SYMPTOME, ETHIQUE ET DESIR D`ANALYSTE Claude Dumézil J

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SYMPTOME, ETHIQUE ET DESIR D`ANALYSTE Claude Dumézil J
SYMPTOME, ETHIQUE ET DESIR D'ANALYSTE
Claude Dumézil
J'évoquerai la boutade de Lacan: 'La Psychanalyse, c'est le
traitement que l'on attend d'un psychanalyste'. D’une telle formulation se
dévoile une conception de la psychanalyse comme structure, celle de la
cure.
Ce point est déterminant dans l'abord de la question du symptôme,
aussi bien en clinique que dans ce que peut dire le psychanalyste du
malaise, celui de la psychanalyse ou celui de la civilisation.
Le psychanalyste incarne une fonction, presque au sens
mathématique du terme (et non au sens d'un fonctionnaire). L'opératoire
de cette fonction dans la cure s'éclaire en considérant celle-ci comme une
structure dynamique résultant de la rencontre, dans un espace
transférentiel donné, de la structure initiale d'un patient avec un désir
d'analyste.
Certaines analyses didactiques ou certaines 'passes' soulignent une
’symptômatisation' de ce désir dans son devenir et ses effectuations les
moins discutables. Rappelons que Lacan formalisait la réalité psychique et
le complexe d’Oedipe dans le symptôme comme quatrième élément
nécessaire pour faire tenir l'enchaînement borroméen des trois registres
Réel, Symbolique et Imaginaire dont on connaît l’incidence dans le rapport
au social et dans les variations de la clinique.
La psychanalyse, une cure analytique, ne sont en rien la
reproduction d'un modèle relationnel, social habituel. L'altérité dont a à
connaître la psychanalyse passe par la parole et rencontre la réalité de
l'inconscient comme effet du langage. Dans ce champ de l'altérité, toute
opposition entre réalité et discours est aussi partiale et idéalogique que ne
le serait une opposition entre Science, dans ses prémices et ses réalisations,
et Inconscient, dans ses formations.
L'inconscient existait bien sûr avant la découverte de la
psychanalyse: il n'y a pas d'antériorité de la réalité sur la représentation
mais combinatoire.
Un savoir sur l'inconscient estampille cette
combinatoire. Il en va de même de la notion de 'réel', disjoint du concept
de réalité.
Ce registre n'est pas spécifique à la psychanalyse mais celle-ci en a
une pratique clinique spécifique: le réel c'est ce qui échappe au sujet, ce
qui est au-delà de l'image et de la lettre, ce qui n'est pas spécularisable, ce
qui est impossible à supporter. L'enseignement de J. Lacan en a formalisé
la place dans la structure par rapport à l'imaginaire et au symbolique. Ce
qui ne peut être symbolisé apparaît dans le réel, d'où les relations
priviligiées entre le réel, le refoulé et l'inconscient. C'est en tout cas d'être
référé à ce réel et non à un idéal, que se spécifie l'éthique de la
psychanalyse. Si un discours fait lien social, l'éthique en est davantage la
conséquence que la cause. Peut-être est-ce ce qui fonde le psychanalyste à
proposer d ’ajouter aux autres éthiques son éthique de déliaison, référée au
réel de la structure.
Que la déliaison concerne bien l'inconscient, il me semble qu'on le
repère dans la pratique théorique, de Freud à Lacan, des psychanalystes
confrontés, dans la structure dynamique des cures qu'ils conduisent, à une
problématique de perte et de deuil. Le recours de Lacan aux mathèmes,
comme outils d'un intégralement transmissible atteste bien d’une matière
qui échappe au sens, comme la nouvelle approche du statut du symptôme
par la topologie des noeuds.
La structure de la cure renvoit donc au désir d'analyste qui en assure
le cap. Elle requiert une éthique autre, décalée d'un lien social courant.
Que la déliaison ait bien sa place dans le discours, c'est ce
qu'indique l'observation à l'état brut, dans le jeu de Yeinfall, des éléments
essentiels de la pensée comme le désir, la pulsion de mort ou la limite à
toute complétude existentielle ou relationnelle.
Le sujet de la science procède de cette limite d'ou il suit les contours
du sujet de l'inconscient. Humaines ou exactes, les sciences rencontrent la
question du refoulement. Mais c'est pour l'ignorer ou tendre à l'effacer.
Cette polarité naturelle des sciences vers le conscient et la réalité et non vers
le réel et Vinconscient au sens de la psychanalyse, rend à la fois celle-ci
hétérogène aux autres champs de la connaissance en même temps qu'elle
lui assigne une place à part dans une réflexion éthique. On ne peut que
déplorer l'absence de psychanalystes au sein des comités d'éthique ayant à
connaître des mutations que la science apporte à notre société, même si la
vocation de la psychanalyse n'est pas d'expliquer le monde, de conseiller
des experts ou d'en produire. Certes les savants et les autorités morales
produisent un discours propre à dépasser une réalité d'expérience mais la
psychanalyse est la seule expérience qui produise un discours qui importe
dans le réel entre la science et la vérité, la parole et le corps sexué et
mortel.
Ces remarques indiquent une direction aux sociétés ou associations
de psychanalyse dans leurs rapports aux développements des savoirs.
C'est la pratique de l'inconscient qui permet d'aborder ces questions avec
beaucoup plus de 'déliaison' que n'en permettent les discours de maîtrise
qui se tiennent en amont ou en aval du culturel, de l'institué et du
politique, notamment dans les regroupements dont la psychanalyse est
l'objet.
C'est de la mise en perspective et en tension de ces deux concepts
pivots de désir d’analyste et d'éthique de la déliaison que l'on parviendra
peut-être, entre les aléas des innovations, la clôture d'une orthodoxie ou la
complaisance d'un ancrage psychosociologique dans la 'culture', à
préserver la psychanalyse elle-même du refoulement.
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