LA pERSuASIoN, uN éLéMENT Du LEADERShIp : LE géNéRAL
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LA pERSuASIoN, uN éLéMENT Du LEADERShIp : LE géNéRAL
opinions La persuasion, un élément du leadership : le Général Hillier, à titre de commandant de la FIAS MDN, photo K A2003-A404D par Roy Thomas Introduction L a « persuasion » est un des éléments du leadership mentionnés par le Feld‑maréchal Slim à l’occasion d’un exposé sur l’après‑guerre présenté aux étudiants du cours d’état-major de l’Armée de terre, à Camberley1. Pendant son mandat en tant que commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), le Général (Gén) Hillier a fourni un exemple de cet élément du leadership en action. Il a dû persuader d’autres personnes, sur qui il n’avait pas le commandement, d’adopter la vision stratégique afghane et d’accepter d’entreprendre certaines activités qui leur permettraient d’atteindre l’état final mutuellement désiré dans le but d’établir un plan de campagne opérationnel pour la FIAS. Le besoin d’établir un certain modèle stratégique avait déjà été formulé. Lors d’une réunion précédant la prise en charge du commandement de la FIAS par le Gén Hillier, le président Karzai a identifié « l’absence d’unité d’effort de la part de la multitude d’organisations et de gouvernements actifs en Afghanistan, qui a entraîné une dissipation des activités de développement et, par conséquent, de ses effets possibles » comme étant la plus urgente des quatre préoccupations principales de l’Autorité transitoire afghane (ATA)2. En se penchant sur la situation à laquelle la FIAS a dû faire face en Afghanistan en 2004, on comprend mieux les inquiétudes de M. Karzai. La campagne de la FIAS L a FIAS a été mise sur pied conformément aux accords de Bonn conclus en décembre 2001 dans le but d’aider l’ATA à étendre et à exercer son autorité partout au pays, en commençant par Kaboul, la capitale. Au milieu de 2003, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a assumé la direction de la FIAS lors de sa première mission « à l’extérieur de l’Europe »3. Lorsque le Gén Hillier a pris le commandement, en février 2004, il est devenu le deuxième commandant de la FIAS de l’OTAN4. Au début de 2004, la FIAS était encore concentrée à Kaboul et sa principale composante de combat était la Brigade multinationale de Kaboul (BMK). Avant que le Gén Hillier prenne le commandement, on avait évalué que la situation à Kaboul s’était stabilisée et que « le moment était bien choisi pour dépasser le stade des tactiques et appliquer un plan de campagne à long terme répondant aux besoins du peuple » 5. Vol. 11, N o. 1, hiver 2010 • Revue militaire canadienne 53 opinions La campagne américaine anti-al-Qaïda U ne campagne dirigée par les États-Unis était en cours. Son but était de démanteler les institutions terroristes d’alQuaïda, comme les sites d’entraînement et les bases des leaders de l’Afghanistan que le gouvernement taliban renversé avait acceptés, tolérés ou pris comme alliés, dans une certaine mesure. En fait, cette campagne avait débuté avant la Conférence de Bonn, peu après les attaques du 11 septembre. Elle a contribué à la chute rapide du régime taliban officiel, qui gouvernait une grande partie de l’Afghanistan. Al‑Quaïda a ensuite été forcé d’agir clandestinement ou même de se retirer dans les régions tribales avoisinantes du Pakistan6. Le Canada a participé à l’opération Enduring Freedom7 en envoyant un bataillon d’infanterie dans la zone d’opérations située près de Kandahar, en 2002-2003. Pendant que le Gén Hillier commandait la FIAS, les forces de coalition déployées dans le théâtre des opérations en Afghanistan, le Commandement des forces multinationales –Afghanistan (CFMA), comptaient environ 20 000 militaires, y compris les membres des contingents envoyés par les pays qui contribuaient à la FIAS, tel que le Canada. MDN, photo SU2006-0523-41, pr ise par le Caporal-chef Jill Cooper Le bureau de la coopération militaire pour l’Afghanistan a été créé pour répondre au besoin d’établir une coopération entre la FIAS, le CFM-A, diverses forces spéciales et un large éventail d’éléments armés afghans dirigés par différentes autorités. développement de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en coordination avec le gouvernement »9. Le chef de la MANUA a été nommé Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG). Pour de nombreuses missions, la coordination des activités humanitaires de l’ONU était assurée sous les auspices du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH). Au lieu de cela, en Afghanistan, le RSSG, qui avait souvent été chargé de la supervision de la police militaire et même de la police civile, était responsable de la coordination du volet humanitaire. En 2004, 27 organismes de l’ONU souhaitaient assurer une présence en Afghanistan. La plupart étaient d’importants intervenants, comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), dont les budgets à l’échelle mondiale pouvaient se calculer en centaines de millions, voire en milliards de dollars. Pendant ce temps, jusqu’à des milliers d’organisations non gouvernementales (ONG) pouvaient être à l’œuvre en Afghanistan, allant d’importantes organisations comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), une organisation qui a laissé sa trace partout au pays et qui a assuré une présence « historique » continue depuis 1979, lors de l’invasion soviétique, aux petites ONG composées de quelques personnes seulement. Leurs fonctions variaient dans la même mesure, de la livraison de fournitures de secours immédiat au développement à long terme. Certaines ONG avaient également la capacité de fournir l’aide humanitaire de nature générale alors que d’autres offraient plutôt de l’aide assez spécialisée/ technique, comme celles qui participaient à l’élimination des mines et des munitions non explosées. Le besoin d’assurer la coordination s’est accru lorsque les ONG ont elles‑mêmes créé plusieurs organismes de coordination. Par exemple, le conseil de coordination des ONG en Afghanistan comptait plus de 200 membres en 200310. La même année, le Conseil de coordination des secours à l’Afghanistan (ACBAR) comptait encore plus de membres11. Le fait que des donateurs importants ne jouaient de rôle officiel dans aucune activité, comme le Japon, qui a offert des milliards de yen, compliquait davantage la situation. T En 2004, l’ATA de Karzai a dû à court terme organiser une élection et à plus long terme tenter d’accroître son autorité ou celle du gouvernement afghan qui allait bientôt être élu pour diriger un État qui, même avant l’invasion soviétique, devait composer avec un système de gouvernance très décentralisé aux régions. Au fur et à mesure que le projet se concrétisait, l’ATA devait mener sa propre campagne pour étendre sa gouvernance. La Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a été mise en place, un peu comme la FIAS, pour seconder l’ATA. Cependant, son mandat était d’appuyer le processus de reconstruction et de réconciliation nationale, comme le précisent les accords de Bonn. Un des principaux éléments du mandat de la MANUA était de « gérer toutes les activités humanitaires de secours, de restauration, de reconstruction et de À ce stade, le Gén Hillier est intervenu pour offrir du « soutien ». En effet, il a formé une équipe de planification capable de transposer les priorités de l’ATA dans un cadre rassemblant la myriade d’objectifs des intervenants présents en nombre extrêmement élevé. L’aide ainsi apportée aux Afghans a permis d’établir des lignes d’orientation stratégiques relatives à la sécurité, à la gouvernance, à la primauté du droit, au développement du capital humain et social ainsi que des objectifs liés à la reconstruction de l’économie et des infrastructures nationales. Ces lignes d’orientation faisaient partie du cadre de gestion de l’investissement12. Secours, restauration, reconstruction et développement outefois, le besoin d’établir une coordination entre les très, très nombreux organismes qui tentaient d’aider l’Afghanistan à se remettre de la guerre était particulièrement évident. Un commentateur a comparé la tentative de diriger « la surabondance d’acteurs quasi indépendants » à celle de « rassembler des chats en un troupeau »8. 54 Revue militaire canadienne • Vol. 11, N o. 1, hiver 2010 opinions ONG Donateurs ÉTAT FINAL Cadre de gestion de l’information (ancienne «méthode structurée pour le développement haronise de l’Afghanistan») Mesures Sécurité à court terme à moyen terme objectif à long terme objectif objectif état final projet 1 projet 2 projet 3 L’Afghanistan aujourd’hui Forecasts Gouvernance de projet 4 la République islamiste état de droit Création d’un capital Social et humain Économie nationale et Infrastructure Physique objectif objectif objectif état final objectif objectif objectif état final objectif objectif objectif état final objectif objectif objectif état final 2005 2006 2007 2008 2009 20XX Un État légitime qui foctionne bien assure la prospérité et la sécurité à ses citoyens et contribue à la stabilité régionale et mondiale. Figure 1 : Processus de développement harmonisé de la FIAS ou cadre de gestion de l’investissement 13 L’importance de la persuasion L e Gén Hillier a dû utiliser la « persuasion » pour convaincre l’ATA et, par la suite, le RSSG et la MANUA de l’utilité du processus de développement harmonisé de la FIAS 14. Apparemment, il a réussi, car « les concepts et les principes du cadre de gestion ont généralement reçu un accueil favorable » 15. L’équipe de planification de la FIAS a ensuite aidé l’ATA à intégrer cette information dans les programmes de priorités nationales. La fonction unificatrice de ces programmes était d’assurer que toute l’aide apportée par les donateurs passe par le processus budgétaire national de l’Afghanistan, accroissant ainsi les capacités des institutions nationales de façon systémique et cohérente. Un concept a ensuite été élaboré à partir de ces tâches. Le livre Creating a National Economy: The Path to Security and Stability in Afghanistan présente clairement la vision stratégique qui a servi de précurseur à la stratégie américaine désignée sous le vocable d’Afghanistan National Development Strategy. Le Gén Hillier a dû « vendre » ce concept au « troupeau de chats », entre autres. La figure 2 montre certaines personnes et organisations que le Gén Hillier a dû persuader de partager la vision stratégique élaborée dans le cadre de gestion de l’investissement. Cette figure illustre les trois principaux groupes qui ont dû être « persuadés », c’est‑à‑dire le gouvernement afghan, à ce moment‑là l’ATA, les militaires afghans et ceux des forces coalisées, ainsi que la communauté internationale, qui comprenait non seulement le RSSG et la MANUA, mais d’autres importantes organisations, comme la Banque mondiale. Les ambassadeurs mentionnés dans les lignes d’orientation de la communauté internationale (Figure 2) ne comprennent pas tous les membres de ce que le Gén Hiller appelait le « groupe d’action sur la politique »17. Les seigneurs de guerre étaient vraisemblablement impliqués dans le groupe des militaires et celui de l’ATA, ce qui pourrait illustrer que même si l’organigramme comporte des liens clairement établis à l’intérieur des lignes d’orientation stratégiques, les véritables liens et accointances ont pu, à l’occasion, déborder de ces cadres18. Hillier et Coombs ont nommé « l’annonce du projet » le processus visant à établir le consensus quant à la vision stratégique présentée dans le livre Creating a National Economy. Pour établir la stratégie, on devait obtenir un consensus entre tous les intervenants, en particulier les Afghans, ainsi que les organisations et les pays représentés par le groupe d’action sur la politique. « Il était indispensable d’intéresser et de faire participer tous les organismes19. » Le Gén Hillier a personnellement mis en pratique les éléments du leadership, y compris la persuasion, avec l’ATA, le groupe d’action sur la politique, le CFM-A et les ONG. Conclusion L e Gén Hillier a persuadé de nombreuses personnes d’accepter et de mettre en œuvre le plan global qui a permis au gouvernement afghan du temps, l’ATA, et son successeur d’assurer le pouvoir. Il a ainsi permis aux Afghans d’exercer leur influence dans le cadre du développement de la vision stratégique de leur propre pays et de prendre part au processus. Le Gén Hillier n’aurait jamais pu « commander » l’acceptation de ce qui était essentiellement une stratégie afghane, même si elle avait été élaborée par les planificateurs de la FIAS. Il a dû utiliser un élément du leadership attribué à Slim, à savoir la « persuasion ». L’application de l’art opérationnel dans le contexte de l’après‑guerre en Afghanistan n’invitait pas au « désordre » Vol. 11, N o. 1, hiver 2010 • Revue militaire canadienne 55 opinions ATA Finances Du chef d’état major (CEM) au président Conseiller national pour la sécurité Ministres choisis du Cabinet Communauté internationale Concept stratégique Vision partagée AMBASSADEUR DU ROYAUME UNI AMBASSADEUR DU CANADA AMBASSADEUR DES ÉTAT UNIS MANUA AMBASSADEUR DE L’UNION EUROPÉENNE BANQUE MONDIALE ET BANQUE ASIATIQUE DE DÉVELOPPEMENT MILITAIRES CFM-A Équipe provinciale de reconstruction Armée nationale afghane ÉTAT FINAL ÉTAT INITIAL Figure 2 : Les défis posés par la création de la communauté d’intention 16 suggéré par le professeur English dans son essai classique sur le niveau de commandement opérationnel 20. L’exemple du Gén Hillier suggère plutôt que tout « désordre » dans des scénarios comme celui-ci découle d’un manque de « persuasion » nécessaire pour que les gens adhèrent à un cadre stratégique global essentiel à la planification d’une campagne. Le Major (ret) Roy Thomas, MSC, CD, M.A., un Casque bleu très expérimenté de l’Armée de terre canadienne, a participé à des missions de l’ONU dans sept différentes régions, y compris à des missions au Moyen‑Orient au sein de la Force des Nations Unies chargées d’observer le désengagement [FNUOD] et de l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve [ONUST] dans le cadre desquelles il a été enlevé dans le Sud du Liban. NOTES 1. 2. 3. 4. 5. BAILLERGEON, Frederick. « Slim of Burma », Armchair General, vol. IV, no 4 (août/septembre 2007), encadré, p. 58. Cet article fait référence aux éléments et aux qualités du leadership mentionné par Slim à l’occasion d’un discours sur l’après‑guerre présenté aux étudiants de Camberley. COOMBS, Howard G. et le Général Rick Hillier. « Command and Control during Peace Support Operations: Creating Common Intent in Afghanistan », dans le manuel d’Allan English (ed.), The Operational Art: Canadian Perspectives, Leadership and Command, Kingston, Presses de l’ACD, 2006, chapitre 8, p. 177. Les trois autres préoccupations exprimées par le président Karzai étaient évidemment les menaces externes et internes envers la nouvelle armée « nationale » afghane, le manque de ressources humaines et tout ce que cela peut occasionner ainsi que le besoin de faire connaître les conséquences positives de la gouvernance par l’ATA. GROSS STEIN, Janice, et Eugene Lang. The Unexpected War: Canada in Kandahar, Toronto, Viking Canada, 2007. Ce livre explique comment l’OTAN a commencé à assumer la direction de la FIAS. Avant d’être dirigée par l’OTAN, la FIAS était commandée par un général de n’importe quel allié des États‑Unis qui acceptait de la diriger pour une période donnée. COOMBS, Howard G. et le Général Rick Hillier. « La planification de la réussite : Les problèmes posés par l’application de l’art opérationnel en Afghanistan après le conflit », Revue militaire 56 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. canadienne, vol. 6, no 3 (automne 2005), p. 8. PIGGOTT, Peter. Canada in Afghanistan, Toronto, Dundurn Press, 2007. Ce livre présente une mise en contexte du Pakistan au moment où le Gén Hillier était commandant de la FIAS. En plus de l’Afghanistan, l’opération Enduring Freedom a également établi des théâtres d’opérations aux Philippines et au large de la Corne de l’Afrique, qui relevaient du Commandement central de l'armée américaine (CENTCOM) en Floride, où le Canada avait établi une équipe de liaison. LAROSE EDWARDS, Paul. « NATO and Militaries as Trusted Partners in Civil-Military Interaction », The Pearson Papers, Ottawa, Pearson Peacekeeping Centre, vol. 11, no 1 (printemps 2008), p. 25. Sur la même page, LaRose mentionne que « les leaders civils et militaires les plus utiles en campagne sont les habiles bergers de “troupeau de chats”. » Site Web de la MANUA : www.unama-afg.org. La FIAS et les forces de coalition de l’opération Enduring Freedom effectuaient leurs opérations uniquement si elles étaient approuvées par l’ONU. www.ancb.org, en 2007. www.acbr.org, en 2007. THOMAS, Roy. « Origins of the Strategic Advisory Team-Afghanistan », On Track, Ottawa, Institut de la Conférence des associations de la défense, vol. 14, no 1 (printemps 2008), p. 27 à 32. Cet article mentionne comment le Gén Hillier a fourni du personnel de la FIAS pour aider le gouvernement afghan, en particulier le ministre des Finances afghan, Ashraf Ghani, à élaborer une 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. vision stratégique. Figure 1 tirée de l’article de Coombs et Hillier, Revue militaire canadienne, p. 8. Entrevue avec Thomas/Hillier, le 27 février 2007. COOMBS, Howard G. et le Général Rick Hillier, dans le manuel d’Adam English, p. 178. Dans leur article publié dans la Revue militaire canadienne, à la p. 9, les auteurs mentionnent que le président Karzai a demandé que le terme « programme », non « projet », soit utilisé pour faire référence à l’élaboration de politiques qui impliquent une somme d’argent importante. Figure 2 adaptée de l’article de Coombs et Hillier, dans le manuel d’Adam English, p. 183. Entrevue avec Thomas/Hillier, le 27 février 2007. Le Gén Hillier a nommé ce groupe ad hoc formé du RSSG de l’ONU, du représentant spécial de la Commission européenne ainsi que des ambassadeurs du Canada, des États‑Unis, du RoyaumeUni, du Japon et de l’Allemagne, le groupe d’action sur la politique. Entrevue avec Thomas/Hillier, le 27 février 2007. Le général parle de rencontrer un gouverneur provincial et seigneur de guerre pour discuter de la possibilité d’inclure les exigences provinciales dans le programme de priorités nationales pour recevoir l’argent des donateurs. COOMBS et Hillier, Revue militaire canadienne, p. 12. ENGLISH, John. « The Operational Art: Developments in the Theories of War », B.J.C. McKercher (ed) et Michael A. Hennessey (ed.), The Operational Art, Westport, CT, Praeger, 1996, p. 7 à 27. Revue militaire canadienne • Vol. 11, N o. 1, hiver 2010