Cour de cassation de Belgique

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Cour de cassation de Belgique
18 SEPTEMBRE 2015
C.13.0487.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.13.0487.F
LES BRASSERIES EUROPÉENNES, société privée à responsabilité limitée
dont le siège social est établi à Ixelles, place du Luxembourg, 12,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de
domicile,
contre
1.
P. C. et
2.
J. G.,
défendeurs en cassation,
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C.13.0487.F/2
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation,
dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait
élection de domicile.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 3 octobre
2012 par le tribunal de commerce de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le 19 juin 2015, l’avocat général Jean-François Leclercq a déposé des
conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général
Jean-François Leclercq a été entendu en ses conclusions.
II.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 14, alinéa 1er, 16, I, 1°, 17 et 24 de la loi du 30 avril 1951 sur
les baux commerciaux
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué confirme les jugements du premier juge, sauf en
tant que le jugement du 24 novembre 2009 condamne la demanderesse à payer
aux [défendeurs] une indemnité de 5.000 euros pour signification téméraire et
vexatoire de conditions nouvelles, partant, confirme le jugement du 9 janvier
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2009 en tant qu’il déclare la demande des défendeurs recevable et fondée,
renouvelle le bail commercial du 26 février 1991 relatif au rez-de-chaussée de
l’immeuble, situé à …, pour une durée de neuf années à compter du 1er mars
2009, aux mêmes conditions que celles en vigueur à l’exception de la
suppression des provisions relatives aux consommations de chauffage et d’eau
de ville (article 11 du bail), et condamne la demanderesse aux dépens, ainsi
que le jugement du 24 novembre 2009 en tant qu’il déclare la demande des
défendeurs recevable et fondée, déclare la notification par exploit d’huissier
du 20 février 2009 de nouvelles conditions non valable et sans effet, déclare les
conditions nouvelles non fondées et condamne la demanderesse aux dépens.
Cette décision est fondée sur les motifs suivants :
« Quant au motif du refus de renouvellement
Dans son courrier du 11 décembre 2007, [la société demanderesse]
refuse le renouvellement ‘étant donné [qu’elle] souhaite elle-même faire usage
de ce bien, et ceci, conformément à l’article 17 de la loi relative aux baux
commerciaux.
La [demanderesse] désire exercer une activité commerciale similaire à
[celle des défendeurs], dès lors, celle-ci [leur] paiera l’indemnité légale soit
deux années de loyer, comme le stipule l’article 25, 2°, de la loi relative aux
baux commerciaux’.
Or, l’article 17 dispose que si le bailleur est une société de capitaux, le
refus de renouvellement prévu à l’article 16, I, 1°, ne peut être opposé qu’en
vue de transférer dans les lieux loués le siège principal de l’exploitation du
bailleur ou d’agrandir ce siège principal de l’exploitation s’il est situé dans
des lieux voisins.
Il n’est pas contestable que l’activité de (la demanderesse) consistait au
moment du refus en la gestion d’un patrimoine immobilier et non en
l’exploitation d’une taverne.
(La demanderesse) ne pouvait dès lors valablement refuser le
renouvellement du bail sur la base de l’article 17 de la loi sur les baux
commerciaux tout en précisant que son intention était d’exercer une activité
commerciale similaire à celle des (défendeurs).
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En vertu de cet article, le bailleur, société de capitaux, n’est pas
autorisé à refuser le renouvellement en vue d’y exploiter lui-même le
commerce exploité par le preneur dès lors que ce commerce ne correspond pas
à son activité au jour où il notifie le refus.
En précisant dans sa réponse que son désir était d’exercer une activité
commerciale similaire à celle [des défendeurs, la demanderesse] démontre
clairement que son refus de renouvellement ne répond pas au prescrit de
l’article 17 puisque l’activité exercée dans le siège d’exploitation au moment
du refus concernait des opérations financières et immobilières.
C’est également à tort que (la demanderesse) soutient que le fait
d’agrandir son siège d’exploitation pour développer une activité de
restauration répondrait à l’article 17 de la loi. (…)
Le motif de refus n’étant pas valable, la réponse de (la demanderesse)
est frappée de nullité et doit être assimilée à une absence de réponse ce qui
entraîne que le bail doit être renouvelé aux conditions proposées par [les
défendeurs] conformément à l’article 14 de la loi sur les baux commerciaux.
Cette hypothèse ne doit pas être confondue avec celle d’un motif de
refus de renouvellement qui serait déclaré ‘injustifié’ par le juge.
Dans ce dernier cas seulement, il conviendrait de faire application de
l’article 24 de la loi sur les baux commerciaux qui autorise le bailleur dont le
refus a été déclaré injustifié à signifier de nouvelles conditions au preneur.
En l’occurrence, le motif de refus de renouvellement invoqué par (la
demanderesse) n’est pas déclaré injustifié, mais non valable et dès lors nul ».
Griefs
Aux termes de l’article 14, alinéa 1er, de la loi sur les baux
commerciaux, le preneur désireux d’exercer le droit au renouvellement doit, à
peine de déchéance, le notifier au bailleur par exploit d’huissier de justice ou
par lettre recommandée dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avant
l’expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine de nullité,
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les conditions auxquelles le preneur lui-même est disposé à conclure le
nouveau bail et contenir la mention qu’à défaut de notification par le bailleur,
suivant les mêmes voies et dans les trois mois, de son refus motivé de
renouvellement, de la stipulation de conditions différentes ou d’offres d’un
tiers, le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux
conditions proposées.
Il ressort de cette disposition que, pour être valable, la réponse du
bailleur doit exprimer son choix entre trois options, à savoir, soit refuser le
renouvellement sollicité, soit subordonner son accord à des conditions
différentes, soit signifier l’offre d’un tiers.
La réponse répond, dès lors, aux exigences formulées par l’article 14,
alinéa 1er, de la loi sur les baux commerciaux lorsque le bailleur déclare
refuser le renouvellement pour un des motifs visés par les articles 16, I et IV, et
17 de cette même loi et ce, indépendamment de savoir si ledit motif est justifié.
S’il invoque un motif de refus déterminé, il appartiendra, le cas
échéant, au juge de vérifier si le motif invoqué est justifié en droit ou en fait. Si
tel n’est pas le cas, il invalidera le refus de renouvellement.
En l’occurrence, la demanderesse précisa dans sa lettre recommandée
du 11 décembre 2007, en réponse à la lettre de renouvellement du bail, qu’elle
refusait le renouvellement « étant donné [qu’elle souhaitait] elle-même faire
usage de ce bien, et ceci conformément à l’article 17 de la loi sur les baux
commerciaux », ajoutant qu’elle avait l’intention d’y exercer un commerce
similaire.
Elle se prévalait, dès lors, explicitement du motif de refus visé par les
articles 16, I, 1°, et 17 combinés de la loi sur les baux commerciaux, à savoir
le refus de renouvellement pour usage personnel par une société de capitaux.
Ledit motif fut finalement déclaré par le juge non valable et, partant,
injustifié, au motif que la demanderesse ne démontrait pas, en tant que société
de capitaux, remplir, en fait, les conditions légales pour se prévaloir de
l’article 17, lequel dispose que, si le bailleur est une société de capitaux, le
refus de renouvellement prévu à l’article 16, I, 1°, ne peut être opposé qu’en
vue de transférer dans les lieux loués le siège principal de l’exploitation du
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bailleur ou d’agrandir ce siège principal de l’exploitation s’il est situé dans
des lieux voisins.
L’article 24 de la loi sur les baux commerciaux dispose que, si le refus
du bailleur de consentir au renouvellement du bail est déclaré injustifié après
l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article 14, le bail est renouvelé au
preneur, sauf le droit du bailleur de prétendre à des conditions différentes ou
de se prévaloir de l’offre d’un tiers, conformément aux articles 14 et 21 de la
loi, et que le délai dont le bailleur dispose pour notifier au preneur les
conditions auxquelles est subordonné le renouvellement ou l’offre d’un tiers est
limité à un mois à partir de la signification du jugement.
Le droit prévu à l’article 24 de la loi sur les baux commerciaux
s’applique, quel que soit le motif pour lequel le bailleur a refusé de consentir
au renouvellement.
Il importe peu que le motif de refus ait été jugé injustifié en droit ou
qu’il l’ait été en fait.
Que le motif de refus, invoqué par la demanderesse, fut finalement
déclaré non valable par le juge d’appel au motif que la condition de l’article
17 n’était pas remplie en raison de l’activité exercée par la demanderesse à la
date du refus est dès lors indifférent pour l’application de l’article 24.
Partant, le jugement attaqué, qui refuse l’application de l’article 24 de
la loi sur les baux commerciaux, au motif que le motif de refus invoqué par la
demanderesse n’était pas valable, ne justifie pas légalement en droit sa
décision que la demanderesse ne pouvait pas se prévaloir de l’article 24 de la
loi sur les baux commerciaux (violation des articles 14, alinéa 1er, 16, I, 1°, 17
et 24 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux). Le jugement
attaqué n’a pas davantage pu décider légalement que la réponse de la
demanderesse était nulle et devait être assimilée à une absence de réponse,
alors qu’il est avéré qu’elle s’était prévalue du motif de refus visé par les
articles 16, I, 1°, et 17 combinés de la loi sur les baux commerciaux (violation
des articles 14, alinéa 1er, 16, I, 1°, et 17 de la loi sur les baux commerciaux).
III.
La décision de la Cour
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L’article 14, alinéa 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux
commerciaux impose au preneur désireux d’exercer le droit au renouvellement
de le notifier au bailleur ; la notification doit indiquer les conditions auxquelles
le preneur lui-même est disposé à conclure le nouveau bail et mentionner que
le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux conditions
proposées, à défaut de notifier, dans les trois mois, son refus motivé de
renouvellement, la stipulation de conditions différentes ou les offres d’un tiers.
L’article 16, I, 1°, de la loi autorise le bailleur à refuser le
renouvellement en raison de sa volonté d’occuper le bien loué personnellement
et effectivement. Aux termes de l’article 17 de cette loi, si le bailleur est une
société de capitaux, le refus de renouvellement prévu à l’article 16, I, 1°, ne
peut être opposé qu’en vue de transférer dans les lieux loués le siège principal
de l’exploitation du bailleur ou d’agrandir ce siège principal de l’exploitation
s’il est situé dans des lieux voisins.
En vertu de l’article 24 de la loi, si le refus du bailleur de consentir au
renouvellement du bail est déclaré injustifié par le juge, après l’expiration du
délai de trois mois prévu à l’article 14, le bail est renouvelé au preneur, sauf le
droit du bailleur de prétendre à des conditions différentes ou de se prévaloir de
l’offre d’un tiers, conformément à l’article 14.
Le droit prévu à l’article 24 précité s’applique quel que soit le motif
pour lequel le bailleur a refusé de consentir au renouvellement.
Le jugement attaqué constate que la demanderesse a refusé pour le
motif prévu à l’article 16, I, 1°, le renouvellement proposé par les défendeurs et
décide qu’elle ne pouvait opposer ce refus parce que les conditions de l’article
17 n’étaient pas réunies.
Il considère que « le motif de refus n’étant pas valable, la réponse de [la
demanderesse] est frappée de nullité et doit être assimilée à une absence de
réponse » et que l’article 24 de la loi sur les baux commerciaux s’applique
seulement lorsque le juge déclare injustifié le motif de refus et non lorsque,
comme en l’espèce, ce motif « n’est pas déclaré injustifié, mais non valable et,
dès lors, nul ».
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Par ces considérations, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa
décision que le bail doit être renouvelé aux conditions proposées par les
défendeurs.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué en tant qu’il décide, par confirmation des
jugements rendus par le premier juge, le 9 janvier 2009, que c’est aux
conditions proposées par les défendeurs qu’il renouvelle le bail commercial et,
le 24 novembre 2009, que la notification par exploit d’huissier de justice du
20 février 2009 est non valable et sans effet, et en tant qu’il statue sur les
dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement
partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de commerce de
Nivelles, siégeant en degré d’appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Didier
Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé
en audience publique du dix-huit septembre deux mille quinze par le président
de section Albert Fettweis, en présence de l’avocat général Jean-François
Leclercq, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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P. De Wadripont
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Delange
D. Batselé
A. Fettweis

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