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CRISE FINANCIÈRE, SAUVETAGE DES
BANQUES, ARBITRAGE CIRDI, ET
NON-RÉTROACTIVITÉ DES TRAITÉS.
La sentence arbitrale dans
Ping An c. Belgique
Jean-Matthieu Jonet
RÉSUMÉ
La présente contribution entend évoquer les aspects saillants et le
contexte d’une sentence arbitrale rendue le 30 avril 2015 sous l’égide du
Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux
Investissements (CIRDI). Le litige avait pour cause le sauvetage par
l’Etat belge de la banque Fortis durant la crise financière dite « des subprimes ». La procédure arbitrale avait été initiée par un actionnaire chinois du groupe Fortis, sur la base des traités bilatéraux d’investissement
entre la Chine et la Belgique. L’actionnaire chinois s’estimait exproprié
par l’Etat belge du fait des opérations de sauvetage de la banque Fortis
durant la crise financière. La sentence arbitrale conclut à l’incompétence
du tribunal arbitral au terme d’une analyse fine en droit des traités. Dans
l’histoire du CIRDI, l’affaire commentée est une première à un double
titre. C’est la première fois qu’une entreprise de Chine continentale
engage une procédure arbitrale devant le CIRDI, et c’est la première fois
que l’Etat belge est attaqué au CIRDI.
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INTRODUCTION
1. Le sauvetage par l’Etat belge de la banque Fortis dans le
contexte de la crise financière dite « des subprimes » a fait l’objet d’un
récent arbitrage devant le Centre International pour le Règlement des
Différends Relatifs aux Investissements (CIRDI)1. La procédure arbitrale
avait été initiée par le groupe chinois Ping An, un actionnaire important
du groupe Fortis, actionnaire qui s’estimait exproprié par l’État belge du
fait des opérations de sauvetage de la banque Fortis durant la crise
financière. La sentence arbitrale du 30 avril 2015 (la Sentence) conclut à
l’incompétence du tribunal arbitral au terme d’une analyse fine en droit
des traités. Dans l’histoire du CIRDI, l’affaire Ping An c. Belgique est une
première à un double titre. C’est la première fois qu’une entreprise de
Chine continentale engage une procédure arbitrale devant le CIRDI2, et
1. ICSID tribunal, Ping An Life Insurance Company of China, Limited and Ping An Insurance (Group) Company of China, Limited v. Kingdom of Belgium, Award, 30 April
2015, ICSID case no ARB/12/29, <https://icsid.worldbank.org/apps/ICSIDWEB/
cases>, site consulté le 22 juillet 2015. Le tribunal arbitral était composé de : Lord Collins of Mapesbury, Président, Professeur Philippe Sands QC, Arbitre et M. David A.R.
Williams QC, Arbitre.
2. Cela est souligné par F. Verbeeren, « La Belgique devant le C.I.R.D.I. Analyse des
règles de compétence », Journal des Tribunaux, 2013, pp. 229 et s., p. 229. Cet article a
été publié antérieurement à la Sentence commentée. L’article précise (en note 1)
qu’une entreprise chinoise, mais basée à Hong Kong, avait déjà initié un arbitrage
devant le CIRDI, contre le Pérou, précédemment à l’affaire commentée. Voy. ICSID
tribunal, Tza Yap Shum v. Republic of Peru, Award, 7 July 2011, ICSID case no ARB/
07/06, <https://www.italaw.com/cases/1126>, site consulté le 1er octobre 2015. Au
1er octobre 2015, le site internet du CIRDI mentionne quatre affaires impliquant une
entreprise chinoise en qualité de partie demanderesse. Outre l’affaire qui est commentée et l’affaire Tza Yap Shum v. Republic of Peru, le site mentionne une affaire pendante impliquant également une entreprise basée à Hong Kong (Standard Chartered
Bank (Hong Kong) Limited c. Tanzania Electric Supply Company Limited, ICSID case
no ARB/10/20) et une autre affaire qui est pendante et introduite postérieurement à
l’affaire qui nous occupe (Beijing Urban Construction Group Co. Ltd. v. Republic of
Yemen, ICISD case no ARB/14/30), <https://icsid.worldbank.org/apps/ICSIDWEB/
cases>, site consulté le 1 er octobre 2015.
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REVUE D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
c’est la première fois que l’État belge est attaqué au CIRDI3. La Sentence
arbitrale, dont les enjeux financiers étaient importants, est intéressante
d’un point de vue juridique : elle contient des développements substantiels concernant le principe de non-rétroactivité en droit des traités, développements qui méritent d’être évoqués. Cette Sentence arbitrale est
également intéressante d’un point de vue factuel parce qu’elle a pour
contexte la crise « des subprimes », une crise financière qui a profondément touché le monde, de Wall Street à Bruxelles en passant par la
Chine et beaucoup d’autres lieux, et parce que le différend a pour cause
le sauvetage d’une banque par les pouvoirs publics, un des effets les
plus marquants de la crise financière.
2. La présente contribution se limitera à évoquer les aspects saillants et le contexte de la Sentence arbitrale, sans parti pris.
La première partie est consacrée au cadre juridique et au contexte
factuel de la Sentence commentée (I). La Sentence arbitrale étant
rendue par un tribunal CIRDI, la première partie commence par un bref
exposé des caractéristiques et conditions de l’arbitrage CIRDI (I, A).
Ce premier point aborde la condition de consentement nécessaire à
tout arbitrage CIRDI, condition qui s’avère manquante dans le litige
commenté. Il met également en relation l’arbitrage CIRDI et la protection
diplomatique, en partant de l’évocation de l’arrêt dit Mavrommatis qui est
cité par la Sentence commentée. Le deuxième point de la première
partie expose les faits de la cause, soit le sauvetage d’une banque par
l’État belge durant la crise « des subprimes » (I, B). Les positions des
parties sont abordées dans ce deuxième point. Le troisième point de la
première partie examine les traités bilatéraux d’investissement invoqués, en donnant quelques explications sur la pratique évolutive de la
Chine en la matière (I, C).
La deuxième partie est consacrée à l’analyse juridique de la Sentence qui est centrée sur le principe de non-rétroactivité des traités (II).
La jurisprudence arbitrale citée dans la Sentence est largement évoquée
dans cette deuxième partie. Le premier point de la deuxième partie porte
sur le principe de non-rétroactivité des traités appliqué aux dispositions
dites substantielles des traités bilatéraux d’investissement (II, A). Le
deuxième point évoque l’arrêt Mavrommatis et les travaux préparatoires
de la Convention de Vienne sur le droit des traités concernant le principe
de non-rétroactivité (II, B). Le troisième point porte sur le principe de
3. F. Verbeeren, « La Belgique devant le C.I.R.D.I. Analyse des règles de compétence », op. cit., p. 229. Au 1er octobre 2015, l’affaire qui nous occupe reste la seule
affaire impliquant une partie défenderesse de nationalité belge. <https://icsid.world
bank.org/apps/ICSIDWEB/cases>, site consulté le 1 er octobre 2015.