traité de lisbonne et lutte contre le changement climatique
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traité de lisbonne et lutte contre le changement climatique
Sarah BECKER Maella CARIOU Adélaïde DÉSILLES Stéphanie DUJARDIN Théodora RALLI Master II Droit de l’environnement Année universitaire 2011/2012 PATRIMOINE NATUREL ET CULTUREL M. Christophe SANSON Maître de Conférences (HDR) à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) TRAITÉ DE LISBONNE ET LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : EXAMEN CRITIQUE DES DISPOSITIONS PERTINENTES SOMMAIRE Introduction ............................................................................................................................................... 2 I-‐ Le principe de libre circulation: la promotion d’une croissance économique incompatible avec le principe de développement durable .................................................... 7 A) La libre circulation des marchandises et le développement durable: une difficile conciliation .............. 8 1. L’intransigeance de l’Union européenne à l’égard des obstacles tarifaires: article 30 TFUE ............ 9 2. Une position plus souple pour les restrictions quantitatives : articles 34 et 36 TFUE .......................... 11 B) La libre circulation des personnes et des services au détriment de la protection de l’environnement .. 13 1. Les enjeux du droit de circuler librement .............................................................................................................. 13 2. La libre prestation de services et sa nature résiduelle par rapport à la libre circulation des marchandises ................................................................................................................................................................... 15 II-‐ Les politiques sectorielles de l’Union européenne : une gestion inadaptée des ressources naturelles ....................................................................................................................... 17 A) Les potentielles contradictions entre les dispositions relatives à l’énergie et les dispositions spécifiques à l’environnement ......................................................................................................................... 18 1. La promotion d’une politique énergétique durable dans un cadre procédural complexe ..................... 18 2. Une base juridique incertaine quant à la lutte contre le changement climatique .................................... 20 B) L’utilisation durable de l’énergie absente des fondements des politiques sectorielles ........................... 22 1. Politique agricole commune versus agriculture durable .................................................................................. 22 2. Le retard du tourisme et de l’industrie en matière de développement durable ......................................... 24 Conclusion ............................................................................................................................................... 29 BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................................... 30 1 Introduction Le 13 décembre 2007, les vingt-sept pays de l’Union européenne (UE) ont signé le traité de Lisbonne1, mettant ainsi un terme à cinq années de négociations sur la réforme institutionnelle de l’Europe et offrant à l’Union européenne la possibilité de sortir de la crise profonde dans laquelle l’échec du traité constitutionnel l’avait plongée. Le « Traité établissant une Constitution pour l’Europe2 » issu des travaux de la Convention3 chargée de mener une réflexion sur l’élargissement des compétences de l’Union européenne, était un dispositif novateur et ambitieux ayant vocation à remplacer les traités jusqu’alors en vigueur. Mais, le traité de « Rome II », qui permettait à l’Union européenne élargie de fonctionner, n’est jamais entré en vigueur ; les participants français, néerlandais et irlandais l’ayant rejeté par le référendum dont il a fait l’objet. Le traité constitutionnel abandonné, l’Union restait régie par le traité de Nice, inadapté à une Europe élargie à vingt-sept Etats. Les chefs d’Etat et de gouvernements ont alors convoqué, le 23 juillet 2007, une nouvelle conférence intergouvernementale chargée de réfléchir à l’élaboration d’un traité « modificatif ». Près de deux mois plus tard, un nouveau projet de traité était finalisé. À la différence du traité constitutionnel qui devait remplacer les traités existants, le traité de Lisbonne n’a fait qu’amender les traités en vigueur. L’Union est aujourd’hui fondée sur deux traités que le traité de Lisbonne a modifié : le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité instituant la Communauté européenne rebaptisé traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le traité de Lisbonne a opéré de multiples changements à l’architecture institutionnelle et apporté des innovations importantes à l’essence même de l’ordre juridique de l’Union4 tout en se dépouillant des références aux symboles constitutionnels du traité mort-né. La politique communautaire de l’environnement a cependant été épargnée par la profondeur de ces mutations. 1 Traité de Lisbonne modifiant le traité de l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne, le 13 décembre 2007, Journal officiel, n° C 306 du 17 décembre 2007. 2 Traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome, le 24 octobre 2004, Journal officiel, n° C 310 du 14 décembre 2007. 3 Convention sur l’avenir de l’Europe convoquée par le Conseil européen de Laecken réuni en décembre 2001 sous la présidence belge. Le Conseil européen avait désigné M. Valéry GISCARD D'ESTAING comme Président de la Convention et MM. Giuliano AMATO et Jean-Luc DEHAENE comme Vice-Présidents. Elle comptait 105 membres titulaires. 4 Lire notamment : SADELEER de (N.), DUMONT (H.), JADOUL (P.), VAN DROOGHENBROECK (S.) (dir.), Les innovations du traité de Lisbonne – Incidences pour le praticien, Bruylant, Bruxelles, 2001, 331 p. 2 Entré en vigueur le 1er décembre 2009, soit un an après l’adoption du « paquet énergie-climat5 » portant engagement de l’Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto6, le traité de Lisbonne n’a en effet pas eu d’incidence significative sur le droit européen de l’environnement et en particulier, sur la lutte contre le changement climatique. Les grandes évolutions du droit européen de l’environnement ont eu lieu dans les années 90 et force est de constater qu’elles se sont essoufflées en 1997. En effet, l’Acte unique européen, en 1987, avait porté sur les fonts baptismaux la politique de l’environnement comme action communautaire autonome, en tant que composante obligée des autres politiques par l’Union et comme composante spécifique du marché intérieur. Plus tard, en 1992, les compétences de l’Union européenne en la matière avaient été approfondies à l’occasion du traité de Maastricht et ses objectifs environnementaux mieux affirmés dans le traité d’Amsterdam, en 1997. En revanche, ni le traité de Nice, ni le projet de Constitution, ni le traité de Lisbonne n’ont apporté d’aménagements significatifs à cette construction. En l’état actuel, la politique de l’environnement est concentrée dans trois articles spécifiques, les articles 191, 192 et 193 TFUE. Elle vise à contribuer à la poursuite de la préservation, de la protection et de l’amélioration de la qualité de l’environnement ; à la protection de la santé des personnes humaines et, ce qui nous intéresse davantage dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, à « l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles » (article 191-1 TFUE). En effet, agir contre le changement climatique suppose de se placer en amont de la politique environnementale – en réglementant l’exploitation des ressources naturelles – et en aval – en régulant une consommation débridée7. Or, les premiers enjeux du droit de l’environnement de l’UE ont été de juguler les impacts, les nuisances et les pollutions d’origine industrielle. Anthropocentrique, l’approche européenne de la protection de l’environnement vise avant tout la protection de la santé humaine. La protection de l’environnement est ainsi instrumentalisée. Sans préjuger à ce stade des dispositions du traité de Lisbonne, il convient de se demander si cet anthropocentrisme a conduit les rédacteurs du traité de Lisbonne à inscrire dans l’architecture générale du traité une base juridique permettant d’organiser une réelle gestion durable des ressources naturelles. Plus précisément, sont-ils parvenus à concilier les impératifs de développement économique associée à la libre circulation des biens, des 5 Ensemble de directives adoptées le 23 janvier 2008 par la Commission européenne. Protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Nations Unies, Kyoto, 11 décembre 1997. 7 SADELEER de (N.), Environnement et marché intérieur, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2010, p. 20, 580 p 6 3 personnes et des services avec les exigences qu’imposent la lutte contre le changement climatique et donc une utilisation durable des ressources naturelles ? Par ailleurs, la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur et vise « un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union » (article 191-2 TFUE). Cet objectif de protection à un degré élevé est très satisfaisant en ce qu’il impose de lutter activement contre le changement climatique, puisque celui-ci est un danger pour l’environnement. Il se trouve, en l’occurrence, renforcé par les dispositions de l’article 193 TFUE8 qui permet à chaque Etat membre de prendre des mesures de protection plus strictes que celles adoptées au niveau communautaire. Enfin, les dispositions spécifiques à l’environnement de l’UE s’accompagnent d’un principe fondamental pour mener une politique environnementale efficace, le principe d’intégration. Selon les termes de l’article 11 TFUE : « Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Ainsi, la protection de l’environnement, pour être effective, doit être prise en compte par les autres politiques communautaires qui ont des incidences sur l’environnement. Or, l’article 11 TFUE peut faire l’objet d’interprétation quant à portée et sa force obligatoire. L’emploi du verbe « devoir » au présent de l’indicatif, laisse penser qu’il s’agit d’une obligation, obligation qui laisse rêveur lorsque l’on est conscient que la protection de l’environnement doit être intégrée dans toutes les politiques et actions de l’UE, et donc aussi dans celles qui sont contraires à cette protection, notamment celles relatives à l’industrie, à la libre circulation des marchandises, à la politique agricole ou encore aux transports. Et d’ailleurs qu’est ce que l’intégration ? Les politiques et actions de l’UE doivent-elles se rendre compatibles avec la protection de l’environnement, se contenter de limiter les effets négatifs, ou seulement poursuivre cet objectif ? Soit trois degrés différents que peut comporter « l’intégration ». L’intégration supposerait, a minima, une certaine conciliation entre l’action communautaire en question et la protection de l’environnement. Or, quelles sont les actions communautaires qui seraient difficilement conciliables avec l’objectif de protection élevée de l’environnement ? Plus précisément, quelles sont les dispositions du traité 8 « Les mesures de protection arrêtées en vertu de l'article 192 ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec les traités. Elles sont notifiées à la Commission ». 4 de Lisbonne qui pourraient entrer en contradiction avec la lutte contre le changement climatique entreprise par l’UE ? En quoi ces dispositions sont critiquables à l’égard de l’objectif poursuivi ? Parmi les apports du traité de Lisbonne à la protection de l’environnement, figure dans l’article 191 TFUE une disposition spécifique à la lutte contre le changement climatique. En effet, selon l’article 191 : « La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants : (…) – la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique ». L’insertion de ce nouvel objectif semble inutile dans la mesure où l’UE a jusqu’à présent utilisé les dispositions spécifiques au droit de l’environnement contenues dans les articles 191 et 192 TFUE pour fonder ses décisions en matière de changement climatique et d’énergie au niveau régional, comme au niveau international. Cependant, la référence au changement climatique comme problème environnemental mondial exigeant l’adoption de mesures internationales parallèlement à des mesures régionales, pourrait renforcer le rôle et la responsabilité de l’UE dans les négociations internationales relatives au changement climatique. Cette reconnaissance pourrait par ailleurs, justifier l’utilisation de la base juridique environnementale pour fonder les décisions relatives à l’énergie, qui nous le verrons, est bien plus favorable à la lutte contre le changement climatique que l’article 194 TFUE relatif à la politique européenne de l’énergie9. À l’instar du principe de développement durable, posé à quelques rares reprises dans le traité de Lisbonne10, la lutte contre le changement climatique ne semble pas avoir de contenu. N’irrigue telle pas pour autant les autres dispositions du traité comme le fait l’environnement au nom du principe d’intégration posé à l’article 11 TFUE ? Il était en effet indispensable de décloisonner les différentes politiques de l’Union dans le dessein de mieux y intégrer des considérations environnementales. Mais nous verrons que ce principe d’intégration des exigences environnementales dans « la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union » n’est pas sans ambiguïtés au regard de sa dilution dans les différentes politiques sectorielles et donc de sa force contraignante. Avec le traité de Lisbonne, la politique de l’énergie fait son entrée en tant que politique communautaire. La critique des dispositions qui y sont relatives occuperont une place importante dans ce rapport, en ce qu’elles ne s’articulent pas de manière adéquate avec les dispositions spécifiques relatives à l’environnement (articles 191, 192 et 193 TFUE) et ne s’intègrent pas du 9 CLIENTEARTH, « The impact of the Lisbon Treaty on climate and energy policy-an environmental perspective », ClientEarth legal Briefing, January 2010, http://www.clientearth.com/reports/clientearth-briefing-lisbon-treaty-impacton-climate-and-energy-policy.pdf 10 Articles 3 TUE et 11 TFUE. 5 tout aux politiques sectorielles du traité (transport, PAC, tourisme, industrie) qui ne devraient plus être envisagées de manière autonome dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, les dispositions relatives à la politique de l’énergie au sein de l’Union européenne illustreront parfaitement la problématique institutionnelle, en particulier eu égard à la répartition des compétences entre les Etats membres et l’UE avec une question posée d’emblée : les conditions d'exploitation des ressources énergétiques, le choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique doit-il demeurer dans les compétences régaliennes des Etats membres dans le cadre d’une lutte européenne contre le changement climatique ? Si les politiques sectorielles semblent entrer en contradiction avec l’objectif de lutte contre le changement climatique, la notion fondatrice, pilier de la construction européenne à savoir la liberté de circulation semble également inconciliable avec l’impératif d’une gestion plus rationnelle des ressources naturelles. Cette liberté de circulation est mise en œuvre dans plusieurs domaines : les marchandises, les personnes, les services, les capitaux et les travailleurs. Elle a pour finalité d’aider au développement économique au sein de l’UE. Cependant, le développement économique tel que conçu par l’UE est-il compatible avec le développement durable et la lutte contre le changement climatique ? Par ailleurs, dans le domaine des marchandises, l’interdiction absolue des droits de douane est-elle opportune ? L'ensemble de ces considérations montre l'intérêt du questionnement au sujet de la conformité des traités européens en vigueur par rapport à l'objectif de développement durable promu par l'Union européenne. Afin de critiquer, dans une perspective environnementale, les dispositions du traité de Lisbonne, il conviendra d'analyser les dispositions relatives au principe de la liberté de circulation des marchandises, des personnes et des services (I) ainsi que les dispositions relatives aux politiques sectorielles de l’Union européenne (II). 6 I- Le principe de libre circulation: la promotion d’une croissance économique incompatible avec le principe de développement durable L’UE s’est construite à partir de la notion de liberté de circulation. Cette liberté de circulation est mise en œuvre dans plusieurs domaines : les marchandises, les personnes, les services, les capitaux et les travailleurs. Ces libertés sont absolument fondamentales dans le fonctionnement de l’UE et sont reprises dans le traité de Lisbonne. Le traité leur consacre donc un certain nombre d’articles, dont le contenu a relativement peu évolué par rapport aux traités antérieurs. La libre circulation est mentionnée dés le préambule du TUE tout comme le principe du développement durable. Ces deux principes: libre circulation et développement durable peuvent donc être considérés comme d’égale valeur normative. À cet égard, il est donc intéressant de voir dans quelle mesure le principe de libre circulation pourrait avoir un impact négatif sur le changement climatique et donc, ne pas être en conformité avec le principe de développement durable. La libre circulation des personnes est mentionnée à l’article 21 du TFUE. La libre circulation des marchandises est traitée aux articles 28 à 37, la libre circulation des travailleurs aux articles 45 à 48. La liberté de circulation des services aux articles 56 à 62. Enfin, la liberté de circulation des capitaux aux articles 63 à 66. La question des libertés est en lien direct avec celle du développement économique au sein de l’Union Européenne. Libéraliser les services, les capitaux, les marchandises et permettre une meilleure circulation des personnes et des travailleurs, toutes ces mesures ont pour finalité d’aider au développement économique au sein de l’UE. Cependant, le développement économique tel que conçu par l’UE est-il compatible avec le développement durable et la lutte contre le changement climatique ? Dans une perspective critique du traité de Lisbonne par rapport au changement climatique, on peut donc se demander s’il ne faudrait pas repenser ces articles consacrés aux libertés de circulation afin qu’ils prennent plus en considération les questions climatiques. En effet, dans la rédaction actuelle du traité, seul l’article 36 concernant les justifications possibles aux restrictions quantitatives semble prendre en compte, de manière légère, les questions environnementales. Il s’agira donc de critiquer les dispositions concernant la liberté de circulation en prenant compte les exigences du changement climatique. À ce titre il sera utile, dans le domaine des marchandises, de s’interroger sur l’opportunité de l’interdiction absolue des droits de douane. De même, concernant les restrictions quantitatives, le traité ne semble pas, en l’état, prendre suffisamment en compte les 7 justifications environnementales possibles à ces entraves aux échanges (A). Concernant les autres libertés : travailleurs, services, personnes, capitaux, il est également possible de critiquer certaines dispositions du traité trop centrées sur le développement économique et pas assez sur les impératifs environnementaux. A ce titre, le lien pourra être fait avec la politique des transports de l’Union Européenne, forcément nécessaire à la libre circulation (B). A) La libre circulation des marchandises et le développement durable: une difficile conciliation L’Union Européenne à travers le traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne place très haut dans la liste des préoccupations, la question de la liberté de circulation des marchandises. L’article 26 du TFUE dispose que « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises des personnes des services et des capitaux est assurée ». Cette disposition du traité est intéressante en ce qu’elle place clairement les marchandises en pilier principal, et donc premier, du marché intérieur. Les articles 28 et suivants du TFUE établissent les règles de la libre circulation des marchandises et de l’union douanière. La réalisation de l’union douanière est très importante car il s’agit du niveau le plus avancé possible en matière d’échanges commerciaux. L’union douanière au sein de l’UE est fondée sur un tarif extérieur commun et la libre circulation des marchandises au sein de l’Union, la politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’UE (article 3 TFUE). Il s’avère donc que l’Union est fondée, en tant qu’union douanière sur une certaine « idéologie » de la nécessité de l’abolition des droits de douanes. Cette expression a été employée par J-M. Jancovici qui explique que selon les règles de l’UE « droit de douane is bad for you, même si ils visent à rétablir, par exemple, un différentiel de taxation sur l'énergie fossile11 ». Les droits de douane sont abolis au sein de l’UE alors même qu’ils peuvent être un outil intéressant en faveur du développement durable. En effet, les droits douanes constituent l’un des moyens de niveler les taxes en fonction du produit en cause: si le produit est très polluant il n’est pas absurde d’envisager qu’il soit plus taxé qu’un produit moins polluant. Ces questions d’imposition se règlent à l’intérieur des Etats membres cependant, les droits de douane pourraient avoir leur utilité en matière d’importation et d’exportation de produits au sein de l’UE. 11 JANCOVICI (J-M.), « La Constitution européenne est-elle “bonne” pour l’environnement ? », 2005, http://www.manicore.com/documentation/constitution.htm 8 Certains des articles du TFUE peuvent donc être critiqués en ce qu’ils sont, si ce n’est contraires, au moins peu compatibles aux exigences du développement durable. L’article 30 concernant l’union douanière et l’interdiction des droits de douanes ainsi que les articles 34 et 36 sur les restrictions quantitatives feront l’objet d’une analyse particulière. 1. L’intransigeance de l’Union européenne à l’égard des obstacles tarifaires: article 30 TFUE L’article 30 du TFUE dispose « les droits de douane à l’importation et à l’exportation ou taxes d’effet équivalent sont interdits entre les Etats membres. Cette interdiction s’applique également aux droits de douane à caractère fiscal ». Cet article 30 s’applique donc aux obstacles tarifaires qui pourraient être mis en place par les Etats dans le cadre des échanges de marchandises au sein de l’UE. L’article 30 distingue les droits de douane des taxes d’effet équivalent à des droits de douane qui ont été définis par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) comme « toute charge pécuniaire fut-elle minime unilatéralement imposée frappant les marchandises nationales ou étrangères »12. L’interdiction de l’article 30 est donc extrêmement étendue, les taxes indûment perçues par des autorités nationales devront systématiquement être remboursées à l’opérateur en cause13. Cette disposition ne concerne ni les obstacles non tarifaires qui sont couverts par l’article 34 TFUE ni les impositions intérieures mentionnées à l’article 110 TFUE14. La différence entre les impositions intérieures légales et les obstacles tarifaires mentionnés à l’article 30 est que les taxes intérieures sont imposées par un Etat membre sur des marchandises sans considération de l’extranéité ou non de la marchandise. Les impositions frappent les produits similaires, les Etats membres sont en effet libres d’adopter des régimes d’imposition propres dés lors qu’il n’y a pas de discrimination et que les produits similaires sont taxés de la même manière. L’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité est une exigence fondamentale de l’UE. La CJCE, devenue avec le traité de Lisbonne Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est intraitable quant à cette question. Il ne s’agit pas de critiquer le traité de Lisbonne en ce qu’il impose le principe de non discrimination, cependant il apparaît que sans remettre en question ce principe 12 CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, affaire 24/68. CJCE, 27 mars 1980, Denkavit Italiana, affaire 61/79. 14 «Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directe- ment ou indirectement les produits nationaux similaires. En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions. » 13 9 essentiel, il est possible d’introduire des droits de douane différents entre les produits, fondés non pas sur la nationalité du produit mais sur la pollution induite par celui-ci. Il est possible dans le cadre de l’article 110 TFUE d’imposer des produits selon leur apport pour l’écologie mais ces taxes doivent s’appliquer de manière non discriminatoire. De plus, le produit de la taxe doit être utilisé pour l’intérêt général et ne pas être reversé pour des produits nationaux15. Dans le cadre des questions environnementales, la distinction entre l’article 30 et l’article 110 du TFUE est importante puisque les Etats sont libres d’adopter des impôts « verts » sur des marchandises similaires dans un pays. En revanche, les Etats ne peuvent pas taxer, du fait du franchissement de la frontière des marchandises étrangères puisqu’il s’agirait d’une taxe douanière interdite par l’article 30 TFUE. L’interdiction absolue posée par l’article 30 est susceptible d’être en contradiction avec les objectifs de développement durable. En effet, il est possible de considérer les droits de douane comme l’un des moyens de lutte contre les changements climatiques et le fait de les interdire purement et simplement au sein de l’UE peut s’avérer contre-productif. Au niveau international, l’UE est de plus en plus favorable à l’établissement de droits de douanes élevés sanctionnant les produits très polluants en provenance de pays en dehors de l’UE. C’est ainsi que la commission européenne réfléchit actuellement à l’instauration d’un régime douanier spécifique aux produits verts16. Les armes économiques seront sans doute, à l’avenir, le meilleur moyen de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. En taxant très fortement des produits ayant un bilan carbone élevé et au contraire en faisant bénéficier de faibles taux les produits polluant le moins, les Etats seront incités à produire des produits moins nuisibles à l’environnement. Il est cependant à noter que de telles négociations devront avoir lieu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce ; l’UE, parlant d’une seule voix en tant qu’union douanière y est en l’occurrence très forte. Si ce raisonnement est mené au niveau de la politique internationale de l’UE, on peut regretter qu’il ne soit pas possible de le transposer au sein de l’UE à cause de l’interdiction absolue des droits de douane posée par l’article 30 TFUE. Les articles 34 et 36 TFUE apportent cependant une certaine souplesse à l’interdiction des obstacles non tarifaires. 15 SADELEER de (N.), op. cit., p. 347. COLLIER (R.), « Les droits de douanes en faveur de l’environnement », Project Syndicate, 2008 (http://www.project-syndicate.org/commentary/can-green-trade-tariffs-combat-climate-change-/french/) 16 10 2. Une position plus souple pour les restrictions quantitatives : articles 34 et 36 TFUE Afin de voir ce que pourrait être une union douanière plus respectueuse du développement durable on peut se fonder sur l’étude des articles 34 à 36 du TFUE. L’article 34 du TFUE interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent entre les Etats membres. Dans cet article, il ne s’agit plus d’obstacles tarifaires comme dans l’article 30 TFUE mais d’obstacles non tarifaires. Il s’agit essentiellement des quotas imposés par les Etats à l’importation ou à l’exportation. C’est essentiellement la jurisprudence de la CJCE qui s’est chargée de la définition de la notion de « mesure d’effet équivalent » contenue dans l’article 34 TFUE. Il s’agit selon la Cour de toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire17. L’intérêt de l’analyse du régime des restrictions quantitatives et mesures d’effet équivalent est que, contrairement aux dispositions concernant les obstacles tarifaires, il est possible pour un Etat de justifier l’existence d’un obstacle non tarifaire aux échanges. Deux sortes de dérogations existent : celles expressément prévues par l’article 36 et celles prévues par la jurisprudence. L’article 36 TFUE dispose en effet que « les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle ou commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres ». L’article 36 ne cite pas expressément la protection de l’environnement dans les moyens de justifier certains obstacles non tarifaires aux échanges même si la protection de la santé des animaux et des végétaux peut être rapprochée des considérations environnementales. Toutefois, jusqu’à présent, l’interprétation qui a été faite de cet article a été très restrictive. On peut donc critiquer le fait que l’article ne comporte pas textuellement la mention de l’importance de la protection de l’environnement. On pourrait en effet envisager que la lutte contre la pollution atmosphérique et le changement climatique soient textuellement mentionnés comme des justifications acceptables. 17 CJCE, 11 juillet 1974, Dassonville, affaire 8/74. 11 La jurisprudence a cependant permis d’autres justifications que celles textuellement autorisées par l’article 36. La CJCE a notamment créé la notion « d’exigence impérative d’intérêt général18 » qui justifie l’existence d’obstacles lorsqu’ils ont pour fondement la protection des travailleurs19, du consommateur et surtout, de l’environnement. La CJCE a considéré que la protection de l’environnement était un fondement suffisant pour justifier des entraves à la libre circulation des marchandises20. Elle montre ainsi que les règles en matière de libre circulation peuvent éventuellement être adaptées aux objectifs de développement durable. En se fondant sur les justifications de l’article 36, on peut envisager de les étendre aux droits de douane. En effet si le texte de l’article 36 mais surtout la jurisprudence de la CJUE permettent de limiter la libre circulation des marchandises en se fondant sur les préoccupations environnementales, on voit mal pourquoi il serait impossible de le faire en matière de droits de douane. Il semble donc qu’il soit possible, dans le texte de l’article 30 TFUE de permettre d’ajouter une exception à l’interdiction des droits de douane concernant la protection de l’environnement. Il ne s’agira en aucun cas de remettre en cause le principe de non discrimination puisque le critère de taxation des produits ne sera pas l’origine mais la pollution induite. Par ailleurs, il serait judicieux d’intégrer dans le texte de l’article 36 la justification fondée sur l’environnement puisqu’il n’existe pas de raison valable pour qu’une telle justification ne soit pas textuellement prévue. La libre circulation des marchandises est donc l’un des fondements de l’UE qui s’est construite à partir de l’union douanière. L’intransigeance de l’UE face aux entraves à la libre circulation des marchandises pose d’importantes questions pour le développement durable. En effet, avec un peu plus de souplesse de la part de l’Union, des progrès sont envisageables afin que la circulation des marchandises ne se fasse pas uniquement au détriment d’un développement plus durable. Au-delà du problème des marchandises, le dogme de la liberté de circulation s’applique également aux personnes et aux services. Dans ces deux domaines également, il peut paraître opportun de s’interroger sur la conformité du traité aux impératifs de développement durable. 18 CJCE, 20 février 1979, Cassis de Dijon, affaire 120/78. DUBOUIS (L.) et BLUMANN (C.), Droit matériel de l’Union Européenne, Montchrestien Domat public, Paris, 2012, 6ème édition, 812 p. 20 CJCE, 15 novembre 2005, Commission contre Autriche, affaire 320/03. 19 12 B) La libre circulation des personnes et des services au détriment de la protection de l’environnement L’établissement d’un marché commun de l’UE s’appuie sur la libre circulation des marchandises. Toutefois, on ne peut pas parler d’une libéralisation du marché intérieur sans abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des capitaux. Il nous faudra, donc, examiner leur conciliation avec le concept du développement durable et de la lutte contre le changement climatique. 1. Les enjeux du droit de circuler librement L’article 21 TFUE relève de la catégorie des dispositions du traité relatives à la citoyenneté européenne. Selon son paragraphe 1, “Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour son application”. Introduit par le traité de Maastricht, il énonce l’un des droits les plus marquants attachés au statut de citoyen de l’Union21. Ce droit très vaste des citoyens européens de séjourner et de circuler dans l’Union est justifié par le fait qu’ils sont les destinataires du traité de Lisbonne. Le premier paragraphe de l’article 21 TFUE reprend à l’identique la disposition de l’ancien article 18 TCE. Après une certaine ambigüité sur le champ d’application de cette disposition, la CJCE a précisé dans une série d’arrêts rendus entre 2002 et 2004 que le droit de circuler et de séjourner sur le territoire d’un Etat membre de l’Union est bien conféré directement à tout citoyen de l’Union par l’article 18§1 du traité22. On peut, alors, distinguer dans l’article 21§1 deux libertés des personnes : la liberté de séjour et la liberté de circulation. Selon le sixième rapport de l’Union sur la citoyenneté23, adopté le 27 octobre 2010, 11,7 millions de citoyens de l’Union vivaient dans un autre État membre en 2009. Dans la majorité des cas, les citoyens européens décident de partir à l’étranger pour des raisons d’études et de travail. Le droit de séjourner dans l’Union, étroitement lié avec la notion de citoyenneté européenne ne pose pas de problèmes considérables au développement durable. Il ne fera cependant pas, ici, l’objet de critique 21 PINGEL (I), De Rome à Lisbonne, Commentaire article par article des Traités UE et CE, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2010, p. 414. 22 CJCE 17 sept. 2002 Baumbast, affaire 314/99, 7 sept. 2004 Trojani, affaire 456/02, 19 oct. 2004 Zhu et Chen, affaire 200/02, 29 avr. 2004 Orfanopoulos et Oliveri, affaires 482/01 et 493/01. 23 Commission européenne, Rapport sur la citoyenneté de l’Union - Lever les obstacles à l’exercice des droits des citoyens de l’Union, Bruxelles, 27 octobre 2010, COM(2010) 602 final. 13 dans la mesure où il est très difficile de considérer qu’il pourrait éventuellement avoir un impact sur l’environnement, et plus précisément sur la lutte contre le changement climatique. Par contre, une critique de l’article 21, peut-être fondée sur l’autre droit qu’il consacre, à savoir la liberté de circulation des personnes. On doit, alors, affirmer son caractère contradictoire avec la lutte contre le changement climatique. Le traité de Lisbonne, avec cette disposition, incite les citoyens européens à augmenter leurs déplacements sur le territoire de l’Union, dans un objectif de développement économique des Etats membres par la réalisation de grands ouvrages comme la construction d’autoroutes et d’aéroports24. On peut dire que la disposition sur la libre circulation des personnes est incontestablement liée à la conception européenne du transport et du tourisme. Dans le sixième rapport de l’Union sur la citoyenneté25, on trouve un titre frappant, “Les citoyens en tant que consommateurs” dans lequel sont analysées les difficultés des citoyens européens de circuler au sein de l’Union. Il est estimé que les Européens ont effectué environ 1,4 milliard des voyages en 2008, dont 90% à l’intérieur de l’Union. En prenant en compte la volonté de renforcer le déplacement sur le territoire de l’Union exprimée dans ce rapport, il faudra se demander quel sera l’impact de cette circulation sur le changement climatique. L’augmentation du nombre de voyages dans l’Union a en effet comme conséquence inévitable une utilisation excessive des moyens de transport, principalement des avions et des véhicules routiers. Or, on comprend que l’incitation à circuler est implicitement une incitation à émettre des gaz à effet de serre. Le rapport de la Commission semble ainsi remettre en question l’intention de l’Union de participer à la lutte contre le changement climatique, exprimée par son droit dérivé préexistant au Traité de Lisbonne. Le nouvel article 21§3 TFUE supprime toute mesure concernant les passeports, les cartes d’identité et les cartes de séjour. De plus, l’adoption de mesures pour des raisons de sécurité ou de protection sociale qui relevait traditionnellement de la compétence des Etats membres est attribuée par le traité de Lisbonne au Conseil européen. Cette modification apportée par le traité de Lisbonne vise à faciliter et à renforcer l’exercice de la libre circulation des personnes dans l’Union26. On comprend, alors, qu’il incombe exclusivement au Conseil d’imposer des limites à cette libre circulation. L’article 21 tel qu’il est rédigé aujourd’hui est manifestement contraire à la lutte contre le changement climatique. Une modification de son paragraphe 3 pourrait cependant lui donner un caractère plus environnemental. 24 JANCOVICI (J-M), « La constitution européenne est-elle bonne pour l’environnement »? », op. cit. Commission européenne, Rapport sur la citoyenneté de l’Union - Lever les obstacles à l’exercice des droits des citoyens de l’Union, op. cit. 25 26 PRIOLLAUD (F-X.) et SIRITZKY (D.), Le Traité de Lisbonne, Texte et Commentaire Article par Article des nouveaux Traités Européennes (TUE-TFUE), La documentation Française, Paris, 2008, p.194. 14 Plus précisément, selon la disposition actuelle, le Conseil exerce un pouvoir en matière de sécurité et de protection sociale en prenant des mesures adéquates. Il serait, donc, opportun d’ajouter la protection de l’environnement comme un troisième critère afin de permettre au Conseil d’intervenir en imposant des limites à la libre circulation des personnes. Indéniablement, ce pouvoir exercé par le Conseil doit avoir un caractère exceptionnel. Néanmoins, la prise en compte de l’environnement dans les politiques relatives à la libre circulation des personnes va donner au Traité de Lisbonne un caractère plus conforme à la lutte contre le changement climatique. 2. La libre prestation de services et sa nature résiduelle par rapport à la libre circulation des marchandises La libre prestation des services fait partie des quatre libertés fondamentales sur lesquelles le marché intérieur s’est construit. Son rôle primaire est affirmé par le fait que les services constituent aujourd’hui plus des deux tiers du produit national brut de l’Union et sont la principale source de création d’emploi27. Elle est consacrée dans le traité de Lisbonne par l’article 56, selon lequel, « les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation ». En prenant en compte l’article 57 TFUE qui prévoit que les prestations de services ne sont pas considérées comme telles que « dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises », on peut constater que la libre circulation des marchandises avait pendant longtemps le rôle d’une lex generalis utilisée par la Cour de Justice afin d’examiner la compatibilité d’une activité avec la protection de l’environnement. Par contre, la libre prestation de services n’avait qu’une nature résiduelle et elle était invoquée exceptionnellement28. La liberté de prestation de services est étroitement liée au droit d’établissement, consacré dans l’article 49 TFUE. La directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 dite « directive services » ou « directive Bolkestein » est essentielle afin d’interpréter ces deux articles. Si on examine cette directive en parallèle avec la disposition de l’article 56 TFUE, on constate que l’Union vise à une simplification administrative des procédures de prestation de services par la reconnaissance mutuelle des certificats et des attestations. Cette volonté de faciliter la prestation de services au sein 27 28 SADELEER de (N.), op. cit., p. 414. CJUE, 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, affaire 513/99. 15 de l’Union est fondée sur le principe de non-discrimination entre les Etats membres et le principe de proportionnalité. Comme élément du marché intérieur, la libre prestation de services a pour but primordial le développement économique au sein de l’UE. Toutefois, la directive « services » n’est pas dépourvue de conscience environnementale. En ce qui concerne les services, elle prévoit dans son article 16§1 des restrictions pour des raisons d’ordre public, de santé, de sécurité publique et de protection de l’environnement. De plus, le traité de Lisbonne prévoit à l’article 52 TFUE des restrictions au droit d’établissement pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique. L’article 62 TFUE dispose que les restrictions de l’article 52 sont également applicables en matière de prestation de services. On constate que le traité se différencie par rapport à la directive et elle ne comprend pas la protection de l’environnement dans le champ de l’article 52. Outre le fait que la Cour de justice prenne en compte la protection de l’environnement dans sa jurisprudence comme raison impérieuse d’intérêt général qui justifie une dérogation à l’article 52, il est remarquable que le législateur européen ait évité de le reprendre expressément dans le traité. La liberté consacrée par l’article 56 facilite la prestation de services dans l’Union. Néanmoins, comme elle est étroitement liée avec le transport et le tourisme qui constituent deux domaines visés par la directive « services », on peut considérer qu’elle n’est pas conciliable avec le concept du développement durable et de la lutte contre le changement climatique. La prise en compte des enjeux environnementaux afin de limiter cette libre prestation de services constitue une nécessité. Il serait donc opportun d’ajouter à l’article 52, la protection de l’environnement comme raison restrictive à la liberté de prestation de services. Il faut mentionner qu’une telle restriction n’aurait pas nécessairement comme résultat d’imposer un obstacle aux prestations de services à l’extérieur. Par contre, cette disposition pourrait motiver les prestataires étrangers à exercer leurs activités dans le respect de la protection de l’environnement afin d’éviter cette restriction. De plus, elle pourrait amener à la création d’une concurrence « verte » entre les prestataires européens afin de trouver la solution la plus conforme possible à l’objectif de protection de l’environnement et par conséquent, à la lutte contre le changement climatique. La liberté de circulation des marchandises, des personnes et des services est, en l’état actuel, peu favorable au développement durable. L’introduction d’une certaine souplesse dans les restrictions douanières et la prise en compte d’un nouveau critère relatif à l’environnement permettrait cependant de transformer la liberté de circulation en un véritable atout pour une compétitivité verte. Il convient également de s’intéresser à une question qui se trouve, dans une certaine mesure, en 16 amont de la liberté de circulation: la gestion des ressources naturelles et leur prise en compte dans les politiques sectorielles. II- Les politiques sectorielles de l’Union européenne : une gestion inadaptée des ressources naturelles L’énergie figure depuis toujours au cœur de la construction européenne avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) le 18 avril 1951, et la Communauté européenne pour l’énergie atomique (CEEA ou EURATOM), instituée le 25 mars 1957. Cependant, hormis ces deux compétences sectorielles, le traité de Rome ainsi que ceux qui le complètent ne comprenaient, avant l’adoption du traité de Lisbonne, aucune disposition relative au secteur de l’énergie. Les raisons de cette exclusion sont nombreuses, mais l’un des points essentiels résidait dans l’opposition des Etats membres quant aux transferts de compétences dans ce secteur considéré comme stratégique. La mise en place d’une politique commune de l’énergie se heurtait, en outre, aux divergences des choix énergétiques au sein de la Communauté, car si la place du pétrole était, et est encore relativement identique dans les Etats membres, la place des autres sources d’énergie telles que le gaz, le nucléaire, le charbon et les énergies renouvelables dépendait de choix nationaux non maîtrisables par l’Europe29. Pourtant, la flambée spectaculaire du prix du pétrole lors du premier choc pétrolier, les doutes croissants sur la sécurité des approvisionnements énergétiques et la prise de conscience des périls liés au changement climatique, a conduit les institutions communautaires à réfléchir à l’élaboration d’une action commune de coordination dans ce domaine. Mais ce n’est qu’après l’adoption de mesures de droit dérivé visant la réduction de la dépendance, notamment pétrolière, et la promotion d’énergies alternatives, que l’UE s’est dotée d’une base juridique conventionnelle relative à l’énergie. Cet anachronisme n’est pas sans lien avec la conciliation difficile qui semble résulter de l’ajout de dispositions spécifiques à l’énergie avec les dispositions historiques relatives à l’environnement (A). La politique agricole commune, les politiques du tourisme et de l’industrie sont également en décalage avec l’objectif de lutte contre le changement climatique et plus spécifiquement avec l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement contenue dans le nouveau chapitre consacré à l’énergie (B). 29 GRAMMATICO (L.), Les moyens juridiques du développement énergétique dans le respect de l’environnement en droit français – Recherches sur le droit du développement durable, Tome I, Presses universitaires de Marseille, 2003, p. 133, 312 p. 17 A) Les potentielles contradictions entre les dispositions relatives à l’énergie et les dispositions spécifiques à l’environnement Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, en décembre 2008, les 27 États membres de l’UE sont parvenus à un accord sur un « paquet énergie climat » avec pour objectif d’améliorer l’efficacité énergétique de 20%, de porter à 20% la part de renouvelable dans la consommation d’énergie et de réduire de 20% les émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990. Mais ce n’est qu’en 2007, lors de l’adoption du traité de Lisbonne, que la politique de l’énergie fait son entrée dans le droit primaire. Avant cette date, l’UE adoptait des mesures relatives à l’énergie sur le fondement de dispositions diverses du traité qui ne lui en donnait pourtant pas la compétence explicite, comme les dispositions relatives au marché intérieur (Ex-article 95 TCE), aux réseaux transeuropéens (ex-articles 154-156 TCE), à la concurrence (ex-articles 81-88 TCE) ou à l’environnement pour l’adoption des mesures relatives à l’efficacité énergétique (ex-article 175 TCE). L’article 194 du TFUE, intégré dans un nouveau chapitre relatif à l’énergie va permettre à l’UE, ainsi que le prévoyait également le traité établissant une Constitution pour l’Europe (article III256)30, de développer une politique énergétique plus harmonisée, désormais fondée sur des dispositions qui lui donnent une compétence en la matière. Nous verrons que si cette disposition semble promouvoir une politique énergétique durable, sa rédaction pose un certain nombre de difficultés quant à sa conciliation avec les dispositions environnementales du traité et crée de l’incertitude en tant que base juridique favorable à la lutte contre le changement climatique. 1. La promotion d’une politique énergétique durable dans un cadre procédural complexe En vertu de l’article 194 §1 TFUE : « 1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres: ● a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie; ● b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union; 30 PETIT (Y.), « A la recherche d’une politique européenne de l’énergie », in Revue trimestrielle de droit européen , n°4/2006, p. 593. 18 ● c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables; et ● d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques. » L’un des volets de la politique européenne de l’énergie est donc de préparer le déclin annoncé des énergies fossiles et de favoriser le développement des énergies renouvelables. L’exigence de « préserver et d’améliorer l’environnement » est redondante avec les articles 191, 192 et 193 TFUE spécifiques à l’environnement mais applique concrètement l’article 11 TFUE qui impose l’intégration des considérations environnementales dans toutes les politiques européennes. L’article 194 va néanmoins plus loin et exige que toute mesure fondée sur la base légale de l’énergie ne doit pas seulement prendre en compte l’environnement mais doit aussi permettre de le préserver et de l’améliorer. La préservation et l’amélioration de l’environnement n’est cependant pas l’objectif poursuivi par l’article 194 qui est davantage destiné à fournir une base juridique aux mesures de l’UE en matière énergétique selon la procédure suivante : « Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions. Elles n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c)». (Article 194 §2). Les mesures sont ainsi adoptées selon la procédure législative ordinaire31, hormis celles de nature fiscale qui requièrent l’unanimité au Conseil après consultation du Parlement européen (article 194 §3). L’énergie entre donc officiellement au titre des compétences partagées entre l’UE et les Etats membres, ce qui est une opportunité de fonder une politique européenne énergétique conforme aux engagements européens pris à l’égard de la lutte contre le changement climatique. Cependant, dans certains domaines, les Etats membres se sont vus reconnaître « une réserve de compétences » à savoir dans la détermination des conditions d’exploitation des ressources énergétiques, leur choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de leur approvisionnement énergétique. Ce qui revient à dire que l’UE ne peut adopter de mesures dans les domaines phares de la lutte contre le changement climatique. 31 La procédure législative ordinaire (auparavant procédure de codécision) permet au Parlement européen d'adopter certaines directives et règlements communautaires en partenariat avec le Conseil de l’UE: les deux pouvoirs doivent s'accorder sur le texte avant que celui-ci soit adopté. 19 Avec la formule « sans préjudice de l’article 192, paragraphe 2, point c) » l’article 194 §2 ajoute néanmoins une référence spécifique aux dispositions relatives à l’environnement et plus particulièrement à la procédure d’adoption des mesures environnementales prévue à l’article 192 §2 c) TFUE qui dispose que les mesures affectant sensiblement le choix d'un Etat membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique sont adoptées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale et après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions. L’interprétation, bien que périlleuse, qui peut en découler est la suivante selon Maître Thieffry : « En d’autres termes, les mesures européennes affectant les conditions d’exploitation des ressources énergétiques, le choix entre les différentes sources d’énergie et la structure générale de l’approvisionnement énergétique d’un Etat membre restent strictement du domaine de la politique de l’environnement, nonobstant leur dimension énergétique évidente ; ce qui revient aussi à dire que l’Union ne peut en prendre que si elles ont une finalité environnementale.32 » L’UE garde donc une compétence à l’égard des mesures énergétiques en lien avec la lutte contre le changement climatique, mais les conditions d’adoption de ces mesures sont les plus strictes : l’unanimité des 27 Etats membres. Cette procédure et la conciliation délicate avec les dispositions spécifiques à l’environnement produit une incertitude quant à l’adoption, par l’UE, de mesures favorables à la lutte contre le changement climatique, sur le fondement de l’article 194. 2. Une base juridique incertaine quant à la lutte contre le changement climatique Le choix de la base juridique entre les dispositions relatives à l’énergie et celles relatives à l’environnement sera déterminant quant à la lutte contre le changement climatique. Or, la détermination du fondement juridique d’une législation européenne dépend de son contenu et des objectifs qu’elle poursuit selon la jurisprudence constante de la CJCE33. Au cas où une mesure poursuit deux objectifs en même temps, la priorité est donnée à la base juridique qui représente l'objectif de plus grande importance. Plusieurs dispositions peuvent également fonder une mesure lorsqu’elle a plusieurs objectifs d’importance similaire, à moins qu’il y ait une incompatibilité entre les procédures d’adoption des décisions34. 32 THIEFFRY (P.), « Droit européen de l’environnement 2009 », Revue trimestrielle de droit européen 2010, p. 403. CJCE, 11 juin 1991, Commission C/ Conseil, Affaire C-300/89, para. 10. 34 CJCE, 11 juin 1991, Commission c/Conseil, Affaire C-300/89, paras 17-21; et CJCE, 16 janvier 2003, Commission c/ Conseil, Affaire C-388/01, para. 58. 33 20 Or, les dispositions de l’article 194 et de l’article 192 prévoient des procédures différentes. Le choix de la base juridique environnementale est en l’occurrence plus favorable puisque les mesures relatives aux questions d’énergie en lien avec la lutte contre le changement climatique peuvent être adoptée soit par le biais de la procédure législative ordinaire (article 192§1), soit par la procédure législative spéciale, c’est-à-dire à l’unanimité du Conseil (article 192§2) mais admet encore une possibilité que l’article 194 ne propose pas : article 192§2 c) dernier alinéa « Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions, peut rendre la procédure législative ordinaire applicable aux domaines visés au premier alinéa. » Ainsi, le Conseil a la possibilité de dépasser la limite de l’unanimité requise pour adopter les mesures « affectant sensiblement le choix d'un État membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » et changer les règles de procédure en faveur de la procédure législative ordinaire, plus souple, à condition que la mesure soit fondée sur l’article 192. Cette observation est fondamentale quant à l’adoption des textes de droit dérivé relatif à l’efficacité énergétique, aux économies d’énergie et aux choix des énergies renouvelables. En effet, si l’UE propose par exemple d’adopter une mesure visant à réduire ou interdire l’utilisation de charbon dans la production d’énergie en vue de réduire les émissions de CO2 et qu’un Etat membre considère que cette mesure porte atteinte à son choix d’exploitation de ses ressources énergétiques, ce type de mesure ne pourrait pas être adoptée sur la base des dispositions de l’article 194 relatives à l’énergie35. Pour finir, il faut également mentionner que l’article 194 ne comporte pas de dispositions permettant, comme c’est le cas pour les dispositions spécifiques à l’environnement, aux Etats membres, de maintenir ou établir des mesures de protection renforcées, c’est-à-dire plus strictes que celles adoptées au niveau de l’UE en matière d’environnement (article 193 TFUE). Cela signifie qu’une mesure relative à l’énergie mais qui aurait une finalité environnementale adoptée sur le fondement de l’article 194 (cf. l’interprétation de maître Thieffry sus-évoquée), serait non seulement peu exigeante en raison du consensus requis par la règle de l’unanimité mais pourrait, par ailleurs, pénaliser les politiques plus volontaristes de certains Etats membres, qui n’auront pas la possibilité d’adopter des mesures plus strictes. À cet égard, il pourrait être souhaitable d’inclure dans l’article 194, une disposition permettant aux Etats membres d’adopter ou de maintenir des mesures plus strictes que celles adoptées au niveau communautaire36. 35 CLIENTEARTH, « The impact of the Lisbon Treaty on climate and energy policy – an environmental perspective », ClientEarth legal Briefing, January 2010 36 CLIENTEARTH, op. cit. 21 Ainsi, alors que l’article 194 promeut une politique de l’énergie respectueuse de l’environnement, ses dispositions n’en font pas une base juridique adéquate pour l’adoption de mesures en lien avec la lutte contre le changement climatique. La complexité introduite par ses règles de procédure sera probablement l’objet d’un contentieux à venir devant la CJUE. La difficulté d’interprétation de ces dispositions n’est que le reflet des réticences étatiques à confier leurs compétences régaliennes en matière d’énergie à l’UE, là où une politique intégrée serait souhaitable en terme de promotion des énergies renouvelables. Pourtant, la communautarisation des politiques sectorielles n’est pas systématiquement favorable au développement durable et à la lutte contre le changement climatique. Les dispositions relatives à l’agriculture, au tourisme et à l’industrie fournissent les exemples pertinents d’une faible prise en compte de l’environnement dans les politiques de l’UE, limitant ainsi la portée contraignante de l’article 11 sus-évoqué relatif au principe d’intégration. B) L’utilisation durable de l’énergie absente des fondements des politiques sectorielles La protection de l’environnement imposerait une utilisation durable de l’énergie, tant pour faire face au déclin de l’énergie fossile qu’à la lutte contre le changement climatique, comme le montre le rapport n°1. Pourtant, et alors que le principe d’intégration de l’article 11 TFUE l’exige, il n’est pas question de développement durable dans les politiques de l’Union liées à l’énergie, aussi bien en matière d’agriculture que de politique relative à l’industrie et au tourisme. 1. Politique agricole commune versus agriculture durable La politique agricole commune (PAC), en ce qu’elle concerne l’agriculture est très fortement liée à l’environnement et donc au changement climatique. En effet l’agriculture a des répercussions importantes sur le climat. Les émissions d’ammoniac sont responsables du phénomène des pluies acides et des gaz à effet de serre sont également émis37. Cet impact de l’agriculture devrait être pris en compte dans la PAC, ne serait-ce que par cohérence, maintenant que le principe d’intégration est reconnu. Il s’agit de l’effet pervers d’une construction de pas à pas, par ajouts successifs: le 37 LOYAT( J.) et PETIT (Y.), La politique agricole commune : un enjeu de société, La documentation française Paris, 2003, 191 p. 22 manque de cohérence. Le principe d’intégration est ajouté afin que les politiques de l’Union prennent en compte la protection de l’environnement mais pour autant, cette intégration n’est pas visible, en l’occurrence dans les dispositions relatives à la PAC. Au contraire, il faut remarquer que la PAC telle que décrite dans le traité est loin de considérer la protection de l’environnement. Outre l’absence de protection de l’environnement, les objectifs de la PAC vont même à son encontre. L’article 39 dispose que : « 1. La politique agricole commune a pour but: a) d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu'un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d'œuvre, b) d'assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture, c) de stabiliser les marchés, d) de garantir la sécurité des approvisionnements, e) d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. 2. Dans l'élaboration de la politique agricole commune et des méthodes spéciales qu'elle peut impliquer, il sera tenu compte: a) du caractère particulier de l'activité agricole, découlant de la structure sociale de l'agriculture et des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles, b) de la nécessité d'opérer graduellement les ajustements opportuns, c) du fait que, dans les États membres, l'agriculture constitue un secteur intimement lié à l'ensemble de l'économie. » Tout d’abord le premier objectif de la PAC est d'accroître la productivité de l'agriculture. Cependant la productivité de l’agriculture est justement peu compatible avec la protection de l’environnement puisque la productivité implique l’utilisation massive d’eau, d’engrais et des sols aboutissant à une surexploitation et donc à un appauvrissement des terres. Maître Thieffry écrit que « les dommages causés à l'environnement par le productivisme agricole, historiquement favorisé par le soutien communautaire à la production de certains produits clés, ont été à la mesure du rôle important de l'agriculture dans la construction européenne »38. L’idée de productivité pourrait à la limite être compatible avec la protection de l’environnement si elle était tempérée d’un objectif de productivité durable. Il existe en effet des méthodes pour une agriculture durable, et celle-ci pourrait être voulu la plus productive possible. Ce serait tout à fait légitime, surtout au vu de l’accroissement de la population. 38 THIEFFRY (P.) «La politique agricole commune : nœud d'une crise communautaire sans précédent ou modèle d'intégration des exigences de la protection de l'environnement ?» Revue Environnement n° 8, Août 2005, étude 29 23 Dans ce même premier paragraphe, il est question de faire un « emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d'œuvre ». On peut penser qu’il pourrait être nécessaire de faire également un emploi optimum des ressources naturelles. Cet article est clairement orienté vers des objectifs économiques et sociaux, laissant de côté l’environnement. Le deuxième alinéa de l’article prévoit que « dans l'élaboration de la politique agricole commune et des méthodes spéciales qu'elle peut impliquer, il sera tenu compte (...) du fait que, dans les États membres, l'agriculture constitue un secteur intimement lié à l'ensemble de l'économie ». Il s’agit encore d’économie. L’agriculture est un secteur intimement lié aux questions d’environnement, de santé et de climat. Ces problématiques ne sont pas du tout mentionnées dans la PAC ; il n’est question que d’économie. Cela s’explique par l’époque à laquelle a été mise en place la PAC, encore loin des considérations environnementales. Cependant il est regrettable qu’aujourd’hui, il ne soit toujours pas question d’agriculture durable, encourageant des méthodes respectueuses de l’environnement. Cette critique de la PAC peut toutefois être tempérée. Si dans le fondement textuel de la PAC il n’est pas question d’environnement, il en est autrement dans le droit dérivé. Les mesures envisagées dans le cadre de la PAC depuis plus d’une dizaine d’années font preuve de l’intégration des préoccupations environnementales39. Il n’est pas question ici d’approfondir la question du droit dérivé qui sera traitée dans le rapport n°3, atténuant sans doute les critiques opposées aux Traités de l’Union. L’absence d’intégration de l’environnement dans le texte fondateur n’est pas une spécificité de la PAC. D’autres politiques de l’Union, pourtant liées aux questions environnementales, sont concernées par cette absence : le tourisme et l’industrie. 2. Le retard du tourisme et de l’industrie en matière de développement durable Les deux grandes politiques sectorielles que sont le tourisme et l’industrie sont à évoquer également. De même que la PAC, elles ont un impact très fort sur l’environnement de par leur objectif et les méthodes utilisées pour y parvenir. a. Une tentative de tourisme durable 39 THIEFFRY (P.) «La politique agricole commune : nœud d'une crise communautaire sans précédent ou modèle d'intégration des exigences de la protection de l'environnement ?», op. cit. 24 Les traités de Maastricht et d’Amsterdam ont inclus le tourisme parmi les objectifs de l’UE sans prévoir d’instruments spécifiques pour sa mise en œuvre. Ainsi, jusqu’à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il n’existait pas de base juridique pour la politique européenne du tourisme. Cette situation a évolué avec l’introduction dans le traité de Lisbonne d’un article 195 établissant une base juridique propre pour le tourisme. Cependant, le tourisme constitue un domaine dans lequel l’Union dispose seulement de compétences d’appui vis-à-vis des actions des Etats membres, ce qui — tout en promouvant la compétitivité des entreprises de l’Union — exclut toute harmonisation au niveau européen dans le tourisme et rend délicate une bonne prise en compte des préoccupations climatiques. L’Article 195-1 énonce que « 1. L'Union complète l'action des États membres dans le secteur du tourisme, notamment en promouvant la compétitivité des entreprises de l'Union dans ce secteur. A cette fin, l'action de l'Union vise: a. à encourager la création d'un environnement favorable au développement des entreprises dans ce secteur; b. à favoriser la coopération entre États membres, notamment par l'échange des bonnes pratiques. » On remarque dès la première lecture de l’article qu’aucune référence n’est faite à la protection climatique. Une lecture brute amène à penser que le but de cette disposition sur le tourisme est uniquement la promotion de la compétitivité. Or, compétitivité appelle une plus grande productivité et une consommation en hausse ce qui n’est pas sans impacts environnementaux. Il semble illusoire de concilier développement du tourisme et lutte contre le changement climatique si aucune mention de protection environnementale ou même plus largement de durabilité n’est faite dans l’article. L’intégration environnementale n’est clairement pas exprimée en l’espèce. Ce manque d’intégration dans la politique du tourisme est à déplorer. En effet, le tourisme étant un domaine très transversal, il sert de base, et influence d’autres domaines politiques européens, tels que la libre circulation des personnes, des marchandises et des services, les petites et moyennes entreprises, la protection des consommateurs, l’environnement et la lutte contre le changement climatique, les transports, ou encore, la politique régionale. Les mesures prises dans le domaine du tourisme ont donc des conséquences directes ou indirectes sur ces secteurs. Ajouté à cela, le tourisme est intimement lié aux transports qui ont eux aussi des conséquences néfastes pour le climat mais où, pourtant, le même objectif de développement économique est favorisé. Constructions de routes, d’aéroports et développement du transport en masse sont une des premières causes de pollutions atmosphérique. Pour ces raisons l’article 195 doit mentionner de 25 façon claire le besoin de durabilité et de lutte contre le changement climatique, le fondement de ce constat est logique et imparable : c’est probablement le domaine qui lui nuit le plus. L’intégration environnementale ne peut pas en être évincée laissant ainsi la porte ouverte à de nouvelles dégradations du climat dans un domaine qui lui cause déjà du tort depuis de nombreuses années. Mais de façon plus profonde : comment concilier efficacement développement durable, lutte contre le changement climatique et compétitivité des entreprises liées au tourisme ? La priorité est pour l’instant donnée à la compétitivité, ce qu’il faut changer pour trouver un équilibre entre ces buts a priori contradictoires. Cependant le premier pas d’un tel changement d’état d’esprit se fait par la mention, au plus haut niveau législatif, de la valeur égale voire supérieure de l’intérêt climatique. Afin de nuancer cette critique il semble intéressant de noter qu’en 2003 la Commission a adopté une communication intitulée « Orientations de base pour la durabilité du tourisme européen40 ». Cette communication avait pour objectif l’élaboration et la mise en œuvre d’une sorte d’agenda 21 européen pour le tourisme, qui a abouti à la mise en place d’un groupe d’experts « Durabilité du tourisme ». Ce groupe a rédigé un rapport en février 2007 permettant d’identifier des lignes directrices afin de définir des pratiques durables des entreprises et des touristes. Sur la base du rapport, la Commission a également adopté en 2007 une communication intitulée « Agenda pour un tourisme européen durable et compétitif41 », dans laquelle elle définit les mesures à prendre pour promouvoir la durabilité du tourisme dans le cadre de la stratégie renouvelée de Lisbonne. Ces démarches, faites en amont, certes positives semblent ne pas avoir été retenues lors de la rédaction de l’article 195 ce qui est à regretter mais semblaient de toutes façon bien maigres vis-àvis du défi que représente la lutte contre le changement climatique. Des progrès sont en marche en matière de transport également, secteur sous-jacent à la politique du tourisme. Dans son nouveau livre blanc sur l’avenir des transports d’ici 205042 la Commission décrit la transition des transports entre anciens et nouveaux défis et tente une approche pour les surmonter. Le but inscrit dans ce livre blanc est la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 60% d’ici 2050 sans pour autant freiner la croissance ou la mobilité. À cette occasion la Commission a reconnu que malgré le principe d’intégration la politique des transports et a fortiori du tourisme n’était pas encore durable. Une idée s’installe de façon de plus en plus forte, celle de 40 Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Orientations de base pour la durabilité du tourisme européen, Bruxelles, le 21.11.2003 COM(2003) 716 final. 41 Communication de la Commission, Agenda pour un tourisme européen compétitif et durable, Bruxelles, le 19.10.2007 COM(2007) 621 final. 42 Commission européenne, Live blanc, Feuille de route pour un espace européen unique des transports- Vers un système de transport compétitif et économe en ressources”, Bruxelles, le 28.3.2011 COM(2011) 144 final. 26 rupture avec la système de transport au pétrole sans en sacrifier son efficacité. La Commission préconise l’utilisation d’énergie de façon limitée et plus propre et de changer la méthode d’exploitation des infrastructures de transport modernes afin de lutter contre le changement climatique et préserver l’environnement et le patrimoine naturel. On voit ici un début d’application efficace du principe d’intégration. Cependant inscrire la lutte contre les changements climatiques dans le texte même des articles concernés donnerait plus de force à cet objectif. Le même problème va se poser en matière d’industrie. b. Une industrie tournée vers l’idée de productivité L’article 173-1 TFUE relatif à l’industrie est rédigé comme suit : « 1. L'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées. À cette fin, conformément à un système de marchés ouverts et concurrentiels, leur action vise à: — accélérer l'adaptation de l'industrie aux changements structurels; — encourager un environnement favorable à l'initiative et au développement des entreprises de l'ensemble de l'Union, et notamment des petites et moyennes entreprises; — encourager un environnement favorable à la coopération entre entreprises; — favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d'innovation, de recherche et de développement technologique. » Comme en matière de tourisme l’article fait référence à « la compétitivité des entreprises » et au « développement économique des entreprises et des technologies ». Ce dernier objectif va à l’encontre de la lutte contre le changement climatique car favoriser le développement technologique entre entreprises augmente corrélativement le potentiel polluant. On ne remarque pas d’indications de développement de technologies « durables » mais seulement de « technologies ». L’article est rédigé de telle façon que les ressources semblent infinies. L’idée de durabilité est ici totalement laissée de côté. Encore plus qu’ailleurs, en matière d’industrie (secteur créateur d’emploi et de profit) la notion de développement durable semble écrasée par les enjeux économiques associés. L’idée semble s’être développée de productivité à productivisme. Il est possible de nuancer en remarquant que les objectifs de développement durable sont généraux et difficiles à mettre en œuvre contrairement aux objectifs de développement économique, plus matériels et concrets. Cependant en matière de lutte contre le changement climatique des mesures concrètes semblent plus facile à définir et mettre en œuvre car s’attaquant à un problème délimité. 27 Alors, pourquoi sur le même modèle que le développement économique, le TFUE n’instaure-t-il pas des mesures intégrées et concrètes de lutte contre le changement climatique ? Pourquoi ne pas définir des méthodes et technologies moins agressives pour l’environnement quitte à entacher peutêtre la productivité, mais de façon raisonnable ? Une deuxième observation nécessite alors d’être apportée en conséquence de cette dernière remarque. Il est impossible qu’un tel secteur devienne entièrement voué à la lutte contre le changement climatique. Une industrie dite durable semble difficile à réaliser pour l’instant. En effet l’industrie est un domaine créateur d’emploi et il est fondamental d’assurer une bonne productivité comme objectif de la politique qui y est associée; surtout en période de crise économique et sociale. Ce secteur est fondamental mais rien n’empêche un objectif principal de productivité et un second objectif environnemental adjacent, passant par l’utilisation obligatoire de technologies « propres » par exemple. En matière d’industrie le texte laisse à penser que ce deuxième objectif pourtant sensé être intégré dans la politique, soit à peine pris en compte. Or, la lutte contre le changement climatique ne peut être mise de côté, même lorsque des situations aux conséquences plus directes et présentes apparaissent43. Il faut que les considérations climatiques et plus largement environnementales soient toujours prises en compte quelle que soit la situation économique du monde, même si le degré de prise en considération peut certes varier. D’un point de vue purement environnementaliste, l’industrie ne montre pas un exemple de durabilité et on semble loin de l’idée même « d’industrie verte ». Encore plus que dans les autres secteurs un équilibre doit être trouvé voire même simplement recherché44. Plus globalement, on remarque dans l’étude des politiques sectorielles en général une certaine volonté de l’UE d’organiser des politiques à la fois durables et productives. Cependant avant d’arriver à cet équilibre un long chemin reste à parcourir. 43 Notamment la baisse de l’économie ou le besoin de création d’emploi: MOUSSIS (N), Accès à l’Union Européenne, droit, économie, politique, 13ème ed, European Study service, Rixensart, 2008. 44 La stratégie industrielle commune instaurée par l’UE indique clairement un objectif l’environnement dans les résolutions du Conseil. de protection de 28 Conclusion Ce rapport consistait à critiquer le traité de Lisbonne dans une perspective de protection de l'environnement et plus précisément de lutte contre le changement climatique. C'est le texte même du traité qui a été ainsi étudié. Pour autant il faut bien avoir en tête que ce traité est le fruit d'une construction par petits pas, avec un élargissement progressif tant des compétences de l'UE que du nombre d'Etats membres. Cela explique, en partie, le manque de cohérence entre certaines dispositions. L'élaboration de textes comme ceux critiqués est toujours le fruit d’un consensus politique, de ce fait, vouloir un texte fondateur qui soit en tous points cohérent avec une lutte contre le changement climatique est ambitieux voire utopique. En effet pour qu'il le soit vraiment, il faudrait bouleverser les piliers fondateurs de l'UE. Il est intéressant de se dire qu'un texte ne doit pas être trop précis pour ne pas figer les priorités et modalités d'exercice. Le plus important est de laisser une marge pour intervenir. Si le manque de cohérence est réel dans le traité, le droit dérivé qui en découle est quant à lui très environnemental. C'est d'ailleurs l'objet du rapport n°3 que de faire un bilan de ce droit dérivé. Il semblerait en effet que le droit de l'union n'ait pas eu besoin de base solide pour édicter des mesures favorables à l'environnement. Au sein de la communauté internationale, l'UE se place d'ailleurs en leader dans la protection de l'environnement, et tout particulièrement en terme de lutte contre le changement climatique. C'est elle qui est la plus avancée et qui porte encore les objectifs les plus ambitieux à chaque conférence des parties de la Convention cadre pour le changement climatique de 1992. Cette place importante ne doit pas être minimisée dans la perspective d'une meilleure lutte contre le changement climatique. L'UE faisant déjà beaucoup à l'intérieur de ses frontières, il semble aujourd'hui qu'elle pourrait néanmoins faire plus, en mettant en place une politique d'aide internationale en matière d'environnement. Considérant que plus de la moitié de l’aide publique mondiale au développement provient de l’UE, la coopération internationale occupe, indéniablement, un rôle primordial dans la configuration des politiques environnementales au niveau international. La volonté européenne de renforcer la coopération avec des pays tiers et notamment avec les pays en développement est en l’occurrence très présente dans le traité. Cependant, elle ne doit pas viser seulement le développement économique quant à la fourniture d’une aide à un État tiers, mais elle doit également veiller à ce que ce développement soit conforme aux bonnes pratiques environnementales. 29 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages ANGEL (B.) et CHALTIEL-TERRAL (F.), Quelle Europe après le traité de Lisbonne, L.G.D.J., Bruylant, Paris, 2008, 196 p. CLÉMENT (M.), Droit européen de l’environnement – Jurisprudence commentée, Broché, Paris, 2010, 565 p. DUBOUIS (L.) et BLUMANN (C.), Droit matériel de l’Union Européenne, Montchrestien Domat Public, Paris, 2012, 6ème éd., 812 p. GRAMMATICO (L.), Les moyens juridiques du développement énergétique dans le respect de l’environnement en droit français, Tome II, Broché, Paris, 2003, 656 p. JANCOVICI (J-M), Changer le monde. 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