Ce financier français veut convertir les Indiens au vin, Globalisation

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Ce financier français veut convertir les Indiens au vin, Globalisation
Ce financier français veut convertir les Indiens au vin
Amateur de grands crus, le financier Ravi Viswanathan, installé à Singapour,
est devenu le principal investisseur des vignobles indiens. Son pari : répondre
à la soif de consommation des classes moyennes.
Faire aimer le vin aux Indiens, une boisson aussi exotique que méconnue dans la péninsule, c’est la
mission que s’est assignée Ravi Viswanathan, un financier français devenu l’actionnaire clé des deux
plus grosses exploitations viticoles du pays. En apportant aux Indiens le meilleur de la culture
française, le dirigeant effectue un retour aux sources. Sa marque de fabrique : croiser les cultures tout
en gagnant de l’argent. Ravi Viswanathan, voilà un nom qui fleure bon l’Inde du Sud. Mais l’homme
n’est pas de ceux dont on définit les racines en un mot. Indien ? Français ? Sa famille est de
Pondichéry, l’ancien comptoir français sur la côte est de l’Inde. En 1962, à l’heure du retour du
territoire au sein de la république indienne, ses parents optent pour la France. Le petit Ravi part à l’âge
d’un mois pour l’Hexagone, où il reçoit une éducation 100% française : « Pensez, mon père était prof de
lettres et m’a inculqué la littérature française ! » lance en souriant cet homme de 52 ans, au physique
rond et à la chevelure en bataille. Etre Français n’empêche pas Ravi de garder des liens avec sa terre
d’origine et de comprendre le tamoul.
Français et citoyen du monde
Passeport français mais citoyen du monde : « Mes parents avaient la bougeotte, explique-t-il, c’est
intéressant quand on est petit… » Suivant les affectations de son père dans l’Education nationale, le
jeune garçon vit au Sénégal, en Algérie, à Djibouti, en Martinique. Même les postes en métropole
changent souvent : Sedan, Pontarlier, Dijon, Nevers. Aujourd’hui, Ravi Viswanathan a trouvé une
forme de stabilité puisqu’il vit depuis quinze ans à Singapour. Seul point fixe dans ce maelström : la
maison familiale du Haut-Doubs, où il passe ses vacances et qui abrite l’essentiel de ses 10 000
bouteilles de vin. Avec une sœur à Taiwan et une autre en Malaisie, le cosmopolitisme est une affaire de
famille. Ravi a épousé une Russe, et leur fils, qui entre en sixième, parle couramment français, anglais,
russe et chinois, vie à Singapour oblige… Plutôt brillant, le jeune Ravi fait Polytechnique. « Enfin, j’ai
subi Polytechnique plus que je ne l’ai fait, je n’ai réussi rien d’autre, tempère-t-il avec une modestie
appuyée. Des parents enseignants, cela vous pousse vers ce genre d’études. » Et comme « subir l’X »
n’était pas suffisant, viennent ensuite l’ENSTA et un DEA de mathématiques appliquées à Dauphine.
Banquier et investisseur
Doté de ce solide bagage mais sans vocation particulière d’ingénieur, le jeune homme tombe dans la
banque par accident. « Ça a commencé par un stage de fin d’études chez Indosuez », raconte-t-il.
C’était les années 80, l’époque où les banques découvraient les produits financiers sophistiqués et « avaient une grosse demande pour des gens comprenant un peu les maths ». La suite montre que Ravi
Viswanathan ne comprenait pas trop mal. Il est embauché par Indosuez puis, en 1993, crée à Londres
une joint-venture spécialisée dans les produits dérivés, Crédit Agricole Lazard Financial Products
(CALFP). En 2000, Ravi lance avec son complice Luc Giraud, comme lui codirecteur général de
CALFP, la petite banque d’investissement Nexgen, aujourd’hui intégrée à Natixis. Les deux compères
ne s’arrêtent pas là et, en 2012, créent VisVires Capital, un fonds d’investissement basé à Paris,
Londres et Singapour. « Nous investissons dans les domaines que nous connaissons : les pays
émergents, le luxe, les médias… », détaille l’homme d’affaires. Le groupe est ainsi cofinanceur de la
série « Taxi Brooklyn » sur TF1. VisVires investit pour son compte et pour des tiers, « des particuliers
très aisés et des institutionnels comme des fonds souverains asiatiques », précise Ravi Viswanathan,
qui dit avoir investi 50!millions de dollars pour le moment.
Concilier ses deux passions : la finance et le vin
A côté de la finance, la passion de Ravi Viswanathan, c’est le vin. Les deux ne sont pas incompatibles :
« Dans le groupe, tout le monde connaît bien le vin. Pour entrer chez nous, ça aide ! », sourit le
dirigeant dont l’un des associés est propriétaire de « l’un des plus grands bourgognes », tandis que « la
famille d’un autre est dans le cognac depuis la nuit des temps ». Ravi est donc un grand collectionneur
de vin. Collectionneur ? Le terme le fait bondir : « Je suis amateur, pas collectionneur ! » La différence
est de taille : « J’achète les bouteilles rares pour les boire lors d’une occasion spéciale, pas pour les
stocker. » Toutes les pièces de sa cave ont donc vocation à être bues, y compris les deux bouteilles
rarissimes repêchées dans une épave de la Baltique et pour lesquelles il a payé près de 40 000!euros :
un Veuve Cliquot 1841 et un juglar 1829, « le champagne préféré de Napoléon », ajoute-t-il.
L’Inde sur les traces de la Chine
Le vin, l’investissement, l’Inde : ces trois éléments se conjuguent dans la dernière initiative du
financier. Depuis vingt ans que Ravi Viswanathan et ses amis y investissent, ils se sont aperçus que
l’Inde changeait : « C’était un pays de whisky mais le vin est de plus en plus accepté. » Il n’y a certes
aucune tradition autour de cette boisson en Inde mais « pas de tabou culturel contre lui non plus ; la
consommation festive se développe ». Sa conviction : « Il va se produire en Inde le même phénomène
qu’en Chine il y a vingt ans », c’est-à-dire l’adoption du vin par les classes moyennes. VisVires Capital
s’est donc positionné au cœur de ce nouveau marché. Il y a deux ans, il s’est associé au milliardaire
indien Anil Ambani pour prendre la moitié du capital de Grover Zampa, deuxième- vignoble du pays
avec 1,2!million de bouteilles par an. Surtout, le groupe, toujours avec Ambani, vient de prendre 30%
de Sula, de loin la marque dominante avec 7,2!millions de bouteilles. « Cela nous met dans une position
assez unique, puisque nos deux producteurs représentent 70% du marché domestique », souligne Ravi.
Former les classes moyennes à la dégustation
Administrateur des deux vignobles, il compte leur apporter une aide technique et commerciale, grâce
notamment aux « discussions assez avancées menées avec des professionnels en France ». Une priorité,
la pédagogie : « Les Indiens ont l’habitude de boire avant le repas, c’est le contraire de ce qu’on cherche
avec le vin, qu’on associe aux plats », expose-t-il. Dans sa campagne de promotion, il compte sur « les
jeunes qui sortent de l’université et les femmes qui apprécient vin blanc et champagne ». Le potentiel
est colossal : les ventes de Sula augmentent déjà de 30% par an en moyenne. Plus généralement, Ravi
Viswanathan entend multiplier les investissements autour de la consommation des classes moyennes.
Pas sectaire, il s’intéresse aussi à… l’eau en bouteille.
Patrick de Jacquelot, pour Enjeux Les Echos, à New Delhi