Les Papilionacées, entre ombre et lumière
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Les Papilionacées, entre ombre et lumière
B O TA N I Q U E GOETHÉENNE Les Papilionacées, entre ombre et lumière Avant de s’attacher au petit pois, jetons un regard sur sa famille botanique, les Papilionacées, ce qui nous permettra de mieux cerner les particularités de cette légumineuse. O n emploie plus souvent le terme de légumineuses dans l'alimentation ou l'agriculture pour parler de ces plantes. Les légumineuses sont une famille botanique qui réunit environ 18 000 espèces réparties en trois sousfamilles sur tout le globe terrestre : - les Papilionacées (aujourd'hui renom- mées Fabacées d'après le nom de genre Faba, la fève) qui est la seule famille représentée en région tempérée - les Césalpinacées et les Mimosacées, deux familles dont la plupart des représentants poussent dans les régions chaudes du globe. On citera par exemple le mimosa avec ses fleurs en pompons comme La vesce (Vicia cracca) en pleine floraison : les fleurs ressemblent à des insectes butinant N° 60 HIVER 2007 - BIODYNAMIS 3 exemple de Mimosacée et l'arbre de Judée comme exemple de Césalpinacée. Nous allons nous limiter à la famille des Papilionacées déjà importante avec ses 12 000 espèces. En décrivant quelquesuns de ses représentants les plus courants, nous pourrons observer un certain nombre de caractéristiques de la famille. Dans les prés et les landes Dans le jardin ou le pré, nous rencontrerons très facilement les trèfles aux feuilles trifoliées (d'où vient le nom de Trifolium) typiques et aux fleurs en pompons blancs, roses, ou pourpres chez le trèfle incarnat. Ces plantes ont souvent un feuillage vert bleuté et elles restent bien vertes en été, même par temps sec. Quand les fleurs fanent, le reste de la plante, au lieu de dessécher, reste toujours vert comme si la plante ne voulait jamais dépérir… Les fleurs du trèfle blanc sont très appréciées des abeilles, en particulier au cœur de l'été quand il n'y a guère d'autres fleurs à nectar. D'autres Papilionacées des prés comme le lotier corniculé, la minette, le trèfle fer à cheval (Hippocrepis) aux fleurs jaunes sont des aliments très appréciés des chenilles de certains de nos papillons diurnes. Pensez-y si voulez préserver les papillons. On découvre ainsi un lien intime entre les papillons et la famille des Papilionacées qui tire son nom de la ressemblance de ses fleurs à ces insectes. Dans la prairie artificielle, on découvrira aussi la luzerne ou le sainfoin, papilionacée fourragère un peu délaissée du Sud de la France. À la lisière du pré, nous trouverons les vesces et les gesses, grandes Papilionacées qui s'accrochent aux arbustes par les vrilles des extrémités de leurs feuilles. Il est facile de distinguer les gesses des vesces en observant les 4 BIODYNAMIS - N° 60 HIVER 2007 feuilles : la vesce a des feuilles composées avec de nombreuses folioles et la gesse des feuilles avec un nombre réduit de folioles. Les vrilles sont des folioles de l'extrémité des feuilles transformées, étrange capacité de la feuille, organe d'ordinaire tout en surface seulement réceptif, à rester tige pour devenir sensible et s'enrouler en vrille "tactile". Ces plantes qui, en général, n'ont pas de tiges assez rigides pour tenir debout "toutes seules", s'étendent à l'horizontale assez loin sur les autres plantes. Les légumineuses sont rares à l'ombre et dans les milieux humides, elles cherchent plutôt la lumière et le sec. Dans les sousbois, on ne rencontrera guère que la gesse de printemps qui se hâte de fleurir avant que les arbres portent leurs feuilles. Par contre, certaines Papilionacées comme les genêts et les ajoncs aux odeurs entêtantes sont les parures des landes sèches et des friches qu'elles embellissent de leur jaune lumineux. On découvrira les différentes espèces de genêts la plupart du temps sur des terres acides, très siliceuses, à l'exception du genêt d'Espagne qui orne tous les talus d'autoroute calcaires dans le sud de la France. Il semble que les genêts, bien que poussant sur des terres très pauvres en calcaire, soient capables de concentrer du calcaire dans leurs tissus. La diversité de Papilionacées s'accroît largement quand on va vers le sud de la France dans les régions méditerranéennes sèches et très lumineuses : on ne compte plus les innombrables luzernes et trèfles, parfois miniatures, des garrigues et bords de mer. De même, les milieux alpins ouverts concentrent un grand nombre d'espèces assez rares : astragales, Oxytropis, etc. Le sainfoin est d'ailleurs aussi une plante de montagne à l'origine… Les deux systèmes racines sont très différents : à l’image des familles de ces deux plantes : un pivot profonf et peu ramifié chez le sainfoin, et une racine fasciculée très fiinement ramifiée chez le seigle. A gauche, sainfoin au bout d’un an ; semé en mai. À droite, seigle au bout de 8 mois semis fin septembre En bas à gauche, luzerne semée entre deux plaques de verre afin de bien voir le système racinaire N° 60 HIVER 2007 - BIODYNAMIS 5 Pour terminer ce petit tour d'horizon, évoquons un "immigré", le robinier faux-acacia (les vrais acacias appartiennent à la famille des Mimosacées) arbre américain assez envahissant introduit de l'est des États-Unis par Jean Robin en France au XVII° siècle. Les légumineuses cultivées En ce qui concerne les plantes cultivées, les recherches archéologiques montrent que les premières plantes cultivées et donc modifiées par l'homme au ProcheOrient sont des graminées (les ancêtres du blé : engrain, emmer, etc.) et des Papilionacées : en particulier les lentilles. Les fèves et les lentilles seront ensuite très consommées durant la civilisation grecque et romaine. Il est intéressant de remarquer que l'on retrouve ce "couple" fondamental céréales-légumineuses comme alimentation de base et premières plantes cultivées sur les différents continents. Le Proche-Orient a le blé et les lentilles, l'Afrique le millet et ses haricots dolichos, l'Asie orientale, le riz et le soja et l'Amérique, le maïs et les haricots. En Amérique ces plantes étaient cultivées ensemble (souvent avec une courge au pied), le maïs servant de tuteur au haricot et le haricot fournissant de l'azote au maïs très exigeant. Ce n'est certainement pas un hasard d'autant que la composition de ces deux familles de plantes est très complémentaire : céréales riches en glucides et légumineuses riches en protéines. De même, ce milieu créé par l'homme qu'est la prairie "naturelle" (en fait elle ne peut exister que si l'homme alterne pâturage par les animaux et fauche) a pour base un bon équilibre entre graminées et légumineuses auxquelles s'ajoutent d'autres plantes "aromatiques" et médicinales. C'est parmi ces deux familles que l'on trouve l'alimentation de base de nos animaux d'élevage. Est-ce un hasard ou s'exprime-t-il dans ce couple une polarité essentielle ? Nous allons esquisser une comparaison de ces deux familles. Comparons légumineuses et graminées Le sainfoin de montagne (Onobrychis montana) : des fleurs qui rappellent la forme d’un animal, papillon ou insecte 6 BIODYNAMIS - N° 60 HIVER 2007 Du point de vue des racines, les Papilionacées ont des racines plutôt pivotantes assez épaisses, portant des nodosités, nodules formés par la plante en réponse à la pénétration de bactéries du sol (Rhizobium) capables de fixer l'azote de l'air du sol. Les graminées, quant à elles, ont plutôt tendance à avoir des racines fasciculées fines et très nombreuses qui pénètrent intiment le sol sans pivot (voir les images page 5). Et surtout elles ne sont absolument pas capables de se lier à des processus du sol au point de les intégrer comme les nodosités. C'est pourquoi l'agriculture bio utilise souvent le mélange graminées - légumineuses pour que ces dernières approvisionnent les graminées en azote. Les tiges et le port général des légumineuses sont plutôt horizontaux, étendus dans la largeur, voire retombant au sol si les vrilles ne trouvent pas à s'accrocher alors que les graminées donnent l'impression de se lever sur la pointe des pieds sur leurs tiges minces et élancées. Les feuilles renforcent cet aspect : d'un côté des feuilles composées, rondes, larges, vert bleuté et de l'autre des feuilles linéaires se terminant en pointe coupante (par les dents de silice des bords) devenant parfois de fines aiguilles comme chez le nard raide, graminée de montagne. On pourrait dire que la légumineuse renferme ses feuilles sur elle-même, ne s'insère pas dans l'espace alors que la graminée affine ses feuilles au point de presque les faire disparaître dans l'espace… Le vert est plutôt clair, lumineux et les feuilles jaunissent en prenant des couleurs orange, jaune ou doré alors que les feuilles des légumineuses noircissent en fanant. Du point de vue des fleurs, on a du côté des légumineuses des fleurs aux couleurs chatoyantes, lumineuses allant du jaune vif au violet le plus foncé créant un espace intérieur dans leur carène presque fermé. Ces fleurs zygomorphes (c’est-à-dire avec une symétrie bilatérale formant une sorte de copie d'insecte) et ouvertes dans l'espace horizontal restent longtemps ouvertes et ne fanent que lentement. Elles sont plus liées aux insectes qu'aux rythmes du soleil comme d'autres fleurs qui s'ouvrent et se ferment au cours de la journée. Chez les graminées, on trouve des fleurs réduites aux organes de reproduction dont la floraison très éphémère se passe à grande échelle. Tout le champ de blé fleurit comme s'il s'agissait d'un processus de la terre en lien avec les éléments, air et lumière, sans aucun lien avec les insectes. On constatera aussi chez les légumineuses une tendance à mêler feuilles et fleurs sur les tiges. D'ailleurs les fleurs apparaissent à l'aisselle des feuilles et non au sommet de la tige - alors que chez les graminées la fleur s'élève bien au-dessus de la sphère végétative (sauf chez les variétés de céréale modernes artificiellement raccourcies), ce qui éloigne la plante de son "type". Les fruits sont tout aussi différents : d'un côté des fruits verts ayant des difficultés à maturer dans lesquels on reconnaît souvent la forme de la feuille (comme la gousse de petit pois). Il faut toujours cuire ces graines en forme de rein, forme animale refermée sur elle-même, pour finir la maturation sinon le goût reste vert. Il est à noter que le terme de légume était jadis réservé aux fruits des seules légumineuses dont il désignait le fruit, la gousse. De l'autre côté, on trouve des fruits secs simples, des caryopses appelés plus couramment grains chez les céréales. Ces fruits secs sont réduits au minimum, très denses pour concentrer le maximum de substance alimentaire mûrie par la lumière et la chaleur du soleil Une proximité avec l’animal La légumineuse réunit une ensemble de caractéristiques particulières : formation de nodosités intériorisant des processus du sol, tendance à la formation de vrille montrant une tendance à prendre un caractère animal tactile, une tendance des plantes à être plutôt tournées vers la terre et ses processus, basses, étalées, une interpénétration des processus foliaire et floral. Elle ne parvient pas à véritablement élever sa tige pour former fleurs et fruits au-dessus de la sphère végétative dans un espace purement "cosmique". N° 60 HIVER 2007 - BIODYNAMIS 7 Les fleurs ont des formes proches des animaux et les fruits comme ceux de certaines luzernes méditerranéennes ressemblent très étrangement à des coquillages. D'autres s'emplissent d'air comme ceux du baguenaudier. On retrouve ainsi différents aspects évoquant le monde animal comme si ces plantes voulaient copier certains processus et motifs du monde animal. On peut faire le lien entre ces gestes et la présence importante d'azote et donc de protéines (principal composant de la substance animale) dans ces plantes. L'azote, principal constituant de notre air, remplit, gonfle, est toujours en mouvement, pousse la croissance, gardant la plante toujours jeune. La légumineuse ne parvient pas à mûrir, elle reste jeune, en pleine croissance… La particularité sera peut-être plus facilement perceptible si on compare les légumineuses azotées aux graminées siliceuses chez lesquelles la silice fige la Le fruit de l’arachide ne voit pas le soleil 8 BIODYNAMIS - N° 60 HIVER 2007 forme, la délimite et dessèche la plante. Des fruits entre feuille et fruit Du point de vue alimentaire, cette esquisse succincte permet de pressentir que les propriétés des deux familles seront très différentes. Les légumineuses, plantes tournées vers la terre, introverties, formant un espace intérieur, vont agir tout différemment des céréales toutes tendues et façonnés par la lumière solaire. Ainsi les légumineuses ne parviennent pas à former de véritables fruits ; ceux-ci restent entre feuilles et fruits et ont donc une action "floue" (ni feuille ni fruit) dans notre organisme. Avec ce regard, on pourrait aussi chercher à consommer de préférence les légumineuses chez lesquelles le processus fruit est plus marqué, celles dont les fruits s'élèvent bien au-dessus du feuillage pour être mûris par le soleil. À l’inverse, on pourra se demander si l'arachide qui est tellement tournée vers la terre qu'elle termine la maturation de ses fruits en les enracinant en terre est un aliment sain. On comprendra aussi l'importance de bien cuire et/ou faire fermenter les légumineuses pour bien achever leur maturation que le soleil ne parvient pas à conclure en général. On peut peut-être comprendre pourquoi Pythagore interdisait la consommation de fèves à ses disciples qui cherchaient à avoir une pensée très claire. Il ne s'agit pas ici de diaboliser cette famille de plantes qui a une importance considérable mais d'inciter à observer ces plantes dans son jardin et dans la nature pour comprendre leur «nature». JEAN-MICHEL FLORIN