Émile Zola, « J`accuse ! », article paru dans L`Aurore, ⁄°·°

Transcription

Émile Zola, « J`accuse ! », article paru dans L`Aurore, ⁄°·°
É mile Zola, « J ’ a c c u s e ! »,
article p a r u d a n s L’Aurore,
⁄°·°
Intérêt du texte
Page majeure de la littérature engagée, qui gagnerait à être lue dans son contexte, c’est-à-dire comme la
péroraison d’une longue lettre, publiée par Clemenceau dans son intégralité (http://www.crdp-nice.net/
editions/supplements/2-86629-399-1/ F2_Zola.pdf)
Contexte
cf. Fiche sur l’affaire Dreyfus
U n e lettre o u v e r t e
LECTURE
1. Les différents destinataires de la lettre ouverte sont le président de la République (l. 1), les lecteurs de
L’Aurore, l’opinion publique en général. Tous sont pris à témoin, à travers la figure du président, premier
destinataire (double énonciation). Le pronom « nous » (l. 18) agrège les lecteurs au camp des témoins à
charge. Les
« accusés » énumérés ensuite sont pris à partie (à la place de l’accusé de l’Affaire, Dreyfus) : cha- cun est
associé à un ensemble de griefs. Ils sont pris à partie à la troisième personne du singulier, dans un jeu entre
la distance (l. 33) et la polé- mique (l. 15 et 16-17, notamment).
2. Contexte : image de l’auteur. Quand Zola écrit sa lettre, il est très connu comme roman- cier, naturaliste,
mais il n’a pas réussi à être élu à l’Académie française et a subi des attaques xénophobes. Son personnage
public ne fait donc pas l’objet d’un consensus ; il va, avec l’Affaire, choisir de radicaliser ses préférences
républi- caines et sa soif de vérité.
Fort engagement personnel (anaphores du « je ») dans une lettre signée ; « respect » (dernière phrase)
mais prise de risques assumée (l. 41-43) ; lexique des valeurs morales (l. 36 et, surtout, l. 37-43) ;
revendication de sincérité (« le cri de mon âme », l. 41), non sans polémique ironique (voir question 3).
Compétence : connaissance des dossiers (accusations méthodiques, faisant suite à une très longue lettre
détaillée). S’il construit un ethos moral et compétent, Zola se protège aussi de l’ac- cusation d’attaque ad
hominem (« je n’ai contre eux ni rancune ni haine », l. 34) ; il agit par sens de la justice, et non poussé par
une haine per- sonnelle. C’est à la fin de la lettre que se trouve l’exposition des valeurs motivant
l’engagement. N.B. : De ce point de vue, les articles et chro- niques détaillent également chaque épisode de
l’Affaire (voir pour les dreyfusards la réédition de L’Iniquité de Clemenceau, et des Preuves de Jaurès) :
l’opinion publique est donc très régu- lièrement informée, ou désinformée (campagnes passionnelles).
3. Les adversaires apparaissent de deux façons, Zola combinant accusation polémique et protestation
d’intégrité morale. D’une part, les accusa- tions sont présentées comme émanant d’une soif de justice (fin de
la lettre, déni de « rancune » ou de « haine ») ; d’autre part, elles sont assorties d’une réelle violence
polémique. De fait, Zola formule la différence entre la personne en tant que telle, et le responsable d’un acte,
émanation d’un système néfaste (l. 33-35). De ce point de vue, il dit ne pas recourir à l’insulte personnelle –
mais à l’accusation des responsables. L’image des adversaires est marquée par des connotations
péjoratives (« machinations [...] saugrenues », l. 5 ; « faiblesse d’esprit », l. 7-8, etc.), des adjec- tifs
subjectifs (« diabolique », « scélérate », « monstrueuse »...) exprimant l’indignation. Le combat est élargi,
dans les derniers paragraphes d’accusation, à la dimension d’une lutte géné- rale pour la justice : on quitte
le domaine de la charge. Zola évite ainsi l’attaque personnelle et, surtout, élève le débat : la haine est
rejetée du côté de l’antisémitisme et du militarisme aveugles. En revanche demeure la colère, pas- sion
éthique.
4. Dans son réquisitoire, Zola défend la thèse de la fraude judiciaire au service de la raison d’État, ou plutôt
de la « raison de l’Armée ». 1) Les accusations (ensemble de déductions allant au crédit de la thèse).
a) Des acteurs identifiés : – volonté de couvrir sa propre faute (du Paty de Clam) ; – complicité par lâcheté
(Mercier) ; – dissimulation de preuves (Billot) ; – aveuglement clérical et militaire (Boisdeffre et Gonse) ; –
partialité et bonne conscience (Pellieux et Ravary) ; – expertise graphologique erronée (Belhomme, Varinard
et Couard). b) Un élargissement des responsabilités : – manipulation de la presse par les bureaux de la
guerre ; – transgression de la loi par les conseils de guerre. 2) L’engagement responsable et les valeurs.
5. Zola rappelle des valeurs explicitement liées aux Lumières : la justice pour tous, la vérité, le « droit au
bonheur » (l. 39). Les adversaires sont associés au lexique de la « partialité » et du men- songe ou du
secret, tandis que Zola est associé à la « lumière ».
6. La figure matrice de cette péroraison est l’anaphore, qui donne un nouvel élan oratoire à chaque grief ; le
titre correspond à la reprise très fréquente de « J’accuse ». Les phrases peuvent s’amplifier (avec des
compléments circonstan- ciels, des volumes croissants, des effets de clau- sule, par ex. l. 18-19). Certaines
phrases courtes traduisent l’affirmation de soi, mais ressemblent à des rejaillissements : « Et c’est
volontairement que je m’expose » (l. 32). À l’occasion, Zola peut malicieusement jouer sur des
homéotéleutes que lui fournit le réel (« Varinard et Couard », l. 20).
7. Combinés avec la brièveté de certaines phrases (« J’attends », l. 43), certains verbes expriment l’action
que fait Zola en écrivant. Ils sont au présent d’énonciation, coïncidant avec le moment de l’écriture. Certains
sont perfor- matifs (« J’accuse »). Ils sont reliés à une réfé- rence déictique : « l’acte que j’accomplis ici » (l.
35). Le lexique de la justice (« accusations », « justice »...) correspond aux conséquences explicites de
l’acte ; on est dans la rhétorique judiciaire.
Argumentation
On peut proposer l’écriture d’un « parallèle ». La parenté entre l’affaire Calas et l’affaire Dreyfus n’a guère
échappé aux contemporains. L’utilisation de sa surface intellectuelle pour briguer une autorité politique est
précisément à l’origine de l’appellation moderne d’« intellec- tuel ». Penser que l’écrivain « doit » mettre sa
plume au service de la justice suppose une vision humaniste de sa vocation. Pour certains, l’écri- vain doit
au contraire demeurer à l’écart de la rumeur politique. Ce sujet rejoint la réflexion sur la légitimité de la
littérature engagée (verbe « doit » dans la consigne).

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