L`indépendance du Brésil - Site de Bruno de Maricourt

Transcription

L`indépendance du Brésil - Site de Bruno de Maricourt
Le gaulois – Samedi 29 juillet 1922
L’INDÉPENDANCE DU BRÉSIL
Il y a cent ans, lorsqu'une nation, reliée à une autre, ou subissant un joug trop absolu, désirait son
indépendance, elle ne tombait point dans un sanglant bolchevisme et – sagement – elle se choisissait
un chef.
Ainsi fit le Brésil lorsque, le 1er. août il offrit le trône à Pedro-Antoine-Joseph de Alcantara, fils
aîné de Jean II roi de Portugal et souverain du Brésil.
On connaît peu – connaît-on beaucoup ce qui se passait il y a cent ans ? – ce prince assez complexe et dont la figure est, au demeurant, attachante.
Né le 12 décembre 1798, réfugié au Brésil en 1807, lors de l'invasion du Portugal, Pedro avait
passé sa belle jeunesse dans la baie radieuse de Rio, au milieu des courtisans, des esclaves, des perroquets et des singes.
Son intelligence était remarquable. Vivant sous un ciel et en un temps où l'on ne travaillait point
à l'excès, il pratiqua en quelque sorte l'auto-instruction et c'est de lui-même qu'il tira le meilleur de
ses intellectuelles et princières ressources.
Il était né fort ambitieux, aussi prompt à obéir qu'à commander (belle qualité pour un jeune
prince issu d'une dynastie du pouvoir absolu), dévoré de passions impétueuses auxquelles il résista
presque toujours.... encore que certaine marquise de Santos, mêlée à sa vie, ait été là pour démontrer
que l'exception confirme la règle.
Bouillant et brusque, secouant jusqu'à ne point pratiquer la politesse des Cours cette lourde chape
de l'étiquette portugaise qui écrasait ses jeunes épaules, il s'aliéna souvent dans sa jeunesse les
grands seigneurs d'une Cour méticuleuse. Son père même – un peu effarouché – lui préférait Miguel
le frère cadet qui possédait un charme dangereux et une délicieuse souplesse assez proche de la cautèle, comme on le vit bien plus tard.
Aux grands effets les petites causes : s'il n'y avait pas eu émulation entre les dieux frères ; si Pedro, brûlant de se distinguer et de donner libre essor à ses facultés grandes, n'avait pas été piqué au
vif.... peut-être il y a cent ans le Brésil n'aurait-il pas affirmé son indépendance. L'Histoire,
d'ailleurs, est faite de « peut-être ».
Affable quand il le voulait, simple, très franc, encore que ses ennemis l'aient nié, Pedro, par surcroît, aimait la. poésie, la musique, les arts et la littérature. Absolutiste de tempérament, il inclinait à
ce libéralisme un peu vague et un peu flou, un peu « littéraire », que certains hommes de son temps
avaient puisé dans la superficielle lecture de Rousseau et de Filangieri. Il manquait un peu de
culture classique, car, son esprit actif s'attachant à toutes choses, il en négligeait fatalement quelques-unes.
Il étudiait avec ardeur les sciences de la guerre et de la construction navale. Si les mathématiques
étaient pour lui lettre morte, il se familiarisait rapidement avec les arts mécaniques. Et le délicieux
petit navire en miniature, par lui construit dans sa jeunesse, et conservé au palais de Saint-Christophe, montre l'habileté et les dons d'observation de ce jeune prince qui devait un jour commander
aux mers....
Ajoutons, pour terminer, le goût du risque et de l'aventure, cette bravoure transmise par lui – et
d'autres aïeux – aux princes d'Orléans, cette passion de la chasse qui l'entraînait au Brésil dans les
aventures les plus incertaines, et nous connaîtrons un peu – bien peu ! car un portrait ne se dessine
point en quelques traits – le futur Empereur qui fit sonner haut le nom de Bragance aux Amériques.
J'ai parlé d'auto-instruction. Ajoutons toutefois que le premier gouverneur de Pedro fut le vieux
Rodemacher, ancien ambassadeur en Danemark, diplomate consommé pour lequel les Cours de
l'Europe n'avaient point de secret.... J'imagine bien que cet homme de valeur (détesté par les courtisans puisqu'il avait cette valeur) souffla bien un peu dans l'oreille du jeune prince les dangers « du
péril anglais ».... J'entends par là l'influence absorbante de l'Angleterre qui, autour de 1820, menaçait le Brésil. Or, en 1821, Jean VI, réfugié lui aussi à Rio, quitta cette ville pour rentrer à Lisbonne :
– Mon fils, dit-il à Pedro, conserve le Brésil à la couronne de Portugal tant que tu pourras. Mais
si la chose devient impossible, conserve-la pour toi-même.
C'est exactement ce que désirait le très jeune prince. Le pays était en ébullition. Les idées d'indépendance fusaient comme les laves de multiples volcans. Un parti constitutionnel, chaque jour plus
grand, se groupait autour du « régent », tandis que le parti absolutiste diminuait à peu près aussi vite
que l'image du vaisseau filant sur la mer pour emmener Jean VI au pays de ses aïeux.
La rigueur maladroite des Cortès aggrava le mal. Où était le devoir pour Pedro ? Troublante
question.... S'imagine-t-on l'état d'esprit d'un prince qui va, fatalement, briser les liens avec sa dynastie, son pays et, situation presque sans précédentes, donner en quelque _sorte à lui-même une nationalité nouvelle en tranchant dans le vif et en créant une nation ? Ah ! combien la vie des princes
est compliquée et comme il est malaisé de chercher à lire dans les méandres de leur âme !...
En tout cas, Pedro scruta soigneusement sa conscience, puis . il n’hésita point. Les Cortès voulaient à toutes forces qu'il revînt en Portugal. C'était bien ce que guettaient les Anglais.... Il fallait
donc, ou abandonner le Brésil déjà appauvri par le départ d'un souverain et d'une Cour, ou prononcer le divorce entre les deux nations. Le Brésil était un grand pays riche de forces et plein de sève,
le Portugal était un petit royaume.... Le « petit royaume » refusait la liberté à un « grand pays »... à
l'enfant d'au delà des mers qui voulait devenir homme.
Le devoir était clair. Il fallait au Brésil la liberté qu'il réclamait. Après des luttes et des difficultés
dont le récit nous entraînerait trop loin, Pedro fit – le août 1822 – déclarer l'indépendance de la co lonie somptueuse aux richesses insoupçonnées dont il allait bientôt devenir l'Empereur.
Sa vie fut courte. Il mourut en 1836, épuisé par la grandeur de sa mission et de ses actes. Beaufrère de Napoléon 1er par son premier mariage avec Léopoldine d'Autriche, gendre, par son second
mariage d'Eugène de Beauharnais, il a laissé une postérité nombreuse. Grâces lui en soient rendues
en France, car les grands noms de Joinville, d'Eu et de Nemours nous ont assez prouvé l'heureux et
magnifique alliage du sang des Bragance et de celui des Orléans.
André de Maricourt