une
autre interprétation. Ce ne fut cependant pas le cas et tout le monde s’est aligné
sur l’accord tchéco-slovaque. Sans doute la revendication slovaque a-t-elle paru
légitime et les nations n’ont-elles pas voulu sanctionner le nouvel Etat slovaque,
défavorisé économiquement.
De plus, le déroulement pacifique et concerté de la séparation n’accrédite
pas l’idée d’une scission ou d’une sécession. Le 29 octobre 1992, les
premiers ministres des deux gouvernements avaient signé 16 accords sur les
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différents domaines de la future coopération bilatérale (union douanière, système
monétaire, frontière, visas …). Ce faisant, l’Etat tchèque se comportait, lui aussi,
de façon inconstitutionnelle et participait, de la sorte, à la dissolution définitive.
La modification de la constitution tchécoslovaque n’a, finalement, fait qu’acter
une situation de dissolution (et non sécession) de fait.
5.
Une légitimité sans référendum ?
Aucun référendum n’a été organisé pour demander l’avis de la population.
Cette omission fut critiquée en interne et par la Communauté internationale. Un
argument juridique en ce sens avait été formulé lors de la crise du Sahara
occidental en 1975. A cette occasion, l’avis consultatif de la Cour internationale
de Justice avait défendu l’obligation de consulter le peuple, en application de son
droit à disposer de lui-même (principe dont l’application se limite généralement
aux Etats issus de la colonisation). Selon cette thèse, même si des élections
libres sont assurées, il est bon, en l’occurrence, de demander l’avis spécifique de
la population sur ce seul point précis.
Ces réserves n’ont cependant pas invalidé la décision tchécoslovaque,
notamment en raison de la tradition de démocratie indirecte et
représentative de la Tchécoslovaquie. Le référendum était, en effet, permis
par la constitution de 1920 mais il n’avait jamais été mis en pratique. La loi
constitutionnelle de 1991 le prévoyait aussi mais n’a pas eu le temps de montrer
sa capacité à fonctionner. Surtout, elle prévoyait exclusivement une action
unilatérale dans l’une ou l’autre république nationale et n’envisageait nullement
la disparition de l’Etat.
L’absence de référendum fut donc jugée parfaitement constitutionnelle au regard
de la loi tchécoslovaque, qui était muette quant à la question de la disparition de
l’Etat.
6.
Quid des frontières ?
Le cas tchécoslovaque a confirmé la règle coutumière du droit international selon
laquelle les traités territoriaux fixant les frontières dans des situations de la
succession d’Etats sont considérés comme maintenus en vigueur1.
De plus, les frontières extérieures des nouveaux Etats correspondaient, assez
largement à des frontières naturelles. Seule la frontière Slovaquie-Hongrie,
constituée après la première guerre mondiale fut source de frictions étant donné
qu’elle ne correspond pas à une frontière naturelle et que 600 000 Magyars
vivent en Slovaquie.
La fixation de la frontière interne n’a pas posé de problèmes particuliers, celle-ci
ayant toujours existé de manière non contestée. Elle est constituée de limites
naturelles (crêtes, rivière Morava) et linguistiques. Jusqu’en 1918, elle était la
frontière entre l’Autriche et la Hongrie. Seuls quatre minuscules secteurs ont été
1
Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités, article 11 ; Cité par
Jiri MALENOVSKY, Idem, p. 327.
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contestés, mais les nouveaux Etats l’ont réglé, sans tension apparente, avant la
séparation officielle, par un accord bilatéral qui utilisait déjà l’expression
« frontière d’Etat ». La démarcation fut confiée à la Commission conjointe
tchéco-slovaque.
7.
Quelles nouvelles nationalités ?
De nouveaux Etats impliquent de nouvelles nationalités. Ces questions furent
réglées par des lois approuvées par les deux républiques, après la scission du
pays.
Auparavant, le droit tchécoslovaque prévoyait déjà l’existence pour l’usage
interne de deux nationalités, seule la nationalité tchécoslovaque étant toutefois
pertinente pour le droit international.
Les nouvelles lois prévoient que les personnes qui avaient précédemment acquis
l’une des deux nationalités selon la loi antérieure voient celles-ci
automatiquement prolongées dans le cadre du droit international.
Pour régler la question des anciens ressortissants tchécoslovaques qui étaient, à
la date du 31 décembre 1992, ressortissants de l’autre république, les deux
nouveaux pays ont adopté des attitudes différentes :
La Slovaquie a permis d’opter purement et simplement pour sa nouvelle
nationalité. Un citoyen tchèque pouvait donc opter pour la nationalité
slovaque sans prouver son retrait de la nationalité tchèque. Cette
ouverture à la double nationalité devait limiter les problèmes personnels
des familles mixtes.
En revanche, la République tchèque exigeait, entre autres, de satisfaire à
la condition d’un séjour permanent ininterrompu du demandeur sur le
territoire de deux années minimum. Ce qui traduit exactement la
protection internationale des droits de l’homme en ce qui concerne
l’acquisition d’une nationalité (Article 15 de la DUDH de 1948).
Deux approches différentes, répondant à des intérêts propres. Mais deux
approches tout aussi légales l’une que l’autre.
8.
Quelle succession pour les traités internationaux ?
La loi constitutionnelle prévoyant la fin du pays disposait que la République
tchèque et la Slovaquie étaient les « Etats successeurs » de la République
fédérative tchèque et slovaque. Les droits et obligations de la RFTS passèrent
donc aux deux nouvelles républiques. En pratique, cela représentait 2 000 traités
bilatéraux et 800 traités multilatéraux. Ce choix s’inscrivit dans la ligne de la
convention de Vienne sur la succession des Etats qui prévoit que « tout traité en
vigueur à la date de la succession d’Etats à l’égard de l’ensemble du territoire de
l’Etat prédécesseur reste en vigueur à l’égard de l’Etat successeur ainsi formé ».
Le principe de la table rase de l’Etat successeur est donc balayé. Le cas
tchécoslovaque a été réglé constitutionnellement avant la séparation. Cet
exemple montre donc que deux Etats peuvent reprendre les obligations d’un
seul. Notons également la conclusion du juriste se penchant sur le cas
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tchécoslovaque : « La pratique internationale récente en matière de succession
aux traités internationaux prouve donc que ce sont la liberté politique et le
pragmatisme qui prévalent et qu’il y a peu de règles juridiques rigides à
suivre » 2.
9.
Comment se règle l’appartenance aux organisations
internationales ?
Au moment de sa dissolution, la Tchécoslovaquie n’était pas encore un
Etat-membre de l’Union européenne.
Pour les autres instances internationales, vu que les deux nouveaux pays sont
les successeurs de la République fédérale de Tchécoslovaquie, ils devaient,
théoriquement, prendre à deux l’unique place de l’ancienne Tchécoslovaquie.
Ici encore, c’est la voie du compromis qui a été suivie. Ainsi fut-il prévu avant la
séparation que, dans le cas où un seul des pays accédait à une instance
internationale, il soutiendrait l’adhésion de l’autre.
Dans la plupart des cas, les deux Etats ont dû se soumettre à une nouvelle
procédure d’adhésion mais très simplifiée. Ils ont donc dû postuler pour
(ré)intégrer des organisations mais cela s’est fait très rapidement.
10. Comment se partage la dette ?
Deux éléments à l’avantage de la Tchécoslovaquie : la dette n’était guère
importante (10 % du PIB) et des relations « amicales » existaient entre les deux
nouveaux Etats.
La répartition n’a donc pas posé de problèmes insurmontables et a, là encore,
été réglée avant la séparation par la modification de la constitution.
Conclusion : la modification de la constitution tchécoslovaque n’a, finalement,
fait qu’acter une situation de dissolution qui était en germe dans les évolutions
qui ont précédé la création officielle des deux nouveaux Etats.
B. Séparation Serbie/Monténégro (2006)
Cet événement tardif de la dislocation de la Yougoslavie est intéressant par la
voie qu’il emprunte, hors du contexte de guerre qui a entouré les premières
indépendances (Croatie, Bosnie, Macédoine et, dans une moindre mesure,
Slovénie).
Suite à l’éclatement de la République fédérative socialiste de Yougoslavie en
1990-1991, Slobodan Milosevic obtint la constitution d’une République fédérale
de Yougoslavie unissant les anciennes républiques fédérées de Serbie et du
2
Jiri MALENOVSKY, Problèmes juridiques liés à la partition de la Tchécoslovaquie, y compris tracé
de la frontière, dans Annuaire français de droit international, volume 39, 1993, p. 329.
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Monténégro (1992). Son but, qu’il n’atteindra pas, était de présenter cette union
comme l’unique successeur de l’ancienne Yougoslavie.
A partir de 1997, le Gouvernement monténégrin, opposé à Milosevic, soutint
ouvertement l’indépendance de son pays. La Commission européenne le
convaincra de former une fédération plus lâche avec la Serbie, en assurant de
son caractère provisoire. La République fédérale de Yougoslavie de 1992 devint
la Serbie-et-Monténégro en 2003.
Il s’agissait d’une fédération - voire d’une confédération - instituant une
coopération limitée à certains domaines comme la défense.
Les deux républiques constitutives avaient, en outre, le droit de demander leur
pleine indépendance trois ans après l’adoption de la nouvelle constitution
fédérale, le 4 février 2003.
Le Monténégro saisit ce droit dès 2006, en organisant (le 21 mai) un
référendum sur l’indépendance. Les indépendantistes devaient l’emporter
avec 55,5 % des voix.
Conformément à ce résultat, le Parlement du Monténégro adopta, le
3 juin 2006, une déclaration d’indépendance qui marquait, de fait, la
dissolution de la fédération.
Quant au Parlement serbe, il adopta, le 5 juin 2006, une déclaration faisant
officiellement de l’Etat serbe le successeur de l’ancien Etat commun, ce
qui revenait, de facto, à proclamer l’indépendance de la Serbie et à reconnaître
celle du Monténégro.
L’Islande fut le premier pays à reconnaître l’indépendance du Monténégro. La
Russie suivit dès le 11 juin, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France dès
13 juin 2006.
La Constitution fédérale stipulait qu’en quittant la fédération, le Monténégro
cédait à la seule Serbie les sièges détenus dans les instances internationales
(ONU, Conseil de l’Europe) et formulerait, en son nom propre, de nouvelles
demandes d’adhésion. Dès le 22 juin, le Monténégro devient le 56e Etat-membre
de l’OSCE et, dès le 28 juin, le 192e Etat membre de l’ONU. Cette nonsuccession ne fut donc pas synonyme de difficultés.
Les ex-ministères fédéraux de la Défense et des Affaires étrangères devaient
également passer sous la tutelle exclusive de l’Etat serbe.
Conclusion : sans parler de sécession, il s’agit ici de la naissance d’un nouvel Etat
par extraction d’une fédération réduite à deux unités de taille inégale, une partie
s’imposant comme successeur naturel de l’ex-fédération.
L’intérêt de cette séparation tient à sa préparation. La Yougoslavie « historique »
se caractérisait déjà par le droit constitutionnel qu’elle donnait au retrait encadré
de ses républiques. Cette faculté n’a pas été utilisée lors de l’éclatement de
1990-91 mais a été mise en œuvre dans la séparation Serbie/Monténégro. Il
n’est pas interdit de penser que la création de la (con)fédération de Serbie-et-
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Monténégro en 2003, avec possibilité d’indépendance après un délai de trois ans,
avait pour but de permettre une séparation pacifique et encadrée.
C. Indépendance du Kosovo (2008)
Le Kosovo est/fut une province autonome de la Serbie puis des différentes
Yougoslavie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Suite aux conflits violents entre les Serbes et les séparatistes albanais de la fin
des années 90, la résolution 1244 des Nations Unies plaça le Kosovo sous
administration de l’ONU. Cette résolution affirmait le caractère transitoire de ce
statut mais affirmait aussi l’attachement de l’ONU à l’intégrité du territoire de la
République fédérale de Yougoslavie (remplacée par la Serbie-et-Monténégro dont
la Serbie sera finalement l’héritière).
Les négociations sur le statut définitif de la province restèrent dans l’impasse, les
Serbes souhaitant une autonomie du Kosovo au sein de la Serbie, les Albanais
voulant l’indépendance. Mandaté par l’ONU, l’ancien président finlandais Martti
Ahtisaari soumettra, en 2007, au Conseil de sécurité des Nations Unies une
proposition visant à accorder au Kosovo un statut d’Etat indépendant, possédant
ses propres symboles, sa constitution et son armée, sous le contrôle de la
communauté internationale. Les Etats-Unis y étaient favorables, la Russie et la
Chine rejetèrent la proposition comme illégale car contraire à la résolution 1244
garantissant l’intégrité territoriale de la Yougoslavie. Le Conseil de sécurité
n’approuva pas le rapport Ahtisaari en raison du veto russe mais ce rapport fut
pourtant repris par les institutions provisoires du Kosovo pour « justifier » leur
déclaration d’indépendance.
Le 17 février 2008, le parlement de la province du Kosovo proclama
unilatéralement l’indépendance du territoire en votant le texte proposé par le
premier ministre.
En septembre 2010, 70 des 192 pays membres de l'ONU ont reconnu
l'indépendance du Kosovo (22 des 27 membres de l’UE, 10 des 13 autres
Etats-membres de l’OCDE, aucun membre de la Communauté des états
indépendants).
Cette déclaration unilatérale est particulière dans la mesure où elle
émane d’une « simple » province autonome et non d’une république
fédérée d’un Etat fédéral (comme l’étaient la Slovénie, la Croatie, la Macédoine,
la Bosnie, le Monténégro ou les anciennes républiques soviétiques). Le cas du
Kosovo se rattache donc plus à ceux de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud, de la
Tchétchénie, du Haut-Karabagh, de la Transnistrie ou du Tatarstan. Mais, à la
différence de ces derniers, c’était la première fois qu’une telle déclaration
unilatérale d’indépendance d’une province autonome aboutissait à une
reconnaissance par des Etats du monde. Cet « exemple » sera suivi en 2008
par la Russie pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.
En octobre 2008, la Serbie saisira la Cour internationale de Justice (CIJ) pour
qu’elle statue sur la légalité de cette déclaration d’indépendance. Le
22 juillet 2010 la CIJ dira qu’elle ne violait pas le droit international et qu’il était
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possible de déclarer son indépendance sans violer le droit international. Elle
précisera toutefois que la CJI n’était « pas tenue par la question qui lui est posée
de prendre parti sur le point de savoir si le droit international conférait au Kosovo
un droit positif de déclarer unilatéralement son indépendance ». Pour la CIJ, « La
Cour n’est pas chargée de dire si le Kosovo a accédé à la qualité d’Etat », cette
reconnaissance n’étant possible que par l’ONU. D’aucuns parlent d’un arrêt
« politique » dicté par les Etats-Unis.
L’accession à l’indépendance par la voie unilatérale n’est pas sans
conséquences :
L’indépendance du Kosovo n’est pas reconnue par l’ONU.
Le Gouvernement kosovar n’exerce pas sa « souveraineté » sur l’ensemble
du territoire. Le Nord de la province, majoritairement serbe (15 % du
territoire) reste administré par la Serbie et par une assemblée propre :
l’Assemblée du Kosovo-et-Métochie. Le redéploiement des forces de
sécurité de l’ONU confirme cette partition de fait de la province.
D. Indépendance de l’Ossétie
l’Abkhazie (1992-2008)
du
Sud
et
de
Le processus d’’indépendance de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie est comparable
à celui du Kosovo. Là aussi, on se trouve face à la sécession de provinces
autonomes, après la déflagration d’un ensemble plus vaste (ici l’URSS qui a vu
l’indépendance de la Géorgie).
Dès l’indépendance en 1991, le territoire du nouvel Etat géorgien (hérité de la
fixation artificielle des frontières dans l’URSS) est mis cause par une guerre
opposant Ossètes et Géorgiens depuis 1990. En 1990, les Géorgiens avaient
abrogé le statut autonome de l’Ossétie du Sud dans un but de
« géorgianisation ». Les Ossètes du Sud avaient, en réaction, déclaré la
séparation de leur province et son unification avec l’Ossétie du Nord (russe).
Un cessez-le-feu était entré en vigueur en 1992 avec instauration d’une force de
maintien de la paix à laquelle participait la Russie. Les hostilités avaient repris
ponctuellement en 2004.
Parallèlement, l’Abkhazie, avait adopté, au début des années 90, la
constitution de 1925 qui assurait l’indépendance de cette république par
rapport à Tbilissi (capitale géorgienne). Cette décision avait entraîné
l’intervention de l’armée géorgienne et une situation de guerre de 1992 à 1993.
Les hostilités avaient également repris ponctuellement en 1998 et en 2001.
Le pouvoir géorgien incarné par le Président Saakachvili à partir de 2003 visait
une modernisation de l’Etat et souhaitait l’exercice d’une souveraineté pleine et
entière du Gouvernement sur tout le territoire. La mise en œuvre de cet objectif
entraîna une remise en cause de l’autonomie précédemment concédée à
plusieurs régions. Cette politique devait atteindre son objectif au sud, non sans
effet sur l’autonomie des minorités arméniennes et azéries. En revanche, c’est
cette politique qui, au Nord, poussa le président à tenter de reconquérir par la
force les territoires, de facto autonomes, d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Ce
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coup de force militaire permettra aux Russes d’intervenir et de défaire l’armée
géorgienne lors d’une campagne éclair ; une campagne russe qui évitera de faire
tomber Tbilissi mais consacrera l’amputation du territoire géorgien (2008).
Le schéma kosovar s’applique alors : déclaration d’indépendance de l’Ossétie du
Sud et de l’Abkhazie, toutes deux reconnues par une puissance étrangère, la
Russie, et différents Etats comme le Nicaragua ou le Venezuela. Une
indépendance non reconnue par les autres pays et par l’ONU mais qui s’instaure
dans les faits, via un soutien militaire, logistique et administratif russe.
L’avenir dira s’il s’agit là d’un mouvement indépendantiste ou irrédentiste, si
l’étape suivante devait conduire à la réunion à la Fédération de Russie. Ce qui est
vrai, également, pour le Kosovo vis-à-vis de l’Albanie ou la Moldavie vis-à-vis de
la Roumanie.
Sans chercher à tirer de conclusions au terme de ce rapide aperçu à vocation
informative, il apparaît qu’à l’instar du phénomène antérieur de décolonisation,
dont les conséquences ont encore été perceptibles dans le cadre de la récente
accession à l’Indépendance de l’Érythrée et du Timor Leste, l’effondrement du
bloc soviétique a entraîné un mouvement de très grande ampleur en Europe
centrale et orientale.
Au-delà de l’indépendance de républiques soviétiques issues de l’URSS, ce
contexte a permis l’accession à l’indépendance d’Etats issus d’Etats nés de
l’Europe du Traité de Versailles (Tchécoslovaquie et Yougoslavie). Le phénomène
de dissociation initial a même déjà engendré des répliques, avec l’indépendance
différée du Monténégro et, plus encore, avec la proclamation de l’indépendance
de provinces n’ayant jamais possédé le statut de républiques fédérées (Kosovo,
Ossétie du Sud et Abkhazie).
Dans ce contexte, certains exemples comme la séparation Serbie/Monténégro et
le divorce tchécoslovaque - évidemment non transposables comme tel - nous
éclairent sur les voies politiques et juridiques empruntées pour consacrer ces
partitions dans un contexte pacifique, négocié et « sécurisé », permettant
l’accession des nouveaux Etats à la reconnaissance internationale et jetant les
bases de coopération future entre les anciens partenaires.
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