sylviculture s4 2011

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sylviculture s4 2011
SYLVICULTURE
La récolte des bois feuillus par la méthode
des cloisonnements d’exploitation
Bilan de la journée de démonstrations en forêt de Rulles du 18 mars 2011
par Sébastien Jandrain, Feref
L
a récolte des bois feuillus par la méthode des
cloisonnements d’exploitation forestière est courante en
France et en Allemagne mais elle l’est beaucoup moins en
Belgique notamment vu l’aspect jardiné des forêts feuillues
wallonnes. Cette méthode de récolte des bois, couramment
utilisée dans les peuplements résineux, suscite bien des
inquiétudes et questionnements quand on veut l’appliquer
à la récolte des bois feuillus.
Le 18 mars 2011, a eu lieu en Forêt Domaniale Indivise
de Rulles (Belgique) une démonstration forestière ayant
pour objectif de présenter cette méthode aux gestionnaires
et propriétaires ainsi qu’aux exploitants forestiers. Plus
de 150 personnes étaient présentes lors de cette journée de
démonstration. Ce fut une occasion unique pour échanger
les avis sur le sujet, de débattre, sur le terrain, de cas
concrets liés à l’utilisation des cloisonnements.
Cet article permet de faire le point sur la méthode et de
relater une synthèse des échanges de cette journée de
démonstration riche en enseignement.
plus couramment rencontrés dans nos forêts (débusqueurs
à câble et à pince, porteur) mais aussi un tracteur agricole
fréquemment utilisé pour le débardage du bois de chauffage
par les particuliers.
L’objectif de la journée du 18 mars 2011 était de présenter
de manière pratique et en vraie grandeur, les techniques
d’exploitation en peuplements feuillus par la méthode des
cloisonnements en utilisant différents engins forestiers les
Le choix de la parcelle n’a pas été fait au hasard, nous
avons voulu réaliser cette démonstration dans une situation
la plus représentative possible de la forêt feuillue wallonne.
Nous avons choisi une Hêtraie-chênaie jardinée d’âges
multiples sur un sol brun typiquement ardennais. Ce type
de sol est rencontré dans 62 % des forêts feuillues. Deux
dispositifs de cloisonnements à écartement de 20 m et de
40 m ont été testés. Des tests sur l’effet du passage des
engins forestiers sur le compactage du sol ont également
été réalisés par Gembloux Agro-bio-tech.
❚ Débusqueur à câble.
❚ Débusqueur à pince.
■
OBJECTIF DE LA JOURNÉE
DE DÉMONSTRATIONS
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■
TOUR D’HORIZON
DANS LES RÉGIONS VOISINES
– Lorraine (France)
❚ Porteur.
La méthode des cloisonnements d’exploitation est souvent
appliquée par les gestionnaires forestiers. Les cloisonnements sont installés dans tous les types de peuplements
feuillus. Les tempêtes de 1990 et de 2000 ont permis de
mettre en place de vastes réseaux de cloisonnements sylvicoles dans les zones dévastées afin de faciliter les travaux nécessaires au suivi de la régénération. Par la suite,
certains cloisonnements sylvicoles (un sur deux ou un sur
trois selon leur distance) sont conservés en cloisonnements
d’exploitation. Le Règlement National d’Exploitation Forestière, cahier des charges de l’ONF, impose à tous les intervenants forestiers de respecter les cloisonnements lors de
l’abattage des bois et de leur vidange.
– Rhénanie Palatinat (Allemagne)
La mise en place de cloisonnements pour l’exploitation
est souvent appliquée en forêt publique. En effet, pour
les forestiers allemands, le capital « sol » doit être à tout
prix préservé même si cela se répercute négativement
sur la valeur des bois. L’administration allemande, ayant
l’habitude de vendre ses bois bord de route, impose aux
exploitants, prestataires de service, de respecter scrupuleusement les cloisonnements.
❚ Tracteur agricole avec remorque pour bois de chauffage.
■
DES CLOISONNEMENTS
D’EXPLOITATION, POUR QUOI FAIRE ?
Aujourd’hui, la mécanisation fait partie intégrante du quotidien de l’exploitation forestière. La rentabilité et le confort
de travail que celle-ci procure n’est plus à démontrer.
Cependant, les propriétaires et gestionnaires forestiers
s’inquiètent des impacts de leur utilisation sur les sols. Ces
craintes ne sont évidement pas nouvelles mais l’évolution
croissante et rapide des besoins en bois et la pénurie de
bûcherons manuels poussent les professionnels vers une
mécanisation de la récolte toujours plus performante.
En Wallonie, les peuplements feuillus d’âges multiples sont
majoritairement gérés de manière jardinée, ce qui implique
que la méthode des cloisonnements reste anecdotique.
Les exploitants forestiers utilisent en effet généralement les
pistes de débardage existantes en évitant de traverser les
îlots de régénération. Actuellement, les forestiers wallons
sont partagés sur la question. En peuplement résineux, par
contre, cette méthode est généralement recommandée pour
des raisons de protection des sols (rotations plus courtes et
prélèvements de volumes plus importants) et économiques.
– Grand-Duché de Luxembourg
Au Grand-Duché de Luxembourg, cette pratique n’est pas
encore très courante. Des dispositifs sont mis en place localement dans certaines communes forestières. L’administration forestière luxembourgeoise souhaite étendre la pratique
des cloisonnements au sein de ses cantonnements.
■
LA MISE EN PLACE
DES CLOISONNEMENTS
Dans l’ordre chronologique, pour réaliser un réseau de cloisonnements, il est indispensable de se poser les questions
suivantes :
• Dans quel(s) sens ?
• De quelle largeur ?
• A quel écartement ?
– Le sens du cloisonnement
Les cloisonnements seront dirigés en prenant en compte
à la fois le réseau de desserte existant et le réseau hydrographique.
Les pistes, chemins et anciennes voies de débardage
doivent être une base logique pour installer les cloison-
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le layon dans la plus part des cas de figure. Une assistance
avec un treuil pourrait être nécessaire lors d’un abattage
directionnel délicat.
Si les centres des layons sont distants de 40 m, 10 % de
la surface de la parcelle est consacrée aux cloisonnements.
Un abattage directionnel avec l’assistance d’un treuil sera
souvent nécessaire. La récolte du houppier en billon de
2 m (bois de trituration ou bois de chauffage) est plus problématique et demande souvent une sortie du porteur du
layon pour récolter les bois.
■
❚ Ouverture d’un cloisonnement dans une hêtraie jardinée.
nements. Il est essentiel d’utiliser les pistes existantes en
priorité pour ne pas affecter une surface supplémentaire.
Les layons sont à diriger vers les routes en faisant en sorte
que chacun soit le plus court possible. Un angle de 30 à
45° par rapport à la voie de vidange est recommandé (en
arrête de poisson), en tenant compte de l’emplacement de
la place de dépôt la plus proche.
Les cloisonnements doivent être les plus rectilignes possibles pour éviter les blessures aux arbres de part et d’autre.
Toutefois, ils pourront être légèrement sinueux afin d’éviter
des zones humides, des mares, des arbres ou sites remarquables, … Dans ce cas, le tracé des cloisonnements anticipe ces obstacles pour les contourner largement et éviter
les virages trop serrés.
Si la parcelle est en pente, les cloisonnements seront installés dans le sens de la plus grande pente pour éviter tout
renversement des engins et frottement contre les arbres.
– La largeur des cloisonnements
La largeur des cloisonnements doit permettre aux engins
de travailler, sans risquer de blesser les arbres avoisinants.
Pour passer en sécurité au niveau des arbres de bordures
et, éventuellement avec des pneus plus larges, une largeur
de 4 m est nécessaire et suffisante.
– Distance entre layons
LA MISE EN PLACE SUR LE TERRAIN
Si le réseau de cloisonnement est créé dans des peuplements jeunes et réguliers :
Dans le cas d’une plantation, les cloisonnements peuvent
être pris en compte dans le schéma de plantation avant
même que le peuplement soit créé.
Dans le cas d’une régénération naturelle dense, il suffit de
passer au gyrobroyeur aux endroits où l’on souhaite installer des layons sylvicoles qui deviendront, pour certains,
des layons d’exploitation lors des premières récoltes. Ce
cas de figure est régulièrement rencontré dans les forêts
françaises.
Si le réseau de cloisonnement est créé dans des peuplements jardinés et d’âges multiples :
La mise en place des cloisonnements se fait en plusieurs
étapes :
• Etude et analyse sur base cartographique et arpentage
sur le terrain,
• Réalisation du plan de cloisonnement sur carte topographique,
• Marquage des cloisonnements sur le terrain,
• Ouverture des cloisonnements (abattage, débardage
des perches).
Toutefois, dans ce type de peuplement d’âges multiples,
l’expérience de Rulles a démontré qu’il était préférable d’utiliser les pistes de débardage existantes en créant certaines
pistes supplémentaires si elles ne sont pas suffisantes. En
effet, la production moyenne en hêtraie ou chênaie est d’en-
Les cloisonnements d’exploitation sont à considérer comme
une infrastructure pérenne et doivent satisfaire les besoins
de vidange des bois pendant plusieurs rotations de coupe
(la rotation en peuplement feuillu est fixée à 12 ans).
Le principe est de trouver un compromis entre l’accessibilité
des bois depuis les cloisonnements et la surface consacrée
à la circulation des engins.
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Si les centres des layons sont distants de 20 m, 20 %
de la surface de la parcelle est consacrée aux cloisonnements. La surface retirée à la production est relativement
importante. Le débardage des grumes et des houppiers
se fera sans trop de difficulté, les engins de débardage
(débusqueuse et porteur) récolteront les bois en restant sur
❚ Positionnement des cloisonnements sur le terrain.
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l’ensemble des moyens mis en œuvre. La vente de bois de
chauffage des baliveaux issus des layons permet de réduire
le coût total des travaux à 1500 €/km de cloisonnement
ouvert. Les coûts d’entretien des layons ne sont pas pris
en compte dans cette estimation.
❚ Traçage du cloisonnement à la boussole.
viron 5 m³/ha/an. Pour une rotation de 12 ans, on récolte
environ 60 m³/ha à chaque passage en éclaircie. A titre de
comparaison, en résineux, si la rotation est de 3 ans et que
la production de bois est de 12 m³/ha/an en épicéa ou 18 m³
voir plus en douglas, on récoltera 36 à 54 m³/ha à chaque
passage soit 144 à 216 m³ tous les 12 ans. Le volume de
bois à récolter en peuplement feuillu étant relativement
faible, le nombre de passages d’engins nécessaire pour
la vidange des bois est relativement réduit, ce qui limite la
compaction du sol.
■
ESTIMATION DU COÛT DE MISE
EN PLACE DES CLOISONNEMENTS
DANS UN PEUPLEMENT FEUILLU
D’ÂGES MULTIPLES
La création d’un réseau de cloisonnements est un travail important qui demande du temps, du bons sens, une
connaissance parfaite du terrain et un savoir-faire.
En pratique, la réalisation des cloisonnements dans ce type
de peuplement se fait en plusieurs étapes :
1. Etude et analyse de la zone sur base cartographique,
2. Arpentage et mesurage sur le terrain,
3. Réalisation du plan de cloisonnement sur la carte
topographique,
4. Marquage à la couleur des cloisonnements sur le
terrain,
5. Martelage des arbres et perches à extraire des cloisonnements,
6. Ouverture des cloisonnements (abattage, broyage,
débardage des perches).
Dans d’autres situations, telles qu’une forêt plus claire (qui
facilite l’arpentage) ou composée de perchis valorisables,
les coûts de mise en œuvre des cloisonnements peuvent
être réduits.
■
QUELQUES DIFFICULTÉS
TECHNIQUES RENCONTRÉES
DANS LES OPÉRATIONS
D’EXPLOITATION PAR LA MÉTHODE
DES CLOISONNEMENTS
– Organisation du chantier :
La récolte des houppiers et des grumes nécessite le passage d’engins différents. En exploitation traditionnelle, les
houppiers sont façonnés et débardés après la récolte des
grumes. Dans le cadre de l’exploitation par la méthode
des cloisonnements, la présence simultanée des engins
est nécessaire.
La récolte des bois sur cloisonnements est impossible dans
le cas de houppiers réservés au propriétaire car ces derniers
encombrent les layons de débardage.
– Direction d’abattage :
L’abattage directionnel des arbres dans un axe accessible
à partir du layon engendre des difficultés d’abattage supplémentaires aux bûcherons. Cette technique rend nécessaire la présence d’une débusqueuse avec le bûcheron de
Chaque étape demande du personnel qualifié (équipe
de 3 à 6 personnes par journée de travail) et du matériel
(appareil de mesure, boussole, jalons, bombe de peinture,
machines, …).
Le nombre total des heures prestées par le personnel du
cantonnement de Habay-La-Neuve (Agents forestiers et
ouvriers forestiers domaniaux) dans le cadre de la mise en
place des cloisonnements s’élève à plus de 250 heures.
D’après l’étude réalisée sur le terrain lors de la mise en
place des cloisonnements en forêt de Rulles, le coût total
des travaux est d’environ de 2200 €/km de cloisonnement
installé. Autrement dit, le coût pour la mise en place d’un
réseau de cloisonnements dans une parcelle de 60 ha (soit
12 km de layons) est de 26.400 €. Ce coût prend en compte
le salaire du personnel employé (plus de 250 heures) et
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❚ Abattage d’un hêtre selon la direction préconisée.
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prévoyaient un tassement significatif du sol à 40 cm de
profondeur, aucun effet de tassement n’a été relevé après
le premier passage des machines. Il ne faut cependant pas
généraliser ces résultats à l’ensemble des sols forestiers
mais il est intéressant de constater que, sur un sol ardennais typique, représentant 62 % des peuplements feuillus et
sous de bonnes conditions climatiques, l’impact de l’exploitation sur le sol à 40 cm de profondeur est inexistant (des
études de compaction des sols après plusieurs passages,
à une plus faible profondeur et sur des sols plus sensibles
seront prochainement réalisées et seront présentées dans
un prochain article).
❚ Découpe d’un houppier en produit de trituration.
manière plus systématique afin de câbler les bois. La direction d’abattage imposée peut engendrer l’éclatement de la
grume si elle tombe sur sa fourche ou détruire des semis
en dirigeant la grume vers le cloisonnement.
– Interdiction de sortir des layons :
L’obligation de rester sur les layons rend très difficile le
débardage des houppiers qui ne se trouvent pas à proximité
du layon. L’autorisation de quitter le cloisonnement au plus
court pour aller chercher les bois devrait être préconisée.
Par conséquent, un surcoût pour l’exploitation en cloisonnements s’élève à un minimum de 2 €/m³ pour l’abattage
directionnel et 2 €/m³ pour le débardage soit au total 4 €/m³,
soit 25 % de surcoût pour l’exploitation.
■
LA SOLUTION… LE COMPROMIS !!!
Quoiqu’il en soit, le volume de bois prélevé dans ces peuplements jardinés d’âges multiples, avec des rotations de
coupe tous les 12 ans, est en général peu important, ce qui
implique un nombre limité de passages d’engins. L’utilisation des cloisonnements par les machines forestières sans
autorisation de les quitter pose des problèmes pratiques
reconnus par tous les professionnels du métier.
Les frais de mise en place des cloisonnements, les frais
d’entretien et les surcoûts engendrés lors de la récolte des
bois sont importants.
Les forêts feuillues wallonnes sont déjà pourvues d’une multitude de voies d’accès diverses (routes, chemins, pistes,
coupes feu, anciennes voies de débardage, …). Dans la plupart des forêts, une partie non négligeable des peuplements
peuvent être exploités en empruntant ou réempruntant ces
voies d’accès qui peuvent servir de cloisonnements d’exploitation. Dans ce cas, la création de cloisonnements de
manière systématique, risquerait d’augmenter inutilement
la superficie du sol utilisée par les machines pour le débardage d’une rotation de coupe à l’autre.
Une solution « compromis » serait donc de profiter de
l’existant ! Un travail de terrain permettrait d’inventorier et
de répertorier tous les accès disponibles d’une parcelle sur
une carte. L’ouverture de voies de débardages supplémentaires dans les zones moins bien desservies permettrait de
limiter l’impact sur le sol tout en améliorant la rentabilité.
Cette solution doit autoriser la sortie de ces voies de débardage pour un nombre de passages limités, comme c’est
généralement le cas en peuplement feuillu.
Dans un souci de préservation du capital sol de nos forêts,
la récolte des bois en peuplements feuillus jardinés d’âges
multiples par la méthode des cloisonnements d’exploitation
n’est pas « la solution miracle ». Ceci ne remet pas en cause
le bien-fondé des cloisonnements sylvicoles qui sont installés dans des peuplements jeunes en phase de régénération
et dont certains seront utilisés comme voie de vidange lors
des récoltes ultérieures.
Bibliographie :
Dans le cadre de la démonstration à Rulles, des tests sur
la compaction du sol suite aux passages des machines
ont été réalisés. Contrairement aux modèles théoriques qui
D. Pischedda (coordination), 2009. Pour une exploitation
forestière respectueuse des sols et de la forêt « Prosol ».
Guide pratique FCBA, ONF, 110 p.
Cet article est réalisé dans le cadre du programme INTERREG IV A Grande Région « Régiowood ».
Le projet est cofinancé par le Fonds européen de développement régional.
« L’union Européenne investit dans votre avenir ».
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