l`histoire du rite en Roumanie et sa théologie dans l`Eglise Orthodoxe

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l`histoire du rite en Roumanie et sa théologie dans l`Eglise Orthodoxe
Le sacrement de la pénitence – l’histoire
du rite en Roumanie et sa théologie dans
l’Eglise Orthodoxe
Discours de présentation du manuscrit de la thèse de doctorat du
Hiéromoine Néctaire Petre
Votre Eminence,
Très vénérables et vénérables pères,
Chers professeurs,
Chers collègues, chers amis et chers invités,
Adresse au public
C’est avec une grande joie que je me retrouve devant vous pour présenter
et soutenir ma thèse de doctorat, fruit de quatre ans de recherches, des questions,
des quêtes et de réflexions.
Tout d’abord il faut dire quelques mots sur la cristallisation du sujet car le
manuscrit actuel a connu plusieurs versions au fur et à mesure de l’avancement
des recherches. Cette thèse porte sur un sujet inspiré de la réalité pastorale, donc
il s’agit d’une thèse de Théologie pastorale, un sujet qui est orienté vers une
question très actuelle : celle de la pratique de la pénitence au sein de l’Eglise
Orthodoxe. Cette pratique fait sans doute partie de la spiritualité chrétienne,
donc dans un cadre plus large on pourrait la placer d’un point de vue thématique
à l’interface entre la Théologie (comme discipline académique) et la Spiritualité
(comme expérience de la Théologie).
D’un autre côté le lecteur trouvera dans cette thèse une suite des méthodes
qui ne sont pas forcément propres à la Théologie pastorale, mais sont des
méthodes que chaque théologien de l’Ecole théologique de Paris a appris à
utiliser dans sa démarche de recherche. Plus précisément je parle ici de la
1
méthode historique (largement utilisée dans le manuscrit), de l’exégèse, de la
science liturgique, de la science canonique, de l’anthropologie chrétienne et de
quelques principes de psychologie. A ces outils s’ajoute l’expérience sacerdotale
qui est l’outil empirique de la pastorale.
Ce sujet lié à la pénitence a été choisi pour deux raisons. Une première
raison est l’actualité du sujet. Le père Nicolas Ozoline a été parmi ceux qui se
sont rendu compte de la nécessité d’une réaffirmation de la doctrine de l’Eglise
concernant le sacrement de la Confession, la matérialisation liturgique d’un fait
spirituel, composante essentielle de la spiritualité orthodoxe. Mal compris, de
moins en moins pratiqué ou pratiqué selon des
« traditions » étrangères à
l’Eglise, la nécessité de ce sacrement est de plus en plus affirmée par l’homme
contemporain touché par des nombreux flagelles spirituels.
De l’autre côté la pénitence fait partie de la suite des procès par lesquels
l’homme doit passer dans son chemin vers la déification. La déification est le
centre du mouvement hésychaste dont la branche roumaine a été le sujet de mes
recherches antérieures sur l’ « Influence de saint Paisij Velicikovsky sur le
monachisme en Moldavie et en Ungrovallachie ». On pourrait dire
qu’indirectement je manifestais un intérêt particulier pour la mystique orthodoxe
ce qui m’a permis de m’arrêter sur le sujet de la pénitence. Mais je dirai surtout
que ce sujet est intéressant pour moi vu mon statut actuel de prêtre, de
confesseur et, par la volonté de Dieu, de pasteur d’une communauté monastique
en Roumanie, la communauté de Crasna. Le sujet devient ainsi non seulement
un intérêt purement académique, mais possède des valences importantes sur le
plan personnel, dans le travail que Dieu m’a confié dans Sa vigne.
Initialement conçu comme un travail théorique, cette thèse a maintenant
un caractère prédominant pratique et explore deux volets :
1.
le volet historique – l’évolution historique des pratiques
pénitentielles, en particulier en Roumanie ;
2
2.
le volet théologique – la pénitence comme instrument de
l’évolution de la personne vers la déification et sa manifestation
sacramentaire en liaison avec l’Eucharistie.
Initialement conçu comme un travail théorique sur la Confession, cette
thèse se limite désormais, pour des raisons méthodologiques et afin des respecter
les exigences académique concernant la durée de préparation du manuscrit, au
territoire de l’Eglise Orthodoxe de Roumanie, un territoire caractérisé par une
grande homogénéité culturelle et spirituelle. L’avancement de la thèse a montré
d’un côté le fait que cette étude, dans les proportions initialement proposées,
aurait été très fastidieuse et très longue et, par conséquent, elle aurait été
pratiquement inachevable dans la période imposée par les critères académiques
pour une soutenance de thèse. Etant donné les contraintes de temps et l’histoire
ecclésiastique de la Roumanie qui m’était plus familière, mon directeur de thèse
le père Nicolas Ozoline m’a proposé de me concentrer sur mon Eglise d’origine.
L’idée a d’ailleurs été lumineuse, car ce qui était apparemment une limitation
s’est avéré une expansion des horizons, car cette étude n’a pas qu’une dimension
académique, mais elle a aussi une dimension pratique. Au delà de la contribution
académique, ce travail sera, dans sa version roumaine, un instrument de travail
pour les intéressés : chercheur et prêtres de paroisse.
Le caractère interdisciplinaire de ce travail m’a donné l’opportunité
d’explorer le sacrement de la pénitence ou la confession dans plusieurs
directions. Le texte fait une synthèse des aspects historiques, sacramentels,
canoniques et théologiques du repentir en soulignant à la fois son caractère
thérapeutique, mais surtout sa place dans l’ensemble des sacrements de l’Eglise
et surtout ses rapports avec le sacrement central qui est l’Eucharistie.
Une exploration interdisciplinaire du sacrement de la Confession et de la
pénitence en général était nécessaire car on confond parfois la confession, le
repentir, avec une sorte de psychothérapie avec des valences cliniques. Une
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simple phénoménologie clinique peut classer la pratique de la confession dans la
longue (presque interminable) liste des techniques de cabinet pour traiter des
diverses maladies qui touchent le psychique humain. Mais il s’agit toujours d’un
fait spirituel, d’un acte intime, mystique et personnel qui demande d’être traité
par une approche théologique. Par cette approche on peut décrire et on peut
montrer l’unicité de la confession qui n’est pas simplement une technique mais
le sommet de quelque chose de bien plus complexe – le processus du repentir.
Le repentir est le processus de réparation, de guérison des blessures dues
aux péchés durant le retour sur la voie du Royaume. Le repentir et,
implicitement, la confession peuvent être inclus sans doute dans un système
global de thérapie qui inclut des professionnels de la santé, des médecins, des
psychologues, des psychiatres, des conseillers, des éducateurs surtout quand il
s’agit de sujets atteints par des maladies incurables ou mis dans des situations
limites. Dans la majorité des cas le repentir est censé faire partie du quotidien
spirituel des fidèles orthodoxes. Jusqu’à quel point cela est-t-il est vrai
aujourd’hui ? Et pourquoi le repentir n’est-il plus un réflexe naturel ? Voilà les
questions auxquelles ce travail amènera des éléments de réponse.
Le corps de cette thèse est composé de quatre grands chapitres auxquels
s’ajoutent une introduction et les conclusions. Dans la vingtaine de minutes à
venir je vais parler de façon synthétique du contenu de ce manuscrit en
m’appuyant sur les points qui ont un degré d’originalité et qui sont des
nouveautés sur le plan de l’histoire liturgique et des réalités sur le plan pastoral.
1
Introduction – Bases bibliques et historiques de la Confession
Le premier chapitre est dédié à l’étude du repentir dans les Saintes
Ecritures et les écrits patristiques. Nous proposons ainsi un aperçu de la
littérature – source de nos réflexions théologiques. L’analyse dans ce chapitre
est essentiellement historique car l’objectif est d’identifier les pratiques
pénitentielles vétérotestamentaires, puis au sein du nouveau peuple de Dieu. La
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pénitence publique et la pénitence auriculaire sont décrites en détail dans ce
chapitre qui fournit aussi les sources canoniques que nous exploitons.
Cette partie trace donc les grandes lignes de l’évolution du repentir : à
partir de son origine (qui est allégoriquement attribué à l’appel que Dieu fait à
Adam après sa chute), sa dimension rituelle chez les juifs, les dimensions
purificatrice, réconciliatrice et thérapeutique chez les chrétiens et finalement son
caractère sacramentel par lequel il est revêtu en accord avec le développement
du sacerdoce.
La Confession qui est aujourd’hui un sacrement, un des éléments du
système sacramentaire de l’Eglise, a été pour les juifs un rite avec de larges
significations parmi lesquelles on retient la dimension purificatrice et la
dimension de réconciliation avec Dieu. Mais le geste qui faisait preuve de
pénitence purificatrice n’était pas la confession mais une action associée à la
purification physique. La dimension réconciliatrice (on parle ici de la
réconciliation avec Dieu) était représentée par le sacrifice de sang et
l’holocauste. Par la présence du Christ au monde cette dimension de
réconciliation s’est transfigurée sous la forme de la pénitence puis de la
confession. La présence de Christ au monde a été un événement historique, réel
donc, même si cet événement est aussi métahistorique, on peut analyser ses
conséquences du point de vue historique. Il marque conjointement une
continuation, mais à la fois une discontinuation rituelle. Les sacrifices des
animaux devenus trop formels sont remplacés par le sacrifice des larmes, le
geste pénitentiel devenant plutôt intérieur. Le Christ ajoute une nouvelle
dimension qui sera essentielle dans la suite historique de Son incarnation : la
dimension thérapeutique. Venu pour réparer la nature humaine, le Christ nous
laisse la pénitence comme moyen de retour vers notre état naturel de pleine
communion avec le Seigneur.
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L’époque chrétienne est dès le début marquée par la dimension
eucharistique de la communauté chrétienne. L’appartenance à la communauté
chrétienne imposait une certaine conduite dans les mœurs. Toute déviation grave
de cette conduite était pénalisée par l’excommunication du fautif. C’est pour
cela que la pénitence, la confession des péchés, était un moment extraordinaire
dans la vie d’un chrétien. A ce moment on comprend le symbolisme de cet
événement et le principe aussi son unicité. C’est pour cela qu’on assistait à une
pratique assez fréquente au sein du peuple : le repentir en fin de vie.
Le développement historique du christianisme a permis l’introduction
d’amples modifications dans les pratiques pénitentielles. Ce geste est devenu
assez rapidement renouvelable mais non plus par des confessions publiques mais
plutôt par des confessions privées (auriculaires). La confession des péchés était
juste un élément dans un long processus qui était le repentir. Peu à peu la
confession a revêtu un caractère sacramentel, en accord avec le sacerdoce
chrétien. La littérature patristique commence peu à peu à s’enrichir d’écrits
théologiques sur le sujet de la pénitence. Deux phénomènes marqueront
fondamentalement la littérature sur la confession : il s’agit de l’époque
conciliaire, quand la tradition canonique commence à influencer la confession et
le développement du monachisme, qui souligne le côté plutôt thérapeutique de la
confession des péchés et du repentir. Les canons pénitentiels sont invoqués pour
la première fois dans le cas des lapsi (des chrétiens déchus en différents degrés
d’apostasie durant les persécutions des chrétiens).
A partir de l’histoire du rite, nous avons commencé par la démarche
théologique, en analysant différents éléments de la confession (par exemple le
rôle du père spirituel, de l’épithimie) qui jouent sur la compréhension et sur la
vision qu’ont les fidèles et le clergé de la pratique de la confession. Deux
extrêmes menacent de perturber la véritable expérience personnelle du repentir
par la confession : le juridisme extrême et le libéralisme superficiel.
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La science canonique du monde orthodoxe manque d’instruments et d’une
intégration réelle et authentique dans la pensée théologique. L’influence
légaliste est hélas toujours présente- dans la pensée sacerdotale qui se sert des
fois des canons pénitentiels comme un juge se sert du code pénal pour infliger
des peines aux fautifs. Les canons ont sans doute une dimension juridique, mais
leur contenu n’est pas légaliste. Ils ont de valeurs pédagogiques et
thérapeutiques qui sont trop souvent ignorées. Ce manque est dû à la façon
d’enseigner et de présenter la tradition canonique, qui suit parfois le modèle
latin qui a le bénéfice d’être systématique, mais le défaut d’un légalisme trop
poussé.
L’autre extrême est de considérer les canons comme des reliques
absolument inutiles, des pièces de musée, valides et totalement justifiables à leur
époque, mais sans objet aujourd’hui quand les réalités sont totalement
différentes. On assiste ainsi au libéralisme superficiel qui donne l’impression de
liberté ou libération de la conscience en décidant d’éluder la confession et de
diminuer son importance.
Les deux tendances distorsionnent donc le sens de la confession. Ceci est
visible explicitement quand on étudie le rapport entre la Confession et
l’Eucharistie. Les deux tendances mènent à des pratiques aberrantes. Le
légalisme conditionne l’accès à la communion eucharistique par une confession
préalable obligatoire ce qui mène à une rare communion aux moments les plus
importants du calendrier orthodoxe. Le libéralisme ouvre la voie d’une fréquente
communion, mais sans une préparation par l’introspection et par des actes de
pénitence. Les deux pratiques constituent des offenses et des graves péchés qui
mettent en danger le salut. Ces pratiques sont deux facettes de l’indifférence que
l’on peut manifester devant le Christ présent réellement entre nous au moment
de la liturgie eucharistique.
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Le sacrement de la Confession dans les Euchologes édités sur les
territoires roumains (XVI-XXème siècles)
Le deuxième chapitre vient comme une continuation naturelle du premier
car il constitue une investigation de l’histoire du rite à travers des textes sur les
territoires roumains. Le premier chapitre a offert un tableau de l’époque
patristique qui s’est développé essentiellement dans des territoires de langue
grecque, tandis que le deuxième chapitre offre la perspective de la réalité la plus
proche de l’époque actuelle, mais surtout des réalités qui concernent directement
l’Eglise Orthodoxe de Roumanie aujourd’hui.
Notre démarche emploie la méthode historique, car l’étude de la tradition
ecclésiale se traduit scientifiquement par l’étude de l’histoire de l’Eglise, des ses
traditions et de ses rites. Dans le cas particulier de la Roumanie, l’étude des
manuscrits, des éditions successives de l’Euchologe, s’est avérée être un outil
essentiel dans la recherche des causes de l’aliénation du sens de la confession.
L’étude systématique des textes qui composent le rite à travers les différentes
périodes nous a permis d’identifier les grands changements de la pratique et
indirectement de la compréhension du sacrement à la lumière de la doctrine de
foi contenue dans le texte liturgique. Le cas de l’Eglise Orthodoxe de Roumanie
n’est pas singulier dans le monde orthodoxe, mais pour le but du travail présent
il a servi d’argument pour la plaidoirie en faveur du retour au sens initial du
repentir.
Ce chapitre constitue la synthèse des recherches faites dans plusieurs
bibliothèques abritant des anciennes éditions imprimées. Cette partie de ma
thèse constitue pour les intéressés la synthèse des sources pour une période et
pour un territoire bien défini. On y trouve les données complètes sur les éditions
imprimées, sur les traductions intégrales du rite actuel, des tableaux synoptiques
et une liste complète des éditions imprimées publiées sur le territoire actuel de la
Roumanie.
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Dans ce chapitre on part dans l’analyse du sacrement dans la forme du rite
tel qu’il était pratiqué dans les territoires roumains. Nous avons consulté deux
types de sources à la Bibliothèque Nationale, à la Bibliothèque de l’Académie
roumaine et à la Bibliothèque du saint Synode du Patriarcat de Roumanie. Il
s’agit de plusieurs éditions de l’Euchologe et de différents livres-sources qui
traitent des sacrements en général et de la Confession ou de rite de la pénitence
en particulier. Le point de départ dans cette analyse est le rite attribué
traditionnellement à saint Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople.
Dans les différentes versions et éditions nous avons regardé l’organisation
des offices selon les structures liturgiques et les structures non liturgiques
adjacentes. Nous avons identifié les structures liturgiques suivantes et nous
avons suivi leur évolution dans le cadre du rite dans les différentes éditions:
1.
les prières initiales,
2.
les psaumes,
3.
les lectures de l’Epître et de l’Evangile,
4.
les litanies,
5.
les prières du pardon,
6.
la prière d’absolution.
Par des structures non-liturgiques adjacentes nous comprenons :
1.
les instructions pour les prêtres confesseurs,
2.
les instructions pour les fidèles-pénitents,
3.
les questionnaires de confession.
Ainsi nous avons pu identifier les changements dans le rite par des
permutations des différentes structures liturgiques, par la disparition, par
l’apparition ou le remplacement des certains etc. Ces changements ont été mis
en relation avec les variations de la doctrine de foi. Cette partie reste, sans doute
la partie la plus originale du manuscrit car elle amène devant le public français
des nouveautés en matière d’histoire liturgique.
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La plus ancienne édition de l’Eucologe roumain vient presque six siècles
plus tard (après le rite de saint Jean le Jeûneur) : il s’agit de l’Eucologe édité (en
1564) par le diacre Coresi à Braşov précédé par l’Eucologe en slavon (1545). La
comparaison entre la structure du rite montre une évolution vers la
complexification du rite. Initialement conçu comme une instruction catéchétique
le rite n’avait pas une structure bien définie. L’Eucologe de Braşov (1564) ne
contient qu’une instruction pour le prêtre confesseur, sans beaucoup de détails
sur le rituel.
Au fil des siècles on observe qu’à cette instruction s’ajoutent d’autres
éléments destinés à aider le prêtre dans sa démarche, ce qui souligne
l’importance que ce sacrement commence à avoir dans la vie liturgique. Pour
preuve on voit s’ajouter des instructions destinées aux fidèles, des
enseignements théologiques et des prières. La structure du rite évolue d’une
dimension d’intercession pour le pardon des péchés vers une dimension
d’absolution, de l’écoute vers l’interrogatoire. Les deux transitions se font sous
l’influence de la scolastique : la première a eu lieu au XVIIème siècle par
l’introduction de la prière de l’absolution à la fin du rite, alors que la deuxième
se fait presque simultanément par l’introduction du questionnaire pour la
confession. Les sources écrites sont donc la preuve d’une transition dans la
pensée théologique, une altération du rôle du prêtre dans la confession. Celui-ci,
qui agit initialement comme intercesseur pour le pardon, devient un
administrateur du pardon. Le questionnaire initialement prévu pour aider le
prêtre en début d’activité devient un outil permanent dans la confession, ce qui
marque sans doute une perte du sens thérapeutique de la confession et une
prévalence de la dimension légaliste qui transforme le moment de la confession
en opportunité d’enquête pour régulariser l’accès à l’Eucharistique. Ces deux
exemples ont contribué à l’éclaircissement des aspects problématiques de la
confession : la compréhension du rôle du prêtre et la doctrine de la confession.
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3
Le père spirituel – dans la perspective historique des textes
Une fois les données historiques mises en places dans les premier et
deuxième chapitres, à partir du troisième chapitre l’approche est surtout
théologique. Ce chapitre, qui contient beaucoup de réflexions personnelles, est
centré sur la personne du père spirituel. Une première partie montre sa place
dans le processus de repentir. La deuxième partie de ce chapitre insiste sur la
chirotésie, comme action sacramentelle (taïnodeïstvïé) distinct de la chirotonie.
Enfin, la dernière partie de ce chapitre est le fruit de mon humble expérience. Je
parle ici de la relation entre le père spirituel et le fils spirituel et de la formation
du père spirituel.
Les questions posées à la fin du troisième chapitre (le prêtre et le
pardon et la doctrine sur la Confession) trouvent leurs réponses dans le texte du
troisième chapitre. La source du pardon est le Christ, c’est pour cela que le côté
légaliste de la confession doit être diminué et le prêtre confesseur doit retrouver
sa place d’intercesseur devant Dieu pour le pardon de son fils spirituel. Pour
cette raison on a exploré le terrain de la relation entre le père et le fils spirituel.
Les relations entre les deux doivent être dominées par l’amour qui se matérialise
par l’amitié. La personnalité du père spirituel doit être tout d’abord
charismatique, car le père spirituel est appelé à cultiver la richesse de la grâce en
développant une somme de qualités indispensables dans l’exercice de son
sacerdoce et de sa mission.
Ce chapitre amène aussi des nouveautés. Dans la dernière partie nous
parlons de la typologie de la relation père spirituel en faisant une analyse à la
fois historique et théologique. L’analyse historique emploie déjà l’instrument de
l’archéologie documentaire avec lequel on identifie plusieurs éditions imprimées
des instructions rédigées par les évêques roumains et dédiées à leurs prêtres. Ces
instructions pour les confesseurs marquent aussi des changements dans la
doctrine de foi et sont des précieuses sources pour identifier des pratiques
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pénitentielles à travers
l’histoire. Cette partie s’ajoute donc au matériel
documentaire présenté au deuxième chapitre et rend ainsi une image complète
de la pratique de la pénitence par le sacrement de la Confession dans le cadre
spirituel des pays roumains. Dans cette partie se retrouvent les premiers fruits de
mon expérience de père spirituel. Il est difficile de résumer en quelques mots
une expérience aussi complexe, mais je dirais que la relation père-fils spirituel
est paternelle et fraternelle, caractérisé par une fidélité renforcée par la grâce du
sacerdoce.
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Pénitence et guérison
Le dernier chapitre est dédié aux rapports entre la Confession et
l’Eucharistie. L’épithimie est expliquée ici de façon détaillée en soulignant son
rôle instrumental dans la guérison du pénitent et dans l’économie du repentir.
On fait tout de suite la description de la dimension communautaire de la
Confession et de l’Eucharistie, deux sacrements liés. Ce chapitre s’achève par
trois témoignages essentiels
qui donnent des réponses à la quête vers la
redécouverte du sens de la pénitence et des rapports avec l’Eucharistie : l’ample
étude canonique de saint Nicodème l’Hagiorite, l’expérience pastorale de saint
Jean de Cronstadt et finalement la plaidoirie du père Alexandre Schmemann sur
la coparticipation plénière de la communauté au mystère eucharistique.
Avant d’en venir au cœur de la question, nous proposons une lecture
différente des canons pénitentiels. En enlevant la couche juridique de ces canons
on montre leur importance dans la structuration de l’épithimie. On retient trois
grandes
catégories
de
péchés
qui
pourraient
faire
l’objet
d’une
excommunication : l’apostasie et l’hérésie, l’adultère et le meurtre. Nous
croyons que ces péchés empêchent les fidèles de s’approcher de la communion.
La confession est une préparation en vue de la communion eucharistique. Elle
ne rend pas quelqu’un digne de recevoir cette communion, elle prépare un
pécheur repenti à la réception de la communion. Le canon est une mesure prise
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contre le péché et la prescription d’un remède pour la guérison du corps spirituel
de chacun.
L’achèvement de la pénitence est donc l’Eucharistie, et comme on
recommande
une fréquente confession,
pourquoi
ne pourrait-on
pas
recommander une communion plus fréquente ? C’est dans ce sens que vont les
trois coryphées que nous avons choisi de citer et qui arrivent à formuler une
vision cohérente de la communion. Saint Nicodème montre que la communion
eucharistique est le but de la vie liturgique en communauté. Les Pères n’ont
jamais conçu une vie liturgique sans la communion des fidèles. Son
argumentation est ample et contient des sources bibliques, canoniques et
patristiques. Chacun doit être concerné par l’appel à la communion et se
préoccuper de la préparation à la communion.
Le changement des mœurs n’est pas une raison de s’éloigner des
sacrements. La communion limitée à deux ou trois fois par an est une mesure
prise contre un symptôme, et non un dogme. Le père Alexandre Schmemann
lutte contre l’indifférence et fait appel à une participation consciente des fidèles
à la célébration de l’Eucharistie. Rendus sensibles à ce mystère ineffable, les
fidèles (éloignés de la vie liturgique authentique pour des raisons diverses)
auront le désir de communier. Selon le Père Alexandre la communion
eucharistique n’est pas automatique, mais elle nécessite une préparation.
C’est pour cela que saint Jean de Cronstadt a une pratique généralisée
de la confession en exploitant les deux modes de confession qu’on retrouve dans
l’histoire de l’Eglise : la confession publique des péchés et la confession privée
des péchés très graves. Nous devons avoir, en tant que chrétiens fidèles à notre
Eglise, une attitude de permanente préparation à la communion eucharistique
afin qu’aucune trace d’indifférence ne tache notre existence qui doit être
christocentrique.
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Voilà les réponses de ces témoignages : communion eucharistique
fréquente et continuelle grâce à une préparation permanente à la communion (en
évitant les péchés et en les confessant) et par une participation active aux
mystères de l’Eglise. Il n’y a pas de participation à la vie liturgique sans la
communion, la liturgie sans communion du peuple est un malentendu. Par
contre la communion sans préparation, sans une permanente préoccupation de
lutter contre le péché et de s’en libérer est un blasphème et un acte suicidaire du
point de vue eschatologique.
Conclusions
Le thème de la confession reste toujours délicat. Un prêtre confesseur se
forme pendant plusieurs années par la lecture et par une sorte de transfert de
l’expérience des anciens, vers celui qui vient d’être ordonné. Par l’expérience on
comprend les usages de l’Eglise décrits dans les écrits ascétiques et patristiques.
On parle aussi de l’expérience non-écrite qui est l’expérience du pnevmatikos,
du père spirituel, une forme active et vivante de l’expérience de l’Eglise mais
aussi avec des nouvelles valeurs que l’écrit ne peut pas exprimer à cause de la
limitation du langage humain. Dans l’Eglise d’aujourd’hui on constate que la
confession a perdu sa place prépondérante et son sens dans la vie de beaucoup
de chrétiens. Dans la recherche de ce sens perdu, l’appel à la Tradition est la
seule solution durable.
Le retour à la signification initiale de la pénitence et de la confession
nécessite un retour à la tradition historique de l’Eglise. C’est la réaction
instinctive qui surgit chaque fois quand on est confronté à une question qui ne
trouve pas facilement une réponse satisfaisante dans la réalité immédiate.
Les perspectives de ce travail qui s’achève par ces lignes restent
ouvertes. La lecture des prières anaphorales à haute voix est, certes, un pas
important pour sensibiliser le peuple à la communion, mais cela ne suffit pas.
C’est un geste fondateur qui nécessite d’autres gestes plus amples : la confession
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généralisée, la préparation des confesseurs, la catéchèse du peuple pour le
sensibiliser à la confession authentique et l’intégration de la confession et de la
pénitence dans le programme thérapeutique de l’homme d’aujourd’hui qui a de
plus en plus de problèmes de santé physique et mentale, et qui est soumis à des
conditions extraordinaires de stress et d’agressions de toutes sortes. Pour les
Pères ascétiques il est clair que la confession peut arrêter les ravages
psychologiques que le péché produit. Sans la confondre avec une technique
psychologique, la confession garde son caractère unique comme fait spirituel et
sacramentel au sein de l’Eglise et présente des possibilités surprenantes de
s’accorder avec toutes sortes de soins.
C’est dans cette perspective que se dirigeront mes futures recherches
dans le domaine de la pénitence et de la confession. Ce travail représente donc
un premier pas vers la voie à jamais ouverte par l’Eglise, une quête qui va me
préoccuper étant donné ma vocation de moine, le dernier et le moindre parmi les
prêtres de l’ordre vénérable des confesseurs.
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