LA MOBILITE GEOGRAPHIQUE DES JEUNES EN MILIEU RURAL
Transcription
LA MOBILITE GEOGRAPHIQUE DES JEUNES EN MILIEU RURAL
CLAUDIA TURMEAU Rapport de stage pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées de Psychologie LA MOBILITE GEOGRAPHIQUE DES JEUNES EN MILIEU RURAL : QUELS SONT LES FREINS ? Responsable de stage : M. DORNIER, Directeur de la PAIO de CHATEAUBRIANT (44) Etudiante en D.E.S.S. de psychologie : PSYCHOLOGIE ENFANCE ET SOCIETE Encadrée par Mme TOURRETTE et Mme GUIDETTI POITIERS, Année universitaire 1999 - 2000 « Restaurer une mobilité possible n’est pas l’imposer. Mais la mobilité géographique et sociale, est sûrement le signe d’une dignité retrouvée. » Jean-Marie DELARUE Délégué interministériel à la ville "La vie immobile ou la reconquête de la mobilité" La lettre de REFLEX N°1 CLAUDIA TURMEAU REMERCIEMENTS Le travail présenté dans ce rapport a été effectué au sein de la PAIO de l’arrondissement de Châteaubriant. J’adresse mes sincères remerciements à Monsieur Jean-Louis Dornier, responsable de la PAIO, qui a bien voulu m’accueillir au sein de sa structure, pour avoir assuré mon encadrement et m’avoir prodigué de nombreux conseils et suggestions. Merci à l’ensemble des personnes de la PAIO pour leur aide et pour l’ambiance chaleureuse dans laquelle ce travail a été accompli. Je remercie également les responsables des organismes de formation ainsi que les formateurs qui en acceptant ma venue ont ainsi contribué à mon travail sur le terrain. Un grand merci également aux différents intervenants qui assurent notre formation au sein du D.E.S.S. et plus particulièrement à Madame Tourrette et Madame Guidetti qui, par leurs actions aussi diverses soient-elles, ont participé à mon avancée personnelle. Je tiens par ailleurs à remercier mes parents, mon ami et mes amis proches qui m’ont soutenue durant cette année de D.E.S.S. et pendant tout mon cursus universitaire. 1 CLAUDIA TURMEAU INTRODUCTION J’ai effectué mon stage de fin d’étude à la permanence d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO) de l’arrondissement de Châteaubriant. Cette association, loi 1901, reçoit des jeunes âgés de 16 à 25 ans, en difficulté d’insertion sociale et professionnelle, et le plus souvent en perte de repères. Les professionnels travaillant auprès de ces jeunes les aident à construire un parcours global d’insertion. Lors de ce stage, j’ai étudié la mobilité géographique des jeunes en milieu rural. La demande émane des différents professionnels, qui le plus souvent restent désarmés face à ces jeunes immobiles. En effet, cette immobilité récurrente peut entraver le processus d’insertion sociale et professionnelle. J’ai alors étudié les différents freins qui provoquent cette immobilité géographique des jeunes en milieu rural. L’objectif de cette étude est de dégager des profils ; ce qui permet aux professionnels de la PAIO d’accompagner le jeune, et de l’aider à résoudre ses difficultés qui le freinent dans sa mobilité. Cette étude s’articule autour de plusieurs axes : dans un premier temps, je précise l’analyse et la problématique de stage, puis la méthode qui m’a permis de réaliser cette étude, enfin les résultats escomptés. 2 CLAUDIA TURMEAU SOMMAIRE REMERCIEMENTS --------------------------------- 1 INTRODUCTION ---------------------------------- 2 PARTIE I : L’analyse de la demande et la problématique du stage ------------------------------------------- 5 1. La mobilité géographique des jeunes en milieu rural --------- 5 2. Analyse de la demande---------------------------------------- 6 a. Les adolescents et les jeunes : parle t’on des mêmes personnes ? Ont-ils les mêmes caractéristiques ? -----------------------------------------------------------------7 b. Qu’en est-il de leur insertion sociale et professionnelle en général et en milieu rural plus particulièrement ?----------------------------------------------------- 10 c. Du lien familial…au lien social...--------------------------------------------------- 13 d. Sont-ils précaires financièrement ? ------------------------------------------------ 19 e. Mais alors peuvent-ils être mobiles ? --------------------------------------------- 20 f. Quatre profils de jeunes ayant vécu dans un foyer de jeunes travailleurs et étant mobiles---------------------------------------------------------------- 21 3. Analyse de la problématique --------------------------------- 23 PARTIE II : La méthode de travail adoptée pour l’étude et l’analyse des résultats ----------------------------- 25 1. La méthode --------------------------------------------------- 25 a. b. c. Conception de l’enquête -------------------------------------------------------------- 26 Population et échantillon---------------------------------------------------------- 26 L’accès aux interlocuteurs ; les personnes rencontrées ------------------ 29 Plan de l’entretien et guide d’entretien ------------------------------------------ 33 La production des récits.-------------------------------------------------------------- 41 3 CLAUDIA TURMEAU 2. Les résultats et l’analyse ------------------------------------ 43 a. b. Type d’analyse choisie----------------------------------------------------------------- 43 Méthode ------------------------------------------------------------------------------------ 44 3. Analyse des résultats ---------------------------------------- 44 a. b. c. d. e. f. g. h. i. j. k. La mobilité matérielle------------------------------------------------------------------ 45 La définition de la mobilité ---------------------------------------------------------- 47 Les éléments de trajectoire familiale ---------------------------------------------- 52 Les éléments concernant la santé psychologique----------------------------- 55 Les éléments concernant l’espace résidentiel ---------------------------------- 58 La mobilité liée aux attaches--------------------------------------------------------- 60 Le lien social ------------------------------------------------------------------------------ 63 Les loisirs et les vacances ------------------------------------------------------------- 65 La mobilité dans la tête---------------------------------------------------------------- 68 La mobilité liée à la formation et à l’emploi ------------------------------------ 71 Les freins à la mobilité ----------------------------------------------------------------- 73 PARTIE III : Discussion, préconisation ---------------- 77 1. Discussion ---------------------------------------------------- 77 CONCLUSION ----------------------------------- 81 CONTACTS ------------------------------------- 82 BIBLIOGRAPHIE --------------------------------- 83 LISTE DES FIGURES------------------------------ 85 LISTE DES TABLEAUX ---------------------------- 86 4 CLAUDIA TURMEAU PARTIE I : L’analyse de la demande et la problématique du stage 1. La mobilité géographique des jeunes en milieu rural La sédentarité n’est pas sans apporter quelques avantages et, dans toute société caractérisée par ce genre de vie, le nomadisme n’est pas de bon aloi. Ce genre de vie sédentaire permet à chacun d’exercer ses activités quotidiennes dans un cadre géographique dont la dimension varie avec le type d’activité, mais à l’intérieur duquel se trouve un lieu d’attache où chaque personne revient inlassablement. Le sédentaire n’est pourtant pas immobile, il peut se déplacer, mais dans ses déplacements, il obéit à certaines habitudes, peut être à quelques règles, qui déterminent un stéréotype du comportement caractérisé par l’existence d’un lieu d’attache. Souvent, ce lieu d’attache n’est autre que celui de sa résidence. La sédentarité et la mobilité sont donc compatibles : d’une part, il est possible de quitter un lieu d’attache et de s’installer dans un autre, d’autre part, il est possible de ne pas être continuellement présent au même endroit. Tout changement de lieu d’attache représente un déplacement définitif qui met en relation deux points d’attaches consécutifs : le lieu d’origine et le lieu d’accueil. L’absence momentanée représente un déplacement temporaire qui met en relation le lieu d’attache et un autre ou plusieurs autres lieux généralement appelé lieu de fréquentation. Sur mon lieu de stage, les jeunes rencontrés en entretien, effectuent des déplacements temporaires que l’on pourrait appeler « navettes ». En effet, dans le cadre de leur adhésion aux différents dispositifs de formation, ils se déplacent pour se rendre sur leur lieu de formation chaque jour. 5 CLAUDIA TURMEAU A Châteaubriant, les jeunes peu mobiles ne bénéficient pas de facilités de déplacements contrairement au milieu urbain. La région de Châteaubriant manque d’infrastructures adaptées et lorsqu’elles existent, leur accès n’est pas facilité contrairement aux grandes villes où il y a la possibilité de gratuité de transport en commun. De plus, la plupart des jeunes ne connaissent pas les différents moyens de transport qui existent sur la région. C’est pourquoi, pendant mon stage, j’ai réalisé une plaquette informative regroupant les différents moyens de locomotion que l’on peut trouver sur l’arrondissement de Châteaubriant. Cette plaquette devait être, à l’origine, adaptée aux jeunes. Seulement son exhaustivité fait qu’elle devient difficile d’accès pour les jeunes. En effet, tous les moyens de transports sont recensés (des transports en commun à la location journalière de mobylette), les coûts et bien sûr les réductions, … Cette plaquette contenant toutes les informations est assez conséquente. Les jeunes en difficulté, ayant un faible niveau scolaire, n’iront pas chercher les informations dans ce document. C’est pourquoi, après discussion avec les professionnels de la PAIO, nous avons décidé que cette plaquette sera destinée aux différents acteurs accompagnant des jeunes dans leur démarche d’insertion, qu’elle soit sociale ou professionnelle. 2. Analyse de la demande J’ai engagé cette recherche, à la demande de M. Dornier, responsable de la PAIO. En effet, M Dornier ainsi que les conseillères en Emploi/Formation ont un besoin important de comprendre les raisons et les mécanismes de la mobilité ou de l’immobilité géographique des jeunes résidant dans l’arrondissement de Châteaubriant. 6 CLAUDIA TURMEAU D’une manière générale, on peut avancer le fait que certains jeunes "bougent", sont en "mouvement". Ce "mouvement" peut avoir des raisons diverses. Ainsi, certains jeunes peuvent "bouger" pour des raisons personnelles ; ils ont un besoin de quitter un type d’environnement ou un milieu géographique. D’autres peuvent "bouger" pour des raisons familiales ; par exemple un conflit de génération les conduisant à chercher une solution en dehors de la structure familiale. D’autres encore peuvent "bouger" pour des raisons professionnelles, ils sont à la recherche d’un travail ou d’une formation professionnelle ou bien pour passer d’un bassin économique sinistré à un bassin d’emploi plus prospère. Parallèlement, il existe plusieurs raisons qui peuvent obliger le jeune à rester dans son environnement d’origine. Ce peut-être une relation forte avec des personnes ressources, une mauvaise connaissance des structures spécifiques du réseau d’action sociale, le sentiment de n’avoir rien à découvrir, la forte pression de l’environnement social et/ou religieux ou encore, tout simplement, le sentiment d’équilibre du jeune dans son quotidien. Dans ce cas, l’immobilité des jeunes serait étroitement liée : - Aux attaches qu’ils ont à leur pays et/ou plus précisément à leur famille. Ces attaches peuvent être d’ordre professionnel, affectif ou social. - A la peur de l’inconnu, de découvrir un autre environnement. - Au manque de moyen financier, au processus de précarisation. a. Les adolescents et les jeunes : parle t’on des mêmes personnes ? Ont-ils les mêmes caractéristiques ? Dans un premier temps, il me semble important de définir le terme de "jeune". Ce terme est souvent utilisé, mais que représente-t-il ? Est-ce qu’il s’agit d’une tranche d’âge, d’un statut reconnu ou encore d’une population en général ? Le terme "adolescent" et le terme "jeune" désignent-ils la même population ? Je souhaitais étudier cette notion selon deux points de vue : - L’un serait psychologique. - L’autre serait sociologique. 7 CLAUDIA TURMEAU En fait, l’adolescence serait une tranche d’âge pour les sociologues mais un processus pour les psychologues. Il me semble avant tout indispensable d’éclaircir cette notion d’adolescence dans un cadre très général, mais il convient de tenir compte de la subjectivité de cette définition vu le nombre d’auteurs ayant travaillé sur ce concept. La définition de V. Courtecuisse (1992, p29-30) me paraît appropriée : « L’adolescence est avant tout un itinéraire, avec comme axe principal celui du développement, de la métamorphose rapide, impliquant l’un et l’autre des changements radicaux dans les systèmes biologiques, mais aussi dans les systèmes de dépendances affectives, psychologiques, sociaux et personnelles dans le sens de la relation à soi-même. A côté de ses axes il y a les marges (champs d’explorations, d’expérimentations, de risques aussi, parfois de déviances). C’est également sur ces frontières que se jouent les expériences ou les accidents de "marginalisation". Au niveau de ces marges se noueront des actes, des étapes, des moments souvent décisifs, mais parfois destructeurs, et presque toujours mal perçus ou mal compris, voire ignorés de l’entourage. Ces tentations marginales occuperont des places très différentes d’un adolescent à l’autre. Parfois véritablement centrales, elles envahissent le champ de la vie quotidienne et signifient souvent des prises de risques considérables. Pour d’autres, elles resteront occasionnelles ou limitées. » L’adolescent doit s’adapter « psychologiquement » aux transformations corporelles, mais il est également confronté à des mutations profondes sur le plan de ses désirs, de ses possibilités affectives, intellectuelles et à l’élargissement de ses horizons. Suite à cela, on peut affirmer que l’adolescence : ce n’est plus l’enfance, mais ce n’est pas encore la maturité. C. Tourrette (1998, p139) donne deux définitions différentes de l’adolescence selon deux critères : - Critère physiologique (la puberté) - Critère social (l’insertion professionnelle et création d’une cellule familiale autonome.) 8 CLAUDIA TURMEAU Ce dernier critère m’amène à vous définir le terme « jeune » d’un point de vue sociologique. D’une manière générale, l’adolescence et la jeunesse se situent entre l’enfance et l’âge adulte. B. Maresca (1995, p 5) donne une définition sociologique de la jeunesse. L’explication qu’il donne me paraît très intéressante dans le sens où, pour lui, les transitions qui mènent de l’enfance à l’â ge adulte s’opèrent selon deux trajectoires de socialisation : § Le parcours qui fait passer de la formation scolaire initiale à la vie professionnelle, marqué par un seuil essentiel, la sortie de la scolarité et l’entrée dans le travail, § Le passage de l’espace familial à un espace matrimonial, scandé par deux étapes, le départ du domicile parental et la formation d’un couple stable. Donc, le jeune entamerait son processus d’entrée dans l’âge adulte lorsque : la fin de sa scolarité entraîne à brève échéance l’entrée dans la vie professionnelle, et cette dernière déclencherait alors le départ de chez les parents et autoriserait la fondation d’une nouvelle cellule familiale. Pourtant, ce n’est pas si simple. En effet le chômage, touchant certains jeunes, induit un allongement de la période de cohabitation familiale. De plus, entre la sortie du monde scolaire et l’entrée dans le monde du travail, il existe souvent un temps de transition, et l’âge d’accès au statut d’actif sur le plan professionnel n’est pas directement en relation avec l’âge d’accès au statut d’adulte du point de vue des responsabilités matrimoniales. La jeunesse se situe entre la sortie de l’adolescence et l’entrée dans la vie adulte. Entre les deux, la durée s’est amplifiée, la multiplicité des expériences est acceptée. Ce temps de jeunesse est une période de transition, un temps d’incertitude dans le sens où il y a parfois un intervalle de plusieurs années séparant la fin des études et l’accès à un emploi stable. Il en est de même entre le départ de chez les parents et le mariage. 9 CLAUDIA TURMEAU b. Qu’en est-il de leur insertion sociale et professionnelle en général et en milieu rural plus particulièrement ? Accéder à un statut d’actif sur le plan professionnel ou à un emploi stable n’est pas si simple aujourd’hui. On peut alors parler de difficulté d’insertion professionnelle. Pour C Dubar (1998, p 30), l’insertion « d’ordre professionnelle est synonyme de transition, proche du sens du mot anglais, qui désigne le passage des études à l’emploi, non plus comme un mécanisme quasi automatique et instantané mais comme un processus plus ou moins long, complexe et aléatoire. » Le mot « insertion » est surtout utilisé depuis 1981, suite au rapport Schwartz intitulé : « L’insertion sociale et professionnelle des jeunes ». Ce rapport fait de l’insertion des jeunes une priorité nationale et afin de permettre la qualification pour tous, la formation alternée sera utilisée comme moyen principal. De plus, l’insertion professionnelle semble être étroitement liée à l’inse rtion sociale des jeunes. Il s’agit des conditions sociales de l’entrée dans la vie adulte incluant alors les questions de la santé, du logement et des relations entre les générations. Il me paraît intéressant de développer et de définir plus précisément la notion d’insertion sociale. Je vous cite celle qui me semble la plus adaptée à mon travail : « Action visant à faire évoluer un individu isolé ou marginal vers une situation caractérisée par des échanges satisfaisants avec son environnement. Résultat de cette action, qui s’évalue par la nature et la densité des échanges entre un individu et son environnement. » Cette définition est tirée du Dictionnaire des personnes âgées, de la retraite et du vieillissement. Bien que la tranche d’âge à laquelle je m’i ntéresse est fondamentalement différente, cette notion « d’échanges satisfaisants avec son environnement » et « la nature et la densité des échanges » me semble adaptée à ces jeunes adultes ayant des difficultés à accéder à une reconnaissance sociale, en raison des périodes de chômage auxquelles ils sont confrontés, et les emplois précaires qu’ils occupent. 10 CLAUDIA TURMEAU Mais lorsque l’on parle d’insertion des jeunes, on parle aussi de dispositifs, qui vont des structures d’accueil, en passant par les organismes de formation sans oublier les responsables d’entreprises qui peuvent fournir les premières expériences de travail grâce aux stages par exemple. Dans les structures d’accueil, les missions locales et les permanences d’accueil, d’information et d’orientation, les conseillers en Emploi/Formation construisent avec le jeune accueilli son parcours d’insertion, et le jeune doit être acteur de sa trajectoire. Comme ce fût précisé précédemment, l’insertion est alors posée comme une transition, ce qui pour les jeunes, est évident puisqu’ils quittent l’enfance et au terme d’un parcours, ils intègrent un statut d’adulte. De plus, la fin de la trajectoire d’insertion est généralement l’intégration : c’est-à-dire « retrouver une place dans la société en égalité de droits, de devoirs et d’autonomie active » (J.M. Calvo, 1998, p 205) Mais existe-t-il une différence entre l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en milieu urbain et en milieu rural ? Avant de parler de différences fondamentales, il me semble indispensable de décrire la spécificité du milieu rural en rapport avec l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. La carence d’emploi en milieu rural est reconnue par tout le monde, il faut donc repenser l’insertion de façon différente. V. Delafont, secrétaire générale de l’union nationale des missions locales rurales (1999, ASH), note que le travail des missions locales rurales ne se limite pas à l’accueil de ceux en difficulté, mais il repose surtout sur la mise en place de projets qui lient insertion, territoire, et développement local. Les réponses données aux jeunes doivent donc être adaptées à leurs besoins et leurs difficultés ainsi qu’aux attentes des milieux économiques locaux. Mais, l’activité économique est beaucoup moins dynamique, il y a peu de services publics, les commerces disparaissent, et les entreprises partent vers des endroits intéressants comme les abords des villes. De plus, la part des contrats à durée déterminée, du temps partiel, de l’intérim, des contrats saisonniers et des contrats emploi solidarité est beaucoup plus élevé en zone rurale. Quoiqu’il en soit, ces phases d’emploi s’inscrivent dans un parcours et sont assorties d’un 11 CLAUDIA TURMEAU accompagnement individualisé et global. La multiplicité de ces expériences permet aux jeunes d’accéder à l’autonomisation ; l’emploi demeure un objectif important, mais il n’est pas le seul. La resocialisation, l’aide au logement, le soutien psychologique et la santé constituent également des axes importants pour l’insertion. D’ailleurs, N. Chesnier (1998, p 241) insiste sur le fait qu’il faille d’abord penser l’insertion sociale, avant même l’insertion professionnelle. Avant de penser à un emploi ou même une formation professionnelle, il y a tout ce qui est de l’ordre de l’insertion sociale dans ce milieu rural. Cependant, je souhaite revenir sur la première question : comment peut-on articuler insertion et développement local ? Le frein le plus important concernant l’accès à l’emploi, ne serait-il pas l’inadéquation des qualifications avec l’économie locale ? Les jeunes d’un faible niveau scolaire ou sans diplômes recherchent principalement des emplois d’exécution avec des horaires fixes. Parallèlement, de plus en plus de chefs d’entreprises ou d’exploitants agricoles recherchent une main-d’œuvre de plus en plus spécialisée, voire qualifiée. Il est vrai que les emplois requièrent polyvalence, autonomie, et motivation. Il faudrait mener une réflexion pour mettre en place une action d’insertion spécifique au milieu rural. Mais, comme le souligne M. Bérard (1998, p 229 à 234), dans ce cas, nous sommes confrontés au problème de l’aménagement du territoire. Il poursuit en affirmant que partout se pose en premier la question du transport, du déplacement, des locaux pour pouvoir se rencontrer. Les P.A.I.O et les missions locales rurales peuvent contribuer à régler certains problèmes, mais elles n’ont pas toutes les compétences, et s’entourent alors d’un réseau de partenaires. Par exemple, avant les jeunes allaient en ville pour trouver du travail. Mais, devant l’incertitude de trouver du travail aujourd’hui, la sécurité est de rester à la campagne. En effet, les jeunes restent dans leur famille d’origine, de ce fait ils bénéficient encore de l’assistance économique. En fait, il existe une solidarité 12 CLAUDIA TURMEAU familiale qui doit pouvoir jouer un rôle actif dans la lutte contre l’exclusion (S. Paugam, 1996, p 389 à 404). Comme je le précisais précédemment, l’allongement des études d’une part et les difficultés économiques d’autre part, constituent les principales raisons qui expliquent que le départ des enfants du foyer familial se fait maintenant plus tardivement. Cette tendance à la prolongation de la cohabitation modifie les rapports entre les parents et les "grands enfants". Les familles sont alors beaucoup plus sollicitées. Elles doivent apporter à leurs "grands enfants" un soutien non seulement financier, mais aussi psychologique, affectif et matériel. Ce qui fait de la famille, l’auxiliaire des pouvoirs publics dans la prise en charge d’un problème grave de la société. c. Du lien familial…au lien social... Très peu de "grands adolescents" peuvent se soutenir seuls, économiquement parlant. Pourtant, ils se sentent prêts à partir, à vivre leur indépendance ; l’autonomisation n’est pas encore totale, mais le processus est présent. Bien qu’ils revendiquent leur indépendance, cela ne veut pas dire que le lien avec les parents et le reste de la famille doit-être coupé : il va changer (et il faudra se réadapter), mais il existe toujours. Actuellement, et de plus en plus, une tendance se dessine : faire cohabiter deux générations : - les parents, - les "grands enfants". Bien qu’ils ne quittent pas la maison parentale, le jeune doit apprendre à devenir de plus en plus autonome et indépendant. Il est nécessaire qu’il continue à se développer et à surmonter le stade de l’adolescence. 13 CLAUDIA TURMEAU D’ailleurs, je souhaite à ce sujet, développer la théorie de P Blos développé par D. Marcelli (1994, p29-30) concernant le second processus de séparation– individuation. Ce travail est une des tâches à l’adolescence qui permet de se détacher de ses parents. Le second processus de séparation – individuation est marqué par : - La primauté génitale et le rejet des objets parentaux, - Puis, il y a réactivation du complexe œdipien accompagné du détachement des premiers objets d’amour. Intervient alors le choix de l’objet sexuel, l’individualisation s’est opérée grâce au réveil du complexe d’Œdipe et l’établissement du plaisir préliminaire agissant sur l’organisation du Moi : - par l’organisation du Moi, se met en place la représentation de Soi, - enfin, ce travail se terminera lorsque l’adolescent prendra conscience que la paternité ou la maternité apporte sa contribution à la croissance de la personnalité. Le second processus de séparation – individuation est donc le désengagement de l’objet infantile et la maturation du Moi. L’adolescent se dégage des objets parentaux pour aimer les objets extérieurs et extra-familiaux. L’adolescent est confronté à une position paradoxale : le besoin vital de séparation et d’autonomisation d’un côté et la tentation de la dépendance de l’autre. C’est pourquoi, comme le souligne A. Braconnier (1999) il est important de responsabiliser le jeune adulte et de l’aider à achever son autonomisation lorsque la cohabitation parents/"grands enfants" existe. Pour responsabiliser le jeune, il s’agit de faire en sorte qu’il se sente utile, qu’il soit rassuré et qu’il prenne un peu conscience des responsabilités de l’adulte et ainsi du coût de la vie (par exemple, payer une partie des dépenses). Le jeune adulte doit continuer à se développer, à devenir indépendant et à travailler pour définir la voie qu’il va suivre dans sa vie d’adulte. Concernant l’achèvement de l’autonomisation, il convient de laisser une marge importante de liberté, tout en fixant des limites. Les règles doivent-être clairement établies, tout en laissant la place au dialogue. Selon A Braconnier (1999), la difficulté réside dans le sens où la définition "devenir adulte" a une signification différente pour les "grands enfants" et les parents : 14 CLAUDIA TURMEAU - Pour les jeunes : cela signifie qu’ils pourront faire ce qu’ils veulent, que les parents leurs feront confiance et qu’ils les laisseront seuls, ils ne leurs demanderont plus de justificatifs pour quoi que ce soit, - Pour les parents : devenir adulte signifie être responsable et prendre les autres en considération. Bien sûr, quitter la maison familiale est pour le jeune adulte une façon de se séparer physiquement de ses parents. Avoir son propre logement est signe d’indépendance et d’autonomie. Quoi qu’il en soit, la relation parents/enfants n’est pas rompue, mais elle tend à changer autant dans sa forme que dans son contenu. J.H. Déchaux (1996, p 532-535) avance le fait que la parenté assume trois rôles distincts : soutien domestique, mise en réseau et distribution de revenu. Cette parenté est présente notamment lors du passage à l’âge adulte. Les échanges parents – jeune adulte existe et la fonction de ces échanges est d’aider le jeune à s’insérer dans la société, soit directement en créant du lien social, soit en le libérant de certains besoins pour qu’il se consacre à d’autres activités sociales. Le réseau familial a une double fonction : protection – insertion. Cependant, il faut tenir compte de plusieurs paramètres. La protection, qui serait nécessaire dans les milieux exposés à des risques de précarisation, n’est pas toujours possible. Le réseau ne dispose pas de ressources pour venir en aide à ses membres. La protection dispensée par la parenté est donc elle-même précaire, dans les milieux défavorisés, lorsque la situation du jeune l’est aussi. L’insertion, par J.H Déchaux (1996, p 535) « dépend de l’univers social maîtrisé. » En fait, la parenté ne peut insérer le jeune que dans le milieu qu’elle constitue ou auquel elle a accès. Cela entretien alors les clivages sociaux. De plus, le lien social dans les catégories sociales modestes et dans les catégories sociales moyennes et supérieures n’a pas la même forme. Dans les premières, le lien est plus exclusif et le réseau de parenté est plus clos. Les solidarités familiales présentent des failles et elles ne sont pas en mesure de corriger les inégalités entre catégories. 15 CLAUDIA TURMEAU Les jeunes vont alors se créer un réseau social, leur réseau social. Ceci me paraît primordial parce que, pour des jeunes ayant quitté le système scolaire souvent très tôt, sans qualification ou tout au moins avec une qualification difficilement négociable sur le marché du travail, la fin de la scolarité correspond au début d’une période plus ou moins longue faite de stage, d’emplois précaires, de chômage. Certes, le milieu social et le niveau scolaire ont leur importance. Mais pour comprendre le processus qui mènent ces jeunes à l’emploi ou non, n’est -il pas nécessaire de regarder là où ils vivent, comment ils vivent et avec qui ? Existet-il des réseaux locaux d’entraide et comment les jeunes peuvent-ils y accéder ? Ce réseau local d’entraide doit être un véritable tissu social qui fait fonctionner plusieurs niveaux de sociabilité (par exemple, le groupe de pairs, la famille, le voisinage…) Mais, avant tout, je souhaite définir ce que j’entends par "lien social", et je vais également m’interroger pour savoir si ce lien social est en crise. Je ne pense pas qu’il y ait moins de contacts sociaux. Il existe des techniques modernes qui les facilitent, mais ils n’ont pas le caractère de lien. Actuellement, on déploie la communication en réduisant la proximité (le téléphone par exemple). Si auparavant, le lien social était plutôt étouffant, on peut avancer le fait qu’aujourd’hui il est plutôt en crise. Pour tenter de résoudre ce problème, on assiste à une création d’emplois nouveaux qui sont des services, et où il y a cette relation sociale (par exemple, les emplois jeunes). Cependant, on a tendance à se tourner vers la méca nisation plutôt que vers la relation sociale. Je vais citer un exemple que chacun d’entre nous vivons tous les jours : nous préférons utiliser le distributeur de billets plutôt que se rendre à un guichet bancaire. Les personnes sans emploi sont aussi confrontées à ce dilemme du lien social. Les cellules familiales peuvent éclater à l’occasion d’une perte d’emploi. Les personnes au chômage fuient les contacts sociaux, elles ne tiennent pas à évoquer leur situation et se replient sur elles-mêmes. Pourtant, lorsque le lien social existe, les chances de retrouver un emploi sont multipliées. 16 CLAUDIA TURMEAU On parle de crise du lien social, et celle-ci existe aussi en milieu rural, et ce qui semble important, selon N. Chesnier (1998, p239-242), c’est de proposer des lieux de rencontre mais aussi d’action commune. En effet, en milieu urbain, l’existence des centres sociaux, des régies de quartiers, de micro-groupes d’habitants ayant des caractéristiques similaires tend à se développer. En milieu rural, il y a un isolement qui existe, un éclatement. Il faut donner la possibilité aux jeunes de tisser des liens entre eux, de tisser des liens dans leur milieu, leur canton. Mais, pour certains jeunes, ils sont totalement intégrés dans leur commune, dans le groupe de pairs et d’adultes. Les parents y sont connus (et reconnus), ils sont eux-mêmes "d’ici". Il y a donc un réseau qui fonctionne, et grâce à cela les jeunes peuvent trouver un emploi ou au moins acquérir une expérience professionnelle. Mais s’ils vivent des périodes de chômage ou d’emplois précaires, ils ne perdent pas confiance. Lorsqu’ils étaient dans ces situations, leur vie sociale ne s’est jamais cassée et ils n’ont pas perdu leur place dans le groupe. Cette utilisation du réseau social local présente quelques avantages : - les emplois qu’ils trouvent sont presque toujours à proximité du domicile familial, - ce qui permet au jeune de rester chez ses parents, - donc de vivre leur nouvelle expérience sans réelle rupture. Mais, construire ce réseau social local signifie adhérer aux règles de vie implicites de la commune. Pour les jeunes qui ne désirent pas s’y soumettre, il se produit un processus d’exclusion. Ils ne peuvent prétendre à une aide vraiment efficace pour leur insertion. Chez ces jeunes adultes, B. Maresca (1995) affirme que l’on peut trouver des problèmes d’ordre psychologique importants et une solitude proche de la détresse. Ils vivent des périodes de précarité sur un mode anomique et leur insertion professionnelle est rendue d’autant plus difficile qu’elle ne repose sur aucune attache locale, tant il est vrai que l’insertion sociale d’un jeune est au départ une insertion locale. Il continue son étude en parlant des "jeunes qui ont bougé" (p 150). Lorsqu’il évoque le déménagement d’un jeune, il parle d’un déménagement familial. De 17 CLAUDIA TURMEAU plus, ce déménagement marque une rupture dans leur sociabilité. Il est difficile d’intégrer réellement un groupe, surtout si l’arrivée dans la commune s’effectue après la fin de la scolarité. Ces jeunes ne bénéficient pas vraiment des réseaux locaux d’entraide dans leur recherche d’emploi. Mais, à la différence des précédents, ils se replient sur la cellule familiale qui devient le lieu de référence. Cependant tout ceci peut paraître paradoxal. En effet, le travail offre du lien social et il constitue peut-être le lien social le plus stable. Pourtant, comme je le précisais précédemment, l’insertion sociale et professionnelle est rendue difficile s’il n’existe pas de réseau social. Pourtant, lorsqu’une personne est en situation d’exclusion, le retour à l’emploi passe par un travail de remotivation et de lien social. En fait, c’est surtout le sentiment d’utilité sociale qui, pour chacun, fonde le sentiment d’appartenance. Donc ce sentiment d’appartenance, c’est alors bénéficier d’un statut et d’être socialement reconnu. Mais lorsque les jeunes sont en situation de "chômage d’insertion" (G Ferréol, 1994, p 393), ils ont le sentiment d’être inutile, il y a la perte de l’estime de soi et une impression de vide liée au fait qu’il n’y a pas d’action à entreprendre. Tout cela constitue donc une difficulté à entrer dans le monde du travail et à trouver un emploi. Le chômage et la précarité professionnelle ont pour conséquences la prolongation indéfinie de la dépendance économique par rapport à la fam ille d’origine ou par rapport au conjoint. Dans ce cas, ne serait-ce pas l’éternisation du statut de mineur, c’est à dire de personne dépendant économiquement de quelqu’un d’autre ? La survie économique est alors liée à la pérennité du lien familial ou du lien conjugal. En fait, la misère de condition matérielle et morale guette tous ceux pour lesquels, le lien salarial étant rompu, le lien familial va le devenir aussi ; et c’est ainsi qu’on devient SDF (G. Mauger, 1998, p255-261). 18 CLAUDIA TURMEAU d. Sont-ils précaires financièrement ? Je voudrais maintenant évoquer la précarité financière dans laquelle se trouvent les jeunes en situation de chômage d’exclusion ; propre aux personnes de moins de 25 ans. Pour aider ces jeunes financièrement, les actions menées combinent tout à la fois : garantie de ressources, politique de formation et mesures d’insertion. Ces différentes actions sont spécifiques aux populations concernées. • Les garanties de ressources : il s’agit de lutter contre la pauvreté en créant un régime de solidarité nationale destiné à accueillir les exclus de l’assurance chômage. Mais les conditions d’attribution sont telles que les demandeurs d’emploi n’ayant jamais exercé d’activité professionnelle ne bénéficient pas de ces prestations et sont donc pénalisés (G. Ferréol, 1994 ,p379-411). • Les actions de formation et de réinsertion : il s’agit des aides directes à l’embauche et les stages individualisés. Les aides directes à l’embauche n’ont eu qu’un impact limité. Les entreprises n’ont pas jugé opportun de répondre massivement à ces différentes sollicitations ; elles étaient déjà confrontées à une conjoncture économique difficile. Donc, l’accent fut mis sur la formation. Ce sont des stages modulables en fonction des types de publics. L’objectif poursuivit consiste à individualiser les séquences d’apprentissages. Sa réalisation implique une remise à niveau et un élargissement des compétences. Un suivi personnalisé accompagne ces actions et permet de mieux apprécier les rythmes de progressions. D’autres formules, basées sur l’alternance, sont également expérimentées. Le contact avec le monde du travail apparaît, en effet, indispensable car il constitue un premier pas vers l’autonomisation. Mais, afin d’accroître l’efficacité du dispositif, chaque situation (handicap de santé, absence de qualification, mobilité géographique réduite…) nécessite une réponse adaptée. Les réponses en terme d’individualisation sont appelées à se développer. 19 CLAUDIA TURMEAU Cette précarité financière ne "bloque"-t-elle pas l’accès à l’insertion sociale et professionnelle ? Ou plus exactement, les jeunes, en situation de précarité financière, ont-ils les moyens (financiers) d’être mobile pour trouver du travail, même si ce dernier est éloigné du domicile familial ? De plus, le problème de mobilité est-il universel ou existe-t-il seulement en milieu rural ? e. Mais alors peuvent-ils être mobiles ? Il est vrai que la question de la mobilité se pose de plus en plus souvent. Les acteurs travaillant dans le domaine de l’insertion le savent bien. Que les jeunes résident dans un bassin économique prospère ou sinistré, le problème ne se situe pas réellement à ce niveau là. En effet, il s’agit en premier lieu de savoir quelle est la profession que le jeune veut exercer pour ensuite envisager le fait d’être mobile ou pas. En fait, selon ce qu’il souhaite et selon l’activité exercée sur le bassin économique du lieu de résidence, il faut parfois songer à partir. Mais, comme je le disais précédemment, les raisons pour partir peuvent être multiples, mais les raisons pour rester le sont aussi. Quoiqu’il en soit, je souhaite avant tout donner une définition de la mobilité. C’est effectivement un problème d’actualité, mais qu’entend-on exactement ? Selon le dictionnaire Larousse, la mobilité signifie : 1. « Facilité à se mouv oir, à être mis en mouvement, à changer, à se déplacer. • Mobilité de la Main-d’œuvre : pour les salariés, passage d’une région d’emploi à une autre ; changement de profession, de qualification. • Mobilité sociale : possibilité pour les individus ou les groupes de changer de position sur le plan social ou professionnel. 20 CLAUDIA TURMEAU 2. Inconstance, instabilité. Mobilité de caractère » Concernant mon étude, je vais m’intéresser au premier sens du mot "mobilité" : c’est à dire « la facilité à se mouvoir, à être mis en mouvement , à changer, à se déplacer. » Seulement cette définition, certes très générale, ne semble pas être très appropriée. Le conseil général de Loire Atlantique, travaillant également sur cette question de mobilité géographique, a opté pour cette définition : « Capacité et aptitude des personnes à se déplacer. » Cette définition met principalement en avant, ce que nous pouvons appeler "la mobilité dans la tête". Il s’agit de savoir comment l’individu s’y prend pour organiser et prévoir son déplacement. Comme le souligne C. Guérin (1998, p 235), la mobilité ne reste pas un problème exclusif du milieu rural. Certes, c’est une des difficultés importantes qui bloque tout. Cependant, il existe également de sérieux problèmes de mobilité dans les villes (par exemple, les jeunes ne circulent pas de banlieues en banlieues). Ce qui confirme que la mobilité, c’est dans la tête. f. Quatre profils de jeunes ayant vécu dans un foyer de jeunes travailleurs et étant mobiles Il me semble intéressant de développer les quatre profils de mobilité observés auprès de jeunes résidant dans un F.J.T. Cette étude a été menée par J.P Accarier (Sepembre 1999, p 7 à 30), directeur d’un FJT. - Profil d’hyper mobilité à risques - Profil d’hyper mobilité à risques calculés - Profil de mobilité adaptée - Profil d’immobilité dépendante ü Profil d’hyper mobilité à risques : Concernant ces jeunes, leur instabilité dans leurs attaches et leur précarité d’emploi sont des facteurs de risques qui peuvent être multipliés par une hyper-mobilité dans leur tête les 21 CLAUDIA TURMEAU conduisant souvent à des décisions non-maîtrisées. Leur absence de projet construit et durable peut les inciter à des « passages à l’acte », à partir pour partir ou pour l’aventure et alors « casser » le peu qu’ils ont déjà mis en place. ü Profil d’hyper mobilité à risques calculés : leur capacité d’intégration et le fait d’être dans un projet constructif semblent être liés à plusieurs éléments. D’une part à l’importance des attaches, notamment aux grands -parents, et à l’identification au père, comme image porteuse de sens et de référence par rapport à la valeur travail, et des points de repère affectifs stables dans leur réseau d’amitié et leur réseau familial. D’autre part quelques diplômes professionnels, une qualification et un certain niveau de culture assurent leur projet et leur permettent d’être dans de multi-activités et d’avoir une bonne lucidité par rapport aux obstacles et contraintes. Dès lors, leur profil est plus orienté vers un choix de mobilité sociale ascendante. Ils représentent probablement les jeunes les plus proches de ce auquel prédispose le contexte économique actuel, avec une mobilité dans la tête et une mobilité par rapport à l’emploi qui se réalise de façon saine parce qu’elles sont fondées sur une stabilité des attaches. ü Profil de mobilité adaptée : pour ces jeunes, leur réussite sociale et professionnelle est un défi. Il s’agit de réussir à tout prix. Aussi la manière dont ils conduisent leur vie est adaptée, avec peu d’écarts entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en oeuvre. Leurs projets sont réalistes et modestes. Ce n’est pas une course à l’emploi qui les motive, mais une capitalisation d’expériences qui contribuent à l’accomplissement de soi et à la réalisation de leur professionnalisation. En fait, ces jeunes veulent exister socialement et culturellement pour exister personnellement. Leur mobilité est donc faite de réalisme, d’ajustement, de modestie, et dès lors elle reflète un profil de jeunes que l’on peut considérer comme le mieux intégré dans notre système de normes sociales. Ils déboucheront, semble-t-il, à moyen terme non seulement sur de l’emploi stable, mais aussi vers une stabilité dans tous les domaines de la vie. 22 CLAUDIA TURMEAU ü Profil d’immobilité dépendante : ces jeunes cumulent trois conduites d’instabilité, une instabilité dans la tête se traduisant par de la confusion ou un manque d’analyse, une instabilité dans les attaches en naviguant entre la dépendance et la contre dépendance passive, une instabilité dans l’emploi en s’installant dans une précarité sans aucune perspective. Pour remplir ce vide affectif, ce vide social, ces jeunes femmes semblent gérer leurs difficultés avec un aménagement de leur plan de vie : « sortir de la galère en faisant un enfant ». C’est donc l’installation d’une conduite «d’immobilité » par le choix d’un statut de mère au foyer et continuer à avoir des enfants. Ce profil correspond aux situations de jeunes présentant le plus de risques de s’installer dans la précarité. Il concerne d’autant plus les femmes pour lesquelles le marché de l’emploi est déjà réduit. 3. Analyse de la problématique La PAIO de l’arrondissement de Châteaubriant m’a demandée d’effectuer une étude sur la mobilité géographique des jeunes en milieu rural. Dans le cadre de cette recherche, je me propose d’évaluer les représentations que les jeunes ont de leur mobilité dans leur milieu. Cette mobilité est étudiée sous plusieurs angles : passé, présent, futur. Au début de ma recherche, il me semblait intéressant de « mesurer » l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en rapport à leur mobilité. En fait, je voulais d’abord voir si leur insertion sociale et professionnelle était « réussie » pour ensuite la mettre en relation avec leur conduite de mobilité. Mais avant de considérer cette insertion sociale et professionnelle, il me semble important de considérer cette mobilité. Comme je l’ai précisé précédemment, la mobilité se définit comme une capacité et une aptitude des personnes à se déplacer. Il convient alors de demander ce qui fait que les jeunes « bougent » ou ne « bougent » pas. En effet, la mobilité ne se situe pas seulement par la mise en place de moyens de transports adaptés, mais elle se situe « dans la tête ». 23 CLAUDIA TURMEAU A Châteaubriant, il s’avère que les jeunes sont peu mobiles. Il s’agit donc d’étudier les freins à la mobilité, c’est à dire ce qui empêche les jeunes adultes de se déplacer. Deux postulats structurent mon étude : ü La précarité financière s’oppose à la mobilité ü Les freins psychologiques provoquent l’immobilité chez les jeunes adultes issus du milieu rural. Après vous avoir présenté ma méthode de recueil de données, je vous présenterai l’analyse des résultats, puis lors d’une discussion nous verrons si les postulats sont confirmés. 24 CLAUDIA TURMEAU PARTIE II : La méthode de travail adoptée pour l’étude et l’analyse des résultats 1. La méthode A l’origine et par rapport à ma problématique, il me semblait important de recourir aux entretiens semi-directifs dans un premier temps de façon à explorer le domaine, puis préparer une enquête par questionnaire. Après réflexion avec les professionnels de la PAIO et mes professeurs de psychologie à l’université, l’enquête par questionnaire s’est révélée difficile à réaliser. En effet, un élément important venait remettre en cause cette méthode : - les personnes interviewées et leur niveau scolaire. La plupart des personnes que j’allais rencontrer lors des entretiens, et donc, les personnes qui auraient pu être interrogées par questionnaire, ont un niveau scolaire relativement faible. En effet, ils ont acquis au cours de leur scolarité un niveau VI ou V : - le niveau VI correspond à n’avoir aucun diplôme - le niveau V correspond à avoir acquis un diplôme de type C.A.P ou B.E.P. Grâce à ces précisions, il semble difficile d’interroger des personnes ayant un de ces niveaux scolaires, en effet leur compréhension peut être altérée. Au niveau d’un entretien, les conséquences de l’incompréhension sont moindres dans le sens où l’intervieweur peut préciser et reformuler les questions, mais lors d’un questionnaire, ceci demeure impossible. C’est pourquoi, j’ai décidé de changer ma méthode d’enquête. J’ai utilisé l’enquête par entretien semi-directif, qui paraissait la plus adaptée. Ce mode de recueil de données m’a donc servi à analyser le problème posé et à constituer ma s ource d’information principale. Néanmoins, au début de ma recherche, je fus confrontée à une difficulté : pour élaborer ma grille d’entretien, les pistes de travail suggérées par mes lectures se révélaient insuffisantes. De plus, comme je le précisais auparavant, mes entretiens 25 CLAUDIA TURMEAU semi-directifs constituaient ma source d’information principale. Il fallait donc être le plus exhaustif possible. Alors, j’ai commencé ma recherche en procédant à l’utilisation d’un brainstorming (6 personnes étaient présentes, Annexe N 5), puis à une enquête par entretien à usage exploratoire (5 entretiens.) Ceci m’a permis de mettre en lumière les aspects du phénomène auxquels je n’avais pas pensé spontanément et de compléter les pistes de travail suggérées par mes lectures. Grâce à ce travail préliminaire, j’ai pu affiner ma problématique et reformuler, de manière plus adéquate, mes postulats. Ce travail m’a également permis de m’intéresser à des questions nouvelles, de parfaire ma grille d’entretien pour qu’elle soit la plus adaptée aux personnes rencontrées et qu’elle réponde le mieux à ma problématique posée. a. Conception de l’enquête Je vais définir la population et la sélection de mon échantillon, le mode d’accès aux interviewés et la planification des entretiens. Ma recherche entre dans sa phase réellement opératoire. Ø Population et échantillon Maintenant que la problématique est formulée et le choix de l’enquête arrêté, il s’agit de sélectionner les catégories de personnes que je veux interroger, donc les acteurs dont j’estime qu’ils seront en position de produire des réponses aux questions que je me pose. Mais, une partie de la définition de la population est incluse dans la définition de l’objet de ma recherche. Etant psychologue stagiaire à la PAIO, il convient donc d’interroger des jeunes ayant entre 16 et 25 ans. Cependant je souhaite poser quelques limites à la population : • En ce qui concerne l’âge, comme je l’ai précisé précédemment, l’âge minimum aurait pu être 16 ans et l’âge maximum 25 ans. J’ai préféré réduire l’âge minimum à 19 ans. En effet, les jeunes de 16 à 18 ans n’ont pas encore le permis de 26 CLAUDIA TURMEAU conduire (à part la conduite accompagnée, mais dans ce cas ils sont dépendants d’un adulte.) • De plus, ils sont plus dépendants à l’égard de leurs parents même si à cett e période, les adolescents ne les idéalisent plus. Même s’ils revendiquent leur indépendance face à leurs parents, il me semble difficile d’accorder la même importance à un jeune de 16 ans qui exprime son indépendance et à un jeune de 25 ans qui exprime cette même idée. C’est pourquoi, il me semblait pertinent que la limite d’âge de la population interrogée se situe entre 19 et 25 ans. Une autre limite a été posée, mais je dois dire qu’elle s’est imposée d’elle-même. • Je souhaitais rencontrer les personnes quel que soit leur niveau de mobilité. Cependant, ce fut difficilement réalisable : par exemple comment contacter un jeune qui est dans un état d’immobilité…pouvant parfois conduire le jeune à des formes d’enfermement ou d’isolement (comme par exemple, un jeune homme qui ne peut plus sortir de sa chambre…). J’ai alors décidé d’interroger des jeunes étant dans une démarche minimale de mobilité (ne serait ce que pour les rencontrer en entretien). Ces jeunes sont tous en formation. Ils se déplacent régulièrement, voire quotidiennement pour se rendre sur leur lieu de formation. On peut dire qu’ils ont une place où ils peuvent exister socialement. Bien que cette limite se soit imposée à moi, il me semblait important de la citer. Donc, les jeunes interviewés ont tous entre 19 et 25 ans, sont inscrits à la PAIO de l’arrondissement de Châteaubriant et, ils sont en formation au moment de l’enquête. Toutes les personnes interviewées sont dans une démarche minimale de mobilité. En ce qui concerne la composition de la population, j’ai retenu l’égalité entre les sexes. Cette variable me semble intéressante dans le sens où les jeunes hommes et les jeunes femmes peuvent penser la mobilité de manière différente. Le nombre de personnes interrogé s’élève à 35. (Cependant, s eulement 30 entretiens ont pu être analysés : cinq jeunes se sont tenus loin du magnétophone lors de l’entretien, je n’ai donc pas entendu leur discours). 27 CLAUDIA TURMEAU Je vais vous présenter les différents centres de formation que j’ai contacté, les formations qu’ils dispensaient, et le nombre de personnes interrogées. Tableau 1 : Mode d'échantillonnage Domaine Intitulé de la Niveau de d'Intervention Formation Formation Orientation Remise à Niveau Action de préparation à l'activité professionnelle Public concerné Organisme de Formation Nombre de Personnes interrogées Orientation et découverte des mondes professionnels VI à IV moins de 26 ans CFP St Joseph Brainstorming 6 personnes Plate forme d'orientation pour les jeunes de Niveau IV IV moins de 26 ans Retravailler 6 personnes Plate forme d'aide à l'insertion professionnelle VI à IV moins de 26 ans GRETA 3 personnes APP Tous Niveaux plus de 26 ans GRETA 2 personnes (moins de 26 ans) VI Public remplissant les critères PAPIL et public remplissant les critères SIFE Etude et chantier 8 personnes GRETA 4 personnes Chantier Ecole Bâtiment Structures Métalliques Qualification Action de conduites de machines automatisées de transformations Dispositif TRACE Public sorti de Formation initiale Tous Niveaux depuis plus de 6 mois Tous Niveaux Public sorti de Formation initiale depuis plus de 6 mois GRETA 4 personnes VI Public à difficulté d'insertion sociale et professionnelle Culture et Liberté 8 personnes 28 CLAUDIA TURMEAU Ce tableau indique le mode d’échantillonnage. En effet, j’ai bâti un échantillon diversifié en fonction des variables descriptives générales. J’ai donc utilisé des variables descriptives classiques de positionnement, tels que le sexe (égalité entre les hommes et les femmes), les différentes formations suivies (orientation, remise à niveau, action de préparation à l’activité professionnelle, qualification), et leur niveau de formation initiale (niveau VI, V, IV). Ø L’accès aux interlocuteurs ; les personnes rencontrées Parallèlement à la dé finition de l’échantillon, il faut en prévoir le mode d’accès. J’ai eu recours au mode d’accès indirect. Je suis donc passé par l’entremise de tiers institutionnels. J’ai alors demandé à M. Dornier, directeur de la PAIO, de me fournir la liste des actions PAPIL, ainsi que le nom des responsables des différents centres de formation. J’ai alors contacté les différents responsables pour leur expliquer l’objet de ma recherche. Cette conversation téléphonique avait également pour but de savoir si je pouvais me présenter lors d’une formation pour prendre rendez-vous avec les jeunes. Les responsables, intéressés par ma recherche, me donnèrent leur accord, à condition que je m’organise avec les formateurs présents sur le stage. J’ai alors ensuite contacté les formateurs des différentes actions. Tout d’abord, j’ai rencontré M. Deleurne, formateur à Culture et Liberté, s’occupant des jeunes intégrés au dispositif TRACE. J’ai donc convenu avec lui d’un rendez-vous où je viendrais me présenter aux jeunes, leur expliquer le pourquoi de ma venue, et prendre rendez-vous avec eux pour un entretien ultérieur. Tout s’est déroulé comme je l’escomptais jusqu’au jour je devais rencontrer les jeunes en entretien. Mais, ils ne se sont présentés. Etait-ce un problème de déplacement, de mobilité ? 29 CLAUDIA TURMEAU Il est vrai que les entretiens devaient se dérouler à la PAIO de Châteaubriant, et que je n’avais pas tenu compte de l’étendue du territoire, donc certains jeunes contactés devaient effectuer plusieurs kilomètres pour s’y rendre. Quoiqu’il en soit, même les jeunes personnes résidant à Châteaubriant ne s’étaient pas déplacées. Malgré tout, il ne me paraissait pas pertinent de les rappeler en leur signalant qu’ils n’étaient pas venus. Je ne voulais pas qu’ils aient l’impression d’être obligé de répondre à une enquête qui ne les intéressaient (peut être) pas. Cependant, prenant conscience de ces problèmes de mobilité, je me suis déplacée à plusieurs reprises dans les communes où résidaient les jeunes de façon à réduire leurs déplacements, et ce pour deux raisons : - lorsque l’on parle de mobilité, il me semble important que l’intervieweur en fasse preuve, - de plus, les jeunes ont généralement un faible revenu voire aucun, dans ce cas, comment leur demander de se déplacer en sachant que ce déplacement va leur occasionner des frais. Malgré tout, les jeunes oubliaient les rendez-vous fixés, n’avaient pas pensé qu’ils avaient autre chose de prévu le jour même… Quoiqu’il en soit, il fallait que je modifie le mode d’accès aux interlocuteurs. Pour maximiser les chances d’acceptation et accélérer la démarche, j’ai eu recours aux relais institutionnels. J’ai pris contact avec les différents formateurs intervenant sur les différents lieux de stages. Après avoir expliqué l’objet de ma recherche et précisé que le responsable du centre de formation m’avait donné son accord pour les contacter, je leur ai demandé s’il était possible de rencontrer les jeunes en entretien pendant les heures de formation. Les différents formateurs ont accepté ma proposition. Malgré tout, ce fut assez difficile d’obtenir un rendez-vous rapidement : les formations sont assez condensées, les jeunes ont des périodes de stages en entreprise…Il était donc ardu de concilier ma demande et leurs objectifs. 30 CLAUDIA TURMEAU De plus, comme dans toute enquête, se pose le problème du refus. Ils ne sont donc pas sans conséquence sur les résultats de l’enquête, et impossibles à contrôler. Les refus peuvent être liés au thème de l’enquête, à la peur d’être interviewé ou au fait que certains jeunes aient déjà conn u des parcours marqués par des interventions institutionnelles et refusent de dire quoi que ce soit au niveau de leur histoire personnelle. Prenant conscience de ce problème, et suite à la conversation téléphonique avec le formateur, il informait les jeunes de ma venue en précisant la date. Puis lorsque j’allais sur le lieu de formation, pour que les refus ne soient pas liés à la prise de contact ou la présentation de l’enquête, je veillais à la manière dont j’entrais en relation avec les jeunes et à la faç on dont j’énonçais les objectifs de l’étude. D’ailleurs concernant les objectifs, je prenais soin de les préciser et ce, à deux reprises, une première fois lors de la prise de contact elle-même, et une seconde fois en tout début d’entretien. 35 personnes, 17 filles et 18 garçons, ont participé à un entretien et j’ai recueilli leur récit lors des entretiens individuels. Les interlocuteurs rencontrés ont entre 19 et 25 ans. Les entretiens ont duré environ une heure. Sur certains lieux de formation, j’ai pu rencontrer les jeunes 1/2 heure seulement ; en effet, la formation prenait fin et ils avaient encore beaucoup de travail à effectuer avant leur départ. Cependant, quatre entretiens se sont déroulés lors de la pause déjeuner, et ces derniers ont une durée de deux heures chacun. 31 CLAUDIA TURMEAU PRESENTATION DE L’ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AUX JEUNES INTERROGES : Ce qui va suivre est le discours formulé aux jeunes. Comme je l’ai précisé précédemment, je veillais à la manière dont j’entrais en relation avec eux afin de minimiser les refus. Voici la présentation de la recherche aux personnes rencontrées. « Bonjour, Je suis actuellement à la PAIO de Châteaubriant, et je fais une étude sur la mobilité des jeunes en milieu rural. J’effectue cette recherche dans le cadre de ma dernière année d’étude. Et dans ce cadre, je réalise des entretiens individuels. C’est pourquoi, je me déplace sur les lieux de formation. J’aurais pu effectuer ma recherche à partir de livres, mais il me semble plus intéressant de recueillir le discours des personnes. Par rapport aux questions que je vais vous poser, n’hésitez pas à me dire tout ce qui vous passe par la tête. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, dans le sens où ce qui m’intéresse est ce que vous vivez en terme de mobilité Votre entretien me servira à voir les difficultés que vous éprouvez ou pas, face à la mobilité. Puis lors de l’élaboration de mon dossier, grâce à votre entretien et ceux des autres personnes que je rencontre, j’essaierais de voir les solutions à apporter pour vous aider ou les solutions que vous avez trouvées, lorsque pour vous, la mobilité n’est pas un problème. Votre entretien est strictement confidentiel et anonyme. Je ne connais que votre prénom, et quoi qu’il en soit aucun prénom ne sera inscrit dans mon dossier. Cela dit, est ce que cela vous ennuie si j’enregistre l’entretien ? Si à un moment donné, vous désirez que j’arrête l’enregistrement, il n’y pas de problème. » 32 CLAUDIA TURMEAU b. Plan de l’entretien et guide d’entretien Parallèlement à la préfiguration de l’éch antillon et du mode d’accès aux interviewés, il convient de concevoir le plan de l’entretien. Le plan comprend à la fois l’ensemble organisé des thèmes que l’on souhaite explorer (le guide d’entretien) ainsi que les stratégies d’intervention de l’interviewer visant à maximiser l’information obtenue sur chaque thème. Le guide d’entretien est un ensemble organisé de thèmes qui structure l’activité d’écoute et d’intervention de l’interviewer. Le degré de formalisation du guide est fonction de l’objet d’étude, de l’usage de l’enquête et du type d’analyse que l’on projette de faire. Pour ma recherche, après avoir utilisé les entretiens à usage exploratoires au début de l’enquête, je choisis d’utiliser un entretien à structure forte. En effet, je disposais d’informations plus précises sur le domaine étudié et sur la façon dont ce domaine est perçu et caractérisé grâce au brainstorming et aux entretiens à usage exploratoires. Suite à la réalisation du guide d’entretien, je souhaitais le pré -tester auprès de cinq personnes afin de vérifier la validité, de voir si la consigne était correctement formulée et vérifier si j’abordais les thèmes principaux. L’entretien structuré suppose donc la formulation d’une consigne, la constitution d’un guide thématique formalisé et la planification d’écoute et d’intervention. L’entretien semi-directif sera présenté avec la consigne initiale et le guide thématique. Cet entretien peut paraître extrêmement structuré, quoi qu’il en soit, j’intervenais en fonction du discours de l’interviewé et l’ordre des questions n’a aucune importance. Je désirais surtout explorer tous les thèmes prévus au cours de l’entretien. 33 CLAUDIA TURMEAU Comme on peut le constater, ce guide d’entretien se distingue du questionnaire dans la mesure où il structure l’interrogation, mais ne dirige pas le discours. Il a donc pour but de m’aider à élaborer des relances pertinentes sur les différents énoncés de l’interviewé, au moment même où ils sont abordés. Grâce à cette technique, j’ai pu obtenir un discours librement formulé par l’interviewé et un discours répondant aux questions de la recherche. Lors des entretiens, j’utilisais diverses relances qui permettaient d’approfondir le discours de la personne. Malgré tout, je laissais volontairement des silences s’installer, ce qui permet au sujet de mener une réflexion sur les thèmes et de formuler des sentiments. Néanmoins, lorsque les silences durent, je me dois d’intervenir. Peut être que le sujet a épuisé le thème proposé et donc n’a plus rien à dire ? 34 CLAUDIA TURMEAU ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF PRESENTATION : Quel est votre âge ? Quelle est votre situation personnelle ? - Célibataire - Vie maritale - Marié(e) - Séparé(e) Vous habitez : - Seul(e) - Chez vos parents - En famille d’accueil - Avec votre ami(e) ou votre conjoint - En foyer (F.J.T, internat…) - Avec des amis ou en colocation Où résidez-vous ? - Dans quelle ville ou quelle commune ? - En campagne ou dans le bourg ? Possédez-vous le permis de conduire ? Quels sont le(s) moyen(s) de locomotion que vous utilisez habituellement pour vous déplacer ? Quel moyen de locomotion avez-vous en votre possession ? 35 CLAUDIA TURMEAU CONSIGNE : Vous êtes actuellement en formation, vous vous déplacez régulièrement pour vous rendre à votre formation. Dans ce cas, si je vous dis le mot « mobilité », à quoi pensez-vous ? LES FAITS, LES EXPERIENCES DE MOBILITE : D’après vous, jusqu’où pouvez-vous vous déplacer ? Quelles sont, jusqu’à maintenant, vos expériences au niveau des déplacements? Ø Déménagements,(avez-vous des difficultés à vous intégrer suite à votre déménagement ? Combien d’années se sont écoulées depuis votre déménagement ?) Ø Vacances, Ø Loisirs, Ø Activités avec les amis Pensez-vous être assez renseigné sur tous les moyens de transports qui existent ? Si oui, quel est celui que vous utilisez le plus souvent ? LES OPINIONS PAR RAPPORT A LA MOBILITE : D’après vous, êtes-vous une personne mobile ? - Oui : pourquoi ? - Non : pourquoi ? Qu’est ce qui vous empêche (ou pourrait vous empêcher) d’être mobile, de vous éloigner de votre commune ? 36 CLAUDIA TURMEAU Est-ce que le fait de changer de cadre de vie, de vous déplacer, provoque chez vous de l’ennui ou de la peur ? D’après vous, est-ce que le manque de mobilité peut être un « frein » ? - Pour quelles activités ? - Pourquoi ? LES REACTIONS, LES COMPORTEMENTS FACE A UN DEPLACEMENT : Pour trouver un travail, est-ce que vous êtes prêt(e) à déménager ? - Oui : jusqu’à quelle distance ? - Non : pourquoi ? Lorsque vous voulez vous déplacer et que vous n’avez pas de moyens de transport, à qui demandez-vous ? Situation numéro 1 : Préférez-vous un emploi près de chez vous, même s’il ne vous intéresse pas ou préférez-vous un emploi « à l’autre bout de la France » mais qui réponde à vos attentes ? Situation numéro 2 : Votre employeur est très satisfait de votre travail, et il vous propose une promotion à condition de reprendre une formation. Vous acceptez sa proposition ou vous refusez ? Ø Pourquoi ? Situation numéro 3 : Votre employeur vous propose un poste très intéressant et bien payé à une seule condition, que vous partiez travailler en dehors de la région. Vous acceptez la mutation ou vous refusez ? Ø Pourquoi ? 37 CLAUDIA TURMEAU LES MOTIVATIONS POUR PARTIR OU NE PAS BOUGER : LES OPINIONS PAR RAPPORT A LEUR « PAYS » : Vous habitez à … : - Est-ce que votre région vous plaît ? - Est-ce que vous y trouvez tout ce que vous désirez ? Pouvez vous me donner 4 mots qui pourraient définir votre ville ? Quels sont les avantages que vous attribuez : - A la ville - A la campagne ORIGINES SOCIO-CULTURELLES DES JEUNES : Votre famille se déplace t’elle souvent ? - Dans quelles circonstances ? - Pour faire quoi Si vous dites à vos parents que vous déménagez demain, que vont-ils vous dire ? CONCLUSION : Est-ce que vous avez des idées pour mettre en place des actions qui faciliteraient votre mobilité ? 38 CLAUDIA TURMEAU Description et explication des différents thèmes abordés : Le premier thème porte sur les faits et expériences de mobilité que les jeunes ont effectué dans leur enfance et jusqu’au jour de l’entretien. Les différentes expériences qu’ils ont eues jusqu’à maintenant, me semble importantes à développer si on met en avant que la capacité de mouvement et de mobilité géographique s’inscrit dans un apprentissage social et culturel et ce dès leur plus jeune âge. Mais, ces expériences de mobilité ou le fait d’être mobile, ne pourra s’effectuer que si les jeunes connaissent les moyens de transports existants sur le territoire. Ces faits et ces expériences de mobilité, jusqu’à maintenant, influencent -ils le comportement ultérieur des jeunes interrogés ? Le deuxième thème aborde les opinions qu’ils éprouvent par rapport à la mobilité. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner, nombre d’institutionnels supposent que les jeunes, en milieu rural, sont peu mobiles. Malgré tout, est-ce que les jeunes interrogés se considèrent comme étant mobiles, indépendamment du sentiment des professionnels. De plus, par rapport à ce qu’ils ressentent, quels seraient les évènements, les personnes ou les causes qui pourraient freiner le fait de se déplacer ? On peut supposer que les jeunes mobiles n’aient pas de freins majeurs, mais à l’opposé, plus les jeunes sont "immobiles", plus les freins sont importants. A moins que ce ne soient les freins qui provoquent cette immobilité. Le troisième thème tente, quant à lui, de cerner les réactions et les comportements face à un déplacement. Il me semblait pertinent, après une discussion sur ce qu’ils avaient déjà vécu comme déplacement, de les placer en situation de choix. En effet, la façon dont ils se projettent dans l’avenir est très intéressante face à ce thème de mobilité. C’est pourquoi, j’ai choisi de mettre en relation la mobilité géographique avec la mobilité sectorielle (situation 1, 2 et 3) et d’analyser leur réaction face à ces situations de mobilité géographique. 39 CLAUDIA TURMEAU Le quatrième thème donne l’occasion aux jeunes de parler du degré d’attachement à leur pays. Il s’agit d’amener les jeunes à porter, en premier lieu, un "jugement" sur la commune où ils résident, de citer ce qui leur plait ou leur déplait. Ainsi, en second lieu, ils ont un regard différent pour attribuer les avantages et les inconvénients, que ce soit par rapport à la ville ou par rapport à la campagne. Enfin, il leur est demandé de décrire les relations qu’ils entretiennent avec les personnes de leur entourage (hormis la famille), ceci afin de dégager le lien social. Ici, je souhaite savoir si le fait de porter un jugement positif ou négatif sur la commune peut inciter les jeunes à quitter leur environnement ou pas. De plus, le lien social a-t-il une influence sur le comportement des jeunes ; c’est-à-dire partir ou rester dans leur commune. Le cinquième thème, et le dernier, aborde l’origine socioculturelle des jeunes interviewés. En fait, il s’agit pour les jeunes d’évoquer "l’ambiance" familiale face à la mobilité, ainsi que le lien affectif les unissant à leur famille. 40 CLAUDIA TURMEAU c. La production des récits. Plusieurs paramètres interviennent dans l’élaboration et le déroulement de la situation d’entretien, trois niveaux sont déterminés : l’environnement, le cadre contractuel de la communication et les interventions de l’interviewer (ce dernier ne sera pas abordé, ce thème est très théorique. Par rapport à cela, je tiens juste à préciser que l’entretien semi-directif demande une maîtrise de l’écoute psychologique de façon à adapter les relances au type de discours). L’entretien, c’est la prise en compte de cette triple dimension qui dicte ces principes de fonctionnement. « C’est dans cette superposition que réside la difficulté de l’entretien puisque l’on doit simultanément soutenir une relation sociale dialogique et une interrogation sur le fond » (A. Blanchet et A. Gotman,1992, p 69). L’environnement : Le cadre extérieur peut commander en partie le déroulement de l’entretien. Il existe de nombreux paramètres de l’environnement : « la programmation temporelle (unité de temps), la scène (unité de lieu), la distribution des acteurs (unité d’action) » (A. Blanchet et A. Gotman,1992, p 69). La programmation temporelle définit la tranche horaire de l’entretien et notamment la façon dont il s’inscrit dans la séquence des actions quotidiennes des interviewés. Cela peut considérablement influencer le discours du sujet. Ainsi, il aurait été préférable que mes sujets soient interrogés le matin lorsqu’ils arrivaient sur leur lieu de formation ou le soir juste avant qu’ils quittent ce même lieu. Cependant, je n’ai pas eu la possibilité de prendre en compte ce paramètre étant donné que je dépendais totalement des actions de formation, et les tranches horaires pendant lesquelles se déroulaient les entretiens étaient préétablies à l’avance. 41 CLAUDIA TURMEAU La scène est caractérisée par la définition des lieux (le décor et ses significations sociales) et la configuration des places (les positions occupées par l’interviewé et par l’interviewer). Mes entretiens se déroulaient sur le lieu même de la formation, dans un bureau annexe. Ce lieu n’était pas totalement inconnu aux jeunes (ce qui était préférable, à mon avis). La place des interlocuteurs est particulièrement importante. Généralement, je proposais aux jeunes que nous soyons face à face (mais, il n’y avai t pas de bureau qui nous séparaient ; je ne voulais pas que cet entretien prenne des « allures » d’entretien thérapeutique ou de conseils par exemple). La distribution des acteurs joue un rôle non négligeable. Il s’agit ici de l’influence du sexe, de l’âge, de la catégorie socioprofessionnelle, de la référence culturelle… des partenaires pouvant influencer la situation de l’entretien. Il ne me semble pas que ses variables aient eu un impact considérable sur la production du discours des jeunes. Le cadre contractuel de la communication : Plusieurs paramètres sont à prendre en considération comme : Ø L’objectif de l’entretien, il s’agit de savoir ce que représente la mobilité pour le jeune. Il est important, dès le début, que le jeune sache pourquoi il est avec moi. Ø Le choix de l’interviewé, il me semble important de lui dire pourquoi je l’ai choisi, lui et pas un autre. Ø L’enregistrement ou non de l’entretien à l’aide d’un magnétophone, l’entretien prend alors une dimension d’exception si l’interviewé est enregistré. 4 personnes sur 35 ont refusé d’être enregistré, j’ai donc pris des notes pendant l’entretien et procédé ensuite à une reconstitution la plus exhaustive possible. (Ces trois thèmes sont déjà détaillés page 58) 42 CLAUDIA TURMEAU Ø Le thème de l’entretien qui met en jeu l’expertise ou la non-expertise de l’interviewé, le thème est il familier à l’interviewé ou pas. Si tel est le cas, le discours du sujet sera alors différent. Ø Le type d’acte demandé, pendant la passation d’entretien ; je suis la garante du cadre contractuel de l’entretien. La passation d’entretien a été très agréable, du moins pour ma part. Certains jeunes m’ont affirmé à la fin de l’entretien, que « ça » leur avait « fait du bien de parler librement de leurs soucis. » Cependant, je pense qu’il faut rester prudent par rapport aux entretiens. En effet, il y a certaines variables que je n’ai pu contrôler, me concernant, comme la fatigue ou le stress. De plus, le fait que je sois la seule enquêtrice pose problème : les hommes se confient beaucoup moins facilement que les femmes. 2. Les résultats et l’analyse a. Type d’analyse choisie Pour l’analyse de mes entretiens, l’analyse thématique me semblait la plus appropriée. Cette méthode défait en quelque sorte la singularité du discours et découpe transversalement ce qui, d’un entretien à l’autre, se réfère au même thème. Il est vrai que l’on ignore la singularité de l’entretien et que l’on cherche une cohérence thématique inter-entretiens. En fait, la manipulation thématique consiste à « jeter » l’ensemble des signifiants correspondant à un thème, ce qui détruit définitivement l’architecture cognitive et affective des personnes. L’analyse thématique est donc cohérente avec la mise en œuvre de modèles explicatifs de pratiques ou de représentations. 43 CLAUDIA TURMEAU L’analyse thématique que j’ai effectué est « horizontale ». En effet, j’ai étudié les différentes formes sous lesquelles le même thème apparaissait d’un sujet à l’autre. b. Méthode Pour établir les thèmes et construire la grille d’analyse, il a été nécessaire de s’imprégner du corpus, c’est à dire de lire les entretiens un à un. L’identification des thèmes et la construction de la grille d’analyse peuvent s’effectuer à partir des hypothèses descriptives de la recherche, éventuellement après avoir été reformulées à la suite de la lecture des différents entretiens. La grille d’analyse est alors un outil explicatif, visant la production de résultats. Elle n’en est donc nullement le décalque mais une version plus logifiée. Lorsque la grille est construite, il s’agit alors de découper les éléments correspondants et les classer dans les rubriques. Ces énoncés sont variables (membres de phrase, paragraphes…). 3. Analyse des résultats Dans cette partie, je propose d’évaluer les représentations des jeunes vis à vis de leur mobilité dans leur milieu rural. Pour ce faire, j’ai effectué des entretiens semidirectifs auprès de 30 jeunes. Après la lecture du corpus, différents thèmes sont ressortis : a. La mobilité matérielle : les moyens matériels et financiers b. La définition de la mobilité c. Les éléments de trajectoire familiale d. Les éléments concernant la santé psychologique e. Les éléments concernant l’espace résidentiel 44 CLAUDIA TURMEAU f. La mobilité liée aux attaches : la capacité à vivre des situations de rupture g. Le lien social h. Les loisirs et les vacances i. La mobilité dans la tête : la capacité à élaborer des conduites de mobilité j. La mobilité liée à la formation et à l’emploi : la capacité à mettre en place des conduites pour gérer son itinéraire social et professionnel k. Les freins à la mobilité Avant de commencer l’analyse descriptive des résultats, il me semble important de vous présenter la répartition par sexe et par âge ces sujets interrogés. 14% 12% 10% 8% hommes 6% femmes 4% 2% an s 25 an s 24 an s 23 an s 22 an s 21 an s 20 19 an s 0% Figure 1 : Répartition par âge et par sexe a. La mobilité matérielle Les moyens matériels et financiers des jeunes. 45 CLAUDIA TURMEAU Pour cette analyse descriptive, il me paraît pertinent de l’expliquer grâce à quelques graphiques. HOMMES 33% 54% 13% POSSEDE LE PERMIS PREND ACTUELLEMENT DES COURS NE POSSEDE PAS LE PERMIS Figure 2 : Possession du permis de conduire (Hommes) FEMMES 27% 47% 26% POSSEDE LE PERMIS PREND ACTUELLEMENT DES COURS NE POSSEDE PAS LE PERMIS Figure 3 : Possession du permis de conduire (Femmes) 46 CLAUDIA TURMEAU 30% 25% 20% HOMMES 15% FEMMES 10% 5% 0% NIVEAU VI NIVEAU V NIVEAU IV Figure 4 : Niveau de formation des jeunes rencontrés Je tiens à préciser que ces jeunes sont en précarité financière. Il est courant dans le milieu des décideurs de politique sociale d’affirmer que trop d’assistance individuelle aux jeunes, détruit la solidarité familiale. De plus, cela pourrait évincer la responsabilité des parents. Cependant, certaines familles ne peuvent aider financièrement leurs "grands enfants" ; elles sont également en grande précarité financière. Ce manque de moyens, cette précarité posent problème tant du point de vue de la mobilité (qui occasionne des frais) que du point de vue qualité de vie (loisirs, habitat…) b. La définition de la mobilité Le premier thème que je vais aborder concerne la définition de la mobilité, ce qui me permettra d’évaluer par la suite, et de manière précise, les représentations que les jeunes ont de leur mobilité en milieu rural. 47 CLAUDIA TURMEAU Au cours des entretiens, les jeunes interrogés ont bien voulu me livrer leurs représentations initiales de ce qu’ils entendaient par mobilité. En analysant le contenu de mes entretiens, j’ai pu constater que même si la majorité des jeunes "ne s’étaient jamais posés la question", ils en avaient une idée, après quelques minutes de réflexion. Ainsi, plusieurs dimensions sont apparues ; elles sont au nombre de quatre : ü Première dimension : 5 jeunes ne savent pas ce que signifie la mobilité au sens strict du terme. Devant leur embarras ou leur non-sens, je pose la même question en utilisant la phrase "être capable de se déplacer" : Ils n’arrivent pas à faire le rapprochement entre les deux, ne voient pas le lien et deviennent muets. Cela concerne 16,5% des jeunes interrogés. Néanmoins, il me semble important de préciser que pour ces 5 jeunes personnes, qui n’arrivaient pas à définir la mobilité, cela n’a pas eu de conséquence sur la suite de l’entretien. En effet, je reformulais mes questions de façon à ce qu’ils les comprennent. ü Deuxième dimension : 5 jeunes définissent la mobilité en tant qu’expérience enrichissante. C’est une façon de s’évader, de voyager, d’être libre. Ces jeunes sont prêts à aller n’i mporte où, à partir du moment où la région leur plait et qu’au niveau culturel "ça bouge". Ils affirment qu’ils trouvent toujours des solutions pour aller là où ils le désirent, même s’ils font des concessions. Tous ces jeunes mettent en avant le fait d’être libre et de s’amuser. Au regard de leur histoire, ils ont vécu une période de chômage longue et douloureuse et ils semblent prêts à tout pour ne pas revivre cette expérience. 16,5% des jeunes définissent la notion de mobilité en terme d’expérience enrichissante. ü Troisième dimension : 9 jeunes, soit 30%, citent les moyens de transport, de locomotion qui existent (avion, marche à pied…) Pour eux, il existe un lien très fort entre "déplacement" et "mobilité", d’ailleurs ils ne font pas la différence. 48 CLAUDIA TURMEAU Aucun critère de distance n’entre en jeu, 4 jeunes sur 9 disent que la mobilité "c’est rester dans la même ville, en bougeant". Dans ce cadre, le fait de "bouger" est le fait de se promener dans leur ville sans utiliser les moyens de transport. En effet, ces 4 jeunes disent être renfermés ou éprouvent de l’inquiétude à organiser leurs déplacements et préfèrent rester chez eux ou se promener dans leur commune. ü Quatrième dimension : 11 jeunes, soit 37%, parlent de capacité à se déplacer quand c’est nécessaire et sans problème. Lorsque je leur demande d’approfondir le terme "nécessaire", 7 d’entre eux mettent en avant le fait de travailler. Pour eux, lorsqu’il s’agit de sorties, de loisirs, les amis sont présents et les accompagnent. Alors que le travail, c’est individuel, "chacun se débrouille". Lorsqu’il s’agit du terme "sans problème", plusieurs idées sont évoquées : le fait d’être ponctuel (4 jeunes parmi 11), ne pas avoir à demander à quelqu’un de l’entourage (7 parmi 11), avoir des revenus financiers suffisants (5 jeunes parmi 11). Il me semble important de détailler ces différentes idées : - Le fait d’être ponctuel : les jeunes ayant évoqués cette idée sont des personnes ne possédant pas le permis de conduire et qui « galèrent à faire du stop » ou qui utilisent les transports en commun alors que les horaires ne sont pas adaptés et ne leur correspondent pas. - Ne pas avoir à demander à quelqu’un de l’entourage : ces jeunes disposent d’un véhicule depuis peu. Avant leur acquisition, ils n’avaient pas les moyens financiers pour utiliser les transports en commun ou voulaient économiser. Ils étaient alors tributaires d’une personne proche qui les emmenaient là où ils le désiraient (« Mais des fois, c’est donner pour recevoir, et moi, je ne pouvais rien donner en échange. ») - Avoir des revenus financiers suffisants : les jeunes mettent en avant le fait d’avoir une voiture de mauvaise qualité et qu’elle consomme beaucoup d’essence. De ce fait, selon l’importance des distances à parcourir, ils auront plus ou moins la possibilité de se déplacer. 49 CLAUDIA TURMEAU Ces différentes idées seront reprises par la suite, dans le sens où elles sont plus détaillées dans d’autres thèmes (par exemple, le fait de ne pas avoir à demander à quelqu’un de l’entourage est repris dans le thème "lien social"). Ce qui me semble important, malgré la diversité des réponses, c’est que 86,5% des jeunes (soit 26 parmi 30) estiment être des personnes mobiles et 13,5% (soit 4 parmi 30) disent qu’ils ne sont pas mobiles. 50 CLAUDIA TURMEAU 1er Dimension Non-sens. 2ème Dimension 3ème Dimension 4è me Dimension Expériences Moyens de Capacité à se déplacer enrichissantes. locomotion qui quand c’est nécessaire existe. et sans problème. 5 personnes 5 personnes 9 personnes 11 personnes Mobile : -« J’adore les voyages » (4) -« Connaître des gens nouveaux » (2) -« Etre prêt à quitter son petit patelin » (2) -« Aller dans tous les pays d’Europe et même plus loin » (2) -« Aller où ça bouge au niveau culturel » (2) -« Etre libre » (4) - Mobylette, vélo (3) - Car, train (3) - Mouvements (3) - Moyens de locomotion (5) - Marche à pied ( 4) - « Pouvoir aller partout quand c’est nécessaire » (8) - « Pas galérer à faire du Stop » (4) - « Capacité à bouger » (2) - « Pas compter sur qui que ce soit pour se déplacer » (7) - « Avoir de l’argent pour se bouger, rentrer dans ses frais » (5) - « Pouvoir se déplacer dans n’importe quelle situation de travail ou de formation » (7) -« C’est travailler avec mes mains et tout… être à fond dans mon boulot » (1) -« De chez moi à ici, c’est de la mobilisation, oui je suis mobilisé » (1) -« Pendant mon stage, je transportais des personnes âgées » (1) -« Je sais pas quoi répondre » (1) - « Bah…la maison » (1) 26 jeunes estiment être mobiles. 4 jeunes estiment être non mobiles. On peut se demander de quelle mobilité géographique les jeunes parlent-ils ? 51 CLAUDIA TURMEAU Les formes de mobilités géographiques sont innombrables. Entre ceux qui développent des modes de vie de plus en plus mobiles, et de ce fait, entretiennent des rapports avec des lieux multiples et ceux qui, pour des raisons très variées sont rivés à un seul territoire, les pratiques et les attitudes et donc, les représentations ne peuvent-être que différentes. Il apparaît, à travers cette première analyse, une grande diversité dans les réponses. c. Les éléments de trajectoire familiale Les jeunes interrogés, pour la plupart (93%), vivent chez leurs parents. Les éléments de trajectoire familiale sont vécus différemment par les jeunes. Ce thème regroupe la constitution de la famille, les relations existantes au sein de cette cellule familiale, ainsi que la prise de distance du jeune par rapport à sa famille (par exemple : est-il considéré comme quelqu’un d’autonome, est-ce que ses parents sont d’accord pour qu’il prenne son indépendance… ?) La constitution de la famille Celle-ci est très diverse selon les sujets. Quatre différents types sont apparus lors de l’analyse : ü Famille unie : 53,5% (16 jeunes sur 30) vivent chez leurs parents. Les deux parents sont présents. Les relations familiales, bien quelles soient en général harmonieuses, sont parfois difficiles à supporter par les jeunes. En effet, le décès d’un proche (frère, sœur, oncle) ou le départ prématuré d’un frère ou d’une sœur (parti à l’étranger, par exemple) fait que les parents adoptent un comportement ambivalent. D’un côté, ils disent à leurs "grands enfants" que ces derniers ne peuvent prendre leur indépendance et qu’il est préférable qu’ils restent à la maison. D’un autre côté, ils 52 CLAUDIA TURMEAU les valorisent en leur demandant d’effectuer divers travaux à la maison, et en affirmant que les parents ont besoin d’eux. De ce fait, peu de jeunes se sentent prêts à partir : 8 jeunes sur 15 disent que les parents « ont fait l’effort de m’élever, maintenant, c’est à moi de les aider, je suis redevable. » 3 jeunes filles, sans affirmer que leurs relations soient conflictuelles, désirent quitter le milieu familial, mais sont dans l’impossibilité de le faire. Pour l’une d’entre elle, son père est d’origine tunisienne ; pour l’autre, son père est d’origine turque ; pour la troisième, son père est d’origine yougoslave. Dans ces familles, les relations avec le père sont parfois difficiles et les filles n’ont pas le droit de quitter la maison. Si elles désirent sortir, elles doivent en informer le père. 5 jeunes affirment ne pas avoir de problèmes familiaux et que leurs parents seraient contents qu’ils partent. Ce départ signifierait, pour les parents, que leur enfant a trouvé un emploi stable et donc qu’il serait indépendant financièrement. ü Famille éclatée : 5 jeunes sont concernés (16,5%) Les familles "éclatées" sont généralement en conflit. Ces 5 jeunes vivent chez leur mère. Le père, parti, est représenté comme une personne qui harcèle et menace la famille (4 jeunes sont concernés), un père est parti en prison à la suite de violences sexuelles sur ses 3 filles. Les séparations, les divorces ont toujours été vécus douloureusement, et là encore, les enfants refusent de partir car leurs mères ont besoin d’eux ainsi que la fratrie, plus jeune, restée au foyer (« je dois protéger ma famille »). - Famille "éclatée" à la suite d’un décès d’un des parents (4 jeunes sont concernés, 2 jeunes femmes, 2 jeunes hommes.) Lorsque l’un des deux parents décède, l’autre abandonne. Pour les 2 jeunes filles, les mamans sont décédées. Il apparaît qu’elles prennent en charge les tâches ménagères, s’occupent des enfants plus jeunes…En fait, elles gèrent le foyer comme le faisait leur mère. Les pères sont très exigeants face à elles, et d’un autre côté, ils démissionnent totalement. Pour les 2 jeunes hommes, le père est décédé. Ils se sentent alors responsables de la famille. A la lecture de ces entretiens, il ressort très clairement que, malgré tout, 53 CLAUDIA TURMEAU le travail de deuil n’est pas effectué. Ces jeunes infantilisent généralement le parent avec lequel ils vivent. Certains disent qu’il est irresponsable mais « ça se comprend avec ce qu’il/elle a vécu. Si je ne suis pas là pour tout faire, qui va le faire ? » (jeune homme de 19 ans). Ce sont donc les jeunes qui occupent la place de « chef de famille » et prennent soin de la fratrie : « Je peux pas partir, ce mec peut faire n’importe quoi. Je sais qu’il a peur de moi, et il sait que je lui résiste. Si je pars, qui va s’occuper de mon frère (14 ans) et de ma petite sœur (8 ans) ? Personne n’est capable sauf moi »(jeune femme de 23 ans). - Pas de Famille (3 jeunes sont concernés : 2 hommes et 1 femme) Concernant les 2 hommes : un a vécu en famille d’accueil, foyer, internat…un autre s’est fait renvoyer du domicile familial par son père. La jeune femme habite chez son oncle et sa tante. Ces jeunes expriment une haine et un dégoût face à leurs parents, « qui n’ont jamais rien fait » pour eux. Ils ne veulent plus en entendre parler, pour eux, « tout est fini ». En même temps, lorsqu’ils parlent de la famille qu’ils désirent fonder, ils insistent sur le fait que rien ne pourra les séparer, que les enfants vivront dans un climat d’amour et seront choyés. - Vie maritale (2 jeunes sont concernés : 1 femme et 1 homme) Ces 2 jeunes vivent maritalement. La jeune femme a un petit garçon de 14 mois et elle a fuit l’environnement familial parce que son père la « traumatisait » Le jeune homme habite avec son amie depuis trois mois et a juste ajouté : « Mes parents étaient contents que je parte. Je prenais la maison pour un hôtel, donc ils étaient contents que je m’en aille. De toute façon, ils savaient que ça arriverait un jour ou l’autre. » D’une manière générale, les relations avec la fratrie sont "normales" et ne posent pas de réels problèmes. Même si les conflits sont fréquents, ils sont sans importance. 54 CLAUDIA TURMEAU En conclusion, certains jeunes, même s’ils réclament avec vigueur leur autonomie et leur individualité, restent néanmoins quelque peu dépendants du cadre familial. Certes différentes raisons personnelles, qui leur sont propres, les y obligent. Quoiqu’il en soit, la place des relations familiales, de la structure familiale, de la personnalité des parents apparaissent comme des facteurs importants dans l’histoire de ces jeunes. Il me paraît pertinent de développer à la suite de ce thème, celui des évènements concernant la santé psychologique. En effet, à la lecture du corpus d’entretien, je me suis aperçue du lien fort entre les deux. d. Les éléments concernant la santé psychologique Je tiens à signaler que je n’avais pas de questions précises sur ce thème, mais que tous ou presque, l’ont abordé. Ceux (8 jeunes sur 30) qui n’ont rien exprimé d’euxmêmes ont rétorqué lorsque je leur ai posé la question, qu’ils n’avaient aucun problème de santé d’ordre psychologique. Les souffrances d’ordre psychologique sont multiples. Celle, qui revient le plus souvent dans le discours des sujets, est la tendance dépressive évoqué par 73,5% des jeunes interrogés (22 personnes sur 30) et concerne principalement les jeunes femmes (13 femmes sur 15 contre 11 hommes sur 15). Les causes de cette tendance dépressive sont liées à deux facteurs différents selon les sujets : - Les éléments de trajectoire familiale (17 jeunes) - Les différentes périodes de chômage (5). ü Les différentes périodes de chômage sont vécues de manière très difficile. L’état de chômage se trouve à la base de sentiments très violents et très déstabilisateurs : humiliation, culpabilité, perte de l’estime de soi, remise en cause 55 CLAUDIA TURMEAU de certaines valeurs de base (comme la virilité pour les hommes, le sentiment d’inutilité), la perte de lien social (5 jeunes sur 17). Cette jeune femme de 22 ans a vécu une période de chômage de 1 an : « Pendant ma période de chômage, j’étais déstabilisée. On sent pas la reconnaissance, de toute façon, il n’y en a pas. Quand j’étais au chômage, j’allais même pas à la PAIO, parce que j’avais plus le goût à rien, je ne voulais pas que l’on me voit et me demande ce que je faisais, comme je faisais rien ! » Jeune homme de 21 ans : « Bah ! C’était…parce que j’étais…bah ! J’étais à moitié déprimé…enfin c’était…enfin ça faisait longtemps que ça me tenait avec des hauts et des bas…enfin, à l’époque, j’étais pas du tout bien dans ma tête…et puis c’était aussi…ouais, ça allait pas quoi !…J’arrivais pas à me booster. On a pas de boulot, personne n’en propose, alors qu’est-ce qu’on fait ? Bah ! on déprime » Ces jeunes se sentent complètement inutiles et honteux ; ils se renferment sur euxmêmes. Ces problèmes dépressifs liés au chômage peuvent-être renforcés, voire provoqués par l’environnement familial. Jeune femme de 21 ans : « De toute façon, mon père me dit que je n’arriverai jamais à travailler…et puis, à chaque fois que je fais quelque chose, il va passer derrière moi, me dire que c’est mal fait, qu’il faut que je recommence. Alors tout ce que je fais, c’est nul ? Donc j’ai peur, j’ai peur de commencer à travailler» La famille qui doit rester une base pour le jeune, à chaque fois qu’il vit une déception, ne remplit pas son rôle. ü C’est pourquoi, l’environnement familial tient une place prépondérante chez le jeune adulte en perte de repère (17 jeunes sur 22). Les problèmes, à tendance dépressive, font suite ou sont concomitants au problème familial. Jeune femme de 23 ans, qui protège sa famille de son père parti du domicile familial, mais les harcèle sans cesse : « C’est dur de voir les choses en bien, vu ce que je vis. J’ai une baisse de motivation, je ne sais plus quoi faire, ce que je peux faire, par quoi commencer. Je pense toujours, toujours, toujours à ces problèmes. J’ai plus envie de sortir, de toute façon, même si je sors, je n’arrive plus à m’amuser (…) Mes problèmes familiaux agissent sur mon moral » 56 CLAUDIA TURMEAU Cette jeune femme de 23 ans, violée par son père : « Mon père est en prison, il a fait du mal sur nous. On est 3 filles. C’est pour ça que je suis surmenée en ce moment, il faut toujours que je pense. Je peux plus, j’ai peur. Des fois, je craque ; des fois, je veux passer à l’acte » Ce jeune homme de 19 ans, dont son père est décédé il y a enviro n 4 ans « à la suite d’un accident brutal » : « Si je l’avais écouté ce jour là, il aurait été moins énervé et il aurait pas eu cet accident. En fait, c’était encore de ma faute » Ce jeune homme se désintéresse absolument de tout, tellement il se sent coupable de la mort de son père. On remarque que les problèmes dépressifs ont des origines diverses. En règle générale, l’altération de l’estime de soi est souvent fréquente. Il existe parfois un écart entre ce qu’ils sont et ce qu’ils voudraient être. Ces problèmes, à tendance dépressive, peuvent également être à l’origine du sentiment de honte. Dans ce cadre, je voudrais citer une jeune femme de 24 ans, qui vit chez son oncle et sa tante : « Avant, j’habitais chez mes parents, comme tout le monde, mais ma mère est décédée et mon père n’est pas décédé…mais c’est tout comme. Alors à 6 ans, on m’a envoyée chez mon oncle et ma tante. A l’école, on se moquait de moi, par rapport au physique et puis beaucoup de choses…A l’âge de 6 ans, j’étais pas propre, et pis les problèmes pour aller aux toilettes parce que je ne pouvais pas me retenir…Vous vous rendez compte ? Il y a encore des gens qui m’en reparlent. Des fois, dans ces cas là, j’ai honte…j’ai honte de moi…Alors, je me renferme et je veux plus voir personne ! » La tendance dépressive, le sentiment d’infériorité, la perte de l’estime de soi concernent également les jeunes (5 d’entre eux) qui consomment régulièrement de l’alcool ou des produits illicites (tels que cannabis et amphétamines). Ce jeune homme de 24 ans, renvoyé du domicile familial, il y a 2 ans : « Et pis, le soir, je bois pour oublier mes soucis. Moi, j’aime bien le vin blanc. Tous les soirs, je suis énervé soit par le boulot, soit par la formation, mais je sais pas pourquoi. Alors, je bois, ça me fait du bien et surtout ça me soulage » 57 CLAUDIA TURMEAU Ce jeune, en rentrant chez lui, ressent quelque chose de menaçant, générateur d’anxiété, il absorbe alors de l’alcool, ce qui lui apporte du bien être et donc il y a renforcement positif de l’alcool. Cette jeune femme de 21 ans : « Bon, ça m’est arrivé, j’ai consommé de l’ecstasy et du cannabis. J’ai dit oui, sans réfléchir. C’était à l’époque où de toute façon je me détruisais…Maintenant pour la drogue, je dis "plus trop" mais je ne dis pas "plus jamais". De toute façon, y’a toujours quelque chose qui ne va pas. C’était aussi à l’époque où je détruisais mon corps face aux hommes. Je me respectais pas » En conclusion, on remarque chez ces jeunes, un sentiment de culpabilité ou d’être sans valeur, d’avoir des pensées suicidaires ou des pertes d’intérêt dans les activités habituelles. Cependant, le diagnostic de dépression majeure implique la présence de 5 ou plus des symptômes dépressifs (perte ou gain de poids, insomnie ou hypersomnie…) pendant une période minimale de deux semaines. C’est pourquoi, avant de parler de dépression majeure, je préfère évoquer "le problème à tendance dépressive". Tout en restant prudente sur mes résultats (du fait que je n’ai que 30 sujets) le style parental inadéquat ainsi que la violence familiale, la mort d’un des parents ou le divorce semblent favoriser la dépression chez les jeunes adultes rencontrés. Parallèlement à ces jeunes "en difficulté", 8 jeunes sur 30 (soit 26,5 %) affirment n’avoir aucun problème de santé psychologique. e. Les éléments concernant l’espace résidentiel Les avis sont tranchés : certains se sentent bien dans leur commune de résidence et souhaitent rester dans ce même environnement (soit 66,5% des jeunes) ; d’autres veulent quitter un endroit qu’ils ne supportent plus (soit 33,5%). ü Ceux qui se sentent bien dans leur commune de résidence (20 jeunes sont concernés) 58 CLAUDIA TURMEAU La plupart, sans vouloir habiter à côté de chez leurs parents par la suite, désirent rester en campagne. Ils sont totalement satisfaits des services proposés, même si parfois ils vont "en ville" (Châteaubriant) pour « faire les courses du mois » Généralement, lorsqu’ils décident d’aller à Nantes, ils sont paniqués. Ils se sentent agressés, en insécurité. Ils s’y rendent seulement lorsqu’ils ont quelque chose de précis à faire (papiers administratifs…) Peu de ces jeunes attribuent des avantages à la ville. Ils évoquent la pollution, le bruit, la délinquance, les quartiers dangereux et les « fauves en cage » (principalement les immigrés et plus généralement toutes les personnes habitants en ville qui sont stressées, impolies et désagréables.) Parmi les jeunes interrogés, 10 d’entre eux ont habité dans une grande ville (principalement Nantes ou Paris) et l’on particulièrement mal vécu. « Habiter en ville, vous voulez ma mort ! » Cette notion est récurrente. Ils ont vécu en ville soit seul pour leurs études ou leur travail, soit en famille lorsque les parents travaillaient à Nantes. 10 d’entre eux, n’ont jamais quitté leur village d’origine et ne voient pas pourquoi ils le feraient. On ressent une habitude de vie, tous les repères qu’ils ont construit durant leur enfance et qu’ils ne veulent pas perdre. Ils préfèrent les "fêtes de village" aux "sorties en boite" parce qu’il n’y a pas d’agression lors de ces fêtes et tout le monde s’amuse. ü Ceux qui veulent quitter cet endroit, qu’ils ne supportent plus (10 d’entre eux) Ces jeunes n’ont jamais habité en ville, mais y vont régulièrement pour "changer d’air". 6 jeunes sur 10 détestent la campagne parce qu’ils n’ont aucun moyen de transport et donc il leur est difficile d’accéder aux différents services. En campagne, la totalité de ces jeunes regrettent le manque d’activités, le manque de moyens de transport, le manque de magasins. 5 d’entre eux « haï ssent» la commune où ils habitent pour les souvenirs qu’ils en ont (père violent, décès d’un parent, relations conflictuelles). 59 CLAUDIA TURMEAU Ce qu’ils mettent en avant et ce qui les poussent réellement à partir, c’est la mentalité des gens en campagne : « c’est hypocrite » ; « Une seule chose est vraie ici, c’est le commérage et le mensonge » ; « Je vois toujours les mêmes têtes, et ils me connaissent sans m’avoir jamais parlé » ; « ils reluquent, ils critiquent » ; « Ici, ils jugent, enfin…c’est campagnard quoi ! » Les jeunes expriment clairement les difficultés à se déplacer par manque de véhicule ou de transports publics, par le manque de diversité dans les services et les commerces de proximité ou encore par le manque d’opportunité de loisirs et de rencontres. Quoiqu’il en soit, dans les deux "groupes", on retrouve à peu prêt les mêmes avantages et inconvénients attribués à la ville ou à la campagne. Au calme de la campagne sont opposés la violence, les agressions et les bruits mais aussi le rythme trépidant de la vie urbaine. A l’inverse à l’ennui ressenti, et pour certains même à l’isolement subi à la campagne, sont opposés les ressources relationnelles et les distractions que l’on trouve en ville. f. La mobilité liée aux attaches Concernant ce thème, je vais essayer de dégager la capacité du jeune à vivre des situations de ruptures, c’est-à-dire son niveau d’indépendance et d’autonomie à l’égard de sa famille, tout en se projetant dans l’avenir. En effet, j’ai élaboré ce thème en leur demandant s’ils étaient prêts à déménager, à l’avenir, pour une raison ou une autre. Le fait de se projeter permet aux jeunes de se détacher du contexte familial actuel et d’envisager son départ dans de bonnes conditions. Trois tendances ressortent de ce thème : - 50% (soit 15 sur 30) des jeunes ne veulent pas partir ou déménager loin de leur famille. - 40% (soit 12 sur 30) des jeunes attendent que la formation soit finit pour partir. 60 CLAUDIA TURMEAU - 10% (soit 3 sur 30) affirment que, si ils partent, ce sera seulement pour un pays éloigné. ü Ces jeunes qui ne veulent pas partir ou déménager loin de leur famille D’une manière générale, les jeunes affirment dans l’entretien leur volonté de quitter le foyer familial dans un avenir plus ou moins proche. Par contre, ils réfutent l’idée de s’éloigner de la famille ou des amis. De plus, tout quitter pour aller dans une ville qu’ils ne connaissent pas et où ils ne reconnaissent personne, les effraient quelque peu. Parmi ces 15 jeunes, 6 d’entre elles (seules les filles sont concernées) souhaitent quitter la famille sans s’éloigner. Jeune femme de 19 ans : « Déménager ? Oui, mais pas vraiment heu…trop éloigné. Loin de ma famille, au début ça irait, mais après je m’ennuierais un petit peu. » Jeune femme de 24 ans : « Je peux pas partir. Chez nous, ce qui compte, c’est la solidarité familiale. Je peux pas rester seule. Je préfère faire la route, enfin 10 à 15 kilomètres maximum. » Concernant ces jeunes femmes, l’accès à l’autonomie s’est -il effectué ? En tout état de cause, elles ne se sentent pas prêtes pour envisager une situation de rupture. Mais, il ne s’agit pas d’une rupture affective ou idéologique avec les parents mais plus d’une conquête de l’autonomie. 6 jeunes (parmi les 15) ne souhaitent pas trop s’éloigner, pour ne pas quitter leurs amis. Le groupe d’amis (de pairs !) prend toute son importance. Jeune femme de 20 ans : « Non, ça m’ennuie de quitter mes amis, non, je ne veux surtout pas déménager. » Jeune femme de 23 ans : « Je pense que le plus difficile, ce serait la solitude. Ne plus avoir d’amis près de soi, quand on va pas bien. Non, ce serait vraiment trop difficile » On s’aperçoit que le groupe de pairs a une fonction affective auprès des jeunes. A l’adolescence ou plus tard, les amis sont les confidents ou tout simplement, ils sont présents pour ne pas ressentir trop la solitude. Parmi ces 15 jeunes, 3 d’entre eux évoquent leur relation amoureuse. Jeune femme de 20 ans : « M. ne partira jamais, il a toute sa famille ici, et puis, j’ai besoin de lui, je ne veux surtout pas m’éloigner de lui » 61 CLAUDIA TURMEAU Jeune homme de 25 ans : « Déménager ? Non…ma copine voudra pas, et ça fait pas longtemps qu’on habite ensemble, alors je vais pas partir, on est bien ensemble ! » La création d’une cellule familiale autonome prend toute son importance. Seulement, les jeunes désirent également accéder à la stabilité. ü Ceux qui attendent que leur formation soit finie pour partir (soit 12 jeunes sur 30) Parmi les 12 jeunes, 9 partent "sans se poser de questions". Certains partent régulièrement, ils ont déjà vécu différentes ruptures. Ils s’expriment en terme d’habitude comme pour justifier le fait de partir. Jeune homme de 25 ans : « Y’a rien qui me retient ici. Et puis, j’ai plus l’habitude de bouger. On rencontre plein de gens partout » Jeune homme de 19 ans : « J’aime bien bouger, c’est une habitude, je peux quitter ma famille et mes potes, sans problème. Même partir à l’étranger mais seulement là où ils parlent français pour discuter avec eux » Jeune femme de 22 ans : « Enfin, il faut quand même que je me prépare. Je peux pas partir du jour au lendemain. Quand je suis allée sur Paris, j’ai déménagé en trois jours, et ben…comme je vous l’ai dit, je suis pas restée longtemps. Mais j’aime bien bouger. C’est sympa. En fait, au fur et à mesure, on s’habitue » 3 jeunes (parmi les 12) partent dans les villes où ils connaissent des amis. Le lien social reste prédominant. Jeune femme de 23 ans : « L’année dernière, je suis allée chez une amie à la Réunion, en prenant un aller simple. Mais, je suis revenue, j’ai pas trouvé du boulot. La semaine prochaine (à la fin de la formation), je refais pareil, et là, j’espère pas revenir » Jeune homme de 19 ans : « Justement, je suis content de partir. En plus, en Haute Savoie, y’a mon oncle, il a des studios au-dessus de chez lui… » On remarque que le groupe de pairs, la famille sont un véritable réseau d’entraide pour le jeune. Les périodes de solitude, de détresse sont vécues difficilement, et ce d’autant plus lorsqu’on ne les a pas choisies. 62 CLAUDIA TURMEAU Bien que l’émancipation de la tutelle parentale et l’accès à l’autonomie soient un passage douloureux, mais inévitable pour l’adolescent ou le jeune, cela ne signifie pas couper tous les liens et vivre seul. ü Ceux qui affirment que, si ils partent, ce sera seulement pour un pays éloigné (3 jeunes sont concernés) : Ces jeunes n’ont jamais quitté leur village natal, et lorsqu’ils sont en recherche d’emploi, ils recherchent dans un périmètre de 20 kilomètres maximum. Malgré tout, la seule destination qui les intéresse, c’est l’Asie pour l’un, le Brésil pour l’autre et l’Australie pour le troisième. Jeune homme de 22 ans : « Moi, je veux pas rester en France ; les 35h00 et l’Euro, ça me fait peur ! De toute façon, je vais partir en Asie. Quand ? J’en sais rien…mais, je vais partir un jour… » Peu de temps après, il poursuit en disant : « Après la formation, je sais pas où je vais trouver du travail, oh je peux aller jusqu’à 20 kilomètres de chez mes parents ! Mais par exemple, Rennes, c’est trop loin » Je pense que le voyage en Asie restera un rêve. Au regard de son discours, il ne me semble pas prêt pour s’éloigner du domicile familial. g. Le lien social Dans ce thème, le lien social est étudié. Différents liens sociaux "attachent" les individus entre eux. Mais, ce qui me semble le plus important, c’est le lien social qui agrège les hommes entre eux et que l’on nomme la solidarité. En effet, c’est bien de solidarité qu’il s’agit. Et parallèlement à ce thème, 4 groupes ressortent : - Celles qui n’utilisent pas les liens sociaux parce qu’elles ne se déplacent pas (4 jeunes femmes, soit 13,5%) - Ceux qui n’utilisent pas les liens sociaux pour leurs déplacements parce qu’ils désirent être autonomes (10 jeunes, soit 33%) 63 CLAUDIA TURMEAU - Ceux qui utilisent régulièrement, voire fréquemment les liens sociaux, pour se déplacer (12 jeunes, soit 40%) - Ceux qui demandent seulement à leur famille (4 jeunes, soit 13,5%) ü Celles qui n’utilisent pas les liens sociaux parce qu’elles ne se déplacent pas (4 jeunes femmes, soit 13,5%) Ces jeunes femmes se déplacent le plus souvent à pied et sur leur commune. Lorsqu’elles sortent à l’extérieur de leurs communes, c’est pour accompagner leur mère (« pour faire les courses », par exemple) Ces jeunes n’ont presque pas de relation avec l’extérieur, elles connaissent très peu de personne de leur âge (« J’ai un ami, c’est déjà bien… ») Mais, la famille leur apporte le soutien dont elles ont besoin. ü Ceux qui n’utilisent pas les liens sociaux pour leurs déplacements parce qu’ils désirent être autonomes (10 jeunes, soit 33%) Ces jeunes n’aiment pas dépendre des autres, ils ont peur de gêner et surtout ils ont peur des reproches par la suite. Ils ressentent la société fortement individualiste et dorénavant, chacun doit se débrouiller par ses propres moyens. Jeune homme de 22 ans : « Je me déplaçais par mes propres moyens, à la débrouille, selon là où j’ai besoin d’aller…j’essaierais déjà, je pense…regarder l’heure, l’heure à laquelle il faut que je parte et l’heure à laquelle il faut que j’arrive…si je vois que j’ai largement le temps, j’irais en Stop…sinon, je prends le car » Jeune femme de 23 ans : « Une fois, je suis allée demander à un voisin, parce que vraiment, j’avais pas le choix, il m’a envoyée balader…alors maintenant…c’est chacun pour soi ! » Lorsque face à ces jeunes, lors de l’entretien j’évoquais les relations amicales , ils étaient catégoriques : « je préfère me débrouiller seul, les copains…je veux pas les embêter, ils ont leurs problèmes aussi ! » ü Pourtant, certains jeunes utilisent régulièrement, voire fréquemment les liens sociaux, pour se déplacer (12 jeunes, soit 40%) : 64 CLAUDIA TURMEAU Il s’agit là d’un véritable réseau de solidarité. Les amis principalement ou les voisins sont mis à contribution par le jeune qui a besoin. Le réseau d’entraide est en place et fonctionne. Jeune homme de 19 ans : « Avant de galérer et de faire du Stop, j’appelle les voisins, les copains pour savoir où ils vont, et si ils peuvent me déposer » Jeune femme de 21 ans : « Pour me déplacer, j’essaie toujours de m’organiser avec un copain. Mais sinon, mes voisins, c’est même pas la peine ! » Jeune femme de 23 ans : « Mes voisines m’emmènent faire les courses des fois, mais c’est vrai qu’à la longue…il faut toujours compter sur quelqu’un…Mais, faut demander à quelqu’un, mais c’est pareil, on peut pas trouver du jour au lendemain une personne des fois…c’est pas facile » Même si ce réseau de solidarité fonctionne et rend service, certains souhaiteraient malgré tout, être plus autonomes. Ils avancent le fait que face à un imprévu, y aura-t-il toujours quelqu’un de disponible ? ü C’est pourquoi certains demandent seulement à leur famille (4 jeunes, soit 13,5%) Jeune femme de 23 ans : « Mon frère va à Nantes tous les jours, j’ai un autre frère qui va tous les jours à Rennes aussi…Alors, ça ne me pose aucun problème ! » Jeune homme de 19 ans : « Pour les déplacements, c’est ma tante qui m’emmène. Elle connaît bien la ville et elle arrive à lire sur un plan ! » En conclusion, on s’aperçoit que dans certains cas, le lien social attache l’individu à un réseau de proximité. C’est une solidarité fondée sur la proximité, q u’elle soit spatiale (communauté de voisinage) ou symbolique (appartenance à une communauté). h. Les loisirs et les vacances Les loisirs et les vacances exigent, eux aussi, un minimum de mobilité, ne serait ce que pour pouvoir y accéder. 65 CLAUDIA TURMEAU Le groupe de 30 jeunes se divise en trois dimensions : - Les jeunes qui affirment ne pas avoir de loisirs, - Les loisirs qui s’effectuent hors du domicile sans être particulièrement éloignés, - Le tourisme qui exige qu’une nuit au moins soit passée hors du domicile, 1/3 des jeunes rencontrés n’ont pas de loisirs actuellement. 4 parmi ces 10 jeunes, n’ont jamais pratiqué de loisirs, soit par manque de courage, d’envie, tout simplement de motivation. Jeune femme de 23 ans : « J’aimerais me faire plaisir, vivre, mais…je n’en ai pas le courage » Les 6 autres évoquent le manque de temps. Ils avaient des loisirs avant, mais ont arrêté suite à un déménagement ou parce que c’était trop contraignant (comme les sports collectifs, par exemple). Jeune homme de 24 ans : « J’ai pas trop le temps, en ce moment. Sinon, j’aime bien réparer les mobs, j’adore ça ! » Jeune femme de 20 ans : « Il n’y a pas d’école de danse sur Blain, ça m’ennuie…enfin un peu…De toute façon, j’ai pas le choix » Jeune homme de 19 ans : « Avant, je faisais du foot, mais j’ai arrêté ; ça me prenait trop de temps. Et puis, il fallait toujours être là ». D’une manière générale, ces jeunes mettent aussi en avant le manque de moyens financiers. Le coût d’une licence, pour un sport quelconque, est relativement élevé. C’est pourquoi, l’arrêt de ces activités s’est produit lors de la période de chômage. Cependant, le coût n’est pas la seule raison ; en effet, durant cette période d’inactivité, les sentiments d’inutilité, de honte et de découragement s’installent : « J’avais envie de rien faire » (jeune femme de 22 ans qui a pratiqué du twirling pendant 6 ans.) Certains jeunes mettent également en avant le manque de moyen de locomotion : « J’aimerais faire du tennis, du volley…Mais, j’ai pas les moyens pour me déplacer » 66 CLAUDIA TURMEAU ü Les loisirs qui s’effectuent hors du domicile sans être particulièrement éloignés (soit 50% des jeunes). Pour 10 d’entre eux, il s’agit de loisirs sportifs (foot-ball, tennis, piscine, vélo…) Ils sont inscrits dans un club et affirment être particulièrement assidus. Jeune homme de 21 ans : « Au niveau des loisirs, y’a le foot, le basket ; moi je fais du basket…J’aime bien le sport, je fais aussi beaucoup de vélo. Y’en a aucun sur Plessé qui a fait autant de kilomètres que moi. J’ai fait 750 kilomètres en vélo, mais en plusieurs fois ! » Jeune homme de 19 ans : « Je veux trouver une ville où il y aura au moins une équipe de foot…sans le foot, je suis malade ! » Ces loisirs demandent une certaine mobilité. Si on reprend l’exemple du foot, (sport le plus pratiqué), il faut savoir organiser les divers déplacements dans différentes communes lorsqu’il s’agit de disputer les matchs. La cohésion de l’équipe offre des perspectives (co-voiturage…) De plus, l’équipe est généralement le groupe d’amis. 5 jeunes (parmi les 15) ont des loisirs différents des précédents. Il s’agit de sorties au cinéma occasionnelles et de sorties en "boite de nuit" fréquentes. Là encore, la cohésion du groupe d’amis est mise en avant. Jeune femme de 19 ans : « On fait des voitures pleines. Le co-voiturage, ça roule ! C’est moi qui emmène tout le monde ! » On s’aperçoit que la motivation est la même pour tout le monde. Ces loisirs s’organisent en groupe. ü Ceux qui font du tourisme qui exige qu’une nuit au moins soit passée hors du domicile (soit 16,5% des jeunes) Ces jeunes pratiquent des loisirs qui nécessitent un déplacement (exemple : activités nautiques) d’autres souhaitent s’évader le week-end et quitter le lieu de vie habituel. Jeune femme de 23 ans : « je bouge, c’est rare que je reste chez moi, le week-end. J’adore la Bretagne, alors j’y vais souvent » Jeune homme de 25 ans : « A part la pêche ici, y’a pas grand chose. Moi, le weekend, j’aime bien St Brévin ou Les Sables d’Olonnes. Pour le char à voile ou le body - 67 CLAUDIA TURMEAU board, c’est ce qui me convient le mieux. Bien sûr, Biscarosse c’est super, mais je peux pas y aller seulement pour un week-end ! » Jeune homme de 23 ans : « J’adore tout ce qui est festival, expos, théâtre…A Nantes, c’est sympa. Mais si y’a un truc qui nous branche à Lyon, on fait les comptes avec les potes et on y va ensemble » D’une manière générale, et pour l’ensemble de ce thème, on s’aperçoit que la mobilité de tourisme et loisir relève d’une grande gamme de motivation (ou pas pour le premier groupe). Cette mobilité peut-être suscitée par des considérations de découverte naturelle ou culturelle, d’activité corporelle, de consommation, voire d’ostentation. Il me semble également important de noter que la plupart des déplacements, liés aux loisirs, s’effectuent avec leur groupe d’amis. i. La mobilité dans la tête Dans ce thème, il s’agit de voir si les jeunes ont la capacité à élaborer des conduites de mobilité. Quatre groupes se différencient : - Les jeunes qui se déplacent dans un périmètre restreint et qui n’organisent pas leurs déplacements. - Les jeunes qui se déplacent dans un périmètre restreint et qui organisent longtemps à l’avance leurs déplacements. - Les jeunes qui se déplacent sans limiter leur périmètre et n’organisent pas leurs déplacements. - Les jeunes qui se déplacent sans limiter leur périmètre et organisent leurs déplacements. ü Les jeunes qui se déplacent dans un périmètre restreint et qui n’organisent pas leurs déplacements (13 jeunes, soit 43,5%). Ces jeunes se déplacent peu et dans un périmètre limité (30 kilomètres maximum). 6 jeunes sur 13 n’ont pas le permis. On peut alors penser que lorsqu’ils auront la possibilité de conduire, ces jeunes seront plus mobiles. 68 CLAUDIA TURMEAU Généralement, ces jeunes mettent en avant le fait qu’ils éprouvent des difficultés à gérer les heures de rendez-vous avec les horaires de transport en commun. Jeune femme de 20 ans : « J’ai des difficultés à m’organiser, j’arrive pas à jongler entre mes horaires et ceux du car…entre l’heure de départ et l’heure d’arrivée » C’est pourquoi, cette jeune femme demande toujours à son père de l’emmener et refuse les déplacements supérieurs à 20 kilomètres. 7 jeunes ont le permis de conduire. Pourtant, les déplacements sont aussi difficiles à effectuer et à organiser. Le manque de ressources financières est ressentie par ces jeunes comme un frein pour l’organisation de leurs déplacements. Il existe par ailleurs la peur de l’inconnu. Ces freins sont si importants que pour eux, il leur est impossible d’imaginer un déplacement. (Ces freins seront plus longuement explicités dans le thème k.) Jeune femme de 23 ans : « Je peux partir à 30-40 kilomètres maximum, après, ça se corse…avec les frais d’essence et tout… » Jeune femme de 24 ans : « Me déplacer loin, j’ai peur. Et puis, j’ai pas le sens de l’orientation, je ne me reconnais pas…j’ai peur et je me perds. » ü Les jeunes qui se déplacent dans un périmètre restreint et qui organisent longtemps à l’avance leurs déplacements (5 jeunes, soit 16,5%). Jeune femme de 24 ans : « Max 30 kilomètres, j’irais dans les communes d’à côté. Et pis, il faut toujours s’organiser pour partir. Il faut regarder l’itinéraire, voire si on n’oublie rien. » Jeune homme de 22 ans : « Il faut que je prépare mon déplacement, mon itinéraire. Une fois, je suis allé faire un concours de pêche à 20 kilomètre s, il a fallut une semaine pour m’organiser, rien oublier et voir quel bus j’allais prendre, voir combien il me restait à faire à pied… » A mon avis, ces jeunes adultes n’avaient pas l’habitude de se déplacer auparavant ou du moins, n’avaient pas l’habitude d’organiser des déplacements. C’est pourquoi, ils anticipent, c’est une sorte d’autonomie à acquérir. ü Les jeunes qui se déplacent sans limiter leur périmètre et n’organisent pas leurs déplacements (2 jeunes, soit 6,5%). 69 CLAUDIA TURMEAU Jeune homme de 23 ans : « Non…C’étais comme ça, je voyais sur "place", c’était du jour au lendemain. Quand je pars, c’est parce que je suis presque sûr de moi. Après, j’ai le temps de voir,… "sur place". » Jeune homme de 19 ans : « Moi ? Je pars comme ça…Je suis pas un vieux » Dans ce cadre, soit les jeunes ne veulent pas ressembler à leurs parents, en organisant le déplacement (comme les vacances, réserver un hôtel ou une location). Ils préfèrent voir sur place, peut-être au cas où une opportunité se présenterait, une rencontre fortuite. Jusqu’à maintenant, sans organisation tout c’est très bien déroulé. En fait, je pense malgré tout que l’organisation était minimale, dans le sens où prendre le train par exemple, ne s’improvise pas totalement. Ils ont accédé à l’autonomie et sans obligatoirement le reconnaître, à l’organisation. ü Les jeunes qui se déplacent sans limiter leur périmètre et organisent leurs déplacements (10 jeunes, soit 33,5%). Jeune homme de 25 ans : « Mais, il faut pas faire n’importe quoi…il faut cibler… Enfin, je peux pas partir comme ça » Jeune femme de 23 ans : « J’aimerais bien trouver quelqu’un qui m’aide pour partir dans les DOM-TOM, parce que là, je me dis, c’est le moment où jamais » Ces jeunes ont vécu plusieurs expériences de déplacement sans les organiser auparavant. Comme cette jeune femme de 22 ans qui était partie « sur un coup de tête » à la Réunion, "les mains dans les poches" et qui a dû revenir parce qu’elle n’avait pas organisé son arrivée à la Réunion (« et je me suis plantée ! ») Ou encore ce jeune homme de 25 ans, qui est partit plusieurs fois en Vendée et « à chaque fois, c’était un échec. » La capacité à élaborer et l’élaboration même des conduites de mobilité sont -elles à intégrer dans un processus de développement et de maturation ? A la relecture des 10 entretiens (pour les jeunes qui se déplacent sans limiter leur périmètre et organisent leurs déplacements), ils prennent tout d’abord conscience de leurs échecs, puis intellectualisent des solutions qu’ils vont à nouveau tester. Je pense alors que la capacité à élaborer ces conduites de mobilité entre dans un processus de développement. Ce processus serait alors lié à la 70 CLAUDIA TURMEAU pensée opératoire formelle. "L’intelligence" se transforme et se libère du concret ; elle ne porte plus sur des opérations concrètes observables, mais sur des idées, des théories, sur des opérations formelles. j. La mobilité liée à la formation et à l’emploi Dans ce thème, il s’agit d’étudier la capacité à mettre en place des conduites pour gérer son itinéraire social et professionnel, mais également d’étudier la mobilité sectorielle et voir si celle-ci a un impact sur la mobilité en général. Deux grandes tendances différentient les jeunes interrogés : - 46,5% des jeunes ne veulent pas s’éloigner de leur commune quoiqu’il en soit, même si on leur propose un poste à responsabilité, bien rémunéré (14 jeunes sont concernés). - 53,5% des jeunes sont prêts à vivre une aventure, même risquée, mais où le minimum de bon sens impose un minimum de garanties (16 jeunes sont concernés). ü Les jeunes ne veulent pas s’éloigner de leur commune quoiqu’il en soit, même si on leur propose un poste à responsabilité, bien rémunéré. Certains jeunes, même si on leur propose une promotion, la refusent. Ils désirent vivre sereinement et se consacrer pleinement à le ur vie de famille sans avoir de préoccupations ou de stress liés au travail. Jeune homme de 22 ans : « Vous voulez dire monter en grade ? Ah, non, surtout pas, je veux pas qu’on me prenne la tête ! J’ai mon travail, j’ai mon salaire, je demande rien à pers onne, et je suis tranquille ! » Jeune homme de 21 ans : « Non, pas vraiment…En fait, je suis un pur glandeur, donc déjà, on ne me le proposera pas…Mon plus grand contrat, c’est six semaines…j’ai eu du mal à…Déjà faudrait que je sache ce que j’ai envie de faire…Mais ça m’intéresse pas » Jeune femme de 24 ans : « Non, ça je m’en fiche, ça ne m’intéresse pas. » 71 CLAUDIA TURMEAU Pour ces jeunes, la proximité de l’environnement social et familial est une ressource fort opportune pendant les périodes de fragilisation des statuts professionnels et sociaux. Parmi ces 14 jeunes, certaines jeunes femmes ont changé d’orientation professionnelle pour rester au sein de leur famille. La crainte de quitter leur environnement à un impact considérable sur la mobilité. Jeune femme de 20 ans : « Je devais partir faire une formation couture, à Cholet, mais j’ai eu tellement peur…en fait, je ne me voyais pas partir, alors j’ai été obligée de changer. Maintenant, je cherche dans l’agroalimentaire (…) Mais c’est la couture qui me plait… » Et lorsque je lui demande si elle accepte une évolution au sein de son travail, un poste à responsabilité ? Elle répond : « ça me semble intéressant, mais pas pour moi… ça me convient pas d’avoir des responsabilités » Lorsque je demande à une jeune femme de 23 ans si elle préfère effectuer un travail qui lui plait dans une autre région ou bien rester dans sa région à un poste qui ne lui corresponde pas vraiment : « Rester et faire un travail qui me plait pas. Non, faut pas…Pour moi, ce serait quitter toutes mes habitudes et mes coutumes. Quelque part, j’ai pas envie… ça me couperait du monde, je resterais isolée… isolée » En conclusion, il ne suffit pas de proposer un poste ou une formation à quelqu’un si d’abord on ne se soucie pas en priorité des liens qui vont être rompus, renforcés ou créés. Ceci est particulièrement vrai pour les femmes qui sont encore sensibles ou fragiles et où la sécurité prime sur le travail. ü Les jeunes sont prêts à vivre une aventure, même risquée, mais où le minimum de bon sens impose un minimum de garanties. Jeune femme de 23 ans : « J’ai un ami qui habite en côte d’Ivoire, et qui m’a trouvé un boulot là-bas. J’ai un peu d’appréhension, mais après tout, pourquoi pas…Alors, je pars en côte d’Ivoire cet été, et après, je vois. Pour le moment, j’ai le poste, j’ai l’hébergement…pourquoi pas essayer ? » Jeune homme de 23ans : « Moi, si je reste à Blain ou à Nozay ou même sur Nantes, je suis tranquille, je trouverai pas de boulot dans ce que je recherche. Parce que décorateur de salle de spectacle ou graphiste pour faire des dessins de pub… A 72 CLAUDIA TURMEAU Nantes, ça commence tout juste à se développer. Mais, il vaut mieux aller à Paris. En plus, j’y ai déjà habité deux ans. C’est cool, ça me plait. » Concernant la promotion professionnelle, ces jeunes sont tout aussi enthousiastes. Ce qu’ils recherchent surtout, c’est un emploi stable et ils sont prêts à faire quelques sacrifices. Jeune femme de 19 ans : « Si c’est un travail qui me plait, je vois pas pourquoi je refuserais cette promotion ! Pis ben, si ça peut m’avancer dans mon métier…autant dire oui (…) Et si je dois déménager… j’irais quand même, même si c’est très loin…En réfléchissant, j’ai rien qui me retient à part ma famille. Donc, je partirais, il faudra que ce soit dans une ville où je connaisse du monde » Jeune homme de 25 ans : « oh oui, ça m’intéresse avec une formation, et avoir plus de responsabilités…Déjà, j’ai pas beaucoup de qualif, alors… C’est très très intéressant » En conclusion, ces jeunes peu ou pas diplômés, sortis de l’école sans révolte mais sans regret, ont malgré tout une ambition sociale accompagnée d’une forte motivation au travail. Ils sont insatisfaits de leur situation actuelle et sont à la recherche d’une voie de promotion sociale ou du moins, en "attente". Ils appréhendent alors les schémas de mobilité qui conduisent à l’insertion puis à l’intégration professionnelle. k. Les freins à la mobilité Qu’est-ce qui empêche les jeunes de se déplacer, d’organiser des conduites de mobilité, de gérer et mettre en place des conduites concernant leur itinéraire social et professionnel ? Les causes sont diverses. Je vais d’abord les répertorier dans un tableau, puis je les analyserai plus en détail. 73 CLAUDIA TURMEAU Tableau 2 : Freins à la mobilité FREINS HOMMES (15) FEMMES (15) Problèmes financiers 5 33,5% 11 73,5% Peur de l'inconnu 7 46,5% 10 66,5% Insécurité des grandes villes 4 26,5% 4 26,5% Distance trop importante 4 26,5% 4 26,5% Les parents 1 6,5% 4 26,5% Soucis, dépression 2 13,5% 3 20,0% Problèmes familiaux 2 13,5% 3 20,0% Manque de motivation 2 13,5% 2 13,5% Avoir une famille, vie en couple 2 13,5% 1 6,5% Imprévus 1 6,5% 2 13,5% 1 6,5% 2 13,5% Maladie 2 13,5% 1 6,5% Pas de moyen de locomotion 0 4 26,5% Rien 4 Peur de passer le permis de conduire 0 Formation actuelle 1 N'arrive pas à s'organiser pour prendre le car 26,5% 0 1 6,5% 6,5% 0 Les freins financiers provoquent l’immobilité à 73,5% chez les femmes et à 33,5% chez les hommes. Dans ce cadre, on peut rapprocher les thèmes de « ne pas avoir de moyens de locomotion » cité par 26,5% des femmes et «la distance trop importante » à effectuer, ce qui occasionne des frais (26,5% chez les femmes et 26,5% chez les hommes). 74 CLAUDIA TURMEAU Pour ces jeunes, en situation précaire et de chômage, on s’aperçoit nettement que cette situation les oppose à la mobilité. Serait-il abusif d’énoncer le postulat que cette précarité est source de rigidité ? Bien que certains jeunes décident de quitter leur lieu de résidence, ce qui leur occasionnent des frais, ils sont prêts à prendre le risque pour accéder à un emploi mieux rémunéré, et pouvant bénéficier d’une plus grande reconnaissance. Les jeunes calculent malgré tout cette prise de risque. D’ailleurs, les freins importants concernent également le fait de ne pas avoir de relation, d’attaches ou de lien social dans la ville. Ce sentiment de solitude, ce repli sur soi, les jeunes ne veulent pas le connaître ou ne veulent plus le connaître. Le lien social est alors important. Il s’agit plus d’un lien communautaire qui est de rétablir un lien social de soi à un sous système d’appartenance. En fait, ce qui prime, c’est la solidarité fondée sur la proximité. La peur de l’inconnu inciterait alors les jeunes à l’immobilisme pour 66,5% des femmes et 46,5% des hommes interrogés. Les jeunes, loin de leur famille, de leurs groupes de pairs et de leur lieu d’attache, craignent la société individualisée et individualiste. Ils quittent un lieu où ils ont construit leurs repères et même leur identité. En se confrontant à un milieu nouveau, le travail sera à refaire. La délinquance et l’insécurité des grandes villes font fuir ¼ des jeunes (26,5% pour les hommes et 26,5% pour les femmes). Ils refusent de vivre au quotidien dans l’insécurité et dans une citée stigmatisée. Les conditions de vie insupportables les obligeraient à déménager et revenir sur leur lieu d’origine. Les problèmes familiaux sont évoqués à 13,2% pour les hommes et 20% pour les femmes. On retrouve ici ces jeunes qui se privent pour rester avec leur mère, généralement. Ils se sentent responsables de la famille, parce que le parent abandonne (comme par exemple, cette femme de 23 ans qui doit protéger sa mère ainsi que la fratrie du père violent et menaçant). Il existe aussi des parents qui infantilisent les enfants et les empêchent de prendre leur autonomie. Une jeune femme de 21 ans me dit, à la fin d’un entretien : « Comme je vous l’ai dit, j’aimerais bien partir, mais il faut que je 75 CLAUDIA TURMEAU demande à mes parents, je ne sais pas si j’ai le droit » Cette jeune femme n’a pas surmonté le stade de l’adolescence et encore moins son autonomisation. Les problèmes de dépression ne concernent que 20% des femmes et 13,5% des hommes. Pourtant, ce problème était récurent chez 13 femmes et 11 hommes. Il est vrai que les différentes périodes de chômage sont sources de dépression. Donc, ce n’est pas un frein à la mobilité puisque que c’est « à cause de l’immobilité que les jeunes sont au chômage », (jeune homme de 23 ans). Les jeunes adultes rencontrés ne mettent pas en relation les problèmes à tendance dépressive avec la mobilité. Il me semble important de préciser que 26,5% des hommes affirment n’avoir aucun frein qui pourrait provoquer l’immobilité. Ce pourcentage est nul chez les femmes. Peut-on conclure que les hommes seraient plus mobiles que les femmes ? Je pense qu’un facteur reste prédominant : les jeunes femmes sont sensibles et fragiles, la sécurité affective prime sur le travail. 76 CLAUDIA TURMEAU PARTIE III : Discussion, préconisation 1. Discussion Les jeunes, en milieu rural sont-ils mobiles ? Ont–ils acquis la capacité et l’aptitude à se déplacer ? Au regard de l’analyse précédente, je peux d’ores et déjà affirmer que pour certains d’entre eux, les jeunes issus du milieu rural n’ont pas acquis la capacité et l’aptitude à se déplacer. Il est très difficile d’évaluer cette question, en donnant un pourcentage précis, en fait les freins qui provoquent cette immobilité sont nombreux. De plus, l’analyse de mes résultats n’est pas à généraliser, dans le sens ou mon étude porte sur 30 personnes. Bien que l’échantillon soit représentatif, il reste limité. Cependant, l’analyse des résultats reflète la réalité. Je ne reviendrais pas ici sur l’analyse descriptive, elle fut développée précédemment mais je vais me concentrer sur des conclusions plus générales. Toutefois, il me semble inévitable de rappeler les résultats pour la confirmation et l’infirmation des postulats. Les deux postulats sont-ils confirmés ou infirmés ? Il s’agit de savoir si : ü La précarité financière s’oppose à la mobilité. ü Les freins psychologiques provoquent l’immobilité chez les jeunes issus du milieu rural. Les problèmes financiers semblent être le frein le plus important. Les jeunes seraient alors capables de quitter leur milieu familial s’ils bénéficient d’un salaire à un temps plein. L’accès aux différents modes de transports nécessite un coût. Ces jeunes ayant de faibles ressources sont dans l’impossibilité de dépenser, si ils sont incertains de trouver du travail dans une autre région. 77 CLAUDIA TURMEAU Cependant, ils sont 53,5 % à partir si on leur propose un poste à responsabilité mieux payé dans une autre région. Mais, 46,5 % des jeunes restent et donc refusent la mobilité quoi qu’il en soit. 73,5 % des femmes et 33,5 % des hommes affirment que les problèmes financiers sont un frein à leur mobilité. La précarité financière est à prendre en considération, certes, mais il existe d’autres facteurs. Les freins psychologiques provoquent l’immobilité chez les jeunes issus du milieu rural. Ils regroupent les difficultés d’ordre familial, la peur de l’inconnu et les jeunes à tendance dépressive. Ces freins ont également leur importance. La peur de l’inconnu ressort nettement comme étant un frein à la mobilité géographique (46,5% chez les hommes et 66,5% chez les femmes). Un milieu inconnu provoque de l’angoisse, de l’anxiété surtout si l’on part seul. Les jeunes redoutent cette société individualiste. On parle surtout de la peur de la solitude plutôt que la peur de l’inconnu. Les réseaux sociaux des jeunes sont centrés sur leur lieu de vie et concernent la famille proche (pour certains) et/ou les pairs, mais ces réseaux ne sont pas diversifiés. Pour les personnes fragiles, c’est bien la dissolution de ces liens de proximité qui aggravent les risques d’isolement social. Les jeunes à tendance dépressive et les problèmes familiaux semblent également pousser à l’immobilité. En effet, ces jeunes vivent plus longtemps en cohabitant avec leurs parents ou l’un des deux, et cette tolérance à la famille peut avoir comme conséquence chez le jeune une absence de mobilité, de créativité et de construction de l’âge adulte. Elle peut freiner ou annuler le départ. Cette immobilité chez les parents peut être vécue par le jeune soit comme une contrainte imposée ou un manque de liberté, et dés lors, source de déséquilibre. Comment accéder à l’autonomie tout en restant chez les parents ? Au regard de la situation actuelle de beaucoup de jeunes, due à une prolongation de la cohabitation, comment partir de chez eux sans le vivre comme une rupture ? 78 CLAUDIA TURMEAU Par ailleurs, les difficultés actuelles pour trouver un emploi au sortir des études, la prolongation de la phase de transition entre le parcours scolaire et l’entrée dans la vie adulte, augmentent les situations de précarité et d’alternance de chômage et d’activité. L’insécurité matérielle, l’insécurité affective sont autant de paramètres qui constituent des zones d’incertitudes pour les jeunes. Face aux situations de précarité ou d’instabilité affective, ils sont sans cesse dés lors en quête identitaire, jamais stabilisée. Si avant, la stabilité des attaches et de l’emploi étaient facteurs de mobilité géographique, aujourd’hui, l’instabilité des attaches et de l’emploi induisent une mobilité géographique obligée. Pourtant, nombreux sont ces jeunes qui refusent cette mobilité. Je vais maintenant essayer de dégager des profils de jeunes. Mobilité réelle (8 jeunes soit 26,5 %) Mobiles Mobilité subie (8 jeunes soit 26,5 %) Mobilité fantasmée (5 jeunes soit 17 %) Immobiles Mobilité impossible (9 jeunes soit 30 %) ü La mobilité réelle (26,5 %) : ces jeunes, qu’ils possèdent les moyens matériels et financiers ou non, sont mobiles. Ils sont prêts à se déplacer n’importe où et quoiqu’il en soit. Généralement, ces jeunes n’ont pas de problèmes familiaux prédominants et/ou peuvent avoir été renvoyés du domicile familial. ü La mobilité subie (26,5 %) : ces jeunes vivent depuis toujours dans la même commune. Ils y sont connus et reconnus. Pour eux, tous changements est source de stress, d’anxiété. La ville représente une agression (délinquance, pollution, quartiers stigmatisés …) 79 CLAUDIA TURMEAU Dans la plupart des cas, ces jeunes ont vécu des périodes de chômages mais ils ont réussi à surmonter cette épreuve grâce au lien social. C’est pourquoi, quitter leur environnement n’est pas envisageable actuellement. ü La mobilité fantasmée (17 % ) : ces jeunes ne veulent pas quitter leur milieu pourtant, ils affirment que dès qu’ils pourront, ils partiront dans un pays éloigné. Pourtant, leur capacité à élaborer des conduites de mobilité jusqu ’à maintenant, s’est avéré limitée. Généralement, ces jeunes n’ont pas résolu le deuil familial et consomment régulièrement de l’alcool ou des produits illicites. ü La mobilité impossible (30 % ): ces jeunes ne peuvent pas quitter leur milieu familial soit parce qu’ils se sentent redevables de leurs parents, soit parce qu’ils se sentent obligés de les protéger ou encore parce que leurs parents ne les laissent jamais partir. Très souvent, ces jeunes ont des personnalités à tendance dépressive. L’immobilité est totale, la mobilité n’est même pas pensée. Avant même de demander à un jeune d’être mobile, il convient de déceler le problème auquel il est confronté. En effet, selon le degré de ses difficultés et la façon dont il les surmonte, sa mobilité sera réelle, subie, fantasmée ou immobile. 80 CLAUDIA TURMEAU CONCLUSION La mobilité géographique des jeunes en milieu rural ? Vaste program--me ! Actuellement, les acteurs de l’insertion s’interrogent beaucoup sur ce sujet. En effet, je parle de mobilité, mais ne serait-ce pas le terme « immobilité » qui serait le plus approprié ? Au regard de cette étude, on s’aperçoit que les freins à la mobilité géographique sont importants. Si je reprends les postulats de l’étude qui sont confirmées : la précarité financière s’oppose à la mobilité géographique, et les freins psychologiques provoquent l’immobilité chez les jeunes issus du milieu rural. Mais, ces difficultés sont-elles propres au milieu rural ou peut-on les transposer au milieu urbain ? En effet, ces problèmes de précarité financière, de cohabitation parfois difficile avec les parents, de troubles dépressifs…ne sont pas spécifiques à la personnalité des jeunes en milieu rural. Alors, comment peut-on aider ces jeunes à acquérir cette capacité et cette aptitude à se déplacer ? Il me semble important que la PAIO intervienne sur d’autres dimensions que l’emploi et la formation qui sont les voies classiques vers l’insertion. Le repérage de l’importance de se relier à soi -même et aux autres à travers l’acquisition d’une mobilité dans la tête et la maîtrise de sa mobilité dans ses attaches, signifie d’autres types d’accompagnement des jeunes. Il s’agit d’aider les jeunes à restaurer leur identité, à mettre de la cohérence dans leur itinéraire de vie, à trouver un sens à leur attachem ent séparations-ruptures qui ont ponctué leur histoire et les arrêtent momentanément dans leur élan de vie, voire parfois dans leur espoir de vie ou raison de vivre. Ce nouveau type d’accompagnement nécessite sans doute de la part des professionnels un travail plus approfondi de diagnostic des problématiques des jeunes résidants. 81 CLAUDIA TURMEAU CONTACTS M. BOIS Mme DUDAY M. DELEURME Mme DURAND M.. FISSON M. GOURVIL Mme GRENEU Mme HURT M. JIGOU M. JONAS Melle LEBAIN M. LECLERC M. MALLARD M. MAILLARD M. MILTON Mme MOREL Responsable de l’association AIRE (chantier d’Insertion) Technicienne au Service Transport du Conseil Général Formateur sur le dispositif TRACE Responsable des Transports Scolaires sur les Communautés de Communes de Châteaubriant Directeur de l’ANPE de Châteaubriant Responsable Pédagogique du Chantier Ecole Responsable de Circonscription DISS du secteur de Blain Formatrice (organisme Retravailler) Responsable technique du Chantier Ecole Directeur du FJT de Châteaubriant Comité du Bassin de l’Emploi de Châteaubriant Directeur du GRETA Chef de Service de l’Action Sociale en faveur des jeunes à la DISS Responsable des Transports Scolaires du district de Blain Formateur (organisme CFP St Joseph) Formatrice au GRETA 82 CLAUDIA TURMEAU BIBLIOGRAPHIE Accarier, J.C. (Septembre 1999). Quelles itinérantes des jeunes. Forum, pp.7-30. Bardin, L. (1977). L’analyse de contenu. Paris : PUF. Besson, V. (1999, 1er janvier). Qualification et mobilité : des freins à l’insertion. Actualités sociales hebdomadaires, pp.23-24. Blanchet, A. & Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan. Braconnier, A. (1999). Le guide de l’adolescent de 10 à 25 ans . Paris : Odile Jacob. Charlot, B. & Glasman, D. (1998). Les jeunes, l’insertion, l’emploi. Paris : PUF Courtecuisse, V. (1992). L’adolescence : des années métamorphoses. Paris : Stock. Ferreol, G. (1994). Intégration et exclusion dans la société française contemporaine. Lille : Presse Universitaire de Lille. Foucault, M. (de). (1993). Action sociale et état de l’exclusion. La revue française de psychologie, pp.7-21. Hardi, J.P. (1999). Guide de l’action sociale contre les exclusions. Paris : Dunod. Jaeger, M. (1997). Guide du secteur social. Paris : Dunod. Jellab, A. (1998, avril). Socialiser, un préalable à l ’insertion des jeunes. Le journal des psychologues, pp.62-65. 83 CLAUDIA TURMEAU Joubert, M. (1997). Perturbation : santé mentale et confrontation aux difficultés de la vie quotidienne (convention de recherche MIRE N 1/93). Paris : Recherche et évaluation sociologique sur le social, la santé et les actions communautaires. Knafou, R. (1998). La planète « nomade ». Les mobilités géographiques d’aujourd’hui. Paris : Belin. Lehalle, H. (1991). Psychologie des adolescents. Paris : PUF. Marcelli, D. & Braconnier, A. (1994). Psychopathologie de l’adolescent. Paris : Masson. Maresca, B. (1995). Jeunes en attente d’intégration professionnelle (collection des rapports N° 157 CREDOC). Paris : Département « Evaluation des politiques sociales. Paugam, S. (1996). L’exclusion l’état des savoirs. Paris : La découverte. Salomon, G.M. (décembre 1999). Temps espace lien social. La revue française de service social, pp.23-27. Tourrette, C. (1998). Les changements de l’adolescence. In C. Tourrette & M. Guidetti, Introduction à la psychologi e du développement du bébé à l’adolescent . (p139-156). Paris : Cursus. 84 CLAUDIA TURMEAU LISTE DES FIGURES Figure 1 : Répartition par âge et par sexe..................................................45 Figure 2 : Possession du permis de conduire (Hommes)......................46 Figure 3 : Possession du permis de conduire (Femmes).......................46 Figure 4 : Niveau de formation des jeunes rencontrés.......................47 85 CLAUDIA TURMEAU LISTE DES TABLEAUX Tableau 1 : Mode d'échantillonnage................................................................28 Tableau 2 : Freins à la mobilité.........................................................................74 86