Le petit journal des Francomanias
Transcription
Le petit journal des Francomanias
n°4 vendredi 18 mai 2012 «Je suis sincère, c’est tout… et amoureuse des mots» BRIGITTE FONTAINE. On la dit excentrique, fantasque, elle se révèle attachante et touchante. Quoiqu’il en soit, Brigitte Fontaine reste une chanteuse à part. Oublions l’image véhiculée par quelques apparitions télévisées malheureuses: Brigitte Fontaine est avant tout un auteur (elle déteste «une auteure») magnifique et une interprète toujours surprenante. Depuis ses débuts, il y a plus de quarante ans avec Jacques Higelin et Areski Belkacem – son mari, compositeur et musicien – elle a créé un univers unique, en toute liberté, d’une richesse poétique qui se redécouvre à chaque écoute. Brigitte Fontaine joue aussi bien du langage classique que des mots crus. En témoigne son récent et fameux «je suis vieille et je vous encule» (Prohibition). Quelques mois après une lecture-concert à Meyrin, vous venez à Bulle pour un pur concert. A quoi peut-on s’attendre? 1-2 BRIGITTE FONTAINE 3 EN TENDANT L’OREILLE 4-5 C’ÉTAIT HIER 6-7 BRÈVES 8 PROG. Edité par et imprimé sur presse Xerox DCP 700 2 | Le petit journal des Francomanias Je serai avec toute l’équipe, tout mon staff. Ce sera une fournaise… A la fois drôle, rock et émouvante. Avec des chansons de toutes les époques, mais comme c’est la fin de l’oppression, chez nous, je n’en chanterai pas de l’album Prohibition! L’album Prohibition, sorti en 2009, en réaction à l’élection de Nicolas Sarkozy, était un album engagé, rebelle… Rebelle, oui… Le mot engagé ne me convient pas trop, je préfère «dégagé»! La chanson a-t-elle un rôle à jouer dans cette rebellion? Hélas, peu. Malheureusement, les artistes n’ont pas de poids dans la politique. Donc je ne me fais pas d’illusions, surtout quand un album comme celui-là est interdit sur les ondes nationales. Mais Bob Dylan a au moins sauvé la vie d’un homme, avec Hurricane! Il a réussi son coup et c’est une magnifique chanson. Il y a un an, vous avez sorti L’un n’empêche pas l’autre, un album de duos… Ils m’ont poussé à faire cela, oui… Finalement, j’étais contente de retrouver quelques camarades, que j’apprécie beaucoup. Ce disque, on me l’a imposé, parce qu’il devait marcher et il n’a aucun succès! Je trouve ça très drôle. On retrouve des duos avec M, Higelin, Arno, Christophe, Bertrand Cantat, Souchon: vous avez choisi toutes ces collaborations? Oui, c’était ma seule condition: j’ai choisi les personnes et les chansons. D’habitude, je faisais des duos une ou deux fois par disque. Un album entier, ce n’est pas trop mon truc. D’ailleurs, il y a aussi deux chansons que je chante seule, Gilles de la Tourette et God’s nigthmare. Celle-ci, je devais la chanter avec Beth Ditto, de Gossip. Elle avait accepté, mais ça a trop traîné et ce n’était plus possible. Dommage! Vous venez également de publier un roman, Les charmeurs de pierres. L’écriture, pour vous, c’est… …capital! C’est merveilleux, c’est la liberté totale. La seule liberté. Ecrire des chansons ou des livres, c’est le même effort et la même jubilation. J’aime les mots, j’aime le classique. Je suis fan de Racine, de Molière et de Choderlos de Laclos. Et évidemment de Baudelaire. Mais mon préféré de tous reste Rimbaud. Vous chantez vos textes alors que la plupart des musiques sont signées Areski Belkacem, votre mari: est-ce que vous intervenez dans la composition? Je lui fais entièrement confiance et je n’interviens pas, la plupart du temps. Et j’ai raison, pas pour des questions de succès, mais parce que je crois qu’on fait du bon travail et que nous avons lieu d’être contents. Il fait ce qu’il veut et il travaille beaucoup, à partir de mes textes. Alors que, pour moi, l’écriture est très rapide. Pour lui, en général, c’est long et profond. Depuis vos débuts dans les années 1960, on n’a cessé de vous coller des étiquettes: fantasque, excentrique, surréaliste… Qu’elles aillent à la poubelle, toutes! Je ne me reconnais dans aucune d’elles. Je suis sincère, c’est tout. Et amoureuse des mots et de la musique. Souhaitez-vous ajouter quelque chose en prévision de ce concert à Bulle? Filipandré, un ami humoriste, dessinateur de BD, qui habite à Annecy, donc finalement pas loin de Bulle, a fait un excellent dessin qu’il m’a envoyé, qui est très drôle. Il a utilisé des lettres découpées dans le journal, qui annonçait «Brigitte Fontaine à Bulle» et il m’a dessinée sur scène en train de dire: «Je suis à Bulle et je vous encule!» Le petit journal des Francomanias | 3 Le temps qui nous flingue de te découvrir en chair tant tes envolées C’est une nuit d’adolescence. Me voilà prophétiques ont pu m’impressionner. couché dans l’herbe à l’approche de l’aube Ta timidité entre deux morceaux, la malaet Route 88 déraille à plein volume dans dresse de tes interventions me perturbent un vieux radiocassette. Thiéfaine me chante pour la première fois ses amanites phalloïdes un peu. Mais la musique a tôt fait de bouleverser tout cela. Deux heures de haute volée, et me donne envie d’aller voir des rappels, Pulque, mescal y tequila ailleurs… «Bourlinguer, errer, errer humanum est…» Venpour conclure… Tu es maintenant du, Hubert-Félix! J’embarque seul à la guitare et je lève très En tendant l’oreille avec toi. haut ma bière, vacillant au bord de mille précipices, Quelques mois plus tard, heureux de renoncer à gorgé de tes déprimes tout équilibre et refusant célestes, j’emmènerai de croire que le monde précieusement à travers va vieillir. l’Europe, dans une succession de trains sans le sou, deux Le temps, ce salaud, fait autres albums incandescents: son œuvre dans notre dos. Autorisation de délirer et Le sang bat moins fort à nos temDernières balises avant pes et Rimbaud, trop souvent annoté, mutation. Le soir, les mains prend mollement la poussière dans la bipressées sur le casque du bliothèque. Des paroles moins fiévreuses que walkman, après avoir lissé les tiennes jaillissent d’une chaîne stéréo aux la bande qui se coince dans l’apaccents numériques, mais tes albums restent pareil, je tente de décrypter les paroles; à portée de main. Même ceux qui m’ont je n’y parviens guère et j’en déduis d’autant le moins emporté, même les arrangements plus qu’elles me sont adressées. Et pas de indigestes de Fragments d’hébétude ont fausse solidarité entre nous: «La solitude été soigneusement écoutés. Et le feu couve n’est plus une maladie honteuse», dis-tu; encore. A chaque nouvelle sortie de disque, j’essayerai de m’en souvenir. je ressens ce frisson, cette envie de m’extasier sur trois vers, sur un refrain qui me Le concert, c’est deux ans plus tard, dans fera vibrer l’âme et me rappellera combien une petite salle enfumée à souhait, parce tu participes à ma bande-son intime. que l’on écoute forcément mieux lorsque les MICHAËL PERRUCHOUD poumons pleurent. Je suis alors presque déçu Le petit journal des Francomanias propose une carte blanche à Michaël Perruchoud, écrivain et cofondateur du site www.cousumouche.com 4 | Le petit journal des Francomanias Catillon, la révélation de cette édition C’ÉTAIT HIER. Elles sont plus acidulées que décapantes et peut-être un peu moins folles qu’on pouvait l’espérer. Mais les deux chanteuses de Brigitte ont fait le plus grand bien au festival. Côté spectacle, tout est parfaitement rodé, de la batterie au tambourin, et le public se sentait des démangeaisons dans les jambes. L’ambiance, elle, s’est plutôt conjuguée dans le tendre… J’veux un enfant, Encore un verre, les brûlures de la vie ne sont pas absentes du répertoire de Brigitte, qui démontre à cette occasion toute la sincérité d’une démarche. Pour le reste, Ma benz, reprise de NTM, est un véritable morceau de bravoure et Battez-vous possède tous les attributs du tube intelligent (eh non, il n’y a pas forcément contradiction dans les termes). En milieu de soirée, tout plein de jeunes filles étaient venues pour Cœur de pirate et, visiblement, elles n’ont pas toutes été déçues. Tantôt au piano, tantôt en train de se dandiner malgré un ventre habité depuis quelques semaines, Béatrice Martin a donné le strict minimum pour sa dernière apparition sur scène avant sa parturition. Avec sa diction incompréhensible (et elle ne peut pas se cacher derrière un problè- PHOTOS JESSICA GENOUD Le petit journal des Francomanias | 5 me de sono) et ses airs de jean-foutre, la môme tatouée ne laissera pas un souvenir impérissable. En un mot: rentre à la maison, Cœur de pirate, et occupe-toi de préparer la chambre pour ta fille! Pour Catillon, la partie n’était pas gagnée d’avance. Certes, le groupe gruérien jouait à la maison. Mais jamais encore il n’avait affronté une salle aussi grande. C’est peu dire que la formation de Titi Sottas s’en est sorti avec brio. Elle figurera comme l’une des révélations de cette édition. Après deux titres, Titi Sottas lâche: «J’suis déjà crevé.» C’est que le bougre ne se ménage pas, porté par l’enthousiasme d’un public pourtant majoritairement venu pour Cœur de pirate et Brigitte. Pour ce concertvernissage, Catillon a invité quelques musiciens qui ont participé à l’enregistrement de Combien de routes… D’où ce moment de pure grâce avec L’éphémère, interprétée en compagnie de Céline Bouzenada Sottas (madame Titi) au piano et Frédéric Rody au violon. Pour le reste, la chanson rock efficace de Catillon, la voix charmeuse de Titi et l’énergie sympathique de tout le groupe ont emballé Espace Gruyère et largement compensé quelques textes engagés moins convaincants. En début de soirée, les Bullois de Django Bizaule (pardon Django Dass) ont chauffé la petite salle avec leurs chansons manouches et polissonnes dont on retiendra leur sublime adaptation du Poinçonneur des lilas («Je pose des roues, des petites roues», wouah la classe)! Juste après, LiA a confondu rock et raccroc, mais le public y a cru… 6 | Le petit journal des Francomanias Brèves des Francos Perte en coulisses Entendu hier soir dans la radio: «Pas compris, qui a perdu deux filles dans le backstage?» Ce n’est quand même pas déjà Cœur de pirate? Le spa des Francos «Il y a les Francofolies de Spa et maintenant le spa des Francomanias», se marre le boss, en référence aux masseuses et ostéopathes qui œuvrent en coulisses pour le bien et le dos des artistes (ceci est un zeugme, pour les lecteurs attentifs). Mais seulement pour les artistes, le boss lui-même n’y ayant, paraît-il, pas encore goûté. Cette année, il n’a plus droit à des privilèges, le boss des Francos? Sécu On se demande bien à quoi peuvent servir les cerbères qui, deux par deux, traînent leur misère (et leurs biceps) entre les stands. Depuis trois jours, ils errent sans but, les pauvres hères. Qui a dit que c’était la planque, la sécu? Le soutif de Juliette Mardi, les bénévoles des coulisses ont dû faire face à un problème de taille. Les habits de scène de Juliette sont revenus du pressing encore mouillés. Surtout le soutif de la chanteuse… Du coup, ils se sont mis à plusieurs pour fœhner l’objet. Qui est le malotru qui a dit qu’ils en ont eu pour un moment? Le string de Zaz Les transports au pressing sont des moments d’intense souffrance pour les bénévoles. Par exemple, pour celui chargé de ramener le string de Zaz… Non, faut pas rêver, mon gars! Hello Bulle Toujours à propos de la très sympathique Zaz. En pleine tournée européenne, elle est un peu perdue en géogra- La petite phrase du jour “ Ma fille voulait absolument voir Cœur de pirate. Elle a pas encore l’âge d’avoir du goût. ” UN PÈRE FORMIDABLE phie. Mercredi, durant le trajet avec le chauffeur, elle a commencé par lui causer en anglais… avant que son agent lui précise: «Non, non, ils parlent français, ici.» Orthodontie Entendu dans les bars hier soir: «C’est la soirée appareil dentaire.» Les trois chansons Depuis qu’il joue sur la grande scène, Catillon a-t-il pris le melon? Hier, le groupe n’a autorisé les photographes que durant leurs trois premières chansons… Comme les stars. Tant pis pour toi, Titi, on n’a pas de photo de ton «stage diving». On viendra prendre celui que tu feras à ton prochain concert, au Café du Tunnel. Titi nous lit A propos de cette plongée dans la foule, Titi Sottas a reconnu que c’est le Petit Journal qui l’a poussé, en le défiant dans son édition d’hier. Et puisqu’on le lui a promis, on ne révèlera pas qu’il s’est décidé en le lisant aux toilettes. Le mot du jour Continuons à apprendre des mots avec le Petit Journal des Francomanias: en fait, Cœur de pirate, c’est de la chanson acratopège. Le petit journal des Francomanias | 7 Vous êtes chauds? C’est à croire que personne ne tend l’oreille aux pertinentes chroniques de Michaël Perruchoud dans ce Petit Journal. En tout cas pas les musiciens. Malgré un magnifique hommage à sa chanson Vierzon, Jamait ne l’a pas jouée sur scène. Malgré une brillante catilinaire contre ces chanteurs qui haranguent le public, tous l’ont fait à leur manière. Avec une prime à Titi Sottas qui a osé un «vous êtes chauds?» très troisième degré. Gagnant-gagnant Après Juliette et son confortable sofa noir, Catillon a également décidé d’installer un canapé sur scène, en fer forgé. Comme quoi, l’idée d’agender la foire de liquidation de meubles à Espace Gruyère en même temps que les Francos n’avait rien n’absurde. le moment tu viens ranger ton bordel.» Signé Mick, le stage manager, à un musicien de Catillon qui peinait à atterrir après son concert. Constat Pendant le concert de Cœur de pirate, les foies de corsaires étaient au bar. Il a son autographe de Cœur de pirate Cœur de pirate n’a pas la réputation d’être la plus accessible des chanteuses. Après son concert, elle a toutefois accepté de rencontrer deux fillettes toutes émoustillées de recevoir un autographe de leur idole. Tout comme le gros bras de Phœnix Security qui en a profité pour lâcher un «je peux aussi en avoir un». Une âme de midinette sous la carapace des pectoraux… Bienvenue dans la vraie Gruyère On râle quand les télés et Rectificatif les radios lémaniques contiA plusieurs reprises, nous nuent à nous prendre pour avons qualifié Jacky de des p’tits gars de la cam«responsable des bénévopagne, mais, parfois, on n’est les». Or, il s’avère que c’est pas aidé. Qu’on demande Hervé, le vrai responsable. aux artistes qui logent à Et donc, Jacky, il fait quoi? l’Hôtel Ibis s’ils n’ont pas Ben il est chargé du Bar Jack, l’impression de se retrouver comme les années précéchez les paysans, avec ce qui dentes. Mais il n’y a pas a été puriné tout autour… de Bar Jack, cette année? Ah! bon. Retour sur terre «Quand tu seras connu, on en reparlera, mais pour Elle est arrivée Brigitte Fontaine était annoncée à son hôtel jeudi en fin de journée. Dans la soirée, toujours sans nouvelles, Manu le programmateur s’inquiète, demande qu’on l’avertisse dès qu’elle est là. Ce matin, il découvre l’e-mail: «Brigitte Fontaine est arrivée. Fidèle à ellemême.» On ne voit pas ce que ça veut dire. Dédé is a punk rocker Entendu dans le public pendant le concert de Catillon: «Si je devais un jour monter un groupe de reprises des Ramones, j’engagerais directement André Schibler.» Le jeu de jambes de l’aîné du groupe en a apparemment impressionné plus d’un... Goût de chiotte «Et moi je t’aime encooore plus fooort!» Un jeune homme dans les toilettes d’Espace Gruyère poussait encore la chansonnette bien après le concert de Cœur de pirate. Avant de confesser à son voisin de pissoir: «Je vais tout de suite m’acheter le disque! Euh ça, à fond dans la bagnole! Trop beau!» L’histoire ne dit pas s’il s’agissait d’une bonne dose de dérision ou… d’alcool. On s’en fout Donna Summer est morte. 8 | Le petit journal des Francomanias Demandez le programme Une soirée qui va de Netton Bosson à Hubert-Félix Thiéfaine, il n’y a qu’aux Francomanias que l’on peut voir ça… Début avec le Projet Netton Bosson (17 h 20). Soit des textes du peintre riazois, mis en musique par Steve Fragnière et en voix par Mike Sciboz, pour se souvenir qu’on est bien chez nous, tché? Pony del Sol prendra le relais (18 h 45). Sous ce pseudo qu’on se demande bien où c’est qu’elle a pu aller le chercher se trouve la talentueuse Fribourgeoise Gael Kyriakidis. Sur la grande scène, Alex Beaupain ouvrira cette soirée de prestige (20 h). Pas l’artiste le plus connu de cette édition, mais quelle classe! Une seule écoute de son dernier album, Pourquoi battait mon cœur suffit pour s’en convaincre. Viendra ensuite le tour de Brigitte Fontaine (21 h 30). On ne dit rien de Brigitte Fontaine, on la lit (interview en pages 1 et 2) et on admire son sens de la rime. Puis Thiéfaine… ahh! Thiéfaine (23 h 15). Michaël Perruchoud (en page 3) résume parfaitement ce que le grand Hubert représente pour toute une génération. Aujourd’hui, on peut bien avouer qu’à l’époque (mon Dieu, il y a presque trente ans!), on ne comprenait pas tout, mais on trouvait super que «le vent souffle à travers nos crânes ITT Oceanic couleurs» et que débarquent les «alligators 427 aux ailes de cachemire safran». Et c’était la première fois qu’on entendait parler de Hölderlin, des Chants de Maldoror et d’autres substances presque aussi agréables et addictives. Depuis, Thiéfaine a gagné des Victoires de la musique et, comme dit Yves Jamait, rien que pour ça, cette manifestation se justifie. Bref, Thiéfaine est un maître. On se tait et on écoute.