Le portrait de M. Métivier - Lycée Duplessis
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Le portrait de M. Métivier - Lycée Duplessis
Maine-et-Loire LE GRAND PORTRAIT Le Courrier de l’Ouest propose un grand portrait un dimanche par mois. Un point commun rassemble les hommes et les femmes qui se succèdent : chacun à sa manière participe au rayonnement du département. I l porte le blouson noir et manie les concepts chaque jour de sa vie. Professeur de philosophie à Saumur et rocker dans l’âme. Rien d’antinomique pour Francis Métivier. Les idées toutes faites produisent autant de préjugés. Tout le contraire de la philosophie, cet amour de la sagesse, ce questionnement permanent qui forme les hommes. « Parce que la philosophie est en chacun de nous, parce que chacun a la possibilité de penser, réfléchir et affirmer des idées », pose l’auteur de Rock’n Philo, un essai publié en 2011 et diffusé depuis à près de 30 000 exemplaires. Un « best-seller » dans ce domaine littéraire où les tirages plafonnent généralement à 5 000. Une forme d’aboutissement près d’un demi-siècle après la naissance du petit Francis. C’était en 1962 dans une famille ouvrière de la banlieue tourangelle. Un père métallurgiste, une mère nourrice à domicile et des cités HLM pour horizon entre Saint-Pierre-des-Corps et La Riche. « Des lieux un peu craignos qui n’existent plus, je crois. » Qui, déjà, lui donnent des envies d’ailleurs ? « Non, parce que je n’avais pas d’élément de comparaison. Pour moi, le monde entier était une cité HLM et tous les gens y habitaient. » L’ailleurs, ce sera Amboise où Francis se forme sur les bancs du collège puis du lycée Léonard de Vinci. Là où il rencontre la philosophie. En cours de grec, il traduit des textes de Platon. C’est le déclic. « J’étais subjugué par ce Socrate qui, alors qu’il n’a pas véritablement commis de crime, accepte de mourir après sa condamnation à mort. Un copain à lui, Criton, lui propose de s’évader, il refuse. Ce truc tellement paradoxal m’a fasciné : ce sens de la justice qu’on s’applique à soi-même, le fait de vivre conformément à ses idées et ne pas se trahir. » Il sera philosophe. Le temps des renoncements L’étude de « La naissance de tragédie » dans lequel Nietzsche analyse la culture grecque et la différence entre Dionysos et Apollon sera un autre élément fondateur. On y parle d’esthétique… et de musique. Une époque où il découvre le rock, les disques des Beatles, Bob Dylan et Led Zeppelin, les premières soirées en cave à Amboise, là où s’écoutaient ces voix nouvelles. « Comme pour la philo, j’ai tout de suite voulu en faire. » Si les textes de Platon et Nietzsche l’invitent à écrire, les figures du rock l’amènent à la guitare. Avec les moyens de l’époque. Internet n’existait pas et le logiciel Guitar Pro encore moins. Francis s’amuse à reproduire le fameux solo du « Stairway to heaven » Francis Métivier, qui enseigne sa discipline au lycée Duplessis-Mornay de Saumur, a réussi le mariage des textes rock et philosophiques. Photo CO - Laurent COMBET Francis Métivier Pop’ philosophe crosillon, j’écoutais, j’essayais de reproduire puis je reposais le diamant au bon endroit et ainsi de suite. Tout à l’oreille, j’ai dû y passer six mois. » Ce morceau d’anthologie influencera l’œuvre du futur pop’ philosophe. « Rock et philo, j’ai tout de suite senti que les interrogations étaient les mêmes. Stairway to heaven questionne sur le sens de la vie, sur les différents chemins qui peuvent s’ouvrir et les choix qu’on peut faire. » Le choix justement. Le lycéen Francis Métivier sait ce dont il ne veut pas. Fils d’ouvrier, ouvrier tu seras. Le déterminisme social, très peu pour lui. Ce refus s’impose un jour qu’il se rend dans l’usine où bossait son père pour récupérer de la ferraille. « Ce n’est pas un truc pénible, physique ou visuel, qui a fait la décision, c’est une odeur que j’ai toujours dans le nez, c’est elle qui m’a fait dire : non, je ne veux pas travailler en usine. » Définitivement, il préfère s’amuser dans sa chambre avec le rock et la philo. DEA en poche, il découvre l’enseignement. Première nomination au lycée technique de Saumur en 1987. Très vite, il ralliera l’établissement d’enseignement général de Duplessis-Mornay où il exerce depuis. Au détour des années 90, Francis fréquente La Sorbonne pour y soutenir une thèse de doctorat… consacrée au philosophe danois Søren Kierkegaard. Rien que son nom fait peur et sa philosophie n’est pas la plus accessible. Lui s’intéresse au personnage qui écrivait sous une multitude de pseudonymes. « Pas pour se cacher, comme le faisait Rabelais, mais pour envisager des points de vue qui ne sont pas les siens. Il écrit comme s’il était quelqu’un d’autre, la démarche était probable- Enseignant, écrivain, musicien, le philosophe saumurois a rapproché avec succès le rock de la pensée philosophique. Tout le contraire d’un paradoxe. Tout petit déjà, il tentait de concilier les deux. ment liée à un problème de personnalité. » Difficile d’affirmer que ce comportement guidera aussi le pop’ philosophe. Devenir Docteur en philosophie présente un intérêt : pouvoir enseigner à l’université. « J’ai eu cette ambition à la fin des années 90. » L’aventure se poursuivra jusqu’en 2008, l’année d’un double renoncement. Aux origines était l’essentiel En fac de médecine à Tours, le philosophe se voit maître de conférences. « Pour faire son trou, il faut du temps, c’est de la politique, de la lèche aussi. J’en suis parti quand j’ai compris qu’ils ne créeraient pas la chaire d’éthique que je souhaitais. » Parallèlement, à partir de 2001, Francis Métivier s’implique dans la vie de la cité. À Chinon où il réside depuis plus de vingt ans. Une ville endormie sous la figure tutélaire du socialiste Yves Dauge, proche du pouvoir des années Mitterrand. « Personne n’osait se présenter face à lui de peur de faire 20 %. » Lui y va… tout en pensant à 2008. Il se situe au centre droit mais se dit que l’étiquette politique est de peu de poids, que le projet compte davantage. Ses 44 % sont le signe « du besoin de changement ». Élu d’opposition, il fait son travail, « propose des trucs qui ne sont jamais appliqués… ». En 2008, Yves Dauge passe la main à son 1er adjoint Jean-Pierre Duvergne. Face à lui, la liste de Francis Métivier balaie très large « des anciens de l’UMP Dimanche 25 janvier 2015 et de la CGT et des gens des quartiers qui y vivent vraiment ». Sa liste est battue pour 45 voix, « les électeurs UMP ont préféré voter PS plutôt que pour la diversité ». Cet échec signe son second renoncement de l’année 2008. De cette expérience, Francis Métivier retient pourtant que « politique et philosophie font bon ménage. Faire de la politique, c’est essentiellement parler, écrire, argumenter. La philo aide à structurer un discours, à le rendre concret. » La politique, il l’imaginait comme un plus dans une vie qu’il choisit alors de recentrer sur sa famille et ses cinq enfants. Tout en pensant déjà à la suite, retrouver sa guitare et le rock. « Ce renoncement universitaire et cette défaite politique m’ont relancé, ça m’a remis sur la voie de ce qui est populaire. On dit ça de la politique alors qu’il n’y a pas plus élitiste, tout comme la vie universitaire. » Ses ambitions contrariées, il revient à ses premières amours : jouer de la guitare, écouter des choses presque oubliées. Dès 2009, « mettre en face à face la philo et le rock » nourrit l’idée d’un bouquin. Une façon de retomber sur ses pattes de lycéen ? « Clairement, oui, je me dis «Mais qu’est-ce que tu as foutu pendant dix ans ?» A un certain âge, vers la quarantaine, on redevient libre. » Libre de porter un cuir et de croiser, dans un TGV qui le mène chez son éditeur à Paris, Jean-Patrick Gille, en costume-cravate. Lui est devenu député d’Indre-et-Loire et n’a pas mené au bout les études de philosophie dont il partagea la première année avec Francis Métivier. Destins croisés, parcours opposés, clin d’œil du hasard. La philosophie a toujours été sa voie, Francis Métivier rêvait la politique et l’université n’était qu’une façon d’évoluer dans la carrière. « Quand on est établi dans un job, on peut se permettre de tenter autre chose. Deux fois, ça n’a pas réussi, la troisième, si. » En revenant aux idées originelles de la pop’ philosophie telle que l’avait inventée Gilles Deleuze : écrire un livre qui puisse toucher immédiatement un public de non spécialistes. Ceux de Francis Métivier - Rock’n Philo en 2011 (1), Zapping Philo en 2013 et Rap’n Philo l’an dernier - incarnent ce concept remis au goût du jour avec le siècle nouveau. Aujourd’hui, le pop’ philosophe n’est pas seulement établi dans l’édition, il pose régulièrement les pieds sur scène en Philoconcert, comme en novembre dernier au Chabada d’Angers en compagnie du rappeur saumurois Kad Krizz. Une tribune à sa mesure et sans filtre avec tous ceux qui ont « la possibilité de penser, réfléchir et affirmer des idées ». (1) Rock’n Philo volume I sera réédité en mars dans la collection « J’ai Lu ». Le volume II est en cours d’écriture et paraîtra en septembre. BIO EXPRESS 1962 : naissance à Tours. 1986 : DEA de philosophie à Tours. 1987 : enseignant à Saumur. 1998 : Docteur en philosophie, Paris IV La Sorbonne. 2001-2014 : conseiller municipal d’opposition à Chinon. 2011 : parution de Rock’n Philo volume I. 2015 : parution de Rock’n Philo volume II.