J`adore voir les flics courir après moi
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J`adore voir les flics courir après moi
Enquête, Renaud Malik, Le Matin « J’adore voir les flics courir après moi » LAUSANNE Les adeptes du vélo de descente se multiplient dans la capitale vaudoise, ancien paradis des rollers. Insaisissables, provocateurs, ces cyclistes kamikazes jouent au chat et à la souris avec la police. À Lausanne, les nouveaux guerilleros du bitume, ce sont eux : Matthieu, Vasyl, Christopher, bikers de leur état et adeptes du hors-piste urbain. De vrais kamikazes à vélo, qui s’élancent régulièrement depuis les hauts de la ville jusqu’à Ouchy, avec passage obligé par les escaliers qui jalonnent le parcours. Rien que dans la capitale vaudoise, ils sont une cinquantaine d’adolescents à pratiquer le freeride en ville. Ce qu’ils recherchent ? « Ressentir l’extrême dans le sang », comme le confie Vasyl, un apprenti de18 ans adepte du vélo de descente. Encore peu nombreux, ces cyclistes de l’extrême sont dans le collimateur de la police, même si aucun incident grave n’a encore été signalé. « On a tous eu affaire avec les flics, prétend Matthieu, 19 ans. Un ami à moi, qui descendait les escaliers de la Riponne, s’est même fait courser un jour par un policier en moto ». Le jeu du chat et de la souris tourne, le plus souvent, à l’avantage des riders : « Ils sont à pied, moi je suis à vélo », rigole Matthieu. Quant au chef remplaçant de la sécurité du trafic, Bernard Sigrist, il admet que la police lausannoise a peu de moyens face à ces cyclistes : « que voulez-vous qu’on fasse ? On ne peut tout de même pas tendre une corde au milieu de la route ! De toute façon, le phénomène est trop mineur pour être une vraie priorité ». En attendant, le nombre de ces freeriders augmente d’années en années. «Même si on ne le tolère pas, il faut admettre que le vélo de descente a bien pris ces dernières temps en ville de Lausanne », observe Patrice Iseli, chef du service des sports. Le phénomène reste, toutefois, difficile à chiffrer. « On était moins de dix il y a quatre ans, une cinquantaine aujourd’hui, prétend Matthieu. Il y a de plus en plus de gens qui se lancent ». Roller en déclin La pratique du hors-piste urbain semblait pourtant sur le déclin depuis le début des années 2000. Emblématique de Lausanne dans les années 90, le roller de descente a pratiquement disparu du paysage aujourd’hui : les fondus de la roulette qui dévalaient l’avenue d’Ouchy à 80 km/h ou slalomaient entre parcomètres et piétons se sont faits très rares. « La grande euphorie des années 90 est passée », reconnaît un responsable de l’association La fièvre, qui s’occupe de la promotion du roller et du skate à Lausanne. Que s’est-il passé ? «Dans les années 90, le roller était un sport contestataire, une pratique contre-culturelle, explique Christophe Jaccoud, sociologue au Centre international d’études sur le sport (CIES). Mais progressivement, la municipalité de Lausanne est parvenue à encadrer ce sport ». En créant un skate-park à Sévelin ou un bowl (une cuvette de béton lissé) à Vidy, la ville a contraint les rollers à donner des gages de bonne conduite. Pas étonnant, dès lors, de voir une association comme La Fièvre, qui administre le skate-park de Sévelin, faire aujourd’hui de la prévention contre le roller hors-piste. Exit le roller. La mode est, aujourd’hui, au vélo de descente. La discipline est encore toute récente : « Les fabricants de vélo ont commencé il y a quelques années à mettre sur le marché des vélos beaucoup plus résistants aux chocs, avec des suspensions plus grosses et des freins plus efficaces, explique Vasyl. C’est ce qui a permis l’apparition du vélo de descente, il y a cinq ou six ans. » Evidemment, le progrès technologique a un coût : le vélo de Vasyl coûte dans les 9 000 francs, celui de Matthieu 4000 francs environ. Clandestinité Fiers des prouesses qu’ils accomplissent avec leurs engins, les bikers lausannois ne tiennent pas à ce que leur sport soit reconnu et encadré par les autorités. Tout juste souhaitent-ils que la commune leur fiche la paix lorsqu’ils s’entraînent dans les forêts qui avoisinent la ville : « En forêt de Belmont, on s’est aménagé un espace pour le jump et la descente, en déplaçant de la terre, explique Matthieu ; tout ce qu’on demande, c’est qu’on nous laisse le droit d’y reste ». Mais pour ce qui est de la descente en ville de Lausanne, les cyclistes entendent bien rester dans la clandestinité. Pas question de se contenter de quelques parcs qui pourraient être créés à leur intention : à les entendre, on s’éclate bien plus en marge des règlements. « J’adore voir les flics courir après moi, confie Matthieu, ça ajoute du piment. » Christopher, un gymnasien de 19 ans, est du même avis : « C’est sûr que ce serait moins marrant si c’était légal. C’est comme le ski, c’est beaucoup mieux en hors-piste ». Aux limites de la légalité, le freeride urbain semble avoir encore de beaux jours devant lui. Faut-il s’en étonner? Les conduites à risques en tout genre sont, aujourd’hui, de plus en plus plébiscitées par les jeunes. Pour David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, ces conduites sont un moyen pour les adolescents de construire leur identité. «Les jeunes ont une autonomie impensable il y a encore 10 ou 15 ans. Livrés à eux-mêmes, ils doivent se débrouiller seuls pour se construire une identité, en expérimentant tous les chemins possibles. Les pratiques extrêmes, à la limite de la clandestinité, sont valorisées car elles permettent à l’adolescent de se prouver sa valeur et de passer à l’âge adulte ». © Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.