Se porter au chevet des mourants - Alliance catholique canadienne
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Se porter au chevet des mourants - Alliance catholique canadienne
Dr Ember! Van Tilburg I ecemment, un ami me demandait : «Qu'avez-vous appris au cours de ces annees ou vous avez prodigue vos soins a des mourants»? le ne pouvais pas evidemment repondre a cette question en deux ou trois phrases. En effet, qu'avais-je donc appris? Oserais-je repondre a mon ami qu'en partageant avec moi leurs dernieres heures d'humanite, mes soeurs et freresmourants ont allume dans mon esprit une etincelle de comprehension, plus en profondeur, de la compassion et de la spiritualite? Les patients en phase terminale se retrouvent pratiquement tous aux prises avec les memes peurs de la souffrance, des douleurs intenses, l'angoisse, la perte de controle d'euxmemes ainsi que l'inconnu. II est vrai que j'ai ete en contact avec la souffrance humaine, que j'ai reussi a lui trouver un certain sens, que j'ai constate que nous devions nous preparer nous-memes a la mort et que les professionnels de la sante tout comme les benevoles peuvent vraiment aider les patients et leurs proches dans ce difficile cheminement. En tant que medecin, je me suis frequemment trouve au chevet de personnes mourantes. Bien que je ne me sois jamais completement habitue a leurs souffrances personnelles, je ne voulais pas et ne pouvais pas, pour mon propre equilibre, y penetrer plus avant. le n'ai commence a m'ouvrir au caractere spirituel de la souffrance-une sorte de renaissance precedant la mort--<1u'au 18 moment ou je suis devenu le premier responsable des soins a donner a ma femme, apresqu'on lui eut annonce qu'elle souffrait d'une tumeur cerebrale maligne. C'est aussi durant cette periode eprouvante que j'ai ete sensibilise aux principes des soins palliatifs, et particulierement a leur approchemedicale. Le caractere precieux de la vie Dans le monde hospitalier actuel, on assiste souvent a une pratique inspiree des principes de la «mort parfaite a la Harvard», par reference au traitement des patients en phase terminale auxquels on ne permet de mourir qu'apres les traitements les plus agressifs. Cette conception entraine souvent une prolongation cruelle du processus de la mort. Fort heureusement, l'influence croissante des soins palliatifs a reduit l'incidence de ce genre desoins. Mon experience au chevet des mourants m'a montre a manifester un profond respect pour la fragilite et le caractere precieux de la vie (le seul vrai moment de la vie est le moment actuel!). Frequemment, les patients et leurs proches, en acceptant la realite de la maladie grace a leur foi et a leur courage, m'ont montre combien il pouvait y avoir de force dans la faiblesse. A maintes et maintes reprises, ils m'ont donne un bon exemple de la vraie maniere de mourir. Les mourants ont le droit d'etre traites comme des personnes humaines vivantes jusqu'a leur mort et ils ont le droit de prendre part aux decisions qui REVUEACCS. Printemps 1995 concement les soins a leur prodiguer. lIs ont egalement le droit de compter sur une attention medicale et infirmiere, meme dans les cas ou les objectifs de «guerison» doivent etre remplaces par des objectifs de «reconfort» . Lorsque nous sommes confrontes a la souffrance, nous commen<;ons a comprendre notre propre humanite, notre impuissance, notre insuffisance et nos limites profondes. Au chevet d'un mourant, nous ne pouvons plus offrir que notre competence, notre capacite d'ecoute, notre compassion ainsi que notre temps. En outre, notre esperance de vie est plus longue actuellement qu'elle ne l'a ete pour les generations anterieures, ce qui peut vaguement nous donn~r l'impression d'etre immortels, un sentim~nt qui peut etre encore amplifie par l'espoir peu realiste d'etre sauve par la medecine moderne. Notre societe a fort bien reussi a faire disparaitre Dieu de nos vies quotidiennes, mais n'a pas reussi a offrir d'autres Des esprits mal prepares One des plus fortes impressions que j'ai recueillie aupres des malades en phase terminale, dans la plupart des cas, a ete leur manque de preparation face a la maladie grave et a la mort. Bien peu de gens possedent des principes et un esprit qui les aiderait a traverser une crise mena<;ante pour leur vie. lIs reposent toujours la meme question: «Mon Dieu, pourquoi moi?» et n'arrivent pas a trouver le moindre sens a I'enigme de la souffrance. Bon nombre n'ont meme pas trouve de sens a la vie, de sorte qu'illeur est extremement difficile d'en trouver un a la souffrance. Etant donne la forte proportion de personnes qui ont coupe leurs liens avec leur communaute de foi, bon nombre sont depourvus de toute reponse religieuse a la grande question du «pourquoi». Ainsi, elles ne peuvent pas compter sur des forces spirituelles dont elles auraient pourtant un si grand besoin. D'ailleurs, leur angoisse devant ce «pourquoi» n'est souvent que la pointe de I'iceberg de toutes les emotions qui les assaillent. Leur question peut contenir toute la colere, la rage, le desespoir et la frustration dont peut souffrir un patient. II s'agit frequemment d'un appel de detresse plutot que d'une question theologique. Mais il peut neanmoins s'agir d'un premier pas amenant la personne a une comprehension personnelle de sa propre foi. Le refus de la mort Comment se fait-il qu'il y ait un si grand nombre de personnes mal preparees a la maladie grave et a la mort? Cette situation s'explique a mon avis par le fait que nous vivons dans une societe qui refuse la mort. Jusqu'a tout recemment, ce refus de la realite de la mort impregnait toute la societe, comme pour ignorer le plus possible que no us vivons tous sous son ombre. II y a 1 500 ans, saint Benolt nous recommandait de toujours nous souvenir de notre condition mortelle, non pas d'une fa<;on macabre, mais pour garder toujours a I'esprit le sens de notre destinee. REVUEACCS. Printemps 1995 reponses au probleme de la souffrance ni au sens de la mort. le crois que plus les personnes tardent a construire une relation avec Dieu et a lui faire confiance, plus elles trouvent difficile de le decouvrir lorsqu'elles sont sur leur lit de mort. Frequemment, le patient est trop faible, il souffre trop et se voit incapable de reflechir et de parler. D'apres mon experience, peu de conversions se produisent sur le lit de mort. Un nouveau virage Mais les choses sont en train de changer . Au cours des 10 ou 15 dernieres annees, la conscience de la mort a marque un nouvel eveil. On considere de plus en plus la mort comme faisant partie du cycle de la vie. le n'en veux pour preuve que le nombre imposant d'ouvrages publies au cours des deux dernieres decennies sur ce sujet. La theologie do bien et do mal Au fil des ans, j'ai ete confronte aux effets de la theologie du bien et du mal, c~ qui m'a mis aux prises avectoutes sortes de problemes d'ethique au chevet des malades. J'ai rencontre des patients qui croyaient avoir toujours ete fideles a Dieu et se sentaientcomme abandonnes par lui et prives de la recompense d'une douce mort. J'ai connu d'autres patients chez qui la maladie soulevait des sentiments de culpabilite, et consideraient que Dieu, afin d'assurer I'ordre moral dans ce bas monde, leur avait inflige cette maladie comme punition pour leurs fautes passees. Autre exemple de cette mauvaise theologie, certaines personnes croient qu'elles n'ont pas une foi suffisante pour accepter leurs tribulations. au encore, certains patients, considerant que Dieuest le premier moteur de leur vie, crojent qu'll est cense controler tout ce qui leur arrive. En general, une mauvaise theologie est quelque chose d'oppressif, de destructeur et d'etroit, pratiquement toujours fonde sur des concepts de recompense et de punition. A mon avis, une mauvaise theologie contribue certainement a aggraver la peine et la souffrance des patients. C'est une situation malheureuse, peu souhaitable et non meritee. La plupart des pretres ne sont pas d'accord avec cette conception de Dieu. 115 soulignent que Dieu n'est pas une marionnette celeste pouvant intervenir en faveur du patient au moment ou ille desire. Cette idee de considerer que Dieu nous deplace sur un echiquier comme un simple pion est absurde. La bonne theologie nous enseigne que l'essence des relations entre une personne et Dieu se trouve clans la manieredont celui-ci aide le patient a faire face aux epreuves, aux crises et aux maladies qui font partie de sa vie. L'enseignement de l'Eglise Selon les paroles du pape Jean Paul II dans une de ses lettres apostoliques, la question de la souffrance estpratiquement inseparable de I'existence humaine. La souffrance est multidimensionnelle, c'esta-dire que nous sommes susceptibles de souffrir de differentes manieres, aux plans 19 physique, emotionnel, psychologique ou encore au plan spirituel qui correspond a la douleur de l'ame. Dieu est considere comme un pere aimant qui accorde sa grace et aide le patient a traverser ces temps difficiles. La peine et la souffrance font partie de l'humanite depuis son commencement et demeureront avec elle jusqu'a la fin des temps. Le Christ n'a pas voulu cacher cette necessite de la souffrance et Marie, comme temoin de la crucifixion de son Fils, a pris part a ce message. Par sa compassion, el le a apporte une contribution unique a la comprehension de ce mystere. Entre autres exemples tires de l'Evangile, il faut rappeler la parabole du Bon Samaritain qui no us enseigne le genre de relation a etablir avec les malades. Quiconque s'arrete au chevet de son prochain qui est malade devient un Bon Samaritain. Au cours de mes 10 annees de service aupres des mourants, j'ai pu me rend re compte que la souffrance appelle la compassion et le respect, et permet egalement de faire l'ascension de la «montagne de la grandeur d'ame». La souffrance donne une solidarite particuliere a ceux qui en sont affliges; ils se rapprochent les uns des autres apprennent a partager leurs peines. et La priere et la compassion Nos prieres comportent souvent des demandes de miracles. Mais qu'arrive-t-il lorsque ces demandes ne sontpas exaucees? Je ne crois pas, pour ma part, que sur un simple geste, Dieu conjure la maladie. Par la priere toutefois, nous pouvons lui offrir notre peine, nos craintes et notre anxiete. Nous sommes des lors comme un enfant qui se fait une ecorchure et court vers sa mere; I'enfant sait que la mere ne peut pas lui enlever sa douleur, mais il est reconforte par le fait de lui dire qu'il a mal et par la compassion de sa mere. La priere cree une relation intime avec Dieu; elle est une activite mentale aussi bien que spirituelle. Si Dieu est notre guide, notre ami et notre soutien, nous devons entretenir des rapports honnetes et ouverts avec lui. C'est lorsque nous sommes en difficulte que nous devons compter sur cette relation avec lui, obtenir son soutien et recevoir force et courage. Par leur priere, les patients expriment leurs craintes et leurs souffrances et, ce faisant, dechargent leur coeur de son fardeau. Habituellement, ce genre de priere leur apporte ungrand Mon experienceau chevet desmourants m'a montre a manifester un profond respect pour la fragilite et le caractere precieux de la vie. 20 soulagement. Dans la plupart des cas, une demande faite dans la foi rapproche la personne de Dieu, que sa demande so it exaucee ou non. Au cours des annees, j'ai ete frappe par la profondeur de la compassion manifestee par un grand nombre de travailleurs de la sante -infirmieres et infirmiers, medecins, personnel auxiliaire et benevoles -dans nos etablissements de sante. le m'emerveille encore chaque jour de leur charite et de leur empathie pour les mourants et leurs proches. En se portant aupres d'eux, leur beaute comme personne se manifeste, ce qui pour moi confirme le fait que la souffrance a une grande signification. Ces professionnels de la sante, en offrant un amour et un devouement aussi genereux, deviennent eux-memes de meilleures personnes. REVUE ACCS .PrintemJ]s 1995 Dans le monde hospitalier actuel, on assistesouvent ii une pratique inspiree desprincipes de la «mort parfaite ii la Harvard» par reference au traitement despatients en phase terminale auxquels on ne permet de mourir qu'apres les traitements les plus agressifs. Une bonne mort On me demande souvent : «Qu'est-ce qu'une bonne mort?». A mon sens, on peut parler d'une bonne mort : I) lorsque les symptomes sont bien controles par un personnel competent; 2) lorsque no us sommes en pa ix avec notre createur, que nous avons confiance en sa bonte et sa compassion. Nous, les travailleurs de la sante, avons le privilege d'entrer dans le monde de ceux qui sont parvenus aux phases finales de leur vie. Tout membre de I'equipe peut etre choisi par le patient comme agent de pastorale. Habituellement, le patient souhaite trouver la paix de l'esprit sur son lit de mort. Nous ne pouvons pas la lui donner, mais nous pouvons I'aider a la trouver grace a des soins attentifs, a une capacite d'ecoute et a une presence priante; REVUEACCS. PrintemIJs 1995 3) lorsque nous n'avons que peu de regrets au sujet du passe; en d'autres termes, lorsque nous avons trouve le pardon et que nous n'emportons avec no us aucun bagage de culpabilite. Nous pouvons aider les patients qui se sentent coupables -pour des faits reels ou imaginaires -en leur faisant comprendre qu'ils peuvent se defaire eux-memes de ce fardeau en se pardonnant a eux-memes et aux autres ou en cherchant a obtenir leur pardon de Dieu; 4) lorsque no us n'avons aucune affaire non terminee et que nous pouvons lacher prise de tout ce qui nous rat tache a la vie; 5) lorsque nous avons une personne aimee a nos cotes. Un veritable Les conjoints personnes ami et que les les enfants rriourants sont souhaitent les le plus avoir a leur chevet. Mais il n'est pas toujours facile de veiller un malade, surtout si la mort tarde a venir. L'aide d'autres personnes est habituellement requise pour permettre aux membres de la famille de prendre du repit et de se reposer, et pouvoir ainsi continuer a apporter leur soutien a leur mourant. C'est dans ces circonstances que les benevoles peuvent devenir de precieux amis. Etant donne que les survivants doivent continuer a vivre apres la perte Qe leur proche, ils ont besoin eux aussi d'une epaule pour s'y appuyer et pleurer. Le processus de deuil est grandement exigeant pour ceux qui restent et il peut se passer bien des annees avant qu'une personne affligee se retablisse et reprenne une vie significative. Malheureusement, la societe est fort impatiente et s'attend a ce que les parents sortent de leur deuil en l'espace de quelques semaines plutot que de plusieurs mois. 21 Dans mon travail, j'ai souvent rencontre des patients, surtout chez les personnes c1gees,qui n'avaient ni parent ni ami. Inutile de dire combiences personnes se sentent seules et abandonnees. Dans ce cas aussi les benevoles peuvent apporter un importarit soutien en se portant a leur chevet au moment de la mort. Personne ne devrait mourir: seul. La simple presence d'un benevole peut constituer un tres grand acte de charite. .1 Jean-Fran~ois Malherbe Doyen de la faculte de theologie, Universite de Sherbrooke (Quebec) L'euthanasieet I'aide au suicide : menacesa la societe .1 J ohn Kretzmann Centre des affaires urbaines et de recherchessur la politique, Universite Northwestern (Illinois) Le developpementcommunautaire : du passif a I' actif .1' Jacques Duchesneau Chef ae la polic;:ede la Communaute urbaine de Montreal (Quebec) La police sous un jour nouveau : peut-elle servir au developpement communautaire ? ~ D 6 au 8 mai 1995 Hotel LoewsLe Concorde Quebec (Quebec) ~--, Envoyez-moi congres des renseignements annuel sur le de I' ACCS. Nom Organisa tion Adresse Ville Province Code postal 000 Telephone (000) 000 Association catholique canadienne de la sante Catholic Health Association of Canada 22 000 La compassion Permettez-moi un dernier mot sur la compassion. Au sens etymologique, le mot compassion signifie «sentir avec, souffrir avec». Dans la tradition bouddhiste, la compassion est un element central de la rencontre de guerison; elle signifie «montrer un coeur noble», car elle suppose une qualite particuliere du coeur qui nous rend sensible a la souffrance des autres. La compassion est faite de trois composantes majeures : la conscience, la bonte et l'ouverture. La conscience constitue le point de depart essentiel au developpement de la compassion en nous; elle est la porte ouverte pour les deux autres elements. La bonte est une sorte de chaleur du coeur qui nous amene a surpasser notre egocentrisme habituel. L'ouverture enfin donne une nouvelle expansion a notre conscience et a notre bonte. La priere et la meditation sont les meilleurs moyens de faire naitre en nous ce mouvement de compassion. Personnellement, la priere a ete pour moi la plus grande source de compassion. Qu'ai-je donc appris au couts de ces 10 annees au chevet des malades en phase terminale? Une courte phrase de Meister Eckhart peut fort bien me servir de reponse : j'ai appris «a me rejouir de la joie de l'autre et a m'affliger de l'affliction de I'autre». Et pour clore cette reflexion, permettez-moi de vous rappeler une phrase de saint Pa~l qui devrait nous donner espoir et reconfort dans cette mer de souffrance que nous devons traverser : «J'estime en effet que les souffrances du temps present ne sont pas a comparer a la gloire qui do it se reveler eo nous» {Romains 8,18). t 0000 1247, place Kilborn Ottawa ON K1H 6K9 Tel. : (613) 731-7148 Fax: (613) 731-7797 REVUEACCS .Printemps 1995