Marianne Van Hirtum par Jean-Luc Majouret Marianne Van Hirtum

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Marianne Van Hirtum par Jean-Luc Majouret Marianne Van Hirtum
Marianne Van Hirtum par Jean-Luc Majouret
Marianne Van Hirtum
(1935-1988)
Dans les années 1980, l’appartement-atelier de Marianne Van Hirtum, à Paris, était un lieu
magique. Mon repaire est une maison de brigand/d’où je sors de temps à autre le nez/pour
prendre le vent du large. On commençait par grimper six étages, par l’escalier de service. Làhaut, on était tout à coup hors du monde – du monde comme il va ou comme il ne va pas. Le
long d’un couloir interminable, il fallait se faufiler entre des meubles dont la destination
n’avait rien d’évident. Sans rire, pour avancer/j’emmènerai d’immenses coffres vides. On
croyait reconnaître au passage quelques éléments de mobilier funéraire détournés. Perché sur
une armoire rouge, un grand fourmilier naturalisé. Plus loin, c’était un tatou géant. D’autres
formes animales difficiles à identifier, en bois, pendaient du plafond. Assis dans un fauteuil
d’évêque (à quelle église emprunté ?), on se voyait bientôt cerné par une forêt d’objets
étranges.
Marianne ne faisait aucune différence entre ses “œuvres” – ses tableaux notamment, qui
couvraient les murs –, et les meubles qu’elle détournait. Elle dessinait, peignait, sculptait,
jouait à inventer tous les détails de sa vie. Et malgré la pression sociale qui devenait plus
accablante que jamais, on pouvait croire à la fréquenter qu’on allait aussi pouvoir inventer la
sienne : Marianne était contagieuse. Elle aimait particulièrement les reptiles et à l’époque
l’appartement abritait un iguane des Antilles, deux varans d’Afrique et une colonie de lézards
moins imposants. Elle avait eu des couleuvres, une gerboise, un chinchilla… Passe un cortège
de libellules/à tête de flambeaux/portant entre leurs bras serrés/la noce de mon œil bleu/avec
un escargot de diamant.
Elle était belge et fille d’un psychiatre, médecin-chef de l’hospice du Beau-Vallon fondé par
des religieuses près de Namur. Otez-moi mon père, ôtez-moi ma mère, je naîtrai toujours d’un
pivotement de l’azur. La famille comptait quatre enfants, Marianne était la cadette. Une
affection des reins a assombri son enfance et l’a empêchée de fréquenter régulièrement
l’école. Elle a grandit en semi-liberté dans le parc de l’hospice, en principe sans contact avec
les fous. Des photos la montrent en sauvageonne, espiègle, ravie, ou apprenant à lire sur un
banc de pierre guidée par une religieuse en cornette. La famille était très catholique. Dans la
maison de redressement/il n’est pas de sauf-conduit./On y circule sur les pattes sciées/des
petites vieilles de l’hospice.
Marianne lit Rimbaud et Lautréamont. A 20 ans, inscrite aux Beaux-Arts de Namur, elle
décide qu’elle ne vivra pas en Belgique. Une heure va sonner : finie l’enfance/Ses grandes
fleurs de balatum/Ses flammes rouges derrière l’œil/Des locomotives verticales/Une chaise à
vous tendue:/Comme elle a bien les pieds sur terre. En avril 1955, elle envoie quelques
poèmes à André Breton, qui lui répond le 21 du même mois : “Cet enfant, la poésie ne lui est
certes pas rebelle, on s’en convainc au premier regard et il n’est que de tourner les pages pour
être tout à fait séduit. Il y a là un très grand bonheur de “touche”, sans jamais rien d’appuyé,
la vraie grâce de dire (un tact extrême vous garde, prêtant à chaque mouvement sensible le
duvet du primesaut, je ne vois pas le moyen de dire cela plus simplement) et j’ai notion des
qualités d’âme que cela suppose. Votre envoi m’a embelli la soirée d’hier.”
La rencontre avec Breton, en 1956, est décisive. L’admiration et l’affection qu’elle lui porte
ne se démentiront jamais. Pour Marianne, qui traverse des périodes de dépression profonde,
Breton est avant tout l’homme des ressaisissements : “Plutôt la vie avec ses draps
conjuratoires/Ses cicatrices d’évasion… Plutôt la vie avec ses salons d’attente/Lorsqu’on sait
qu’on ne sera jamais introduit”. Elle voit en lui un homme qui n’a renoncé à rien et qui se
montre très attentif aux nouveaux-venus, dont il semble tout attendre. Elle est aussi marquée
par l’intérêt qu’il porte aux autodidactes, aux naïfs, aux fous, chez qui il trouve “l’authenticité
totale qui fait défaut partout ailleurs et dont nous sommes de jour en jour plus altérés”. Les
assertions venues de milieux féministes, littéraires ou militants sur la misogynie ou le
sectarisme de Breton la faisaient rire, d’un rire sauvage et combatif qu’elle tenait de lui.
Cette même année, grâce à Jean Paulhan, elle publie un recueil chez Gallimard : Les Insolites,
et s’installe à Paris. Un deuxième recueil intitulé Le Cheval-Arquebuse sera prêt à paraître en
1959, mais Claude Gallimard n’en voudra pas. Les Insolites resteront le seul livre de
Marianne Van Hirtum jusqu’à ce que René Rougerie vienne sonner à sa porte, vingt ans plus
tard, et publie La Nuit mathématique, recueil qui réunit des poèmes écrits à partir des années
1960 dans lesquels se mêlent sans cesse l’effroi et l’enchantement. Allez mes bons chevaux !
Hissez-moi sur vos épaules de granit. Enchaînez mes poignets déjà refroidis : la forêt s’ouvre
comme une botte de haricots rouges au crépuscule, et le ruisseau de fort vin bleu m’attends.
Entre-temps, en 1959, Marianne aura participé à l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme
(EROS) en donnant un tableau, “Caveau mobile”, et en collaborant au Lexique succinct de
l’érotisme qui accompagne le catalogue de l’exposition. En définissant les mots Abandon,
Cruauté, Orgasme, Rencontre, Séduire et Vice, elle fait acte de “non-conformisme absolu”.
Cette participation marque son entrée dans le groupe surréaliste. Elle collabore aussi aux
revues surréalistes Bief et La Brèche. Une participation très discrète aux activités collectives,
du moins jusqu’à la mort de Breton. Après la dispersion du groupe, en 1969, elle jouera un
rôle actif dans le collectif réuni autour du Bulletin de liaison surréaliste (BLS).
A partir des années 1960, Marianne réalise des dessins selon une technique pointilliste qui lui
permet de rompre avec les procédés artistiques tels qu’ils enseignent. Elle fait en même temps
le “choix du noir” en utilisant exclusivement l’encre de Chine. A la mort de Breton, elle
entreprend notamment une série qu’elle intitule “Les Augures” qui va la conduire à mettre en
œuvre de grands formats verticaux en forme de stèles. Traitée par le pointillé, la surface du
papier devient une sorte de miroir magique, du “papier à rêves”. La main gantée comprend ce
que l’œil ne sait pas encore. Ces dessins participent ainsi de “cette grande écriture chiffrée
qu’on rencontre partout, selon Novalis : sur les ailes, sur la coque des œufs, dans les nuages,
dans la neige, dans les cristaux, dans les formes des rochers, sur les eaux gelées…”
Jean-Luc Majouret
Les passages en italiques sont extraits des recueils de Marianne Van Hirtum :
Les Insolites, Gallimard, 1956
La Nuit mathématique, Rougerie, 1976
Le Cheval-Arquebuse, J.-J. Sergent, 1978