Meurtris dans leur chair, ils reviennent plus forts qu`avant
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Meurtris dans leur chair, ils reviennent plus forts qu`avant
3 24 heures | Vendredi 15 février 2013 Point fort Meurtris dans leur chair, ils reviennent plus forts qu’avant Ski alpin Le genou est le talon d’Achille des champions du cirque blanc. On le vérifie hélas encore à l’occasion des championnats du monde qui se déroulent à Schladming gramme individuel très précis, poursuit le Dr Frey. J’ai vu un certain nombre d’athlètes devoir mettre un terme à leur carrière suite à une rééducation trop rapide.» L’essentiel U Hécatombe La saison dernière, 30% des skieuses de l’équipe de Suisse ont été gravement blessées à un genou U Traitement identique Les techniques chirurgicales sont les mêmes pour un champion que pour un particulier U Rééducation C’est là où tout se joue. Et que la différence s’opère entre l’athlète, qui s’astreint à un travail immense, et Monsieur Tout-le-monde André Vouillamoz Schladming N e cherchez plus leur point faible. C’est le genou. La moitié des blessures des champions et championnes interviennent sur cette articulation; 30% des skieuses de l’équipe de Suisse y ont subi une grave lésion au cours de la saison 2011-2012. Malgré la diminution de la taille des skis imposée cet hiver, ligaments et ménisques continuent de payer un lourd tribut à la compétition. On l’a encore vérifié lors des actuels Mondiaux de Schladming avec la grave blessure de Lindsey Vonn notamment (rupture des ligaments croisés antérieur et latéral interne du genou droit, plus fracture du plateau tibial). La star américaine reviendra-t-elle la saison prochaine aussi forte qu’avant, comme elle l’a promis? Les champions bénéficient-ils de techniques particulières, chirurgicales ou thérapeutiques? Comment enrayer l’hécatombe? Walter O. Frey (du Swiss Olympic Medical Center à Zurich), médecin-chef de l’équipe de Suisse féminine, apporte ses réponses. L’opération Dans le cas du ligament croisé antérieur, la blessure la plus grave au genou (le ligament interne se répare généralement de lui-même; le ligament latéral peut être cousu), l’intervention consiste à le remplacer par un ligament ou un tendon prélevé à un autre endroit du corps. Si elle ne s’impose pas forcément au commun des mortels, le sportif de haut niveau, lui, ne saurait y échapper s’il veut que son genou retrouve toute sa stabilité. «Plusieurs techniques chirurgicales sont possibles, au choix du chirurgien, mais on n’en utilise pas une particulière pour le champion, explique le Dr Walter O. Frey. Son seul privilège, ce sera peut-être d’avoir un meilleur chirurgien qu’un patient «normal» car on aura été particulièrement attentif à son choix.» La rééducation C’est là que tout se joue. Et que le champion fait la différence par rapport à Monsieur Tout-le-Monde. «Le public ne se rend pas toujours compte de la somme de travail effectuée par l’athlète durant l’année ou les deux ans suivant l’opération, note le Dr Walter O. Frey. Le citoyen lambda se contente en général de deux séances de physio par semaine (ndlr: soit ce qui est pris en charge par les caisses maladie); l’athlète, lui, passera 6 à 8 heures par jour à faire des exercices pour retrouver la mobilité du genou et sa musculature. Et cela pendant quatre à six mois avant de commencer son entraînement de sportif d’élite proprement dit.» La quantité n’est cependant pas le seul gage de réussite. «La rééducation doit être parfaitement guidée, selon un proVC5 Contrôle qualité Trois cas exemplaires La force du mental Neuf opérations des genoux, dont sept au seul genou gauche. Le Dr Walter O. Frey n’hésite pas à parler de «cas incroyable» concernant l’Obwaldienne Dominique Gisin. «Après de telles épreuves, vous ne revenez pas à la compétition si vous n’avez pas la tête bien faite, insiste le médecin de l’équipe suisse féminine. Aujourd’hui, son genou fonctionne peutêtre à 95%, mais Dominique est capable d’en tirer les 100% grâce à son mental.» Retrouver toutes ses capacités physiques n’est pas suffisant pour redevenir le champion qu’on était avant la blessure. «Vous savez, quand il revient d’une grave blessure, l’athlète peut avoir l’impression qu’on lui a donné une deuxième vie. Didier Cuche s’est blessé (ligaments croisés du genou droit) le 4 janvier 2005. Il a effectué son retour en octobre 2005 à Sölden. KEYSTONE/AFP «Quand il revient d’une grave blessure, l’athlète peut avoir l’impression qu’on lui a donné une deuxième vie» Didier Défago a été victime d’une déchirure du ligament croisé antérieur et du ligament latéral interne du genou gauche en septembre 2010. Il était de retour le 23 octobre 2011 à Sölden. KEYSTONE Walter O. Frey, médecin-chef de l’équipe de Suisse féminine Et il doit la risquer à nouveau pour être au top. Certains n’en sont plus capables.» Le Dr Frey n’est pas loin de penser que c’est le cas de Daniel Albrecht (ndlr: le Valaisan avait passé trois semaines dans le coma suite à sa terrible chute en descente à Kitzbühel): «Son corps fonctionne, mais le skieur est-il toujours prêt à prendre tous les risques?» L’Américaine Lindsey Vonn, tout sourire. C’était avant sa terrible chute lors de la première épreuve des championnats du monde de Schladming. AFP Arrêt sur images L’articulation du genou et les ligaments croisés Fémur Ligament latéral externe Rotule Ligament croisé postérieur Ligament latéral interne Ménisque interne Ligament croisé antérieur Ménisque externe Tibia Péroné P. FY Vonn a lourdement chuté lors du super-G d’ouverture des Mondiaux. Le cas Lindsey Vonn La quadruple gagnante de la Coupe du monde ajoutera-t-elle son nom à la liste des skieurs et skieuses ressortis plus forts d’une grave blessure? «Ça dépendra en grande partie de l’efficacité de sa rééducation, répond le Dr Walter O. Frey. Je remarque quand même qu’elle a souvent fait part de problèmes durant cet hiver: elle a eu une infection à l’estomac, elle a souffert de dépression, elle a besoin de sa sœur auprès d’elle… Elle donne l’impression de ne plus être psychiquement aussi forte, aussi sûre d’elle et dominante qu’il y a deux ou trois ans.» Or l’avenir de l’Américaine dépendra surtout de la force mentale qu’elle mettra en œuvre dans son long chemin vers la guérison. «Cette blessure peut être l’occasion de régler tous ses problèmes et de prendre un nouveau départ», estime le Dr Frey. Les pistes en cause Les skis taillés sont montrés du doigt. Selon le Dr Walter O. Frey, la préparation des pistes n’est pas moins responsable du nombre élevé d’accidents. «Parce qu’on veut que les conditions soient les mêmes pour tous, on fait descendre les skieurs sur de la glace, constate-t-il. Or, plus une piste est dure, plus elle renvoie la force qu’exerce le coureur, en particulier sur les genoux. Sur la glace, le ski devient une arme contre le skieur.» La diminution de la taille n’est pas vraiment une solution, selon le praticien. «Si on utilise ces skis taillés, c’est parce qu’ils sont efficaces sur la neige très compacte, note-t-il. Il sera difficile de diminuer le nombre de blessures de façon significative tant qu’on partira du principe que la piste doit être la plus dure possible.» Dominique Gisin s’est blessée en janvier 2012 (cartilage abîmé et une partie du ménisque retiré). Elle a opéré son retour en octobre 2012. KEYSTONE/EPA Mieux encadrer les jeunes espoirs U Les blessures ne l’ont pas épargné durant son parcours dans les cadres de Swiss-Ski, jusqu’en Coupe du monde. «Personnellement, parce que j’ai eu la chance de tomber sur un chirurgien qui a su me guider, j’ai toujours été bien encadré lors des phases postopératoires, explique Olivier Brand, désormais consultant à la RTS. Mais je vous assure que ce n’est pas le cas de tous les jeunes skieurs. Je sais, par exemple, qu’un espoir suisse est remonté sur les skis quatre mois seulement après une opération du ligament croisé du genou. C’est juste une aberration.» Selon l’ancien coureur (il s’est retiré de la compétition en 2009), ce genre de problème intervient «parce qu’il n’y a pas de garde-fou au niveau de Swiss-Ski. L’accompagnement ne se fait pas, en fait, entre la rééducation et le retour sur les skis, explique Olivier Brand. Ça pèche vraiment sur ce point. Le jeune est un peu livré à lui-même. Et, compte tenu du nombre de blessures, en particulier aux genoux, je suis sûr que le ski suisse perd de nombreux talents à cause de cette lacune.» La solution? «Le jeune coureur devrait pouvoir compter sur un référant de Swiss-Ski, un physio ou un médecin qui l’accompagnerait lors de toute la phase de rééducation et de reprise de contact avec la neige. Beaucoup d’erreurs susceptibles de compromettre une carrière seraient alors évitées.»