Forts et fortifications du Nord Pas de Calais : état des protections au

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Forts et fortifications du Nord Pas de Calais : état des protections au
« Forts et fortifications du Nord Pas de Calais
La protection juridique au titre des monuments historiques »
Jacques Philippon
Conservateur régional des monuments historiques
Direction régionale des affaires culturelles du Nord Pas de Calais
Introduction
On rappellera brièvement en introduction les deux « niveaux » de protection au titre des
monuments historiques prévus par la législation française :
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Le classement au titre des monuments historiques (articles L 621-1 à 24 du code du
patrimoine, anciennement Lois du 31 décembre 1913 et du 23 juillet 1927),
L’inscription (articles L621-25 à 19 du code du patrimoine) au titre des monuments
historiques
La protection s’applique aussi bien aux édifices qu’aux objets mobiliers.
Dans le cadre de la procédure de classement, l’accord du propriétaire est obligatoire mais à
défaut, l’Etat peut saisir le Conseil d’Etat permettant ainsi de classer le bien par décret. Cette
procédure a été utilisée quelquefois pour sauver des édifices importants menacés de
disparition. On peut citer par exemple Bergues pour les fortifications et plus récemment la
villa Cavrois à Croix. Le classement reste « centralisée » à Paris et relève du ministre de la
culture. Il est proposé au ministre par la commission nationale des monuments historiques
(CNMH).
Procédure déconcentrée au niveau de la préfecture de région, l’inscription est quant à elle
soumise à l’avis de la commission régionale du patrimoine des sites (CRPS) qui a succédé au
COREPHAE. L‘arrêté d’inscription au titre des monuments historiques est signé par le préfet.
On notera que l’inscription peut être prononcé sans l’avis du propriétaire.
Les protections existantes
Procéder à une classification des édifices protégés reste un exercice complexe. Si on prend
appui sur la base de données créée par le Ministère de la culture, on peut identifier plusieurs
répartitions possibles : par l’importance des vestiges, par date, par chronologie et par
localisation.
Mais pour plus de simplicité, malgré toutes les imprécisions que cela peut recouvrir, je vous
proposerai une présentation en deux grandes catégories qui suit l’évolution des techniques de
l’artillerie : les fortifications anciennes jusqu’à 1800, les fortifications dites « modernes » de
1800 à la seconde guerre mondiale.
Les fortifications anciennes jusqu’à 1800
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Ces fortifications n’avaient pas pour vocation à tenir une « ligne » défensive. Elles
répondaient plutôt à la nécessité de protéger des voies de passage pour certaines d’entre elles
très anciennes. Elles sont constituées simplement de levées de terre ou plus classiquement au
Moyen Age de maçonnerie.
Parmi les anciennes fortifications protégées, on peut noter la présence de mottes féodales ou
castrales à Aulnoye-Aymeries, Bailleul, Le Doulieu, Emerchicourt, Eringhem, ErquinghemLys, Fretin, Godewaersvelde, Haussy, Lederzeele, Lille, Merckeghem, Ochtezeele, Ors,
Oudezeele, Rubrouck, Somain, Steeenvoorde, Srazeele, Toufflers, Vieux Berquin,
Villeneveuve Ascq, Aix Noulette, Bayenghel les Eperlecques, Beaufort-Blavnincourt, Buires
le sec, Lisbourg, Nesles Noyelle-Vion, Parenty, Penin, Rely 1
Pour les fortifications classiques, les sites protégés les plus emblématiques sont Arras,
Boulogne /smer, Montreuil/s/mer, Bergues, Calais, Ambleteuse. 2
Certains sites ont fait l’objet d’un classement partiel. C’est le cas de Gravelines où seules la
porte de Dunkerque et les fortifications sont classées. (décret du 11 août 1936), les restes des
remparts ayant fait l’objet d’une inscription (arrêt du 19 février 1948).
Au début du siècle dernier, certaines politiques de protection non pensées ont conduit à une
forme de superposition. C’est une particularité que l’on retrouve notamment à Lille avec la
porte de la citadelle par arrêté en 1914 (9 mai, la citadelle classée par arrêté en 1921 (20
janvier), et le reste de l’ensemble par arrêté en 1934 (31 juillet). Une partie du site est
également protégé au titre de la loi sur les sites et paysages de 1930. Une harmonisation de la
protection est en cours.
D’autres particularités peuvent être citées également :
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Bouchain où seule la poudrière est inscrite par arrêté en 1981 (2 mars),
Bergues dont l’enceinte fortifiée est classée par décret du 20 mars 1920,
Cambrai quant à elle possède une protection pour l’ensemble des portes, classées pour
certaines (porte de la citadelle le 14 avril 1932) porte de Paris le 6 mai 1942), porte
Notre-Dame le 18 avril 1914) et les autres inscrites en 1931 et en 1965.
La situation de Condé sur l’Escaut est assez complexe avec une différenciation entre
l’enceinte espagnole dite « ancienne » classée le 17 janvier 1935, la porte
Vantourneux (IMH 20 septembre 1935) et les autres éléments (arsenal, IMH 7
décembre 1956).
Maubeuge, où les fortifications et les bâtiments de la porte de Mons sont classés par
arrêté du 17 janvier 1924, l’ensemble des vestiges des anciennes fortifications au nord
de la Sambre le 21 octobre 1947.
Valenciennes dont l’inscription des vestiges de la citadelle, essentiellement vestiges
des écluses et de la demi-lune intervient seulement le 21 avril 1987.
1
Aulnoye-Aymeries (IMH 21 avril 1988) , Bailleul (hameau d’OutersteeneIMH le 23 février 1979, Le Doulieu (IMH 7 février 1980) ,
Emerchicourt (6 décembre 1978), Eringhem (24 août 1979), Erquinghem-Lys (22 mars 1980) , Fretin (6 décembre 1978), Godewaersvelde
(5 mars 1979) , Haussy (6 décembre 1978) , Lederzeele (7 mars 1983), Lille, Merckeghem, Ochtezeele, Ors, Oudezeele, Rubrouck, Somain,
Steeenvoorde, Srazeele, Toufflers, Vieux Berquin, Villeneveuve Ascq, Aix Noulette, Bayenghel les Eperlecques, Beaufort-Blavnincourt,
Buires le sec, Lisbourg, Nesles Noyelle-Vion, Parenty, Penin, Rely (22 août 1980).
2
Arras (anciens remparts, IMH 5 octobre 1945), Boulogne /s/mer (IMH 10 juin 1926 et classement 6 octobre 1977), Montreuil/s/mer (
classement 18 décembre 1926), Bergues (classement par décret 20 mars 1936), Calais (fort Risban, IMH le 27 avril 1990) et citadelle IMH
15 février 1939 et 27 avril 1990), Ambleteuse (fort Vauban ou fort Mahon, classement19 octobre 1965)
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Le Quesnoy dont les remparts, l’escarpe la contrescarpe, la demi-lune les redoutes et
les redans et les autres parties de l’enceinte fortifiée sont classés par arrêté du 14 mars
1944.
Landrecies quant à elle ne possède aucune protection au titre des monuments
historiques.
Les fortifications « modernes »
On entend essentiellement par fortifications « modernes » les ouvrages de la Grande guerre et
de la seconde guerre mondiale. Plutôt négligées jusqu’à présent, très peu sont protégées au
titre de monuments historiques.
A titre d’exemples, on peut citer le fort Lapin de Blériot plage, le fort de Petite Synthe à
Dunkerque, le fort d’Alprech au Portel, le fort des Dunes de Leffrincoucke, mais aussi le
blockhaus d’Eperlecques, la base de Landrethun le nord (Mimoyecques V3), la coupole de
Wizernes : (V2) et la batterie Todt de Wissant, …
Tout ceci, nous amène à constater qu’il existe un certain déficit de protection concernant –
notamment - les ouvrages postérieurs à Vauban.
Perspectives de protection
En 2004, afin de répondre aux déficits de protection des édifices militaires, la commission
régionale du patrimoine et des sites a créée une thématique spécifique pour ces édifices. Ceci
a permis de meilleures identifications et protections en fonction de leur intérêt patrimonial.
Cette thématique nouvelle englobe entre autres les édifices des deux derniers conflits
mondiaux mais aussi les fortifications « oubliées » datant d’avant 1870 puis Séré de Rivières,
certaines d’entre elles ayant été évidemment réutilisées par la suite à des fins stratégiques et
militaires.
En effet, comme l’a souligné récemment le Ministère de la défense, il importe de poursuivre
la pérennité de la mémoire du conflit de la « Grande Guerre » au moment où les anciens
combattants (cette désignation date de 1915 !) ne sont plus maintenant que rares survivants.
Ils n’étaient déjà plus que 1 000 en 1998. La participation de la DRAC par la protection des
édifices est indispensable pour la préservation de cette mémoire. Mis à part les plus
importants, les vestiges matériels, autres que les armements, ont souvent été un peu négligés
et il importe désormais de conserver, dans une démarche scientifique et pédagogique, les
vestiges les plus rares ou représentatifs des différents types d’ouvrages militaires ou civils
construits lors des deux conflits mondiaux.
1ère « sous » thématique : Forts Séré de Rivières et antérieurs à 1914/1918
avec une première systématique :
- fort d’arrêt
- forts de rideau
- dépôts de matériel
ème
2 « sous » thématique : ouvrages de 14/18 et 39/45
pour la systématique :
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bases de lancement (VI, V2 et V3)
Blockhaus (avec deux sous catégories : 14/18 et 39/45 ) et postes de tir (canon…)
autres ouvrages militaires (radar, piste aviation, dépôts divers)
ouvrages civils de défense et camps
Certaines directions régionales des affaires culturelles ont effectué un travail sur le sujet et
disposent déjà de protections. C’est le cas en régions Poitou –Charente (mur de l’Atlantique),
Provence Alpes Côte-d’azur, Bretagne et évidemment, Basse-Normandie, Haute-Normandie
et Picardie.
En terme de documentation, des études existent ou sont déjà engagées en vue de future
protection. Par exemple sur la thématique XXème ou béton, une étude a été réalisée sur le
blockhaus d’Eperlecques. Des travaux importants de dépouillement des archives allemandes
ont été effectués par plusieurs historiens locaux Chevalier, Le Maner, Dunoyer de Segonzac,
pour ne citer qu’eux. On peut aussi signaler le travail autour du mémorial de Péronne.
Pour la période 14-18, beaucoup reste à faire car peu d’ouvrages ont été à ce jour protégés. Il
existe des lignes de fortifications dans le sud du département (zone Hénin/s/Cojeul-CroisillesBapaume) et à la frontière belge (Yser- Flandre).
Pour les édifices 39-45, un « mini » recensement effectué par M. Le Maner permet de
disposer d’une première base de travail. 3 Il est également important de ne pas négliger les
vestiges des constructions civiles, notamment souterraines de la défense civile ou passive tels
que le bâtiment de la défense passive juste avant Beaurains à Arras (celui de Seclin semble
avoir été détruit) ou la carrière « Wellington » à Arras qui a fait l’objet d’une mise en valeur
particulièrement réussie.
Afin d’assurer la meilleure protection de ces vestiges, la réflexion devra comme d’habitude,
croiser les paramètres de leur intérêt intrinsèque, de leur compréhension dans la chaîne
défensive ou offensive des batailles, de leur place dans les dispositifs régionaux ou nationaux
des guerres de 1914-1918 et de 39/45 et prendre en compte évidemment leur état sanitaire.
La création de cette nouvelle thématique déclenche naturellement à la suite des protections, de
nouvelles demandes de travaux dont les coûts sont importants. Il est donc particulièrement
important de bien estimer l’impact financier de nos propositions en fonction des projets
existants ou à venir de réutilisation de ces sites. En la matière, on peut citer le remarquable
travail fait à Leveau par des bénévoles.
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3
Etaples (62) : batteries H 688
Prédefin (62) : Radar géant et batterie
Tardinghem (62) : radar géant et batterie
Equihen (62) : batterie et radar géant
Audinghen (62) : batteries (Todt)
Aérodrome de Marck (62) : blockhaus
Oye-plage (62) : batteries
Zuydcoote (59) : idem
Site de Dannes-Camiers, Condette, (anciennes usines souterraines et camps de prisonniers)
Bases de V2 : Eperlecques (62, protégé MH), Wizernes-Helfaut (62, visité)
Bases de V1 : Morbecque (59, visitée), Vacqueriette (62, visitée), Labroye (62, à visiter), Siracourt (62, visité),
Bases de V3 : Mimoyecques (62, visitée)
Blockhaus de ville (Tourcoing, Roubaix, …)
Blockhaus de littoral (tout le littoral depuis Berck jusqu’à Dunkerque)
Blockhaus de la ligne Maginot et de défense des frontières (je pense à Lesquin, Bavay, Wattrelos, Halluin, Roncq etc.)
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Ces protections futures devront également résoudre un point délicat celui de la détermination
de la propriété des sites . On peut citer l’exemple de Mauldes où il est particulièrement
difficile d’établir la liste des propriétaires. Même si l’inscription au titre des monuments
historiques ne requiert pas l’autorisation du (ou des) propriétaires, les actes de propriété n’en
rentent pas moins indispensables.
Conclusion
On a pu s’apercevoir que le nombre de forts effectivement protégés n’est pas aussi important
qu’on aurait pu le penser et qu’un important travail d’ « homogénisation » des protections
reste à entreprendre pour simplifier les démarches de permis de construire et d’autorisations
de travaux et pour aider les communes à mieux gérer ces espaces.
Les directions régionales des affaires culturelles des régions particulièrement concernées Bretagne, Haute et Basse Normandie, Nord Pas-de-Calais dans un premier temps - mettent
actuellement en place une coordination de leur politique de protection des fortifications de
toute nature et tous âges. Ce qui a permis d’identifier les vestiges de la deuxième guerre
mondial comme particulièrement prioritaire du fait de l’évolution du trait de côtes et des
risques environnementaux liées au changement climatique global.
On assiste en effet depuis plusieurs années à des démolitions de blockhaus sur le littoral pour
des raisons de sécurité (certains blockhaus tendent effectivement à s’effondrer) mais aussi
pour d’autres raisons.
La phrase de Patrice Béghain apporte une clef de compréhension complémentaire à nos
réflexions d’aujourd’hui : « le patrimoine monumental lui-même, qui porte souvent une
identité close, peut contribuer à tisser ces liens (lien social), à condition que l’on considère
que ce n’est pas le monument lui-même qui porte l’identité, mais la relation que nous
entretenons avec lui, et qui peut-être élargie à des communautés que rien historiquement
n’attache à ce monument ».
Décembre 2010
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