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Editions Hatier
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(développement rédigé)
1. L'illusion et la contrefaçon
A. Rêve et réalité
Avons-nous toujours les moyens de distinguer le rêve ou la fiction de la réalité ?
On a des raisons de répondre positivement : la réalité, c'est ce qui est constaté par tous, ce qui s'offre à tous les
regards, ce dont on peut témoigner.
B. L'exemple de l'histoire
Par exemple un fait historique dont on a suffisamment de témoignages, dès lors que ces témoignages se
corroborent, que les personnes n'ont pas à se “ donner le mot ” pour mentir plus sûrement, est un fait établi : c'est
une réalité incontestable.
Un fait existant ne peut jamais être établi autrement que par le témoignage de ceux qui y ont assisté et par les
traces qu'il a laissées. De la même façon un document peut toujours se révéler être un faux, la convergence issue
de documents indépendants suffit à établir un fait existant.
Nous avons donc bien suffisamment de moyens directs de reconnaître la réalité de la fiction ou du rêve.
L'histoire qu'on écrit n'est pas un roman : elle implique la description des sources et le recueil de témoignages
(qui avec le temps deviennent aussi des documents).
C. Le problème de l'illusion
Nous avons donc les moyens de reconnaître la réalité telle qu'elle se présente, et celle-ci ne peut être confondue
avec un récit inventé, ou un rêve.
Mais un problème se pose : prenons l'exemple d'une ruse. Un homme, par un subterfuge quelconque, fait croire à
des spectateurs qu'il peut faire disparaître tel ou tel objet de leur champ de vision. Doit-on dire, puisque tous le
constatent, que cette disparition est un fait existant ? Le prestidigitateur lui-même sait que ce n'est pas le cas,
puisqu'il constate tout autre chose : son subterfuge fonctionne. Il plonge les autres dans l'illusion.
Autrement dit, nous croyions que la définition de l'existence par le constat partagé suffisait à exclure l'imaginaire
du réel : le réel, c'est ce que tous constatent ; l'imaginaire, c'est ce qu'un seul croit constater. Mais tous peuvent
en même temps croire constater quelque chose, et ils confondent alors ce qui existe et ce qu'ils croient exister.
Cette définition ne rend pas impossible l'illusion généralisée. Ce qui existe vraiment ne peut pas se distinguer de
ce que tous croient exister.
2. Ce que l'on constate n'est que la contrefaçon de ce qui existe vraiment
A. Réalité et changement
Comment tous les hommes pourraient-ils se tromper sur la réalité elle-même ? Dans le cas du prestidigitateur, on
peut rapidement faire toute la lumière, en interrogeant celui qui tire les ficelles. Mais comment une erreur
universelle est-elle possible ?
Plaçons-nous dans la situation où nous constatons qu'une chose existe. Tel fait, tel objet existe : je le vois, le
touche, il est devant moi, et je peux le montrer aux autres. Mais je ne suis pas certain que demain cette même
chose existera, au même endroit, exigeant de moi le même constat. Les choses que nous constatons disparaissent
parfois : elles changent. Nous ne pouvons pas affirmer absolument que les choses que nous constatons existent,
car elles sont soumises au changement.
B. Réalité et idée
Ce dont on pourrait affirmer pleinement l'existence, c'est ce qui serait toujours identique à soi, qui ne changerait
pas. Une telle réalité, Platon la nomme Idée. Si nous croyons que telle ou telle chose que nous constatons “ existe
”, c'est parce qu'elle ressemble, pour un moment (avant qu'elle ne change), à l'Idée qui, elle, ne change pas. Seule
l'idée existe pleinement. L'illusion dans laquelle nous sommes tous plongés consiste à confondre ce qui existe
absolument et ce que nous croyons exister.
Nous croyons qu'existe ce que nous livrent nos sens, mais ce que nous livrent nos sens n'est en fait qu'une
contrefaçon, temporaire, de ce qui demeure toujours identique à soi, et qui peut seulement être perçu par la
pensée. Les sens qui font partie de ce qui en nous est soumis au changement, ne nous donnent à saisir que ce qui
est soumis au changement. La pensée, elle, qui peut échapper au changement, nous donne à saisir l'idée.
C. Le réel imaginaire
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L'illusion pose un réel imaginaire, celui dans lequel on croit. Ce réel imaginaire s'oppose au réel tel qu'il peut
être conçu. Si le premier existe pour nous, c'est seulement parce qu'il est la contrefaçon du second, qui est
absolument. Nous croyons échapper à l'illusion, mais c'est parce que nous y sommes entièrement plongés.
Cependant, une fois l'illusion dissipée, par une sorte de conversion à la réalité conçue, la copie ne saurait se
confondre avec le modèle. L'Idée ne change pas, par opposition à tout ce qui change. La réalité au sens propre
(celle de l'Idée) ne contient rien d'imaginaire : l'Idée n'est aucunement inventée par nous puisqu'elle est de tous
temps identique à elle-même, elle n'est pas un semblant de la réalité, elle est la réalité même qui est imitée par les
choses qui nous entourent.
Pour celui qui sait, la réalité est contradictoire avec tout ce qui change et qui constitue ce réel imaginaire dans
lequel tous croient à tort. Ainsi, même le discours qui doit nous conduire vers les Idées, étant forgé par nous, est
de l'ordre d'un réel imaginaire : il prend d'ailleurs chez Platon la forme d'un récit, d'une fiction littéraire : le
mythe ou l'allégorie (la caverne dans la République, le vol de l'âme dans le Phèdre...).
3. La certitude de l'existence
A. Nécessité de la certitude
Tout ce qui ne change pas est absolument, a une réalité pleine. Tel est le critère de la réalité. Mais est-il
impossible de rêver d'une chose qui ne change pas ? Certes, le contenu de nos rêves correspond souvent aux
choses qui nous entourent, et qui sont soumises au changement.
Mais dressons le tableau d'une hypothèse : posons la proposition mathématique suivante : 2 + 2 = 4. Tout le
monde s'accorde comme moi à reconnaître la validité d'une telle proposition. Chacun est prêt aussi à reconnaître
qu'elle ne montre aucun signe de changement. Aussi est-il difficile de croire qu'une telle proposition pourrait
advenir dans un simple rêve.
Mais rien ne m'assure non plus que ce résultat n'est pas le résultat d'une tromperie ourdie par un prestidigitateur
très puissant : Descartes, dans les Méditations métaphysiques élabore l'hypothèse d'un Dieu trompeur (ou plutôt
d'un malin génie, puisque le véritable Dieu ne saurait être trompeur), qui voudrait me faire croire que cette
proposition est vraie et correspond à une réalité, alors qu'il n'en est rien. Nous nous trouverions alors dans une
sorte de rêve éveillé, dans lequel rien ne nous assure absolument de la réalité des objets de nos pensées.
Un critère capable de distinguer radicalement le rêve de la réalité paraît faire défaut, même pour une vérité qui
ne montre aucun signe d'un possible changement. Tant que nous ne possédons pas un tel critère, nous n'aurons
aucune certitude véritable à propos de l'existence de ce que nous pensons, et nous ne pourrons jamais être assurés
de ne pas errer dans l'illusion.
B. Le contenu de la certitude
Cependant Descartes, qui affecte de douter de tout ce qu'il avait auparavant tenu pour vrai, en vient, dans le
Discours de la méthode, à cette constatation : “ Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais
ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. ” Un génie
malin ne peut pas nous empêcher de constater notre propre existence, dès lors que celle-ci se manifeste dans
l'acte de penser. Cette “ vérité ” est la certitude absolue que nous cherchons. Il y a au moins quelque chose qui
distingue la réalité véritable et toute réalité imaginaire, c'est l'existence de celui qui doute de toute réalité : je ne
peux pas rêver que j'existe alors que je n'existe pas.
Cependant, de quoi au juste sommes-nous assurés ? Nous ne sommes pas assurés de l'existence de tout ce qui
peut entrer dans ce monde illusoire éventuellement créé par un génie trompeur. L'existence que nous ne pouvons
pas ne pas constater est celle d'une pensée soutenue par la recherche d'une certitude. Tout ce qui relève du corps,
des vérités mathématiques, se trouve en dehors de la certitude. Nous ne sommes sûrs que de l'existence de notre
“ âme ”. Notre âme existe absolument, elle est notre seul accès certain à la réalité. Elle est un principe. À partir
de ce principe, il est possible, par démonstration, de déduire ce dont on peut s'assurer qu'il existe.
C. Le critère de la distinction
Aussi pouvons-nous nous assurer de la distinction absolue entre la réalité et toute réalité imaginaire : la réalité se
laisse seule déduire de cette première certitude. Toute illusion doit pouvoir être dissipée par l'application de ce
principe.
Le rêve étant défini par ce qui nous fait croire à sa réalité, au mépris de la réalité véritable, nous possédons à
présent un moyen de le dissiper. Mais n'est-ce pas justement parce que nous considérons le rêve comme mirage,
contrefaçon de la réalité, parce que nous définissons le rêve à partir de la réalité, que nous trouvons ensuite les
moyens de nous débarrasser de l'illusion ? Si nous nous interrogions d'abord sur la nature du rêve lui-même, au
lieu de définir l'imaginaire par ce qui imite le réel, peut-être aboutirions-nous à de tout autres conclusions.
4. Le réel et le principe de réalité
A. Rêve et satisfaction du désir
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Selon la théorie de Freud, le rêve n'est pas un simulacre de la réalité, mais la satisfaction imaginaire d'un désir
inconscient. Se manifestent dans les rêves des représentations qui, loin d'être arbitraires, ou provoquées par les
souvenirs du dormeur, résultent d'un jeu dynamique entre le désir et l'interdit. Le désir sexuel total (ou libido ou
principe de plaisir) qui caractérise la vie enfantine rencontre, au cours de l'histoire de l'individu, des obstacles à
sa satisfaction : ce sont les interdits éducatifs, ou moraux. Le désir subit alors un refoulement, et ce désir refoulé
devient la cause inconsciente de certaines conduites, et au premier chef du rêve. Les images du rêve doivent être
comprises comme le résultat de procédés visant à satisfaire, de manière symbolique et détournée, le désir refoulé.
B. Réalité et sublimation
Mais si le rêve est le lieu d'une expression libre de l'inconscient, dans la mesure où la conscience sommeille, cela
ne signifie aucunement que l'inconscient n'est plus à l'œuvre dès le réveil. Simplement, la conscience étant le lieu
d'enregistrement de l'interdit, elle veille (au sens propre) sur ces interdits. Le désir inconscient se satisfait alors
par une sublimation, un investissement dans une production (une œuvre d'art, une réalisation technique, une
tentative de réussite sociale, une certaine forme de conduite...), qui contourne l'interdit et procure un plaisir plus
détourné encore que dans le rêve.
D'une certaine façon, l'ensemble de la vie sociale résulte de la sublimation par chacun de son désir infantile. Les
règles fondatrices de la société, comme celle de la prohibition de l'inceste, sont une forme de sublimation du
désir infantile, qui ne connaît pas d'interdit.
Aussi pouvons-nous affirmer que le monde dans lequel nous vivons comme êtres conscients résulte d'une
satisfaction imaginaire du désir sexuel. Freud oppose la libido ou principe de plaisir au principe de réalité. Ce
principe ne désigne pas la réalité dans laquelle vit l'individu, mais ce qui s'impose de l'extérieur comme un
obstacle à la satisfaction du désir. La réalité propre à un individu résulte d'un compromis entre son désir et ce qui
s'est présenté à lui comme un obstacle. La réalité extérieure est quant à elle le résultat d'un nouveau compromis
entre les diverses formes sociales de satisfaction.
C. L'illusion de la réalité
En un sens donc, le principe de réalité contredit violemment (refoule) l'expression du désir. Mais ce refoulement
donne lieu aux mécanismes imaginaires, qui transfigurent à leur tour la réalité.
Autrement dit, le réel ne saurait contredire l'imaginaire, dans la mesure où le réel est fait d'imaginaire. Il n'y a pas
de discontinuité absolue entre le rêve et la réalité, dès lors que le rêve se définit comme la satisfaction d'un désir
inconscient.
Si Descartes a pu déceler une certitude capable de fonder la distinction entre rêve et réalité, c'est qu'il a d'avance
cru que la réalité pouvait se distinguer du rêve, et que l'existence désignait cette façon d'échapper au rêve. Il
subissait l'illusion de la réalité.
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