article de Jean-François Liandier

Transcription

article de Jean-François Liandier
LÉGENDAIRE
Montamisé
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POITIERS
Montamisé
Le culte de
sainte Quitère
PHOTO MG
Montamisé, dans la Vienne, est probablement
la seule paroisse du diocèse de Poitiers a avoir honoré
cette sainte dont le nom dérive du latin Quiteria.
1
L
e culte de Quitère, ou Quitterie, très populaire dans le sud de la France – Landes, où
elle est la patronne de la ville d’Aire-surAdour, Gers, Dordogne, Béarn… –, est également présent en Espagne et au Portugal.
Nous ignorons encore quand et comment il s’est
installé à Montamisé. Peut-être par l’intermédiaire des
pèlerins, Poitiers et Aire-sur-Adour étant situés sur les
chemins de Saint-Jacques ? Force est cependant de
constater que les premiers documents évoquant
Quitère remontent seulement aux XVIe et XVIIe siècles.
1515, Bertrande Doulcete témoigne
Il est ainsi fait allusion à son culte dans une enquête
criminelle de 1515. C’est suite à la noyade d’une
jeune fille, près du moulin de Saint-Benoît, qu’une
Jean-François LIANDIER
information est diligentée par Nicolas Prévost, sénéchal de la seigneurie de l’abbaye qui disposait du
droit de haute justice.
Le dossier relate « les dépositions des témoins, recollements et affrontements ». C’est le témoignage de
Bertrande Doulcete, habitante du bourg de SaintBenoît, qui nous intéresse : « Le mardi avant la feste
de penthecouste et jour sainte Acquytaire, elle déposant se leva entre deux et troys heures du matin pour
aller en voyage à Montamyser, auquel lieu y a apport
et voyage de la dicte saincte Aquytaire ; et parce
qu’elle vouloit mener une sienne jeune fille audit
voyage, son gendre, sa fille et deux de leurs enfants,
leur estoit besoing avoir des cordes pour lyer des
basses sur une mulle, pour dedans icelles mectre les
dicts petiz enfens… »2.
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L’église de Montamisé
et la statue de sainte Quitterie,
œuvre de Claude Guilloux (2009).
1. On trouve en revanche
plusieurs chapelles, sources
ou lieux-dits faisant référence
à Quitère/Quittière/Quitterie
en Charente : à Aussac-Vadalle,
Charras et Chadurie ; et en
Charente-Maritime : à Cercoux,
L’Houmeau et Vanzac.
2. Archives départementales
de la Vienne (voir bibliographie).
PHOTO J.-F. LIANDIER
PHOTO MG
Sainte Quitterie, sculpture sur bois,
et cloche de l’église de Montamisé.
Le calendrier liturgique, ou comput ecclésiastique,
nous indique que la Pentecôte se situait le mercredi
6 juin 1515 – selon le calendrier Julien en vigueur à
cette époque. Le « jour sainte Acquytaire » était donc le
22 mai, qui tombait un mardi, ce qui correspond bien
aux dires de Bertrande Doulcete. Elle se trouvait donc
en pèlerinage à sainte « Acquytaire », à Montamisé, le
mardi 22 mai 1515, deux semaines avant la Pentecôte.
Un bon « alibi » en quelque sorte et qui, pour l’histoire,
témoigne du culte de Quitère à Montamisé.
D’autres témoignages…
Autre témoignage de cette époque, la cloche en
bronze de l’église de Montamisé, qui remonte à 1583 :
« S. QUITERIA ». L’inscription complète est la suivante :
« + S . QUITERIA PRO NOBIS GRIBON COUTRE A PRM
R .ARTUS, PRM M. GUIONET MRNE 1583 ». Elle a été classée Monuments historique le 17 février 1938.
Il faut également signaler un registre des actes de
baptême de 1610, qui mentionne « la confrairie de
Madame Saincte Acquitaire ». En voici la transcription
dans l’orthographe de l’époque : « Papier auquel sont
les noms des enfans baptisez en l’église de Monthamiser,
ensemble les noms de ceus qui sont en la confrairie
DOCT COMMUNE DE MONTAMISÉ / PHOTO J.-F. LIANDIER
Registre de baptême de 1693,
l’enfant de François Secouet
et de Marie Charles y est
prénommée « Aquitaire ».
50 | Le Picton n° 197 | Septembre Octobre 2009 |
de Madame Saincte Acquitaire 1610. Don faict par A
Chamamperault, greffier et nottaire dudit Monthamiser.
Le XXIIe de may 1610. [Signé] Champerault ».
Un ancrage dans les prénoms
et le calendrier
Les registres paroissiaux de la commune font par ailleurs
état de plusieurs jeunes filles baptisées « Aquitaire ». Des
prénoms qui dénotent bien l’implantation du patronyme : en 1693, Aquitaire, fille de Secouet François et
Charles Marie ; en 1709, Aquitaire, fille de Guionneau
Jean et Secouet Andrée ; en 1729, Aquitaire, fille de
Brégeon François et Rose Marie ; en 1765, Aquitaire, fille
de Girard Jean et Bouquin Marie-Anne et, en 1768,
Aquitaire, fille de Prieur René et Baudeneau Renée.
De son côté, le registre du conseil de fabrique de
Montamisé (1825-1839), dans son coutumier, précise :
« Le 21 mai, fête de Ste Aquitaire, vierge et martyre.
Autrefois il y avait à Montamisé un pèlerinage très
célèbre en l’honneur de cette sainte. Il nous est resté
pour mémoire une foire » – la date du 21 semble une
erreur calendaire.
Une foire se tenait donc le jour de la fête de Quitère – le
22 mai – et les choses perdurent puisque de nos jours
COLL. J.-F. LIANDIER
Quitterie et son légendaire
Il existe en fait deux légendes, l’une française et l’autre lusitanienne. La première « prend corps à la période
wisigothique. Quitterie serait soit la fille d’Aetius
(Alaric ?), roi Wisigoth de Toulouse, soit une princesse catholique d’Espagne (fille du “roi” Caius ?).
[…] Refusant la main de Germain, l’exécuteur des
basses œuvres de son père, elle s’enfuit à Aire-surAdour […]. Sa fugue intervient peu de temps après sa
conversion au christianisme, accompagnée d’un vœu
de chasteté. Germain finit par la retrouver et la décapite »3. Nous serions le 22 mai 476. « Quand sa tête
toucha terre, une fontaine jaillit. Quitterie aurait pris
sa tête bien lavée dans ses bras pour la déposer en
haut du plateau du Mas, où se trouve aujourd’hui son
sarcophage – dans la crypte de l’ancienne église du
Mas. L’évêque […], fit le jour même un prêche, à la
suite duquel toute la ville d’Aire se convertit au christianisme, y compris Germain ».
On retrouve là un thème récurrent de la foi chrétienne de l’époque, la « céphalophorie », suivie de
conversions parfois massives et de miracles.
« Tout près de l’église d’Aire coule aujourd’hui une
fontaine à laquelle on attribue la vertu de guérir les
maux de tête, la folie et la rage […]. De nombreuses
fontaines des Landes et de la Charente, supposées
avoir les mêmes vertus, sont placées sous le patronage de la sainte. Quitterie est depuis un prénom
typique de la région »3.
L’autre légende situe l’origine de Quitterie en Galice.
Son père, Lucio Castelli, seigneur de Galice et de
Portugal, et sa mère Calia, sont païens. Neuf filles, dont
Quitterie, naissent ensemble de Calia. Ces enfants
fleurent les amours adultérines. Son mari étant absent,
« Calia demande à sa servante d’aller noyer ses filles
[…] ; chrétienne, elle ne se résout pas à ce crime » et les
sauve. « Toutes seront baptisées […], élevées dans la foi
chrétienne et termineront leur vie dans le martyre.
On retrouve ici Germain, le fiancé païen, et la fuite de
Quitterie vers une ville [où] règne le roi Sentia, apostat
de la foi chrétienne, enrichi par le pillage des églises.
Quitterie lui reproche cette conduite indigne et Sentia,
avec tout son peuple, fait pénitence et revient à des
sentiments chrétiens. Mais le fiancé bafoué et le père
furieux, accompagnés d’un […] antichrétien nommé
Adrian, se lancent à [sa] poursuite ». Alors qu’elle est
en prière « le bourreau Domiciano, envoyé par Adrian,
arrive […] et d’un coup de glaive il décapite Quitterie :
elle ramasse sa tête, elle marche […]. Castelli et
Germain se convertissent à leur tour et finissent leurs
jours en prière sur la montagne »3.
Le retour de sainte Quitterie
à Montamisé !
En l’église Notre-Dame de Montamisé, le mardi
16 juin 2009, a eu lieu une cérémonie, en présence de
l’archevêque de Poitiers, monseigneur Albert Rouet.
Des réalisations récentes ont été présentés à cette occasion, dont un panneau donnant la liste des prêtres de la
paroisse de Montamisé depuis 1610, mais surtout une
statue de sainte Quitterie – œuvre originale de Claude
Guilloux, sculpteur sur bois et statuaire de Ligugé –
a été installée dans l’église. Elle appartient désormais
– tout en constituant un retour sur l’histoire locale –
au patrimoine culturel de la commune.
■
Le sarcophage en marbre blanc
dit « de sainte Quitterie »,
à Aire-sur-Adour, remonte
au Ve siècle (image colorisée).
Bibliographie
et sources
• Renée Mussot-Goulard,
Quitterie, sainte et gothe,
éditions de Paris, 2007.
• Les Petits Bollandistes, La
Vie des saints, tome 6, 1876.
• Revue d’études historiques
et religieuses du diocèse de
Bayonne, 1892-1903.
• Société des bollandistes,
Acta Sanctorum (Actes des
saints).
• J.-C. Louty, Sainte Quitterie,
légende ou vérité, 1997.
• Anonyme, Église SainteQuitterie, Le Mas, Airesur-Adour.
• Joseph Dudon (abbé),
Sainte Quitterie, gasconne,
1885.
• Archives départementales
de la Vienne, fonds de l’abbaye de Saint-Benoît de
Quinçai, (liasse 1H6-15).
• Registres paroissiaux de
la commune de Montamisé,
Vienne.
• Sites Internet de Philippe
Harambat sur sainte Quitterie
et « Aquamania.net » sur les
sources Sainte-Quitterie d’Aire.
• Site Internet du diocèse
d’Aire et Dax.
• Archives diocésaines de
Poitiers, dossier conseil de
fabrique de Montamisé.
L’inauguration de la statue de
sainte Quitterie, Montamisé, juin
2009, en présence de M. le maire,
de l’archevêque de Poitiers et du
sculpteur.
COLL. J.-F. LIANDIER
une manifestation « païenne » s’est substituée à son
homologue religieuse : la fête communale, avec sa course
cycliste, a lieu un dimanche… proche du 22 mai.
3. Site Internet du diocèse
d’Aire et Dax.
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