Les princes et la musique en France et en Italie (compte

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Les princes et la musique en France et en Italie (compte
Océane Cochenet et Cathy Hecker sont des étudiantes en Master 2 Enseignement Histoire-­‐
Géographique à l’Université de Strasbourg. Les princes et la musique en France et en Italie Compte-­‐rendu d’une conférence de Pascal Brioist
Né en 1962, agrégé d’histoire, maître de conférences en histoire et membre du CESR depuis 1994, Pascal Brioist est un spécialiste d’histoire culturelle et d’histoire de l’Angleterre. Actuellement, ses travaux concernent surtout le domaine de l’histoire des sciences et des techniques. Ces thèmes de recherche sont les réseaux et pratiques scientifiques et techniques à la Renaissance (dont l’histoire des mathématiques appliquées), ainsi que l’épée et pratique de l’escrime à la Renaissance. Il a également contribué à la rédaction de trois ouvrages destinés aux concours du CAPES et de l’agrégation (La Renaissance 1470-­‐1570, les Européens et les espaces maritimes au XVIIIe siècle, le prince et les arts (France-­‐Italie, XIVe-­‐
XVIIIe siècles) et est membre du jury du CAPES. La conférence (dans le cadre de la préparation au concours) portait sur la musique, considérée depuis Pythagore comme un art des proportions et, au Moyen Âge, comme un art mathématique. L'idée était d'étudier la musique sur cinq siècles, de montrer une évolution, et ce notamment grâce à l’écoute de différents morceaux de musique permettant de saisir un peu mieux l’univers musical particulier de ces différents siècles. Après une introduction rappelant qu'à l'époque médiévale la musique faisant partie du quadrivium, des arts libéraux, Pascal Brioist a embarqué son auditoire dans un voyage rythmé par les évolutions successives de la musique. L’Ars Nova de Philippe de Vitry (1291-­‐1361) fait date au début du XIVe siècle puisque cet ouvrage donne son nom à un genre musical inédit. À partir du XVe siècle, toute la vie du prince est ponctuée par la musique, qu’elle soit sacrée ou profane. Cette aura musicale, qui entoure sa vie et a des fonctions bien précises, en fait un personnage à part et le sacralise. Cela participe directement à « l’esthétisation du cadre de vie princier ». Un éventail large d’instruments de musique accompagne constamment le prince que ce soit lors des entrées de villes, à l’église, au moment des repas ou en cas de guerre ; et certains de ces instruments tels que les cornets à bouquin ou les sacquebouttes, nous paraissent aujourd’hui incongrus. De même, une fanfare suit toujours le prince à l'extérieur par exemple. Ces instruments produisent « un miroir embellissant de la vie de cour ». Mais la musique ne se limite pas à cela, notamment les motets (forme religieuse d’une chanson) qui peuvent avoir des fonctions politiques. Guillaume Dufay, par exemple, a composé en 1433 un motet, destiné à une rencontre entre le pape Eugène IV et l'empereur Sigismond, qui a pour objectif de faire passer un message politique, un message de réconciliation et de paix. La musique est donc dans ce cas, « une puissante auxiliaire de la rhétorique ». Au même titre que les autres arts, la musique intègre progressivement la cour, notamment par l’intermédiaire des chapelles princières à partir du XVe siècle. Celles du duc de Ferrare, Ercole d’Este, ou encore des papes, ont alors une grande renommée. Cette musique du XVe siècle savante, est à la fois religieuse et profane, et fondamentale dans la Les princes et la musique en France et en Italie 1/3 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 transformation esthétique des cours d'Europe, dont celles de France et d'Italie. On accorde aussi notamment une capacité magique à la polyphonie. Dans ce cadre, les princes peuvent entretenir des relations de familiarité avec leurs musiciens, c’est le cas pour Josquin des Prés et Clément Janequin. son œuvre lui est dédiée. P. Brioist a souligné le rôle de l’imprimé dans sa carrière, puisqu’il a largement contribué à la popularité de ce musicien. Il produit une musique surtout militaire qui doit encourager les soldats à se battre pour une noble cause. Ses hymnes guerriers sont de vrais outils de propagande. Janequin forge ainsi un emblème de victoire et son œuvre a beaucoup contribué à la construction de l’image du roi François Ier. Afin de ne pas désincarner son discours, P. Brioist, a ainsi mis en lumière le destin de ces Au milieu du XVIe siècle, une autre évolution deux musiciens, qui ont, chacun, joué un rôle notable se fait jour puisque, sous l’influence déterminant dans le rapport des princes à la de l’humanisme, la musique se rapproche de musique. Un personnage est incontournable : la poésie. L'objectif en alliant les deux est, Josquin des Prés. Né dans le duché de pour les humanistes, de réconcilier les Bourgogne, il est probablement formé par opposés, de ramener la paix en France Jean Ockeghem et est recruté, par Galeazzo (époque des Guerres de Religion). Cette Sforza, à la chapelle de se “ À partir du XVe siècle, toute la vie conception Milan en 1473. Le rôle rapproche des usages du prince est ponctuée par la d'un musicien au sein de la musique sous musique, q
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n Josquin tient à musique des anciens, personnage à part et le sacralise. ” on devrait obtenir des merveille ce rôle avec par exemple Tu solus effets magiques ; c'est pui facis mirabilia (‘’toi seul fais des du moins ce qu'on professe à l'Académie de miracles‘’). Il privilégie la compréhension du Musique et de Poésie de Baïf. texte, c'est pourquoi il choisit une écriture verticale, c'est-­‐à-­‐dire que toutes les voix Toujours sous l’influence de l’humanisme, la prononcent la même syllabe au même musique profane devient un marqueur de bon moment. Il passe de cour en cour dans toute goût et sa pratique réglée devient un l'Europe. Il travaille notamment pour Ercole impératif pour tout courtisan accompli. Cette d'Este (pour lequel il écrit Missa Hercules dux musique doit rester une pratique distinctive. Ferrariae (‘’messe pour Hercule, duc de Cette idée est reprise par Balthazar Castiglione Ferrare‘’), René d'Anjou, le frère cardinal de qui façonne le concept de la sprezzatura Sforza Ascagno, etc… En 1499, lorsque Milan (aptitude à faire paraître une impression de est prise par Louis XII, Josquin des Prés rentre facilité et une absence d’effort dans la en France avec ce dernier. C'est un artiste pratique d’un art). Ainsi les nobles ne peuvent capable de créer des œuvres relevant de se produire qu’en des circonstances précises. différents styles. En Italie, le XVIe siècle est marqué par Le destin de Clément Janequin (1485-­‐1558) l'apparition du madrigal, autrement dit de la est sensiblement différent de celui de Josquin polyphonie vocale (de 3 à 8 voix). Celui-­‐ci part des Prés. Sa renommée est plus tardive et est d'un poème et devient une musique de cour surtout attachée au service offert au au sens intellectuel, le but étant d'adapter la souverain français, François Ier qui règne de musique aux passions exprimées. Il s'agit de 1515 à 1547. En effet, une grande partie de l'équivalent du maniérisme en peinture qui se Les princes et la musique en France et en Italie 2/3 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 caractérise par une exagération des attitudes, des corps, des formes. Ce mouvement artistique est apparu après le sac de Rome en 1527, et, dès lors, les Italiens ne croient plus au pouvoir mimétique des artistes et ces derniers décident alors de basculer dans l'exagération des passions, des sentiments. Le madrigal connait son apogée dans la deuxième moitié du XVIe siècle et Venise en devient le centre par excellence. Monteverdi en est un des maîtres incontestés. Il se sert d'instruments jouant la basse et d'une seule voix qui magnifient un sentiment ou deux voix qui dialoguent. surtout à Naples et à Rome. Les aristocrates s'offrent désormais des concerts privés qui sont ouverts à un public, certes restreint. Mais, au fil du siècle, cela devient une affaire commerciale et à l'époque des Lumières, il finit par s'ouvrir au public. C'est aussi à cette époque que le grand compositeur Corelli a inventé la forme de la sonate qui met en avant de grands solistes, et que s'illustrent les castras. Ce type de musique se développe dans les salons. En somme, une conférence, vivante et stimulante qui permet de saisir les différentes évolutions, fonctions de la musique qui est, peu à peu, devenue un art de cour. À ce titre, Un tournant dans le paysage musical a ensuite e
les princes ont cherché à s’approprier et à lieu au tout début du XVII siècle avec mettre à leur service les musiciens qui l’apparition d’un nouveau genre, l’opéra, qui bénéficiaient alors d’une grande renommée. naît à Florence au palais Pitti. Les spécialistes Notre regret tient au fait que P. Brioist a traité considèrent la pièce de Jacopo Peri (1561-­‐
de manière inégale l’ensemble de la période, 1633) s’intitulant l’Euridice, comme la consacrant moins de temps aux deux derniers première œuvre musicale d’opéra. siècles d’étude, le XVIIe et le XVIIIe siècles, qui auraient mérité une étude particulière afin de De plus, toujours au XVIIe siècle, on passe à la bien mettre en lumière les principaux période baroque. Désormais on veut entendre éléments structurants des solistes soutenus alors le paysage “ Toujours sous l’influence de par une basse continue. musical. Tous les l’humanisme, la musique profane L'importance prise par thèmes concernant la devient un marqueur de bon goût, musique n’ont pu être le ballet de cour de plus en plus sophistiqué et sa pratique réglée devient un abordés ; il s’agit alors pousse de grands de ne pas oublier la impératif pour tout courtisan artistes de cour à accompli. Cette musique doit rester dimension politique improviser des prise par l’opéra une p
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spectacles face au notamment dans les prince. On constate cours italiennes (Naples, Turin), de montrer que progressivement, cet l'importance croissante de la théâtralité, de art musical échappe aux princes avec la l'emphase des sentiments et de leur multiplication des patronages musicaux par extériorisation. Au départ, ce sont les Italiens les nobles et le développement des orchestres qui donnent le ton en terme de musique. privés. Et enfin, il faut signaler la nouvelle Mais, à la cour de Louis XIV, après la mort de place prise par les femmes au sein de ces Lully, on voit s'affirmer une musique de cour dispositifs musicaux. typiquement française avec, entre autres, François Couperin (Les Leçons des Ténèbres O. C et C. H. pour les demoiselles de Saint-­‐Cyr, Sarabande, l’Apothéose de Lully, etc…). P. Brioist a effleuré le XVIIe siècle en distillant quelques informations précieuses dans la redéfinition des rapports entre le prince et les arts. En Italie se développe le théâtre privé, Les princes et la musique en France et en Italie 3/3 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 

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