Notre conception erronée du bégaiement

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Notre conception erronée du bégaiement
1 Origines de notre conception erronée du bégaiement
NOTRE CONCEPTION ERRONÉE DU BÉGAIEMENT,
ses origines1
JOHN C. HARRISON
Traduit par Richard Parent
Il s’agit d’une version légèrement retouchée de la présentation que John C. Harrison fit à
l’ouverture de la Convention internationale de 2004 pour les Personnes Qui Bégaient à
Freemantle, non loin de Perth, en Australie-Occidentale, de 15 au 20 février 2004.
(Il commence avec une démonstration du bégaiement).
Jadis, j’étais tellement pétrifié lorsque j’avais un moment de silence que j’aurais
voulu mourir plutôt que de me tenir debout ici et d’être silencieux. Je suis heureux de
pouvoir affirmer que ces jours sont depuis longtemps révolus. Je ne connais rien de plus
plaisant et de plus gratifiant que de m’adresser à un auditoire avec l’impression d’avoir
quelque chose d’intéressant à dire.
Le bégaiement auquel vous venez d’assister représente la façon dont j’aurais parlé
devant vous si vous aviez été dans ma classe du secondaire (lycée) et qu’on m’avait
demandé de faire une présentation orale. Mes disfluidités commencèrent à l’âge de trois
ans et mes blocages d’élocution apparurent quelques années plus tard.
Contrairement à ceux qui bégaient la plupart du temps, mon problème était plutôt
situationnel. Pas de problème en parlant avec mes camarades dans la cour d’école ou en
jouant au football. Mais dès que je devais m’adresser à ces mêmes camarades dans la
classe … ou à une personne en autorité …. ou interrompre un étranger sur la rue pour lui
poser une question …. ou aller au marché et demander un panier de bouteilles de lait ….
ou demander un transfert d’autobus … j’avais, presqu’invariablement, des périodes de
blocage sans être capable de parler.
J’ai donc une assez bonne connaissance personnelle du bégaiement. J’ai eu à
composer avec ce problème jusque dans ma trentaine. Et comme membre de la National
Stuttering Association depuis plus de 32 ans2, je me suis activement impliqué dans tous
les aspects intéressant la communauté des PQB3.
1
Cette présentation ne fait pas partie du livre de John présentement (Redefinig Stuttering) mais devrait
l’être dans une prochaine édition. Dans cette traduction, le masculin a été employé pour simplifier le texte ;
il comprend également le féminin.
2
Tous les nombres d’années ont été actualisés à la date de cette traduction en y ajoutant 5 ans.
3
Personnes Qui Bégaient.
2 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Mon implication au sein de la NSA4 me donna la chance de côtoyer un très large
éventail de PQB. En plus d’en avoir été directeur-associé pendant 14 ans, j’ai participé,
pendant plus de 10 ans, aux réunions du chapitre de San Francisco. J’ai aussi été éditeur,
pendant neuf ans, de son mensuel, Letting Go.
J’ai animé des séminaires à travers les États-Unis pour les PQB. J’en ai aussi
facilité au Canada, en Irlande, en Grande-Bretagne et en Australie.
Au cours des 20 dernières années, j’ai énormément échangé sur Internet avec des
milliers de PQB du monde entier. J’ai enregistré un grand nombre d’entrevues. J’ai servi,
par Internet, de mentor à des gens de multiples nationalités. J’ai donné, par téléphone, des
sessions de coaching. Et j’ai accompagné un certain nombre de personnes dans leur
cheminement de vie, certaines pendant une bonne trentaine d’années. Tout cela constitue
une expérience des plus enrichissantes. Cela m’a aussi permit de valider la conclusion à
laquelle j’arrivai il y a presque 40 ans … que pendant toutes ces années où on tentait de
comprendre le bégaiement, nous utilisions comme référence le mauvais paradigme ou
modèle. Nous n’avons pas bien catégorisé ce qu’est le bégaiement.
Combien d’entre vous sont forts en mathématiques ? Très bien ! Voici un casse-tête
pour vous. Les nombres suivants sont dans cet ordre pour une raison particulière. Pouvezvous me dire pourquoi ils sont dans cette séquence ?
8…5…4…9…1…7…6…3...2…0.
Prenez cinq minutes pour y penser et voir si vous pouvez trouver pourquoi.
(Prenez vraiment cinq minutes ! Et ne trichez pas. N’oubliez pas, vous êtes
surveillés.)
Vous avez trouvé ?
Plusieurs d’entre vous pourraient passer une semaine à tenter de résoudre ce cassetête (comme je l’ai fait) sans pour autant trouver la réponse.
Pourquoi ?
Laissez-moi vous poser une question – vous ai-je facilité ou compliqué la tâche ?
Je l’ai compliqué selon vous ? Pourquoi ?
Oh, vous me dites que je vous ai induit en erreur. Je vous ai amenés à penser de
façon mathématique quand je vous ai dit « Combien d’entre vous sont forts en
mathématiques ? » Je vous ai amenés vers un paradigme inadéquat.
N’allons pas plus loin. C’est exactement ce que j’ai fait. Et vous êtes tombés dans le
panneau.
Vous savez ce qu’est un paradigme ? C’est un filtre au travers duquel nous
percevons le monde. Le paradigme nous dit ce qui est important, et donc digne
d’attention … et ce qui ne l’est pas. C’est ainsi que nous façonnons notre réalité.
4
National Stuttering Association.
3 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Par exemple, parlant de gouvernement, la démocratie serait un genre de paradigme
politique. Une dictature en serait un autre. Le communisme un troisième. Il y a aussi la
monarchie, l’oligarchie, le socialisme et ainsi de suite. Chaque paradigme façonnera votre
conception de la façon de gouverner un pays. Par conséquent, une foule rassemblée à un
endroit public serait perçue par le chef d’état de façon fort différente dépendant du filtre
façonnant sa perception (démocratie, dictature ou tout autre genre de paradigme politique
(ou filtre)).
Pour résoudre le problème des chiffres, vous devez l’aborder selon un paradigme
tout à fait différent. Il vous faut oublier l’idée qu’il s’agisse d’un casse-tête numérique et
réfléchir à l’extérieur de ce cadre.
Si vous n’avez toujours pas trouvé la solution, allez directement à la fin de cet
article pour la connaître.
Alors, que conclure de tout cela ? Nous pouvons en conclure qu’à moins d’utiliser
le paradigme adéquat, il vous sera impossible de résoudre le problème. C’est précisément
ce qui s’est produit avec le bégaiement depuis les tout premiers balbutiements de la
science de l’orthophonie il y a plus de 85 ans.
Permettez-moi de vous mettre en contexte. Les débuts de l’orthophonie5 sont
attribués à Carl Seashore qui, dans les années 1920, dirigeait le Département de
psychologie en plus d’être doyen du Collège universitaire de l’Université de l’Iowa.
Bien qu’un certain intérêt pour le processus de la parole et de l’ouïe se développait
alors dans un certain nombre d’universités, c’est vraiment Seashore qui donna forme à
cette nouvelle discipline.
Je trouve particulièrement intéressante l’étape suivante. Initialement, la pathologie
de la parole n’était pas uniquement concentrée sur la parole. On la concevait plutôt
comme une spécialité interdisciplinaire qui se concentrait sur l’étude scientifique de la
communication humaine. Et écoutez bien ce que cela incluait – psychologie, parole,
psychiatrie, Oto-rhino-laryngologie, pédiatrie et le développement de l’enfant. En
somme, une discipline qui s’intéressait à la personne toute entière.
Puis arriva Lee Travis. Au début des années 1920, Lee Travis était un étudiant
brillant à l’Université de l’Iowa. Seashore reconnut le potentiel de cet étudiant et
concevra, en partie, la nouvelle spécialité de la pathologie de la parole autour du talent de
Travis. En 1924, Travis devient une des premières personnes à recevoir un doctorat basé
sur des études relatives à cette nouvelle discipline.
Travis demeura à l’Université de l’Iowa et dirigea le programme pendant les années
1930, période durant laquelle plusieurs des leaders de cette discipline graduèrent.
Vers la fin des années 1930, il quitta l’Iowa pour devenir professeur à l’Université
de la Californie du Sud. Lorsque Travis quitta l’Iowa, Wendell Johnson, un de ses
meilleurs étudiants, prit la direction du programme.
5
Speech pathology
4 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Johnson était un tout autre oiseau. Alors que Travis était essentiellement un
chercheur scientifique, Johnson s’attelait à développer des programmes thérapeutiques. Il
s’était déjà fait une réputation enviable en sémantique générale et sa théorie sur le
diagnostic allait rapidement devenir la norme dominante relative au développement du
bégaiement. Johnson avançait, en effet, que le bégaiement était causé par
l’incompréhension des parents vis-à-vis du langage de leur enfant. Ils confondaient les
dysfonctions normales de l’enfant avec le bégaiement. Ce faisant, ils exigeaient de
l’enfant un niveau de compétence impossible à atteindre. Les réactions subséquentes de
l’enfant et de ses parents aggravèrent le problème de l’élocution de l’enfant.
Jusqu’au début des années 1940, la conception qu’avaient les gens du bégaiement
fut influencée par quatre idées erronées, pourtant largement acceptées. Premièrement, il y
avait la croyance selon laquelle toutes les variantes du bégaiement constituaient en fait les
manifestations d’un seul et même problème. Cette idée remontait à Lee Travis. (Écoutez)
cette citation d’un chapitre sur la façon de composer avec le bégaiement écrit par Travis
en 1926 pour un livre intitulé The Classroom Teacher.
« Essentiellement », écrivait Travis, bégaiement (stuttering) et cafouillage
(stammering)6 étaient une seule et même chose ; en pratique, il y a une légère
différence. Les deux sont occasionnés par les mêmes causes et constituent un
dysfonctionnement du même mécanisme ; mais il existe une petite différence
dans ce dysfonctionnement.
« On peut considérer », continua Travis, « le bégaiement comme l’incapacité à
combiner les syllabes et les mots en des mots et des phrases, résultant
généralement en une répétition du son ou du mot occasionnant cette difficulté. Il
s’agit, dans la majorité des cas, d’une forme naissante du cafouillage.
« Le cafouillage, par contre, est un blocage complet dans le flot de la parole. À
certains moments, l’individu semble complètement incapable de produire le son
voulu. Il se retrouve alors obligé d’abandonner complètement ses tentatives
pour parler. »
Travis continue. « Plus souvent qu’autrement, la même personne bégaiera à un
moment donné alors qu’elle cafouillera à un autre. Dans cette discussion,
bégaiement inclura ces deux termes. »
Croire que le bégaiement était une variation d’un même phénomène constituait la
première erreur. Cela devait engendrer, avec le temps, encore plus de confusion.
La seconde venait de Wendell Johnson. Sa théorie diagnostic7, tel que déjà
mentionné, se concentrait sur la réaction des parents face à l’élocution de leur enfant.
Selon Johnson, là résidait la cause du bégaiement. Point à la ligne. Fin de la discussion.
Hey bien, il était dans l’erreur. Il n’avait qu’une PARTIE de la réponse. Hélas, les
gens arrêtèrent alors de chercher d’autres facteurs contributifs.
6
Alors que les nord-américains utilisent le terme stuttering pour désigner le bégaiement, les Britanniques,
eux, utilisent stammering. Bien que, pour moi – le traducteur – ces deux termes désignent un seul et même
phénomène, stammering se traduit ici par cafouillage et diffère, du moins selon Travis, de stuttering.
7
En fait, elle est dite « diagnosogenic » que je n’ai pas réussi à traduire en français.
5 Origines de notre conception erronée du bégaiement
La troisième fausse croyance découle de ce que plusieurs des étudiants de Johnson à
l’Université de l’Iowa cherchaient un emploi dans le réseau scolaire. Que recherchent les
enseignants, les parents et les institutions d’enseignement ? Ils recherchent des réponses
rapides et efficaces. Si Jean ne peut lire, apprenons-lui à lire. Si Jean a des difficultés en
mathématiques, enseignons-lui les mathématiques. Et, en appliquant la même logique, si
Jean ne peut arriver à s’exprimer, alors enseignons-lui à parler adéquatement.
Cette attitude supposait qu’on pouvait travailler sur le bégaiement avec une
approche simple, directe, similaire à l’approche utilisée pour résoudre un problème
d’articulation. Ici encore, cela ne motivait pas les gens à regarder la personne entière.
La quatrième erreur est cette croyance voulant qu’un observateur puisse
diagnostiquer avec certitude si quelqu’un bégaie ou non. La majorité des recherches sur
le bégaiement impliquent des observateurs tiers. J’ai connu des gens qui m’ont dit : « Je
sais que vous bégayez car je vous ai vu hésiter sur quelques mots. » En vérité, quelqu’un
peut être passablement disfluide et pourtant être très détendu, nullement inquiet de son
élocution et sans jamais connaître de blocage. Une autre personne peut donner
l’impression d’être complètement fluide ; mais elle fait beaucoup d’évitement et de
substitutions tout en craignant constamment de bloquer8.
On avait oublié l’idée initiale que composer avec le bégaiement exige une approche
interdisciplinaire afin de travailler sur la personne entière – ses émotions, perceptions,
croyances, intentions et sa programmation physiologique tout autant que les actions
physiques qu’elle fait en parlant.
Ce que je dis, en fait, c’est qu’il y a presque cent ans, lorsque des personnes
tentèrent de définir le bégaiement et la façon de le traiter, ils ont fait du mieux qu’ils
pouvaient à cette époque.
Mais ils se sont trompés.
Et ces croyances erronées se perpétuèrent jusqu’à nos jours et furent acceptées
comme vérité.
Les premiers enseignants de la pathologie de la parole ont donc transmis à leurs
élèves un faux paradigme du bégaiement. Certains de ces étudiants sont devenus euxmêmes professeurs. Eux aussi, à leur tour, transmirent le même paradigme erroné à leurs
étudiants. Et il en fut ainsi de générations en générations.
Mais ce genre de choses s’est aussi produit dans d’autres domaines. Je me souviens
de cette croyance répandue à l’effet que les ulcères d’estomac étaient causés par des
soucis et un estomac trop acide. Puis, en 1982, le Dr. Barry Marshall, ici même à Perth,
découvrit que la plupart des ulcères d’estomac étaient causés par une bactérie, H. piloroi,
et qu’on pouvait les traiter par antibiotiques.
Jusqu’alors, le traitement des ulcères d’estomac n’était pas vraiment efficace car les
médecins le concevaient en référence à un paradigme inadéquat. La même chose se
produisit pour le bégaiement.
8
On parle ici, vous l’aurez deviné, d’évitements et de substitutions de mots (ou de sons) craints pour des
mots/sons plus faciles, sur lesquels la personne ne bloque pas.
6 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Mais pourquoi personne n’a remis en doute ce modèle du bégaiement ?
Premièrement, le problème était très complexe et, par conséquent, insaisissable, difficile à
cerner, à définir. Les facteurs contributifs étaient tout ce qui se cachait sous la surface.
Deuxièmement, les chances de se découvrirent soi-même qui foisonnent de nos
jours n’existaient pas encore dans les années 1940 et 1950. Troisièmement, nous, les
occidentaux, n’avions pas l’habitude de penser de manière holistique9. Les études
interdisciplinaires n’étaient pas très populaires lors de mes années d’études. Chaque
discipline occupait une place qui lui était propre, séparée des autres.
Enfin, il y avait bien peu de chances pour que des étudiants remettent en question
l’ordre établi. D’une part, ils ne possédaient pas les connaissances pour le faire,
spécialement s’ils ne bégayaient pas eux-mêmes. Auriez-VOUS remis en question les
informations transmises dans VOS livres de classe ? C’est ainsi que furent transmises
comme vérité, d’une génération d’enseignants à une autre, des croyances erronées vieilles
de 85 ans. Il était donc extrêmement difficile pour quiconque de faire bande à part, de
penser autrement.
Mais les choses commencèrent à évoluer grâce à des développements majeurs. Le
premier fut l’évolution de la pensée holistique, grâce à la propagation, vers l’Ouest,
d’idées nées en Asie ainsi qu’à l’évolution des nouvelles technologies informatiques.
La seconde fut le mouvement de croissance personnelle lequel, au début des années
1960, prenait racine en Californie.
Et la troisième, à la fin des années 1980, fut l’arrivée d’Internet.
Je débarquai à San Francisco, en provenance de New York, en 1961, une des
meilleures décisions de ma vie. Non seulement la Californie du Nord était-elle alors la
Mecque pour ceux qui recherchaient un style de vie différent, mais c’était aussi le cœur
de l’industrie technologique bourgeonnante de Silicon Valley. En tant que rédacteur
publicitaire, je fus exposé aux divers systèmes de pensées en concevant du matériel
promotionnel pour des entreprises de haute technologie de la péninsule de San Francisco.
J’ai lu sur ces sujets ; et bien que je ne comprenais rien à plusieurs d’entre eux, je
pouvais généralement saisir l’essence même de leurs idées. Je compris l’interaction intersystèmes ainsi que comment et pourquoi on avait accès à l’intelligence informatique. J’ai
aussi compris comment, en combinant les bons éléments ensemble, vous pouviez
découvrir quelque chose de totalement nouveau… quelque chose de plus grand que la
somme de ses parties.
Le deuxième développement majeur, comme je l’ai déjà mentionné, fut ce
mouvement de croissance personnelle qui commençait en Californie à l’époque de mon
arrivée sur la côte Ouest. Deux ans de psychanalyse ne me furent pas très utiles ; tout le
contraire en participant à des groupes de découverte de soi.
9
Désigne une méthode fondée sur la notion d'une "globalité de l'être" : physique, émotionnel, mental et
spirituel (voir holisme).
7 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Je m’y impliquai …. non pas à cause de mon élocution qui était tout de même
supportable …. mais parce que j’étais maintenant responsable de ma personne, à 4 800
kilomètres de distance de chez-moi, sans trop savoir qui j’étais. Cette séparation d’avec
les gens qui m’avaient défini me rendait très anxieux ; et j’étais, à ce moment-là,
incapable de me définir moi-même. J’avais 26 ans et j’étais totalement désemparé.
Je devais faire des découvertes pour le moins instructives dans ces groupes. Je
découvris que j’étais une personne très émotionnelle qui avait, il y a bien longtemps,
enterré ses émotions. Et ce n’était pas tout.
J’avais un sérieux problème d’affirmation. Je craignais de dire ce que je pensais et
ce que je voulais. J’étais dépendant du besoin d’être approuvé par les autres. Je voulais
que tout le monde m’aime ; j’étais dévasté à l’idée que quelqu’un n’approuvait pas ce que
j’avais fait. L’autorité m’impressionnait grandement. Si je disais « rouge » alors que
quelqu’un d’autre disait « bleu », j’assumais automatiquement que c’était bleu. Je n’avais
aucune confiance en mon intuition. Je n’avais que très peu de confiance en moi et
d’estime de soi. Et j’étais un perfectionniste qui craignait tout le temps de faire quelque
chose de travers. Bref, j’étais tellement préoccupé à plaire aux autres que, je ne sais trop
comment, mon moi réel s’était perdu.
Comme dérivé de trois années d’intenses interactions avec d’autres dans un
environnement de groupe, je devais réaliser que mes blocages n’étaient pas qu’un
problème d’élocution. Oh, bien sûr, ils impliquaient la parole, mais bien que je sache
maintenant ce que je faisais en bloquant, cette connaissance ne constituait qu’une partie
du casse-tête. Mes blocages étaient SURTOUT reliés à mes difficultés à vouloir
RESSENTIR CE QUE C’ÉTAIT que de dire aux autres CE QUE JE PENSAIS
VRAIMENT. Et c’était ça qui occasionnait mes blocages d’élocution.
Je commençai à comprendre que mon bégaiement n’était pas un problème à une
seule composante, mais une constellation de problèmes en relation dynamique.
Un peu comme cette voiture Lego. J’ai acheté cette voiture à un Toys "R" Us à San
Francisco. Mais si vous allez chez Toys "R" Us et cherchez la voiture, vous savez quoi ?
Vous ne la trouverez pas. Vous ne trouverez pas cette voiture. Ce que vous trouverez ce
sera une boite avec ses pièces. À vous d’assembler les pièces ensemble et de la bonne
façon afin de monter la voiture.
C’est ce que j’ai découvert sur la nature des blocages d’élocution. Les actions
physiques liées au blocage ne sont pas causées par un seul élément. C’est plutôt
l’interaction de ceux-ci. Cela met en œuvre la façon dont ils interagissent entre eux.
C’est pourquoi les chercheurs qui recherchaient la cause du bégaiement n’ont pu
trouver la réponse. Il n’y a rien d’exotique à propos des composantes de ce système. Ce
qui l’est c’est la façon dont les composantes se sont rassemblées.
Bon, quelles sont donc ces composantes ?
8 Origines de notre conception erronée du bégaiement
L’HEXAGONE DU BÉGAIEMENT10
Réactions
physiologiques
Actions physiques
Intentions
Émotions
Croyances
Perceptions
On comprendra mieux le bégaiement en le voyant comme un système mettant en
œuvre la personne entière – un système interactif composé d’au moins six composantes
essentielles : actions physiques, émotions, perceptions, croyances, intentions et les
réactions physiologiques.
Un tel système pend la forme d’un hexagone, l’Hexagone du Bégaiement – dont
chaque intersection est connectée à et influence toutes les autres. C’est cette interaction
dynamique de tous les instants entre ces six composantes qui maintient l’équilibre
homéostatique11 de ce système.
Vous comprendrez mieux si je vous parle de l’effet Hawthorne12. Quelqu’un dans la
salle a une idée de ce dont il s’agit ?
Pendant de nombreuses années avant la subdivision du géant AT&T, la Compagnie
Western Electric était l’équipementier de toutes les compagnies de téléphone du système
Bell. Pendant les années 1920, l’usine de Western Electric à Hawthorne, dans l’Illinois,
employait une petite armée de plus de 29 000 hommes et femmes à la manufacture de
téléphones, de terminaux et autres équipements téléphoniques.
Au milieu des années 1920, l’usine entreprit une série d’études sur les conditions de
travail pouvant influencer le moral et la productivité des travailleurs. Ils se sont dits :
« Hey, nous produisons tellement d’équipement dans cette usine que même si on
10
Pour lire l’article complet sur l’Hexagone, Développer un nouveau paradigme pour le bégaiement :
http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/hexagonfrench.pdf
11
Relatif à l'homéostasie (tendance des êtres vivants à maintenir constants et en équilibre leur milieu
interne et leurs paramètres physiologiques.
12
Pour lire l’article au complet :
http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/hawthornefrench.pdf
9 Origines de notre conception erronée du bégaiement
augmente la production de 1%, cela pourrait représenter un retour intéressant. Alors,
voyons si nous pouvons trouver des moyens d’augmenter la productivité. »
La compagnie se demandait si on pouvait y arriver en modifiant l’éclairage, les
horaires des pauses et autres conditions de travail.
Une des premières expériences impliquait une équipe de six femmes sur la ligne de
montage des inducteurs. Ces volontaires furent retirées de la ligne de production afin de
les isoler dans une pièce plus petite où on pouvait manipuler divers éléments de leur
environnement de travail tels que l’éclairage, la fréquence des pauses.
On commença par regarder si la variation de l’intensité lumineuse avait un impact
positif sur la production. Débutant avec la même intensité que sur la ligne de production,
ils l’augmentèrent petit à petit.
La production augmenta.
Agréablement surpris des résultats, ils augmentèrent encore l’intensité de
l’éclairage.
Que croyez-vous qu’il arriva ? La production avait-elle augmentée ?
Vous avez raison. La production augmenta encore.
Confiants d’être sur une bonne piste, ils continuèrent d’augmenter l’éclairage un
peu à la fois jusqu’à atteindre un niveau bien plus élevé que le niveau normal. À chaque
augmentation, la production de ces six femmes continua d’augmenter.
C’est alors que les chercheurs décidèrent de valider leur hypothèse à l’effet qu’un
meilleur éclairage se traduisait par une productivité accrue. Ils rétablirent donc l’éclairage
au niveau de départ et la diminuèrent lentement.
Que s’est-il passé, selon vous ? La production continua à augmenter.
Était-ce un hasard ? À la fois décontenancés et intrigués, les chercheurs réduisirent
encore l’éclairage. Hey oui ! La production augmenta toujours. Ils diminuèrent l’éclairage
progressivement jusqu'à ce que les travailleuses aient un éclairage très faible. Malgré
chaque réduction du niveau d’éclairage, la production ne cessa d’augmenter. Puis on
amena l’éclairage à un niveau où les travailleuses pouvaient à peine voir ce qu’elles
faisaient. C’est alors que leur production commença à se stabiliser.
Que se passait-il selon vous ?
Il était clair que le niveau d’éclairage à lui seul, ou tout autre facteur
environnemental, n’avait pas d’effet sur la productivité de ces six femmes. Bien que ces
changements de l’environnement de travail aient eu des effets moins importants, le fait de
regrouper ces travailleuses leur permit de se fusionner en un groupe homogène, un
système social. C’était un facteur auquel les chercheurs n’avaient aucunement pensé
auparavant.
Avant le début de l’étude, ces travailleuses n’étaient que des numéros de la chaine
de montage, n’ayant aucun sentiment d’importance. Elles n’avaient que très peu de
rapports personnels les unes avec les autres. Leur relation avec le patron en était une de
confrontation. Il y avait peu de responsabilité personnelle face à la qualité du produit.
10 Origines de notre conception erronée du bégaiement
D’autres déterminaient les standards et elles n’avaient qu’à suivre les instructions. Il n’y
avait que très peu de place à la fierté dans ce qu’elles faisaient.
C’était, comme on le dit souvent, « juste une job ».
Mais tout cela changea lorsqu’on les retira de la chaine de montage pour leur
donner leur propre environnement de travail. Dès le début, elles se réjouirent de
l’attention que l’équipe de chercheurs leur accorda. Chaque femme n’était plus seulement
qu’un visage impersonnel de la ligne de montage. Elle était maintenant devenue
« quelqu’un ».
Maintenant regroupées, il leur était plus facile de communiquer entre elles. Des
amitiés se nouèrent. Les femmes commencèrent à socialiser après les heures de travail, se
visitant les unes les autres à leurs résidences, souvent participant ensemble à des activités
récréatives après le travail comme, par exemple, des BBQ.
La relation avec leur superviseur se transforma également. Plutôt que d’être craint,
celui-ci était devenu une personne à qui on pouvait faire appel. Se forma alors une
appartenance au groupe accompagnée d’une fierté de ce qu’elles pouvaient accomplir.
Les améliorations qui se produisirent s’expliquent principalement par l’impact du
système social qui s’était formé et la façon dont il influença la performance de chaque
membre du groupe. Les auteurs de l’étude devaient conclure que :
« On doit considérer les activités de travail de ce groupe, ainsi que leurs
satisfactions et insatisfactions, comme les manifestations d’un réseau complexe
d’interrelations. »
En d’autres mots, le facteur primordial de cette amélioration résidait dans la
transformation du système social. Avec le temps, on désigna ce phénomène l’effet
Hawthorne. L’Effet Hawthorne est très utile pour expliquer ce qui cause le blocage et ce
comportement de lutte que nous désignons « bégaiement ». L’Effet Hawthorne explique
également pourquoi les thérapies du bégaiement ne fonctionnent pas toujours. Enfin, il
explique pourquoi il est si difficile de maintenir les progrès dans le monde extérieur.
Ce que je suggère ici, c’est que lorsqu’une thérapie donne des résultats, ce n’est pas
uniquement les techniques de fluidités qui expliquent ce progrès. Bien souvent, le
thérapeute n’y tient qu’un rôle mineur. C’est une combinaison de la thérapie de la parole
et de la relation personnelle entre le clinicien et son patient, relation qui peut favoriser un
niveau supérieur de confiance et d’acceptation de soi chez son client.
Plus le client se sentira bien, plus il sera spontané, et plus il donnera libre cours à sa
personnalité intrinsèque. Ultimement, cela pourrait provoquer la dissolution de cette
retenue qui supportait ses blocages d’élocution.
Bref, la fluidité est, dans une large mesure, un effet secondaire de l’Effet
Hawthorne. En fait, une fois acceptée cette explication, vous serez en mesure de répondre
à presque toute les questions relatives au bégaiement.
Utilisons une situation hypothétique. Vous êtes une PQB qui décide de collaborer
avec un orthophoniste. Appelons-le Sam. Sam a mis au point un programme intensif de
deux semaines pour une demi-douzaine de clients dans un hôtel local. En plus de
11 Origines de notre conception erronée du bégaiement
participer au programme, vous résiderez à cet hôtel pendant tout ce temps … éloigné de
votre environnement familier, dans un tout nouveau monde.
Précisons que Sam travaille selon une approche d’établissement de la fluidité,
laquelle signifie des heures et des heures de pratique. La première semaine, vous
apprendrez beaucoup sur le processus de production de la parole de manière à pouvoir le
visualiser dans votre esprit. La semaine suivante, vous pratiquerez les techniques dans
des situations réelles, telles que parler au téléphone, sur la rue, dans des boutiques et dans
les restaurants.
À la fin de la première semaine, vous constaterez de réels progrès. Vous venez de
démystifier votre bégaiement en apprenant ce qui se produit dans votre larynx lorsque
vous bloquez. Grâce à la rétroaction électronique, vous pourrez bien percevoir la
différence entre des cordes vocales tendues et détendues, un aspect de vous que vous
ignoriez auparavant. Tout cela est évidemment très utile.
Mais est-ce là tout ce qui se produit ?
Non. Il y a bien plus que cela, et l’Effet Hawthorne y est pour quelque chose.
Sam est une personne ouverte et très accueillante avec qui vous vous sentez
totalement accepté, même pendant de difficiles situations d’élocution. Toute
communication entre Sam et vous a pour but, en plus de transmettre de l’information, de
bâtir votre estime de soi. Toute réaction négative que vous pouvez ressentir
s’accompagne d’une remarque encourageante venant renforcer l’idée que vous êtes sur la
bonne voie. Sam est parfaitement conscient de vos inquiétudes et démontre une patience
inouïe en explorant ces questions avec vous. Rien de ce que vous dites n’est incorrect. Il
en est de même dans vos relations avec tous les autres participants au programme.
Si vous étiez dans une telle situation, comment cela vous affecterait-il ?
Pas mal évident, n’est-ce pas ? Vous seriez confiant. Votre estime de soi croîtrait.
Votre confiance en vous augmenterait. Et vous apprendriez à vous accepter.
Maintenant, un tel environnement sécuritaire n’est-il pas plus propice à l’expression
de ce que vous êtes vraiment ? Bien sûr qu’il l’est. Vous vous sentez reconnu, accepté.
Vous vous sentez validé. Vous n’êtes plus en mode crise. Tous ces changements positifs
s’organisent en un système qui s’auto-renforce et qui provoquera une attitude plus
détendue et, dans bien des cas, entrainera la fluidité qui est un effet secondaire de ne plus
avoir peur de se laisser-aller. C’est ça, l’Effet Hawthorne en action.
Lentement mais sûrement, à la fin du programme de deux semaines, votre élocution
sera plus facile et fluide. Et parce que, à cette étape, le système appuie vos efforts, votre
fluidité se maintient … au moins pour un temps … alors que vous réintègrerez votre
environnement régulier.
Combien de personnes ont eu l’impression de sortir d’une thérapie de la parole en
parlant vraiment bien ?
Cela a duré combien de temps ?
Pourquoi êtes-vous revenu à vos anciennes habitudes ?
12 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Probablement pas pour avoir cessé de pratiquer vos techniques. Bien des gens
continuent à les pratiquer mais connaissent tout de même un revers.
Pourquoi ?
En vérité, ce ne sont pas que les techniques adéquates qui ont fait de vous une
personne plus fluide. Oh, bien sûr, elles sont importantes. Mais c’est également vos
relations avec les personnes de votre entourage. Elles étaient là pour vous appuyer. Vous
vous sentiez bien. Vous vous sentiez mieux. Mais que s’est-il passé en quittant cet
environnement ? Le monde entier était-il, lui aussi, enclin à vous appuyer de la même
manière ?
Uh-uh. Évidemment, dans le monde réel, tout le monde a ses propres
préoccupations. Les autres ne pensaient pas à vous. En fait, les autres accordent vraiment
la priorité à leurs propres besoins plutôt qu’aux vôtres. Non mais ! Combien d’entre vous
ont dû se battre pour une place de stationnement ou composer avec un chauffeur
d’autobus irritable ou un commis dans une boutique vraiment désagréable.
Comment vous sentiriez-vous ? Ne serait-il pas plus risqué de vous laisser-aller et
de vous affirmer dans de telles situations ?
Que s’est-il alors produit ? À défaut de travailler également sur les autres
composantes de l’hexagone du bégaiement … comme par exemple sur vos schèmes de
pensées et la façon dont vous vous sentez …. vous finissez par réagir à ces personnes et
commencez à leur faire moins confiance ; votre confiance en vous diminue aussi. Puis, un
jour, vous vous retrouvez bloqué. Cela provoquera une spirale descendante ;
éventuellement, vous retournerez à vos anciennes habitudes.
Et tout cela à cause de l’Effet Hawthorne qui s’active en arrière-plan.
Au cours des ans, j’ai rencontré bien des personnes qui ont eu une rechute après
avoir dépensé, dans certains cas, plusieurs milliers de dollars dans des programmes de
thérapie de la parole. Certaines de ces histoires m’ont vraiment choqué.
Je pense en particulier à un programme très populaire aux États-Unis qui utilise
l’approche de l’établissement de la fluidité.13 Pendant des années, les personnes ayant
participé à ce programme se sont fait dire, en termes dépourvus de toute incertitude, que
le bégaiement n’avait rien à voir avec les émotions et que, par conséquent, celles-ci
n’allaient pas être considérées (dans la thérapie). Ils travaillèrent donc uniquement à
maîtriser les techniques de fluidité.
Insensé ! Et pourtant, plusieurs personnes – peut-être même la majorité – croient
encore cela.
Non pas que les thérapeutes dirigeant ces programmes ne soient pas de bonnes
personnes. Ils le sont. C’est juste que le modèle du bégaiement avec lequel ils ont grandi
…. ce modèle qu’on leur a enseigné à l’université et sur lequel ils basent leur thérapie …
ne tient pas la route. Ce n’est pas le bon paradigme.
Le concept du bégaiement selon lequel il s’agit d’un système plutôt que d’une chose
explique pourquoi il est si difficile de s’améliorer. Ce n’est pas seulement votre élocution
13
Fluency shaping approach.
13 Origines de notre conception erronée du bégaiement
qui doit changer. C’EST TOUT VOTRE MOI TOTAL. Et cela, bien sûr, inclut votre
schème de pensées. Comment vous vous sentez. Les croyances que vous avez. Vos
perceptions. Ce que sont vraiment vos intentions. L’image de soi que vous avez.
Comment vous parlez. Tout cela s’est organisé en un système interactif, tissé serré. Il
s’agit d’un système vivant, qui s’auto-perpétue et qui fera n’importe quoi pour se
maintenir.
Essayez de ne changer qu’une seule de ses composantes et vous le déséquilibrerez.
Et pour rétablir l’équilibre, les autres composantes de votre Hexagone du Bégaiement
tenteront de ramener votre élocution comme elle l’était avant la thérapie.
LES DIVERS TYPES DE BÉGAIEMENT
L’utilisation, depuis bien longtemps, du seul terme « bégaiement » est un élément
ayant causé bien des problèmes. L’inefficacité de ce mot à décrire ce qui se passe
réellement est la cause de biens des problèmes en plus d’avoir semé la confusion et
d’avoir ouvert la voie à une réflexion boiteuse.
Voyons un exemple des problèmes engendrés par l’utilisation de termes boiteux.
Une des citations qui feront époque provient de Bill Clinton lorsque, à la télévision, il
affirma : « Je n’ai pas eu de relation sexuelle avec cette femme. » Clinton utilisa une
interprétation plutôt libérale du mot « relation sexuelle ». Et cela donna lieu à toute une
série de problèmes particuliers.
Combien d’entre vous ont vu Oprah Winfrey ? Oprah est, de toutes les personnalités
de la télévision américaine, celle qui a connu le plus grand succès et qui jouit de la plus
grande admiration au monde. Elle jouit d’une énorme influence sur des millions
d’Américains.
À une de ses émissions, les invitées étaient de jeunes filles, adolescentes actives
sexuellement. Il y avait cette fille de 15 ans qui allait à des soirées et qui s’adonnait au
sexe oral avec quelques-uns de ses collègues de classe en croyant qu’il n’y avait rien de
mal à cela … chose qui choqua des millions de téléspectateurs. Lorsqu’Oprah lui
demanda si elle savait que les jeunes filles ne doivent pas faire cela, savez-vous ce qu’elle
répondit ?
« Mais il ne s’agit pas de relations sexuelles. »
« Que veux-tu dire par ce n’est pas du sexe ? » rétorqua Oprah.
« Et bien » répondit la jeune fille, « Je sais que ce n’est pas du sexe parce que le
Président des États-Unis a dit que ça ne l’était pas. »
C’est ce qui arrive lorsqu’on n’utilise pas le langage approprié. Cela sème la
confusion. Et il y a des conséquences.
La même chose se produisit pour le bégaiement. Que veut-on dire par
« bégaiement ? »
14 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Faisons-nous référence aux disfluidités pathologiques, développementales, aux
bobulations ou aux blocages ? Bien qu’ils puissent parfois se ressembler, ces phénomènes
sont tous différents. Chacun d’eux dépend d’un ensemble différent de mécanismes.
Bobulation14, par exemple, est un genre de disfluidité hésitante mais dépourvue de
tension qu’on rencontre lorsque la personne est irritée, embarrassée, confuse ou
discombobulatée15. La personne peut parler, mais les émotions qu’elle ressent la font
trébucher.
Par contre, quand un individu bloque, il est à ce moment-là incapable de parler. Il
se sent impuissant. Cette impuissance peut provoquer une panique et un embarras. Il
devient alors très soucieux de ce qui lui arrive. Il s’agit d’un tout autre genre d’expérience
même si elle ressemble à la précédente.
Lorsque vous désignez ces deux phénomènes bégaiement … plutôt que bobulation
ou blocage …. vous êtes amené à faire de fausses hypothèses tout comme la jeune fille le
fit à l’émission d’Oprah.
Un vocabulaire imprécis constitue seulement une des explications pour lesquelles ce
problème n’a jamais été bien compris et, trop souvent, mal caractérisé et traité.
ON DOIT CONCEVOIR LE PROBLÈME DIFFÉREMMENT
Que signifie tout cela ? Qu’on doit concevoir le bégaiement comme un problème
plus global, plus inclusif. Si je ne l’avais pas fait, je bloquerais encore aujourd’hui.
Les spécialistes de la discipline doivent élargir leur horizon, leurs perspectives.
C’est difficile car il y a eu par le passé … et je crois bien qu’il est toujours aussi
persistent …. un préjudice contre les professionnels adoptant une approche holistique.
J’ai eu plusieurs conversations avec des orthophonistes ayant adopté cette approche ; j’ai
entendu plusieurs de leurs tristes histoires.
J’ai une amie orthophoniste, Claudia Dunaway de l’université de San Diego, que
j’ai rencontrée il y a douze ans. Elle avait lu un article que j’avais présenté à un atelier
lors d’une rencontre annuelle de l’American Speech-Language and Hearing Association.
Il s’avéra que j’étais la première personne de la communauté des PQB à confirmer ses
propres observations que ce problème mettait en jeu bien plus que juste la parole. Elle le
savait, mais jamais quelqu’un d’autre l’avait validé. Alors lorsqu’elle lut mon article sur
l’Hexagone du Bégaiement, elle était si enthousiasmée qu’elle prit un vol pour San
Francisco et m’invita au restaurant. Et on a parlé jusqu’aux petites heures du matin.
Ce qui est intéressant au sujet de Claudia, c’est que lorsqu’elle était plus jeune,
elle s’impliqua dans le mouvement free speech (la parole libérée). Quel est le lien me
direz-vous ? Hey bien cela signifie que, pendant plusieurs années, elle explora ses
émotions et ses croyances. Elle compara divers styles de vie avec sa propre vie. Elle
devait devenir très ouverte et sensible à ce que sont les personnes en tant que personnes.
14
15
En anglais, bobulating
Discombobulated.
15 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Elle apprit à regarder sous la surface. Plus tard, devenue orthophoniste, elle appliqua avec
beaucoup de succès ces connaissances, cette sensibilité et cette perspective élargie pour le
bénéfice de ses clients.
Mais parlez à Claudia et à ses associés à l’Université de San Diego et ils vous
parleront des esprits fermés qu’ils rencontrent aux conférences professionnelles. Et ils
sont nombreux, ces professionnels, qui ne veulent pas travailler avec une perspective plus
holistique du bégaiement.
Si j’ai un reproche à faire à la communauté professionnelle, c’est que plusieurs
d’entre vous ne tirent pas avantage de votre plus importante ressource …. les personnes
qui bégaient … et plus spécialement la ressource la plus oubliée de toutes – ceux qui ont
vaincu le bégaiement.
Auprès de qui iriez-vous chercher conseils si vous désiriez escalader l’Everest ?
Parleriez-vous seulement aux personnes ayant lu des livres sur le sujet ou aussi à celles
qui ont tenté d’escalader l’Everest mais qui n’y sont pas encore arrivé ?
Ou clavarderiez-vous plutôt avec les quelque 500 personnes qui sont parvenues au
sommet pour leur demander : « Mes amis, comment y êtes-vous arrivés ? Décrivez-moi
en détails les problèmes rencontrés. Qu’est-ce qui a fonctionné ? Qu’est-ce qui n’a pas
fonctionné ? Que vous fallait-il savoir ? Quelles informations furent vraiment utiles ?
QUI vous a été utile ? Qu’avez-vous appris ? Il y a des centaines de questions possibles.
Mais les chercheurs font-ils appel au PQB ayant vaincu le monstre pour leur poser
des questions ?
En tant que membre de la National Stuttering Association, je suis en relation avec
la communauté de professionnels depuis plus de 32 ans. Combien de chercheurs, pensezvous, sont sortis des sentiers battus pour me demander comment je m’y étais pris ?
La réponse est …. Seulement deux ! Deux personnes en 32 ans.
Vous avez vu, au début de ma présentation, qu’en faisant référence au mauvais
paradigme pour résoudre le problème mathématique, vous auriez pu y travailler pendant
une semaine sans trouver la solution.
Selon mes observations personnelles et l’histoire de ma victoire sur le bégaiement,
je suis convaincu que les mystères du bégaiement chroniques nous ont échappés pour les
mêmes raisons. Pendant tout ce temps, les pièces du casse-tête étaient pourtant bien là,
sous notre nez. On trouve les réponses en faisant appel à un model différent du
bégaiement, un modèle qui prend en considération divers aspects personnels – les
émotions, les perceptions, les croyances, les intentions, la programmation physiologique
et les actions physiques accompagnant les efforts pour parler – et comment tous ces
facteurs sont entrelacés pour créer ce que nous désignons comme bégaiement chronique.
Si vous, les professionnels, nous considérez comme vos partenaires, et non juste
des patients, et si nous, de la communauté des PQB, continuons de participer activement
en partageant nos observations personnelles …. et en partageant nos idées et nos
découvertes sur le réseau Internet … nous commencerons alors à voir apparaitre les
réponses à une énigme qui nous a échappée pendant plus de 5 000 ans.
16 Origines de notre conception erronée du bégaiement
Allez, que dites-vous ? Êtes-vous disposés à repenser vos vielles croyances ? Êtesvous disposés à ouvrir vos esprits à de nouvelles possibilités ? Êtes-vous disposés à
changer de paradigme ?
Ce fut pour moi un réel plaisir que de vous parler.
La solution au casse-tête numérique : les nombres sont en ordre alphabétique (mais, bien
sûr, en anglais).
Traduction de How We Developed An Incorrect Picture of Stuttering par John C.
Harrison, traduit par Richard Parent, février 2009. Présentation de John C. Harrison
devant le 2004 World Congress for People Who Stutter, Freemantle, AustralieOccidentale, du 15 au 20 février 2004. (Cette traduction a délaissé le langage plus simple d’une
présentation orale afin d’adopter une écriture plus littéraire.)
Pour télécharger la version originale complète du livre de John (Redefining Stuttering), en voici
l’adresse :
www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/redefining.html
Les versions françaises des textes de John traduits jusqu’à présent sont disponibles sur le site
suivant (côtoyant les versions originales) :
http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/essays.html
Pour communiquer avec John ou Richard :
John : [email protected]
Richard : [email protected]
Nous vous encourageons à publiciser largement ces versions françaises des textes de John
Harrison à tous ceux qui sont susceptibles d’être intéressés, de près ou de loin, par le
bégaiement. L’utilisation de liens hypertextes dans vos sites Internet en est un excellent
moyen.