Recueil Dalloz 2003 p. 2167 L`action en rapport contre le conjoint
Transcription
Recueil Dalloz 2003 p. 2167 L`action en rapport contre le conjoint
Recueil Dalloz 2003 p. 2167 L'action en rapport contre le conjoint ne concerne pas les biens propres Philippe Delmotte, Conseiller référendaire à la Cour de cassation La Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est rarement prononcée sur les conditions d'application de l'article L. 621-112 du code de commerce (anciennement article 112 de la loi du 25 janvier 1985). L'occasion lui en est donnée dans la présente affaire. Aux termes du texte précité, « le représentant des créanciers ou l'administrateur peut, en prouvant par tous les moyens que les biens acquis par le conjoint du débiteur l'ont été avec des valeurs fournies par celui-ci, demander que les acquisitions ainsi faites soient réunies à l'actif ». La Chambre commerciale a déjà énoncé que rien n'empêchait, non plus, le liquidateur d'engager une telle action puisque, en vertu de l'article L. 622-4 du code de commerce, celui-ci peut introduire les actions qui relèvent de la compétence du représentant des créanciers (1). Le maintien de cette règle, dans le corps des normes applicables en matière de procédures collectives, est révélateur de la méfiance que le droit de la faillite a toujours manifesté à l'égard du conjoint car l'on a redouté, de façon constante, la fraude consistant à lui transférer secrètement des fonds pour qu'il acquière, en son nom, des biens ainsi soustraits aux poursuites des créanciers de l'exploitant. Cette règle est l'héritière (ou le vestige) de l'antique présomption mucienne (2), présomption intégrée dans l'ancien article 542 du code de commerce lequel prévoyait que, sauf preuve contraire, « les biens acquis pendant le mariage par le conjoint du commerçant étaient présumés avoir été acquis par le commerçant failli ou admis au règlement judiciaire avec des deniers provenant de l'exercice du commerce et devaient être réunis à la masse de son actif ». Cette présomption, qui ne jouait à l'origine qu'au détriment de la femme, a été étendue aux deux époux par un décret de 1955. La loi du 13 juillet 1967 a supprimé la présomption mucienne en renversant la charge de la preuve : si la masse souhaitait faire entrer les biens acquis par le conjoint du débiteur dans l'actif de la liquidation, il lui appartenait de prouver que les biens avaient été achetés avec des valeurs fournies par le débiteur. L'article 112 de la loi du 25 janvier 1985 a repris le principe posé par l'article 56 de la loi de 1967. I. L'action instituée par l'article 112, devenu désormais l'article L. 621-112 du code de commerce, appelée indifféremment « action en rapport » ou « action en réintégration », constitue une action en déclaration de simulation « destinée à faire apparaître que l'époux acquéreur n'est que le prête-nom de son conjoint » (3). Comme telle, la preuve de la simulation peut être faite par tous moyens. Aussi, cette action peut-elle avoir des conséquences redoutables vis-à-vis du conjoint du débiteur. Car, comme le souligne M. le professeur Pétel (4), « si la présomption mucienne n'existe plus en ce qui concerne l'origine des fonds, l'article 112 en maintient néanmoins certains aspects : une fois prouvé que l'acquisition au nom du conjoint a été financée par le débiteur, le conjoint est présumé avoir servi de prête-nom, ce qui justifie la réunion du bien à l'actif du débiteur. Cette présomption correspond à une probabilité ». La preuve par tous moyens peut résulter, notamment, de simples présomptions tirées du fait que le conjoint, au moment de l'acquisition, ne disposait pas de ressources ou de capitaux personnels pour en payer le prix (5). La Chambre commerciale a en outre précisé que l'application des dispositions de l'article 112 de la loi du 25 janvier 1985 n'était pas subordonnée à la condition de paiement intégral du prix des biens acquis (6) : lorsque, par exemple, des époux séparés de biens ont acquis un immeuble, une partie seulement du prix ayant été payée comptant avec les deniers personnels du mari mis ultérieurement en procédure collective, le solde étant financé par un emprunt à long terme. Cette solution ne peut toutefois être absolue si, comme le font remarquer certains auteurs dans leurs commentaires de l'arrêt de 1996 (MM. Sénéchal, Pétel, op. cit.), l'épouse a payé au moins une partie de sa quote-part avec des deniers personnels. M. Michel Storck (7) soutient même qu'en pareille hypothèse, seul un paiement de plus de la moitié du prix d'acquisition par le débiteur en procédure collective permettrait d'ouvrir la voie à une action en réintégration. II. Mais, et c'était la difficulté essentielle de la présente affaire, l'application de l'article 112 suppose qu'il y ait bien eu acquisition d'un bien par le conjoint du débiteur en procédure collective, avec les valeurs fournies par celui-ci (c'était le grief sur lequel reposait la deuxième branche du moyen unique du pourvoi). Le litige se présentait sous un jour original : deux époux, mariés sous le régime de la communauté légale, avaient fait construire, au cours de leur mariage, une maison d'habitation sur le terrain appartenant en propre à l'épouse pour lui avoir été donné par ses parents ; la construction avait été financée au moyen d'un emprunt souscrit par les deux époux. Après la mise en redressement judiciaire de l'époux, convertie en liquidation judiciaire, le liquidateur a assigné l'épouse devant le tribunal de commerce afin de voir réunie à l'actif de la liquidation judiciaire « la maison d'habitation » en application de l'article 112 de la loi du 25 janvier 1985 ; en cours d'instance, l'immeuble, qui faisait l'objet d'une saisie, a été vendu par voie d'adjudication. Le tribunal de commerce a sursis à statuer sur la demande du liquidateur et déclaré le tribunal de grande instance seul compétent pour procéder à la répartition du prix de vente dans le cadre de la procédure d'ordre amiable et pour « connaître de la communauté » des intérêts des époux. Le liquidateur a alors relevé appel de ce jugement en demandant le rapport à l'actif de la liquidation judiciaire du prix d'adjudication. Par arrêt infirmatif du 16 février 2000, la Cour d'appel de Toulouse a accueilli cette demande. Tout en constatant que la maison d'habitation a été construite sur un terrain appartenant en propre à l'épouse et que le bien constitue un bien propre de l'épouse, la cour d'appel relève que la construction a été financée de façon significative à l'aide des deniers du débiteur (désormais en liquidation judiciaire), les ressources de l'épouse n'étant pas suffisantes pour lui permettre tout à la fois d'exécuter sa part des obligations découlant du mariage et de financer la construction de la maison (l'arrêt semble procéder d'une singulière conception des relations patrimoniales entre époux : les ressources de l'épouse devant, selon lui, être affectées par priorité aux dépenses de la vie courante, celles du mari étant prioritairement affectées au remboursement de l'emprunt immobilier !) ; la cour d'appel en déduit qu'il y a bien eu acquisition avec des valeurs fournies par le débiteur au sens de l'article 112..., « quels qu'en soient les mécanismes juridiques constitutifs, ici par voie de donation puis d'accession ». III. La Chambre commerciale n'a pas approuvé ce raisonnement et censure l'arrêt pour violation de la loi au visa des dispositions combinées des articles 552 et 1406 du code civil et L. 621-112 du code de commerce, en énonçant que « l'immeuble bâti sur le terrain propre de l'épouse, pendant la durée du mariage et à l'aide de fonds provenant de la communauté, constituant lui-même un propre, sauf récompense, les dispositions de l'article L. 621-112 du code de commerce n'étaient pas applicables ». La motivation de la cour d'appel se heurtait en effet à plusieurs objections. D'une part, l'immeuble litigieux n'a pas, au sens strict, été acquis par l'épouse avec les fonds du mari ; ce n'est pas le cas du terrain sur lequel la construction a été édifiée puisqu'il a été donné à l'épouse par ses parents ; ensuite, construit sur le terrain qui lui était propre, pendant la durée du mariage, l'immeuble est devenu par le mécanisme de l'accession un bien propre de l'épouse, sauf récompense due à la communauté (8). Cette règle de l'accession trouve un fondement dans l'article 1406 du code civil disposant que « forment des propres, sauf récompense s'il y a lieu, les biens acquis à titre d'accessoires d'un bien propre... ». Le liquidateur n'avait d'ailleurs pas manqué de voir la difficulté liée au mécanisme de l'accession puisque, dans son acte introductif d'instance, il demandait la réunion à l'actif de « la maison d'habitation » et non de l'immeuble... Mais comment détacher la construction du terrain sur lequel elle a été édifiée et dans lequel elle s'est incorporée ? D'autre part, et c'était plus précisément l'objet des première et troisième branches du moyen, comment harmoniser la solution donnée par la cour d'appel avec les règles relatives à la liquidation de la communauté et l'article 1406 du code civil ? Accueillir la demande du liquidateur en ordonnant la réunion à l'actif de la liquidation judiciaire du prix d'adjudication aboutissait nécessairement à faire un compte des reprises et récompenses entre époux ; là encore, l'intention du liquidateur était dénuée de toute équivoque puisque, devant le tribunal, il demandait, à titre subsidiaire, « pour le cas où le bien serait considéré comme bien commun, ... de condamner l'épouse au paiement de la récompense due à son mari ». Or, le jugement de redressement judiciaire n'en étant pas une cause de dissolution, la communauté ne saurait être liquidée, et les droits du débiteur immédiatement exercés. L'ouverture d'une procédure collective contre l'un des époux, avant la dissolution de la communauté, ne permet pas d'anticiper sur des opérations qui ne peuvent résulter que d'une dissolution de la communauté (9). Enfin, la situation posée dans le présent pourvoi était similaire à celle ayant donné lieu à l'arrêt prononcé le 16 avril 1991 par la première Chambre civile de la Cour de cassation (10) au visa de l'article 56 de la loi du 13 juillet 1967 : sur un terrain donné à la femme par ses parents, deux époux, mariés sous le régime de la communauté, avaient fait construire une maison d'habitation aux frais de la communauté ; l'époux ayant été mis en règlement judiciaire, le syndic avait demandé la mise en vente de l'immeuble, sauf à attribuer à l'épouse une somme correspondant à la valeur du terrain, en se prévalant des dispositions de l'article 56 précité. La première Chambre civile a cassé l'arrêt accueillant une telle demande. Elle a rappelé, en premier lieu, que, selon le texte précité, la masse des créanciers ne peut demander que les biens du conjoint d'une personne en liquidation des biens ou en règlement judiciaire soient réunis à l'actif que dans la mesure où il est prouvé qu'ils ont été acquis avec des valeurs fournies par le débiteur. Elle a énoncé, en second lieu, que le terrain appartenant à la femme n'ayant pas été acquis avec des valeurs fournies par le mari, les créanciers de celui-ci, ne pouvaient en demander la réunion à l'actif. Elle en a déduit qu'ils ne pouvaient non plus, par voie de conséquence, demander la réunion à l'actif de la construction qui y a été édifiée et qui s'y trouvait incorporée, tant par application des articles 552 et suivants du code civil qu'en vertu de l'article 1406 du même code ; il leur était seulement loisible de réclamer à la femme le paiement de la créance dont celle-ci pouvait se trouver débitrice à l'égard de son mari si des fonds propres avaient été fournis par lui et, lorsqu'elle serait exigible, de la récompense qu'elle pourrait être tenue de verser à la communauté. La Chambre commerciale a repris en l'espèce la même solution sous l'empire des dispositions de la loi du 25 janvier 1985 désormais codifiée. Le droit des procédures collectives, qualifié fréquemment d'impérialiste, cède ici le pas devant les règles applicables en matière de régimes matrimoniaux ; par ailleurs, l'action en réintégration a été le plus souvent mise en oeuvre à l'occasion de l'acquisition d'un bien par un époux in bonis et marié sous le régime de la séparation de biens. C'est ici un exemple peu banal de ce que le régime communautaire (combiné, il est vrai, avec le mécanisme de l'accession) peut se révéler plus protecteur des intérêts d'un conjoint face aux intérêts dévorants de la procédure collective. Mots clés : REDRESSEMENT ET LIQUIDATION JUDICIAIRES * Actif * Action en rapport * Liquidateur * Construction * Communauté entre époux (1) Cass. com., 23 janv. 1996, Bull. civ. IV, n° 24 ; D. 1999, Somm. p 19, obs. V. Brémond ; JCP 1996, I, 554, n° 15, obs. Pétel ; Defrénois 1996, p. 944, obs. Sénéchal. (2) Ainsi dénommée car ayant été consacrée par la loi Quintus Mucius (Georges Morin, Répertoire Défrénois 1978, p 91) et figurant au Digeste, 24, I, fr 51. (3) En ce sens, Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, par Delebecque et Germain, LGDJ, 16e éd., 2000, n° 3167 ; V. Brémond, op. cit. (4) JCP1996, I, n° 554, spéc. n° 15, obs. Pétel. (5) Il s'agit d'une appréciation souveraine des juges du fond : Cass. com., 23 janv. 1996, préc. Pour une application sous l'empire de la présomption mucienne, Cass. com., 11 mai 1964, JCP 1964, n° 13892 : il s'agissait d'un immeuble acheté moyennant rente viagère que l'épouse, démunie de toutes ressources personnelles, reconnaissait acquitter grâce au loyer perçu d'un locataire, en l'occurrence son mari ! (6) Cass. com., 23 janv. 1996, préc. (7) J.-Cl. Commercial, Fasc. 3170. (8) En ce sens, Cass. 1re civ., 6 juin 1990, Bull. civ. I, n° 134 ; D. 1990, IR p. 158 . (9) En ce sens, Cass. 1re civ., 14 mars 1984, D. 1984, IR p. 476. (10) Bull. civ. I, n° 141 ; D. 1991, IR p. 141 . Recueil Dalloz © Editions Dalloz 2009