SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS REVUE D

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SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS REVUE D
SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS
REVUE D'ODONTOSTOMATOLOGIE n° 4 - 2000
EVOLUTION DES CONCEPTS EN ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
DENTISTERIE RESTAURATRICE
Pierre COLON
Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier - UFR d’Odontologie - Université PARIS 7 –
Denis DIDEROT
Grégoire KUHN
Assistant Hospitalo-Universitaire - UFR d’Odontologie - Université PARIS 7 – Denis DIDEROT
Sophie DOMEJEAN-ORLIAGUET
Assistant Hospitalo-Universitaire - UFR d’Odontologie - Université PARIS 7 – Denis DIDEROT
Résumé :
Les connaissances ont évolué durant ces dernières années dans les domaines variés mais
complémentaires que sont la physiologie pulpaire, la cariologie, les outils diagnostics. Ces évolutions
doivent être prise en compte dans une démarche globale de prise en charge de patients dont l'espérance de
vie s'allonge et d'une population vieillissante. La diversité des moyens thérapeutiques devrait constituer une
aide permettant d'adapter au mieux chaque traitement sous réserve que des évaluations cliniques solides,
souvent absentes, permettent d'argumenter ces choix.
Mots-clés :
Prévention - Interventions a minima - Bactérie - Digue - Evaluation clinique.
INTRODUCTION
L'évolution de l'odontologie restauratrice durant ces dernières années s'est articulée autour de la mise en
œuvre de techniques de dentisterie adhésive évoluées et vers une prise en charge globale du patient afin
de replacer le traitement lésionnel dans le cadre d'un traitement global centré sur le diagnostic étiologique,
la prévention de la maladie carieuse, la prévention des récidives.
Le traitement lésionnel n'est plus une fin en soi mais une étape du traitement d'une maladie mettant en jeu
des micro-organismes spécifiques tels que les Streptocoques mutans ou les Lactobacilles.
Pourrait-t-on imaginer aujourd'hui un traitement parodontal limité à l'étape chirurgicale sans assainissement
préalable ni suivi thérapeutique ?
Ces approches, rendues possibles par une meilleure connaissance de la pathogénie de la maladie carieuse
modifient fondamentalement l'attitude du chirurgien dentiste même si les conséquences visibles en terme de
santé publique seront perceptibles essentiellement pour les générations à venir.
Ces évolutions sont en synergie pour constituer une approche nouvelle de la prise en charge des patients
en terme de santé bucco-dentaire mais seront évoquées successivement pour plus de clarté.
PREVENTION
La prévention est au centre de la lutte contre la carie dentaire, qu'il s'agisse de la prévention des lésions
initiales ou de celle des récidives.
La prévention intéresse tout autant les pouvoirs publics, le praticien et l'équipe soignante, le patient luimême. C'est au pouvoirs publics que revient la mise en place des actions de sensibilisation à l'hygiène
bucco dentaire, l'hygiène alimentaire, la mise sur le marché de produits de consommation fluorés (eau de
boisson ou sel de table).
Le praticien va mettre en œuvre les procédures de fluoration qui préviendront les lésions ou
reminéraliseront les lésions débutantes. La mise en place de résines de scellement des puits et fissures, de
vernis antiseptiques à base de chlorhexidine, ou les applications topiques de fluor sous forme de vernis ou
sous forme de gel maintenu par des gouttières relève de cette stratégie. Dans le même temps, l'évaluation
du risque carieux peut faire partie de cette attitude préventive en sensibilisant le patient avant l'apparition
d'une éventuelle lésion.
Bien entendu, cette approche de la prévention nécessite la mise en place d'un contrôle périodique dont la
fréquence sera adapté à chaque situation ces contrôles faisant intervenir la notion de suivi thérapeutique
dès lors qu'un soin aura été réalisé.
PRESERVATION DES STRUCTURES SAINES DE LA DENT
Il était classique de considérer il y a encore quelques années qu'une lésion carieuse traitée par une
restauration qu'elle quelle soit nécessitait après une dizaine d'années un remplacement par une nouvelle
restauration en général plus volumineuse qu'il s'agisse d'une restauration directe ou indirecte. C'était
comme l'a nommé Elderton (2) le « Handpiece Invasive Syndrom » qui aboutissait inéluctablement à la
dépulpation et au traitement prothétique. La mutilation des structures saines de la dent était dictée par des
impératifs de rétention et de respect des " limites de brossage " telles qu'énoncées par Black à une époque
ou l'instrumentation rotative était quasi inexistante et les connaissances de l'étiopathogénie de la carie
dentaire balbutiantes. Cependant, ces principes sont restés ancrés sans prendre en compte les évolutions
des connaissances.
Il est urgent de considérer que le retrait de tissus sain est une faute souvent évitable par la mise en œuvre
d'une procédure adéquate (5, 6) Dans cet esprit, on ne systématise plus les voies d'accès à la lésion mais
on évalue pour chaque cas la procédure la moins mutilante. Il est évident que la dentisterie adhésive et ses
développements récents sont incontournables dans ce type d'approche.
Le remplacement ultérieur d'une restauration se doit de la même façon de prendre en compte ces impératifs
afin de ne plus faire entrer les dents traitées pour des lésions de faible étendue dans des processus tels que
ceux évoqués précédemment qui conduisent à la coiffe prothétique.
Encore faut-il pour intervenir précocement éduquer les patients et les motiver afin qu'une surveillance
sérieuse puisse être instaurée.
Un diagnostic précoce s'avère de ce fait le maillon indispensable de cette chaîne.
Il est peu efficace de développer des thérapeutiques permettant de préserver les structures saines dentaires
si dans le même temps ces structures sont détruites par les effets de la maladie carieuse. La mise en
œuvres de procédures permettant un diagnostic précoce des lésions carieuses constitue un complément
indispensable
L'établissement d'un diagnostic précoce nécessite (4) :
•Un suivi régulier du patient.
•La mise en œuvre de moyens diagnostics suffisamment fins pour détecter ces lésions débutantes.
Le développement des techniques faisant appel à la fluorescence laser ou aux mesures de conductivité
électrique (3) laisse espérer des outils diagnostics de plus en plus fins. Il reste en effet difficile d'évaluer la
possibilité de reminéraliser une lésion débutante tandis que certaines lésions initiales ne sont même pas
diagnostiquées.
•Un examen minutieux à l'aide d'aides visuelles, qu'il s'agisse de loupes ou de microscopes
opératoires (Fig 1) est incontournable. Il faut sécher les surfaces dentaires pour effectuer cet examen.
•L'utilisation des clichés rétro-coronaires doit devenir la règle pour détecter les lésions proximales.
C'est sans doute le moyen diagnostic le plus efficace, le plus facile à utiliser et réalisable par tout praticien
sans investissement coûteux.
Fig 1 - Le microscope opératoire, encore peu répandu, constitue une aide visuelle précieuse en odontologie restauratrice
CONTROLE DE LA BACTERIEMIE
L'évolution des connaissances dans le domaine de l'étiologie de l'inflammation pulpaire (1, 7) conduit à
limiter au maximum les risques d'infiltration bactérienne à travers les canalicules dentinaires largement
ouverts par les procédures de mordançage prévues dans les protocoles d'adhésion.
Le champ opératoire constitue donc le premier rempart et se doit d'être parfaitement étanche (Fig 2). La
pose de la digue reste un sujet tabou pour la plupart des praticiens qui ont pourtant appris à l'utiliser au
cours de leur formation (Fig 3). Pourtant, cette digue est facile à mettre en place dans la plupart des cas et
quelques conseils permettront peut-être à certains de profiter de cette technique :
- Utiliser un caoutchouc plus épais qu'en endodontie : médium ou mieux heavy.
- Réaliser des perforations de petit diamètre suffisamment espacées les unes des autres.
- Ne pas hésiter à étendre le champ opératoire pour dégager l'accès au site d'intervention (Fig 4).
- Utiliser un clamp pour la dent postérieure et un fil de caoutchouc « wedget » bloqué dans un espace
interdentaire pour la dent antérieure.
Fig 2 - La mise en place de la digue reste le meilleur moyen de prévenir la contamination bactérienne des surfaces cavitaires
débarrassées de la boue dentinaire par les procédures de mordançage.
Fig 3 - La digue vue par les praticiens... dessin de Vincent Lascaud extrait de sa thèse : La digue : petit guide illustré à l'intention
du praticien et de ses patients, Clermont-Ferrand 1991
Fig 4 - La digue doit englober un secteur suffisamment étendu pour réellement faciliter l'accès à la zone de traitement. C'est dans
ces conditions que le praticien libère la main occupée le plus souvent à écarter lèvre et joues à l'aide du miroir.
La lutte contre les contaminations bactériennes passe également par l'application d'agents antiseptiques sur
les surfaces dentinaires à base de chlorhexidine ou de chlorure de benzalkonium (Consepsis®, UltraCid®,
Bisico). Un certain nombre de douleurs postopératoires peuvent ainsi être évitées et la mise en œuvre de
ces produits ne nuit en rien aux procédures adhésives.
Le sujet est suffisamment important pour que bon nombre de recherches s'orientent aujourd'hui vers
l'incorporation d'agents antibactériens dans les systèmes adhésifs ou vers le développement de matériaux
bioactifs capables d'inhiber la croissance bactérienne à l'interface tissu dentaire-matériau de restauration. Il
est vrai que le premier matériau bioactif est sans doute... l'amalgame, ce qui explique la longévité de
restaurations pourtant dégradées.
La limitation des agressions doit également être prise en compte, d'abord en contrôlant la bactériémie, mais
aussi en limitant l'exposition inutile de tissu dentinaire en mettant en œuvre progressivement des
procédures de réfection plutôt que de remplacement systématique des restaurations. Le traitement des
récidives peut être conduit en suivant cette démarche (9). La possibilité de réaliser une réfection de la
restauration doit alors, logiquement, entrer dans le cahier des charges d'un matériau (10). Il est essentiel de
garder présent à l'esprit la notion de cumul qui fait que l'organe pulpaire voit son potentiel réparateur
diminuer après chaque nouvelle agression.
L'évolution du profil de la population fait que nos approches thérapeutiques et notre exercice clinique se
modifient peu à peu. L'allongement de la durée de vie, l'amélioration des thérapeutiques parodontales, le
développement de lésion cervicales carieuses ou non carieuses (Fig 5 et Fig 6) permet de réaliser des
traitements sur des dents qui auraient disparu des arcades dentaires auparavant. Cette démarche impose
au praticien lors de l'élaboration du plan de traitement d'évaluer le devenir des restaurations et de raisonner
sur le long terme ce qui va encore dans le sens de ce qui a été déjà mentionné (respect des tissus sains,
possibilité de réfection, limitation des agressions).
Fig 5 - Exemple de pathologies rencontrées plus fréquemment aujourd'hui : lésions par abrasions des surfaces radiculaires, lésion
carieuse radiculaire, ceci chez un patient âgé ayant subi il y a plusieurs années une thérapeutique parodontale mais dont
l'hygiène n'est plus correctement maîtrisée aujourd'hui.
Fig 6 - Image radiographique de lésions carieuses radiculaires proximales chez un patient de 73 ans. Seul un cliché
radiographique permet de détecter ces lésions dont l'accès reste difficile.
La diversité des moyens thérapeutiques fait encore partie des évolutions marquantes qui modifient nos
conditions d'exercice. L'essor des techniques indirectes associé à la diversité des matériaux, nécessite une
réflexion préalable à chaque intervention. La prise en compte des impératifs fonctionnels, esthétiques,
économiques nous impose une adaptation rigoureuse de nos thérapeutiques. Restauration directe ou
indirecte, dans le cas d'une restauration indirecte : alliage précieux ou non précieux, composite (Fig 7) ou
céramique ?
Fig 7 - Les restaurations indirectes en résine composites sont une illustration de la diversification de nos moyens thérapeutiques.
La nature des traitements de surface mis en œuvre durant les procédures de collage, le type de produit de collage, le choix du
matériau composite sont autant d'éléments dont le rôle respectif est difficile à évaluer dans la longévité des restaurations.
Enfin, si l'on s'intéresse aux seules céramiques, le choix des différentes évolutions s'avère chaque jour plus
difficile. Cette diversité devrait constituer une aide pour adapter au mieux nos traitements à chaque
situation. En fait, nous manquons cruellement d'évaluations cliniques à long terme et il s'avère souvent
difficile de prendre une décision argumentée (8). Faute d'une réglementation imposant des évaluations
cliniques avant mise sur le marché, nous devons encore faire nos propres évaluations dans notre pratique
quotidienne. Il est certain que ces essais cliniques deviennent de plus en plus indispensables au fur et à
mesure que de nouvelles techniques apparaissent sans autre argumentation que celle de leurs
concepteurs.
Gérer un plan de traitement intégrant la temporisation devient de plus en plus nécessaire. Certains
matériaux comme les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine permettent de réaliser les
restaurations permanentes dans des conditions optimales qu'il s'agisse de rétablir la santé parodontale, de
maîtriser le risque carieux, d'attendre la fin d'un traitement d'orthodontie (Fig 8).
Fig 8 - Un traitement orthodontique justifie face à l'existence de lésions carieuses de temporiser en mettant en œuvre des
matériaux tels que les ciments verre ionomères modifiés par adjonction de résine plutôt que de réaliser des restaurations dans de
mauvaises conditions.
CONCLUSION
Le suivi thérapeutique est resté limité pendant de nombreuses années au contrôle des récidives carieuses
et à un éventuel polissage des anciennes restaurations. Il importe aujourd'hui de concevoir ce suivi comme
un traitement à part entière de la maladie carieuse, faisant intervenir des moyens de prévention, un
diagnostic précoce d'éventuelles récidives, une observation méticuleuse de l'aspect des joints des
restaurations collées. Les obligations de traçabilité permettront également de procéder à des réfections
adaptées aux matériaux mis en œuvre lors de la première intervention, données qui nous font défaut le plus
souvent aujourd'hui.
BIBLIOGRAPHIE
1. BRANNSTROM M. Dentin and pulp in restorative dentistry. Dental Therapeutics. Ed. : A.B., Nacka,
Sweden, 1981
2. ELDERTON R.J. Iatrogenisin the treatment of dental caries. Proc. Finn. Dent. Soc., 1992, 88 : 25-32.
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9. THYLSTRUP A. How should we manage initial and secondary caries ? Quintess. Int. 1998, 29 : 594-598.
10. WILSON N.H.F., BURKE F.J.T. When should we restore lesions of secondary caries and with what
materials ? Quintess. Int. 1998, 29 : 598-600.
THE EVOLUTION OF CONCEPTS IN OPERATIVE DENTISTRY
Abstract :
Knowledge has progressed in the last few years in varied but complementary fields such as pulp physiology,
cariology and diagnostic tools. These changes must bc taken into account during a global care process
where the life expectancy of patients is increasing and the population is ageing. The diversity of therapeutic
means should be helpful to adapt each treatment, providing one performs a sound clinical assessment, often
absent, which justifies one's choices.
Keywords :
Preventive care - Minimal intervention - Bactéria - Rubber dam - Clinical evaluation.