L`ÉTOILE DU LOUP

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L`ÉTOILE DU LOUP
L’ÉTOILE DU LOUP
Il neige. Le murmure du ruisseau berce la nuit. Les étoiles scintillent dans un ciel limpide. La
lune éclaire la lande qu’une brise légère caresse. Rien ne semble troubler la sérénité des
monts. La lande est familière à Speedo, le petit loup blanc. Il y course à longueur de jour
souris et mulots et fait détaler le lapin malin.
Au loin, une forêt touffue bouche l’horizon, elle attise la curiosité de l’animal. Sa mère louve
l’a pourtant mis en garde : cette forêt est interdite aux loups. Des récits rapportés par les
anciens parlent de maléfices, de créatures étranges dormant le jour, guettant la nuit l’importun
qui oserait s’y aventurer.
Ce matin d’automne, Speedo sort d’un sommeil profond. Le petit loup au regard clair et à la
robe soyeuse sort de la tanière où sa maman et ses frères somnolent encore. Les crêtes
rocheuses, rempart naturel entre confort et inconnu, cernent leur abri. Speedo devine à
l’horizon la masse informe de la forêt. Il cavale, franchit la ligne de crêtes et se laisse rouler
dans le vallon. Il roule, roule et s’étale dans un filet d’eau grouillant de petits poissons aux
reflets argentés Bambi, amusé, lui tend une patte secourable et disparait dans les fourrés au
brame de sa mère.
Après avoir erré tout le jour durant, Speedo parvient au but. Les hurlements désespérés de la
louve s’abîment sur la roche. Le voile du crépuscule recouvre le bocage, de lourdes nuées
plombent le ciel, la nuit est d’encre. Une forêt mystérieuse, épaisse, peuplée d’arbres géants
embrasse les nuages. A peine entend-t-on bruire la ramure des sapins. Speedo écoute le
silence des ténèbres, il a peur, des pas feutrés tassent la mousse. Il perçoit le martèlement des
bottes des géants, ils vont l’écraser. Il est horrifié, il étouffe, pousse un hurlement d’effroi.
Soudain une gerbe d’étoiles éclaire les ombres opaques : une gracieuse petite fée vêtue de
blanc les cheveux bouclés, blonds comme les blés, apparaît.
-
-
Petit loup, je suis Léa la fée des fontaines et des bois. Ne t’attarde pas en ces lieux !
Hélas ! Je suis perdu gémit Speedo.
Sais-tu que la nuit est le royaume des lutins, korrigans et d’autres créatures aussi
inquiétantes les unes que les autres. Suis- moi, je te trouverai un abri pour la nuit.
Demain tu repartiras seul dans la forêt aux sortilèges. Si tu te perds, la constellation
du loup t’indiquera le nord.
L’étoile du loup ?
C’est ainsi qu’on la nomme, elle protège le voyageur égaré et les petits loups
indociles.
De sa baguette enchanteresse, la magicienne fait apparaître un nuage blanc qui
disperse sur la mousse une pluie d’argent les menant à une bâtisse en ruine.
Une grenouille coasse dans une fontaine. Un hululement lugubre fend le noir,
Speedo tremble.
-
Petit couard ! Ce n’est que Zou le hibou filou, nous l’avons dérangé
Zou, nous avons un hôte pour la nuit, veux-tu préparer sa couche ?
Bon, bon toujours à moi les corvées, grommelle le grand-duc… Approche petit loup,
tu dormiras sur le duvet du lapin malin. Bonne nuit mon garçon !
D’un battement d’ailes, le rapace s’éloigne et s’engouffre dans un tronc creux.
Le lendemain Speedo reprend son baluchon, son courage et sa route. Sous les frondaisons un
geai braillard sonne l’alerte, les oiseaux se sont tu. Un rire sardonique retentit dans la forêt, la
ramure des géants frissonne. Agacine la sorcière surgit au coin du bois et ouvre une bouche
édentée.
Je peux te transformer en arbre ou en rocher. Tu resteras figé tout le temps de ton
existence, c’est le sort qui attend les petits garçons désobéissants.
Sa langue fourchue crache tout son fiel. Speedo est terrorisé. Un bruissement d’ailes distrait
la mégère : Zou le hibou se perche sur une souche et nargue la vilaine. Agacine répand sur
l’oiseau de proie son fluide paralysant. Zou s’envole dans les nuages, Agacine à ses trousses.
Épuisé, Speedo hurle, il appelle Léa, son cri se perd dans l’aube naissante, Le petit lapin
malin se réveille en sursaut et bondit à son secours. Il l’invite à le suivre jusqu’à une clairière.
Le jour décline déjà. Un nuage bleu éclate sur la mousse, il pleut une myriade de diamants. À
califourchon sur la branche d’un chêne, un petit lutin rouge arrache à un violon des sonorités
mélancoliques. Dans la clairière jonchée de poussière d’or, des korrigans chantonnent d’une
voix aigrelette et forment une ronde autour d’une roche d’améthyste. Le petit lutin rouge saute
prestement à ses pieds et lui demande la raison de sa présence.
-
Je suis à la recherche du cavalier blanc, il m’est apparu en songe cette nuit.
Les lutins s’esclaffent. Le violoniste souffle sur les pétales d’un bouton d’or, une poudre
légère dessine le chemin. Speedo salue les petits génies de la forêt et s’éloigne en sifflotant.
Un feu-follet imprévisible danse et sautille, il entraîne Speedo dans son sillage. Il virevolte
puis disparaît dans les fourrés.
-
Pourquoi m’abandonnes-tu ? s’inquiète Speedo.
Je suis Éclipse, le jour va se lever, je dois rentrer.
Au milieu de la sente, un rocher rouge obstrue le passage. Tapie derrière la pierre, Agacine
profère des incantations vénéneuses. Le loup est transformé en arbrisseau rabougri, Léa
survient, use de sa magie mais se fige à son tour en statue d’albâtre. Le cri diabolique de la
sorcière se propage jusqu'à la clairière, les petits lutins ont pressenti le drame. De son archet
d’ivoire, le lutin rouge effleure les cordes du violon.
Zou alerté accourt, se met en quête du cavalier blanc et s’envole dans la profondeur des
nuages, il croise une étoile, le cavalier majestueux apparaît. Il a la gueule d’un loup fier,i. Zou
monte en croupe. Le ciel mugit de colère, l’équipage se pose près de la pierre maudite.
L’arbrisseau chétif se mue en chien éclopé, la statue vole en éclats. Dans la corolle d’une
jonquille une princesse s’éveille.
Le chien arpente monts et vallées, franchit marais et rivières et parvient à bout de souffle à
une réserve. Des loups y sont parqués. Se dérobant à la vue du gardien, il s’approche du
grillage. Les loups flairent l’intrus. Le chien montre des crocs nacrés, acérés, bavant de rage.
Le ciel s’obscurcit, une pluie de comètes sillonne la voûte des étoiles. Le chien scrute
l’immensité, il cherche la constellation du loup. Le cavalier blanc descend des nues. De ses
bras vigoureux, il enserre le vieux chien, le soulage de sa pelisse. Le prince des monts, altier
et conquérant est né. Son regard clair et sa robe immaculée forcent le respect. Les loups
s’inclinent .Dans le lointain le hurlement chevrotant d’une louve sonne le départ. La meute
s’ébranle, traverse la forêt aux sortilèges. Des flocons de lys couvrent la campagne.
Il neige …

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