lectio Divina - ABBAYE DE VENIERE

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lectio Divina - ABBAYE DE VENIERE
La lectio divina ...
« La lectio divina ou « lecture spirituelle » des Saintes Écritures, consiste à
s'attarder longuement sur un texte biblique, le lisant et le relisant en le « ruminant »
presque, comme disent les Pères, et à en extraire, pour ainsi dire tout le « suc », afin
qu'il nourrisse la méditation et la contemplation et parvienne à irriguer, comme la
sève, la vie concrète » Benoît XVI.
La démarche présentée ci-dessous est extrêmement simple mais ce qui est
simple n'est pas toujours ce qui est le plus facile tant nous sommes compliqués et
encombrés. Cette démarche est rendue encore plus difficile aujourd'hui. Notre
société nous pousse à chercher en tout l'efficacité, la productivité, l'utilité. Elle
méconnaît la gratuité, elle nous incite à remplir sans cesse d'activités notre temps,
et même nos temps libres et nos vacances. La lectio divina relève d'une autre
mentalité, elle oblige à une conversion de tout l'être pour entrer dans la mentalité de
Dieu. La lectio divina ne produit rien, elle n'est utile à rien. Elle ne recherche pas
l'augmentation d'un savoir, l'acquisition de connaissances. Elle n'est utile à rien mais
elle transforme celui qui la pratique. Elle est une entrée en amitié avec Dieu qui nous
a parlé depuis l'aube des temps. Dans la lectio divina, nous laissons à Dieu une
chance de nous rejoindre, de parler à notre cœur, de nous faire entendre ce qu'Il
veut nous dire. Dieu a besoin d'un cœur disponible, désireux de le rencontrer,
heureux d'être là simplement avec Lui.
« On ne donne pas à boire à un âne qui n'a pas soif ». Ce proverbe est
particulièrement vrai de la lectio divina. Celui qui n'a pas soif de rencontrer Dieu, de
chercher ce qui lui plaît, de chercher la Vérité, d'apprendre à se connaître sous le
regard de Dieu au contact de l'Écriture ne trouvera rien en elle : « J'ai dit me voici,
me voici à un peuple qui n'invoquait pas mon nom. » (Is. 65, 1). Puissions-nous être
de ceux qui ont faim et soif d'entendre Dieu leur parler, de ceux qui sont affamés du
Pain de sa Parole.
La lectio divina
1
2
Une entrée en lectio divina
Une lectio divina fructueuse implique l'adoption
« il y a autant de différence entre la
lecture méditée et la simple lecture
d'un rythme régulier : chaque jour ou chaque semaine.
qu'entre une amitié et un contact
½h est un archi-minimum, ¾ d'heure à 1h00 sont
avec un hôte de passage, entre une
préférables. A moins d'une grâce particulière, il faut du
vieille affection et le salut donné en
passant. Chaque jour il faut verser
temps pour faire silence, descendre dans le cœur
dans la panse de sa mémoire
profond et entrer en lectio divina, il faut du temps pour
quelque chose que l'on aura tiré de la
devenir familier des textes et des auteurs bibliques.
lecture quotidienne ; on aura grand
soin de se l'assimiler, on le ruminera
Voici les étapes possibles d'une lectio divina. Après
en le faisant remonter fréquemment à
les avoir énumérées, nous les reprendrons plus en
la pensée » Guillaume de Saint-Thierry.
détail :
Cité in : Renaissance de Fleury, mars
2006 ; n°217, p.12.
 Mise en présence du Seigneur :
 je choisis une position corporelle qui va m'aider à entrer en prière sans
occasionner de gêne et de tension.
 J'abandonne résolument mes soucis, mes cogitations.
 Invocation de l'Esprit-Saint :
je demande à l'Esprit-Saint, qui a inspiré les Écritures, d'illuminer mon cœur et mon
intelligence.
 Lecture :
Je lis un passage de l'Écriture lentement. Le mieux est de le faire à haute voix, sinon à mivoix afin que le texte devienne parole qui résonne à mes oreilles.
Je m'attarde dessus en repérant les mots, la structure d'ensemble.
 Méditation :
Je pose des questions au texte, je laisse remonter dans ma mémoire d'autres passages
bibliques qui éclairent ou font écho à ce texte.
 Rumination :
Je lis un verset de ce passage plusieurs fois en espaçant par des temps de silence.
S'il s'agit d'un passage narratif : je peux regarder la scène, écouter ce que disent les
personnages, je m'investis dans la scène. Si un verset touche mon cœur, je m'arrête
dessus et je le répète intérieurement.
 La prière :
De ce contact avec l'Écriture, naît la prière du cœur.
 La contemplation :
Cette étape appartient au Seigneur !C'est Lui seul qui peut rendre ma lectio divina, c'est-àdire faire que ma lectio, ma lecture, devienne Parole de Dieu, rencontre avec le Dieu
Vivant.
A présent reprenons ces étapes en les développant.
1.1 Mise en présence du Seigneur :
La position corporelle est importante. La lectio divina nous engage tout entier dans
notre dimension corporelle, psychique, spirituelle. Nous allons à Dieu avec tout ce que
nous sommes, sans laisser une partie de nous-mêmes en route. Trouver une position
« confortable » aide notre être à se détendre. Quand notre corps est détendu, notre
La lectio divina
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psychisme aussi se détend et nous sommes plus aptes à descendre en notre partie
spirituelle, là où Dieu nous parle.
Ayant pris une position corporelle détendue, je m'efforce de faire silence en mon
psychisme. Je repousse mes soucis non pour créer une cloison étanche entre le Seigneur
et mon vécu mais pour prendre une distance avec lui et le retrouver ensuite dans une
autre lumière. Je fais taire mes émotions afin qu'elles ne soient pas des parasites entre
moi et le Seigneur qui me parle.
Cependant, n'attendons pas d'être arrivés à un silence complet du psychisme sinon
nous risquerons de ne jamais commencer notre lectio divina ! Faisons ce qui nous est
possible, le contact avec la Parole de Dieu fera le reste ! Notre part c'est de nous engager
en ce sens, de faire le choix libre et résolu d'être là entièrement pour le Seigneur et de
laisser tout le reste de côté.
1.2 Invocation du Saint-Esprit :
L'Esprit-Saint est l'inspirateur de l'Écriture, c'est seulement en Lui, que l'homme peut
comprendre le sens des Écritures :
« La même puissance est nécessaire à ceux qui prophétisent et à ceux qui écoutent les
prophètes ; et nul ne pourrait écouter un prophète si l'Esprit même qui a prophétisé en lui ne lui
a pas accordé l'intelligence de ses paroles ». Grégoire le Thaumaturge.1
Invoquer le Saint-Esprit, c'est se placer dans un climat de prière. Toute lectio divina
se vit dans un climat de prière.
« ce qui est le plus nécessaire pour comprendre le texte, c'est la prière ». Origène2
1.3 Lecture :
Je ne prends pas un passage au hasard. Je
« Il faut aussi, à des heures
déterminées, se livrer à des lectures
choisis un livre biblique que je lis en continu en me
déterminées. Si vous n'avez que des
3
donnant tout mon temps. Quel livre choisir ?
lectures de rencontre, disparates,
prises au hasard, votre âme n'est pas
 il est bon d'alterner Nouveau et Ancien
édifiée, mais devient inconstante ;
Testament,
tout cela étant superficiel, la mémoire
le laisse échapper d'autant plus vite.
 il est bon de choisir un livre biblique en rapport
Il faut se fixer à certains auteurs et y
4
avec les temps liturgiques ,
habituer son esprit. » Guillaume de
Saint-Thierry, Un traité de la vie solitaire,
 Il est bon de choisir un livre biblique en fonction
lettre aux frères du Mont-Dieu, Trad,
introd. par M.-M. DAVY, Paris, J. VRIN,
de mon degré de familiarité avec la Bible. Quand
1946, p. 239.
on commence à fréquenter l'Écriture, il n'est pas
recommandé de débuter par la lecture du
Lévitique ou de l'Apocalypse !
Je délimite ensuite le passage que je vais lire pour qu'il forme un ensemble
cohérent. Comment délimiter un texte ? Je repère les changements de lieux, de
personnages, les locutions telles que : « Après cela ... »
Je fais connaissance avec le texte. Je repère son genre littéraire ainsi que les
grandes lignes de ce texte. Il ne s'agit pas de se lancer dans un travail exégétique ou alors
si je le fais, je le fais consciemment et j'entre alors dans une autre démarche. Il est
important de rester dans le climat de prière et d'écoute du cœur profond. En regardant le
texte dans ses grandes lignes, je l'accueille d'abord tel qu'il est, je me familiarise avec lui,
je fais connaissance avec lui avant d'aller plus en profondeur. Je repère les mots qui se
1
Cité in HENRI CROUZEL, Origène, Lethielleux, Le Sycomore, Paris, 1984, p. 107.
ORIGENE, cité ibidem, p. 37.
3
Se reporter au tableau des livres bibliques en annexe.
4
Nous indiquons dans le tableau en annexe les livres bibliques les plus adaptés aux divers temps liturgiques.
2
La lectio divina
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répètent, je regarde le début et la fin du texte et je remarque son évolution. Je cherche à
saisir le mouvement d'ensemble. Cette étape peut se faire assez rapidement et
naturellement, quand on est habitué. Par exemple une certaine pratique permet de repérer
très vite le genre littéraire sans s'arracher les cheveux sur le texte durant des heures ! Par
cette lecture attentive, je m'imprègne du texte.
1.4 La méditation :
Je laisse remonter en ma mémoire des passages de l'Écriture qui vont éclairer ou
faire écho à ce texte. Ex : je lis le livre de la Genèse. J'arrive au chapitre 16. Il s'agit du
récit des démarches de Saraï, stérile, pour obtenir un enfant par le biais d'Agar sa
servante. Je remarque alors des analogies avec le récit de Genèse 3 au plan du
vocabulaire :
 16,2 : « Et Abraham écouta la voix de sa femme » // 3, 17 : « Parce que tu as écouté la
voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger ... »
 16, 3 : « […] Sa femme, Saraï prit Agar l'Égyptienne, sa servante, et la donna pour
femme à son mari Abram » // « Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son
mari [...] »
 Gn 16 : le résultat aboutit à une perturbation des relations entre Saraï et Agar et entre
Saraï et Abraham : Saraï prend à parti Abraham : « Que Dieu soit juge entre toi et
moi ». // Gn 3 : les relations humaines sont perturbées entre Adam et sa femme, entre
l'homme et la nature. Et c'est Dieu qui est juge entre
Adam, la femme et le serpent.
« L'écriture entière est comme une
lyre ; une corde ne produit pas de
Je médite alors sur le sens de ces parallèles (il y en
son harmonieux par elle-même, mais
en union avec les autres ; ainsi aurait encore d'autres à relever). Je comprends que le
chaque passage de l'écriture est en récit de Gn 3 est le « type » de tout péché. Gn 16
relation nécessaire avec un autre, ou développe en récit concret le récit symbolique de Gn 3.
plutôt à un passage s'en réfèrent
milles autres. » saint Bonaventure, In Gn 16 est une forme du « péché » de Gn 3 : celui de se
passer de Dieu, d'agir par soi-même sans Dieu, d'obtenir
Hexamaeron, coll. 19, 7. de. Quarrachhi,
t.5, p.421.
par soi-même ce que Dieu est censé ne pas vouloir
donner : être comme des dieux en Gn 3, avoir un enfant
en Gn 16, 2. Dans les deux cas, il y a erreur. Dieu voulait faire des hommes des dieux, la
Bible en son entier en témoigne, et il avait le projet de donner à Abram et Saraï un enfant.
Il l'avait promis auparavant à Abram (Gn 13, 16, 15, 4-5).
Ce type de méditation doit se faire dans la prière et l'Esprit-Saint pour qu'elle porte
des fruits intérieurs. Il ne s'agit pas d'un jeu intellectuel, ni d'aborder la Bible avec une
mentalité de devinettes.
Je peux m'aider des notes marginales de renvoi 5 mais elles ne sont pas exhaustives
et ne sont pas toujours les plus judicieuses.
1.5 Rumination :
Dans l'étape précédente, je m'étais arrêtée à l'écorce du texte, selon une expression
fréquente chez les auteurs spirituels. Origène parle du « corps » du texte. C'est l'aspect
extérieur, visible, constitué par les mots du texte.
Dans cette étape de la rumination où je répète intérieurement et longuement un
verset, je goûte la moelle du texte. A ce moment s'opère le passage du texte à la Parole.
Je passe et repasse ce verset dans ma mémoire, je m'en imprègne, je ne réfléchis pas
Les notes marginales sont les références des textes ou versets bibliques parallèles à un passage ou un verset donné
auxquels les Bibles renvoient. Ils sont placés dans les marges ou en note de bas de page,
5
La lectio divina
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dessus, je fais taire tout discours intérieur. Je laisse agir en moi ce verset qui devient
Parole en moi. Cette étape est marquée par la réceptivité du côté de l'homme, elle fait
entamer une descente de l'intelligence dans le cœur. La Parole agit à ce moment comme
un encens qui se diffuse, comme un parfum qui se répand dans tout l'être. La Parole
pénètre ainsi ma mémoire, mon intelligence, mon affectivité, mon inconscient, elle ouvre le
cœur profond. Dans cette étape la Parole nourrit mon homme intérieur, elle le fait grandir,
le fortifie.
Quand le texte est narratif, la rumination
« Nous devons avoir le zèle d'apprendre par cœur la
suite des Écritures sacrées, et de les repasser sans peut prendre la forme de la si le Seigneur me
cesse dans notre mémoire. Cette méditation pousse en ce sens. Ce type de rumination est
continuelle nous procurera un double fuit. D'abord,
adapté à l'Évangile. Je
tandis que l'attention est occupée à lire et étudier, les particulièrement
pensées mauvaises n'ont pas le moyen de rendre regarde la scène paisiblement, j'écoute et
l'âme captive dans leurs filets. Puis, il se trouve même je deviens acteur, j'agis, je parle. Je
qu'après avoir maintes fois parcouru certains
passages, en travaillant à les apprendre de mémoire, peux m'adresser ainsi aux personnages
nous n'avons pu, sur l'heure, les comprendre, parce bibliques, leur demander la raison de leur
que notre esprit manquait de la liberté nécessaire. comportement. Je peux m'adresser au Christ,
Mais lorsqu'ensuite, loin de l'enchantement des
occupations diverses et des objets qui remplissent le prier, lui parler. Nous verrons ce type de
nos yeux, nous les repassons en silence, surtout lectio concrètement plus loin avec Aelred de
pendant les nuits, ils nous apparaissent dans une Riveaulx.
plus grande clarté. » CASSIEN, Conférences III, Paris,
Cerf, 1959, SC 64, p. 195.
1.6
La prière
Ayant goûté la moelle du texte, m'étant imprégné de la Parole, la prière naît
spontanément en moi. Rendu réceptif au Seigneur par la Parole, je laisse plus facilement
l'Esprit-Saint guider ma prière. J'entre alors dans la louange, dans la prière de demande
pour les autres ou pour moi.
M'adressant au Seigneur je peux lui demander le sens d'un verset ou d'un passage.
La démarche n'est pas la même que celle que nous avons décrite plus haut et qui
consistait à interroger le texte. Quand j'interroge le texte, je cherche dans le texte une
réponse, quand j'interroge le Seigneur, je demande une lumière intérieure pour
comprendre le verset. L'adoption de l'une ou l'autre façon est dictée par le type même du
questionnement. S'il s'agit d'un verset que je trouve obscur, j'interroge le texte. S'il s'agit
d'un verset que je cherche à comprendre par rapport à mon vécu, pour le faire passer
dans ma vie, j'interroge le Seigneur.
Par exemple, lisant l'évangile de Luc, j'arrive au verset : « Car quiconque s'élève
sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé » (Lc. 14, 11). A ce moment, j'ai justement
à vivre une situation d'humiliation. Je cherche alors dans ce verset le sens de ce que je vis
en ce moment précis. Je m'interroge, de quelle « élévation » Jésus parle-t-il quand il
promet à celui qui s'abaisse d'être élevé ? Le Seigneur étant hostile à toute élévation
humaine qui n'est que du vent et de l'apparence, il ne peut s'agir d'une élévation aux
regards des hommes. Les promesses de Dieu ne vont jamais dans ce sens 6. J'interroge
alors le Seigneur et je lui demande Sa lumière. Il peut alors m'éclairer et me donner de
comprendre que l'élévation en question est d'ordre intérieur et donc bien réelle,
contrairement à l'élévation humaine. La formulation « sera élevé » indique que c'est Dieu
qui agit, le Christ promet donc une action de Dieu en ma vie pour m'élever. Je comprends
que lorsque Dieu élève l'homme, il le glorifie selon le vocabulaire de l'évangile de Jean 7.
Si dans l'Ancien-Testament, le Seigneur promet parfois la richesse, la gloire, le Christ, Lui ne fait jamais cette
promesse. De plus dans l'Ancien-Testament, la richesse ou la gloire promise ont toujours un sens spirituel qui dépasse
l'aspect strictement « matériel » de la promesse. Elles sont comme une « matérialisation » de la bénédiction de Dieu
pour un homme et sa descendance.
7
« Il faut que le Fils de l'homme soit élevé » Jn 3, 15. L'évangile de Jean désigne ainsi la crucifixion. La croix étant
dressée, le crucifié était physiquement « élevé », dressé entre ciel et terre. « Lorsque vous aurez élevé le Fils de
l'homme, vous connaîtrez que je suis » Jn 8, 28. L'expression « je suis » renvoie à la révélation du nom de Dieu dans le
6
La lectio divina
6
Le Christ sur la croix est abaissé aux yeux des hommes mais en réalité Il est élevé, Il est
glorifié par le Père. Vivant une situation d'humiliation, grâce à la force de la Parole de Dieu
je peux faire l'expérience d'être élevé, glorifié dans mon être profond, mon être d'éternité.
L'humiliation à ce moment peut même ne plus me toucher car je me situe à un autre plan
de l'existence, j'« expérimente » ma glorification intérieure. Ceci est un exemple de
questionnement qui rejoint l'expérience concrète d'un homme à un moment donné de sa
vie. Il reçoit la lumière du Seigneur dans le contact à la Parole et la prière.
1.7 La contemplation.
La contemplation est un terme qui peut impressionner et faire reculer. Ce terme ne
désigne en rien les « phénomènes extraordinaires » : visions, lévitations, extases. Il peut
être pris en deux sens :
 dans un premier sens, il désigne une action humaine : l'homme contemple le Christ
ou une scène d'évangile, c'est-à-dire qu'il fixe son attention sur le Christ ou sur une
scène évangélique. Cela correspond à ce que nous avons appelé plus haut la
« visualisation » d'un passage biblique. Aelred de Rievaulx emploie le mot en ce
sens : « Ne crois-tu pas que c'est dans une grande douceur que tu iras contempler
Jésus à Nazareth, enfant avec les enfants [...] »8
 Dans un deuxième sens, il désigne une action de Dieu. Dieu « visite » l'homme9, Il
lui donne d'expérimenter une réalité qui dépasse entièrement les capacités
humaines. L'homme ne peut se donner à lui-même cette expérience et il ne peut en
aucune façon forcer Dieu à lui faire ce don. Nous sommes là dans le registre de la
gratuité. L'homme peut simplement se disposer à recevoir ce don, en se dégageant
de tout ce qui en lui fait obstacle à Dieu. La lectio est un moyen privilégié pour
disposer l'homme à recevoir le don de la contemplation. Mais elle n'est en rien une
technique qui lui octroierait automatiquement la contemplation. La contemplation
est un pur don. C'est ce sens que nous retenons ici et que nous allons développer.
La contemplation n'est pas forcément et systématiquement au bout d'une entrée en
lectio divina mais elle peut être accordée fréquemment ou plus rarement à celui qui se
rend disponible au Seigneur par la fréquentation de sa Parole. Il est difficile d'en parler
car elle ne peut être rendue par aucun mot humain. Tous les spirituels pour en parler ont
utilisé le registre de la poésie, des symboles qui laissent ouverts le sens des mots. Le don
de la contemplation peut prendre diverses formes suivant les personnes et suivant surtout
la liberté de Dieu qui accorde ses dons à qui Il veut et comme Il veut. Nous pouvons lui
faire confiance et croire qu'il n'y a jamais rien d'arbitraire dans ses dons. Voici quelques
« formes » possibles de contemplation.
 Passage d'un monde à un autre monde : lorsque Dieu « visite » un homme et lui
accorde le don de la contemplation, Il le fait passer d'un monde à un autre monde,
du monde limité qui est le sien et qui n'est en rien mauvais mais qui est passager et
transitoire, au monde de Dieu, celui de l'éternité. L'homme qui entre en
contemplation ne « voit » rien mais il expérimente Dieu comme Vérité et éternité.
Entrant dans le monde de Dieu, il expérimente la paix qui surpasse toute paix et ne
dépend d'aucun événement extérieur.
 Expérience d'unité :
 Unité avec Dieu : l'homme est uni à Dieu, saisi par Lui, polarisé sur Lui, tout son
être, toutes ses facultés reposent en Lui.
buisson ardent en Ex 3, 14.
8
Aelred de Rievaulx Ibidem, p.123.
9
Selon une expression de saint Bernard qui trouve son origine dans la Bible. Dieu « visite » son peuple : Lc. 1, 78.
La lectio divina
7
 Unité en lui-même. Son corps est léger, le psychisme et le mental sont
silencieux. Il ne ressent plus aucune tension en lui , plus aucun conflit intérieur
d'ordre psychique. Bien entendu, cet état est transitoire et il retrouvera par la
suite la « lourdeur » de son corps, les conflits ou inquiétudes intérieurs mais
après cette expérience, il ne pourra plus les vivre de la même façon.
L'expérience de la contemplation ne supprime pas les difficultés, elle donne de
les vivre autrement. Étant entré dans le monde de Dieu, dans l'unité, dans la
paix, il reste marqué par cette expérience qu'il ne peut oublier et à laquelle il
peut revenir par le souvenir pour prendre de la distance par rapport à un vécu
qui peut être parfois difficile. Cette expérience est comme toute expérience
inscrite dans la mémoire de son corps et de son psychisme.
 Unité avec le monde :
 L'homme dans la contemplation perçoit les hommes comme « un » en Dieu,
au-delà de toutes les divisions qui les agitent et les déchirent. Il est saisi
dans cette unité et il comprend d'expérience l'image employée par Paul pour
désigner l'unité de l'Église à laquelle tous les hommes sont appelés : le
corps du Christ. Cette image dit l'unité et la diversité de tous les hommes
dans le Christ.
 L'homme dans la contemplation perçoit l'unité du cosmos contenu en Dieu et
il se « voit » pris dans cette unité, il fait partie de ce cosmos de qui il a reçu
sa substance corporelle. Il voit le monde entier rassemblé en Dieu. Cette
expérience est exprimée par Grégoire le Grand dans la Vie de Benoît.
 Expérience de la beauté intérieure : dans la contemplation, il peut arriver que
Dieu donne à l'homme de découvrir sa beauté intérieure, la beauté de son être
d'éternité. L'homme fait à ce moment une expérience de lumière, il connaît la vérité
de son être : la beauté qui est en lui, lui vient de Dieu, elle est l'image de Dieu en
lui, elle est plus vraie que le péché. Le péché passera et quittera l'homme car il est
«accidentel » mais la beauté de l'homme, image de Dieu est éternelle et
absolument rien ne peut l'effacer. Il existe en tout homme un lieu « intact ». C'est le
lieu où le péché et le mal n'ont aucun accès.
 Expérience du Royaume de Dieu : L'homme découvre, goûte les valeurs du
Royaume, il communie déjà à la Vie qui sera la sienne pour l'éternité et qui peut
déjà être la sienne aujourd'hui dans la foi. Ayant reçu ce don, il voit toutes choses
de façon différente. Ses valeurs sont transformées. Il abandonne les valeurs de la
société : santé, beauté, richesse, avoir, pour les valeurs du Royaume : amour,
gratuité, louange, adoration, connaissance de la beauté de chaque homme. Non
qu'il rejette ces valeurs de la société comme étant mauvaises mais désormais, il les
relativise, il ne leur accorde plus une valeur absolue. Il sait que ces valeurs sont
transitoires.
 Expérience du péché : La contemplation peut être un temps où l'Esprit-Saint
découvre à l'homme son péché. Cette expérience ne s'oppose pas à la précédente,
elle est tout aussi libérante. L'homme connaît dans l'Esprit-Saint ce qui en lui est
résistance à Dieu, il voit ce que de lui-même il ne pouvait pas voir. Cette expérience
de vérité n'écrase pas l'homme, au contraire, elle engendre en lui un regret profond
et la compréhension de l'essence du péché qui n'est pas infraction à une Loi mais
blessure de la relation entre l'homme et Dieu. Cette expérience intérieure du péché
s'accompagne de l'expérience de la sainteté de Dieu qui ne connaît aucun mal, qui
est pure lumière. Elle est expérience du jugement et libération intérieure car « la
vérité vous rendra libres » (Jn. 8, 32). Loin d'enfermer l'homme dans son péché,
cette expérience remet l'homme dans l'amitié avec Dieu.
La lectio divina
8
Ces expériences ne sont pas d'ordre « sensible » et « affectif » même si elles
rejaillissent sur la sensibilité. Elles sont d'ordre « spirituel ». L'Esprit de Dieu parle à notre
esprit (Rm. 8, 15). Elles n'ont rien à voir avec une « illumination » devant un texte quand
tout à coup il nous est donné de faire un rapprochement scripturaire ou de comprendre un
passage qui nous était jusque là obscur. Ces expériences sont pur don de Dieu, rencontre
avec Dieu au plus vrai de notre être, entrée par la foi dans la vie éternelle.
2
Partages d'expérience.
Comme l'expérience vaut tous les discours et toutes les théories, je présente ici
quelques exemples de lectio divina vécus. Ils sont issus d'expériences d'auteurs plus ou
moins anciens et de contemporains. A travers les siècles, l'homme est toujours
fondamentalement le même et la Parole de Dieu ne change pas. C'est pourquoi toutes les
expériences relatées de lectio divina peuvent nous rejoindre aujourd'hui.
2.1 Auteurs anciens
Guigues le chartreux.
Un jour occupé à son travail manuel, Guigues ◦ réfléchit à la « quête spirituelle » de
l'homme. Soudain, quatre étapes se présentent à son esprit : la lecture, la méditation, la
prière et la contemplation. Ces étapes, que Guigues va développer et systématiser, sont
héritées du monachisme antérieur. Elles lui apparaissent comme les échelons d'une
échelle qui conduit l'homme à Dieu. D'où le nom de l'ouvrage : L'échelle des cloitrés*.
« Par lecture, il faut entendre l'examen attentif des Écritures, faite avec un esprit concentré.
La méditation est l'action persévérante de l'intelligence, qui cherche, au moyen de sa propre
raison, la connaissance d'une vérité cachée.
La prière est la religieuse orientation du cœur vers Dieu, pour s'écarter de ce qui est mal ou
atteindre ce qui est bon.
La contemplation désigne une sorte d'élévation de l'esprit au-dessus de lui-même, en Dieu,
goûtant les joies de la douceur éternelle. » (p.52).
Guigues s'emploie à décrire une expérience de lectio divina. Pour cela, il part de la
parole : « Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu » (Mt 5, 8).
Premier échelon : la lecture. Guigues compare cette parole à une grappe qu'il va
mettre au pressoir de sa rumination. Dans une première étape, il lit et réfléchit. Il pense
que cette pureté est désirable puisque qu'elle procure la vie éternelle qu'est la vision de
Dieu. Il cherche par sa raison comment acquérir cette pureté. La démarche de Guigues
est existentielle. Il ne s'agit pas pour lui de comprendre le texte en lui-même, de l'analyser
mais de le faire passer en sa vie, de devenir ce bienheureux à qui est promis la vision de
Dieu. Cette lecture l'engage activement. Il passe donc à la méditation.
Deuxième échelon : la méditation. Guigues scrute avec plus d'attention le texte. Il
remarque que le texte parle des « cœurs » purs et non des « corps » purs. Il laisse
remonter à sa mémoire divers passages bibliques qui ont trait à la pureté du cœur. Il se
rappelle ainsi la prière du psalmiste : « Créé en moi un cœur pur, ô mon Dieu ! »10. Après
avoir laissé remonter plusieurs passages bibliques, il songe alors à la récompense
promise : la vision de Dieu. Cette vision de Dieu prend le visage du Christ : « le plus beau
des enfants des hommes »11. Guigues a bien sûr une bonne connaissance de l'Écriture.
Cette mémoire de l'Écriture ne s'acquiert pas du jour au lendemain, elle requiert une
10
11
Ps 51 (50), 10.
Ps 45 (44), 3.
La lectio divina
9
longue pratique. De nombreux passages éveillant son désir de Dieu montent en lui. A ce
moment, Guigues est rempli par la douceur de ce verset, simple étincelle – il s'agit de
quelques mots – qui a allumé un grand feu. Il est rempli de désir, de joie mais aussi de
souffrance. En effet, il ne possède pas cette pureté. La lecture (lectio) et la méditation ne
peuvent la lui procurer. Elle ne peut lui être donnée que d'en Haut 12. Guigues remarque
que lire et méditer est à la portée de tous les hommes et n'est pas propre aux chrétiens. Il
lui faut donc gravir un nouvel échelon.
Troisième échelon : la prière. C'est dans la prière que Guigues se réfugie pour
obtenir cette pureté convoitée. Il s'adresse au Seigneur :
« Seigneur, Toi qui ne peux être vu que des cœurs purs, je cherche par la lecture et la
méditation ce qu'est la vraie pureté de cœur et comment elle peut être obtenue, afin de pouvoir
par elle te connaître peut être un peu.
J'ai cherché ton visage, Seigneur, je l'ai longtemps cherché en méditant dans mon cœur, et
dans ma méditation a grandi le feu, le désir de mieux te connaître.
Quand tu romps pour moi le pain de la sainte Écriture, dans cette fraction du pain pour moi tu te
fais connaître ; et plus je te connais, plus je désire te connaître, non plus seulement dans
l'écorce de la lettre, mais dans le vécu de l'expérience.
Et cela, je ne le demande pas Seigneur, à cause de mes mérites, mais en vertu de ta
miséricorde. Je confesse que de fait, je suis un indigne pécheur ; « mais les petits chiens
mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître »13.
Donne-moi donc, Seigneur, des avances sur l'héritage futur, une goutte au moins de l'eau du
ciel par laquelle je pourrai étancher ma soif14, car je brûle d'amour pour toi.15 » (p. 61-62).
Inutile de dire que cette prière de Guigues n'est pas constituée de mots vides, elle
n'est pas une façon de parler ni du sentimentalisme. Cette prière est une prière de feu,
née du désir allumé au contact des Écritures. Elle est d'ailleurs tissée de réminiscences
bibliques. C'est par le contact quotidien et persévérant que Guigues est né à la prière et
peut s'adresser ainsi au Seigneur en toute liberté.
Les trois premiers échelons : lecture, méditation, prière sont accessibles à l'homme
mais le dernier échelon est pur don de Dieu, l'homme ne peut en aucune manière se le
procurer et c'est celui de la contemplation.
Quatrième échelon : la contemplation. Le Seigneur ne tarde pas à répondre à la
prière de celui qui le prie ainsi. Il se présente « soudainement à l'âme »16. Cette
contemplation n'est pas vision, elle est union à Dieu qui élève l'homme en son esprit en sa
chair jusqu'à Lui. L'homme oublie alors toute chose et passe en Dieu, il est dans un état
« d'ivresse ». Ce terme évoque la Pentecôte et le don de l'Esprit-Saint 17. Il a fait fortune
dans la littérature spirituelle.18 Guigues évoque également le don des larmes qui peut être
accordé en cet état.19
Jn 19, 11.
Mt 15, 27.
14
Lc. 16, 24.
15
Ct. 2, 5.
16
p. 63.
17
Ac. 2, 15.
18
THEODORET DE CYR, Histoire des moines de Syrie, Tome I, Paris, Cerf, 1977 ; Tome II, p. 267, 275 ; DIADOQUE
DE PHOTICEE, Cent chapitres sur la perfection spirituelle, introd. et trad. : Edouard des Places, SJ., Paris, 1943, SC 5,
p. 78 ; CASSIEN, Conférences II, Paris, Cerf, 1958, SC 54, p.63. Il apparaît également chez des philosophes comme :
PLATON, Banquet, 218b ; Phèdre, 245b-c ; sous sa forme « sobre ivresse », il trouve son origine chez Philon, cf. HENRI
CROUZEL, Origène, Lethielleux, Le Sycomore,Paris, 1984, p. 175.
19
Ces larmes n'ont rien à voir avec des larmes de tristesse, de dépit ou de désespoir. Elles sont la manifestation du
« cœur brisé » dont la carapace de dureté se fend et provoque des larmes de joie ou de repentir. Elles sont comparées
chez certains Pères au baptême qui lave et purifie. L'évocation des larmes abonde dans la littérature monastique.
Quelques références parmi d'autres : PSEUDO MACAIRE, Homélies spirituelles, SO n°40, Bellefontaine, 1984, p. 245246 ; DIADOQUE DE PHOTICEE, Cent chapitres sur la perfection spirituelle, op. cité, p. 101, 168 ; PALLADE, Quatre
ermites égyptiens d'après les fragmetns coptes de l'histoire Lausiaque. SO n° 60, Bellefontaine, 1994, p. 121 ;
CASSIEN, Conférences II, op. cité, p. 63s sur les différentes sortes de larmes.
12
13
La lectio divina
10
Aelred de Rievaulx (XIIe siècle). Abbé cistercien.
Aelred♪ dans la troisième partie de La vie de recluse♫ écrite pour sa sœur, l'invite à
fréquenter les Écritures. Partant de la scène de l'Annonciation jusqu'à la Résurrection, il
déroule sous nos yeux une lectio en acte. La part de l'imagination tient une place
importante. Aelred multiplie les injonctions : « regarde », « écoute » et les invitations à
entrer dans les scènes évangéliques et à être acteur de ce qui se passe : « entre d'abord
dans la chambre de la bienheureuse Vierge Marie […] là attends l'arrivée de l'ange pour le
voir entrer, pour l'entendre faire sa salutation [...] » (p.117). « Suis maintenant la très
douce Dame et gravis avec elle la montagne » (p.119). « Entre maintenant dans la maison
de Simon le pharisien et regarde ton Seigneur qui a pris place à table. Approche avec la
bienheureuse pécheresse jusqu'aux pieds du Seigneur, baigne-les de tes larmes, essuieles avec ta chevelure, couvre-les de baisers et de parfums » (p. 125). Mais il ne s'agit pas
là de pure imagination ! Il ne s'agit pas davantage de sentimentalisme. S'impliquer de
cette manière dans la scène évangélique c'est prendre position par rapport à Jésus, ouvrir
son cœur à la grâce, et par là, lui donner la possibilité d'agir en soi. Ainsi dans la scène
du baptême du Christ : « Là, introduite à des noces spirituelles, le Père te donnera un
époux, le Fils te purifie, et l'Esprit-Saint te gratifie d'un gage d'amour » (p.123). Lors du
dernier discours après la cène : « Quand viendra le moment où dans la plus sainte des
prières, il [le Christ] recommandera ses disciples au Père : « Père garde-les en ton nom »,
incline la tête pour mériter toi aussi de t'entendre dire : « là où je suis, je veux qu'ils soient
aussi avec moi (Jn 17, 24) » (p.133).
Aelred interpelle les personnages bibliques : « Et toi pharisien, qu'as-tu à
murmurer ? Est-ce que ton œil est mauvais parce que le Seigneur est bon ? » (p.127).
« O bienheureuse Marie (=Marie Madeleine) ! Quel tumulte de sentiments et d'émotions
quand à cet appel tu t'es prosternée, et qu'en réponse à sa voix tu t'es écriée : « Rabbi ! »
(p.143).
Il entrecoupe sa méditation-visualisation de prière : s'adressant au Christ qui vient de
poser son regard sur Pierre après son reniement, Aelred s'écrie : « Ah ! Que vos yeux,
bon Jésus, que votre regard affectueux s'arrêtent aussi sur moi [...] » (p.133).
Notons ici que cet écrit d'Aelred a inspiré la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux. Or,
l'un des deux livres que lu Ignace de Loyola, lors de sa convalescence après la bataille de
Pampelune où il fut blessé, fut la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux, traduite en
Castillan, qui inspira les célèbres Exercices spirituels.
Thérèse de Lisieux
Faisons un bond à travers les siècles pour arriver à Thérèse de Lisieux •. Suivons-la
dans une lectio tout à fait révélatrice d'un de ses charismes : celui de vivre la recherche du
Seigneur dans le plus quotidien et le plus concret. Nous retiendrons la deuxième partie du
manuscrit C** consacré à la charité fraternelle que Thérèse dit avoir comprise grâce à
Dieu, l'année même où elle écrit. Jusqu'à présent, selon son témoignage, elle comprenait
la charité fraternelle d'une manière imparfaite.
Quel fut le rôle de la Parole de Dieu dans cette prise de conscience ? Thérèse
reconnaît qu'elle n'avait pas « approfondi » la parole de Jésus : « Le second
commandement est SEMBLABLE au premier : Tu aimeras ton prochain comme toimême » (Mt 22, 39). Thérèse aimait Dieu mais elle a saisi que son amour ne devait pas en
rester à des paroles, il devait se traduire en actes. Elle se remémore ce verset : « Ce ne
sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur ! qui entreront dans le royaume des Cieux,
mais ceux qui font la volonté de Dieu » (Mt 7, 21). La volonté de Dieu, Thérèse la
recherche non dans l'abstrait, non comme tombée du ciel. C'est dans « chaque page de
l'Évangile » (p.263) qu'elle la discerne. Cette volonté du Seigneur se manifeste
particulièrement au moment de la cène lorsque le Christ donne à ses disciples le
La lectio divina
11
« commandement nouveau » celui de s'aimer les uns les autres comme Il les a aimés (Jn
13, 34-35). A la lumière de ce verset, Thérèse a compris qu'elle n'aimait pas les autres
comme Jésus les aimait. Cette prise de conscience n'est pas née d'un examen de
conscience, d'une introspection, cette lumière lui a été donnée à partir de la Parole. La
parole est un miroir, à son contact, l'homme voit l'état de son cœur. Cette lumière qui vient
de Dieu n'est pas condamnation, elle entraîne une conversion du cœur, un changement
de vie. La Parole de Dieu, accueillie par Thérèse a opéré un tournant décisif dans sa vie.
Thérèse a continué à approfondir cette lumière reçue. Elle a compris que la charité ne doit
pas être enfermée au fond du cœur, elle est comme le flambeau de la parabole
évangélique20. Elle doit éclairer et réjouir non seulement ceux qui lui sont chers mais
encore « TOUS ceux qui sont dans la maison, sans excepter personne. » (p.265).
Thérèse puise « à la mine féconde » de l'Évangile pour découvrir en quoi consiste ce
commandement nouveau. Elle se reporte au discours sur la montagne 21. En effet, ce
discours de Jésus est marqué par la nouveauté de son message. Il est ponctué par :
« Vous avez entendu » ou « vous avez appris » et par « Moi, je vous dis ». Thérèse cite le
verset : « Vous avez appris qu'il a été dit : Vous aimerez votre ami et vous haïrez votre
ennemi. Pour moi, je vous dis aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent ».
Thérèse s'emploie alors à appliquer ce verset dans sa vie quotidienne. Elle remarque que
si au Carmel, il n'y a pas « d'ennemis » il y a tout de même des antipathies, des sœurs
plus difficiles que d'autres à aimer car désagréables ou étroites d'esprit. Elle se sent donc
invitée par Jésus à prier pour ces sœurs et à les aimer. Puis elle cite : « A quiconque te
demande, donne, et à qui t'enlève ton bien ne le réclame pas » (Lc. 6, 30). Son
expérience lui a appris qu'il est plus facile de donner que de prêter quand on sait que ce
qui est prêté ne sera jamais rendu ! Dans ce cas on aimerait mieux donner c'est plus
glorieux ! En outre, il est plus facile de donner à ceux qui demandent avec délicatesse
qu'à ceux qui ne mettent pas de formes pour demander ! Elle continue ainsi sa lecture du
discours sur la montagne en recherchant les applications concrètes du discours. Ce
faisant, elle accomplit la volonté du Seigneur qui a donné à l'homme ces paroles pour qu'il
les mette en pratique.22
Sa lecture de la Parole a donc fait naître en Thérèse une prise de conscience.
Thérèse a ensuite interrogé la Parole pour chercher le chemin de la charité. Il ne s'agit pas
d'une démarche exégétique mais d'une démarche existentielle.
Cette attitude face à la Parole est habituelle chez Thérèse. C'est dans l'Écriture
qu'elle cherche la réponse à ses questions. Brûlée du désir d'être guerrier, prêtre, apôtre,
docteur, martyr, elle ouvre à l'oraison « les épîtres de Saint Paul afin de chercher
quelques réponses »*** (p. 228). C'est dans la lettre aux Corinthiens qu'elle découvre sa
vocation. Tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs etc. Réponse bien décevante
pour Thérèse ! Mais continuant sa lecture, elle lit que Paul invite à rechercher les « dons
les plus parfaits » et plus encore à suivre « une voie excellente » qui est la charité sans
laquelle les dons les plus excellents eux-mêmes ne valent rien ! Voici comment Thérèse
évoque sa découverte :
« Enfin, j'avais trouvé le repos... Considérant le corps mystique de l'Église, je ne m'étais
reconnue dans aucun des membres décrits par St Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en
tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l'Église avait un corps,
composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas,
je compris que l'Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d'AMOUR. Je compris que
l'Amour seul faisait agir les membres de l'Église, que si l'Amour venait à s'éteindre, les Apôtres
n'annonceraient plus l'Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que
l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et
Mt 5, 15.
Mt. 5, 1 - 7, 29 et Lc. 6, 20-49.
22
Mt 7, 21.
20
21
La lectio divina
12
tous les lieux... en un mot, qu'Il est éternel ! […] Ma vocation, enfin je l'ai trouvée, ma vocation,
c'est l'Amour ! » (p.229).
Cette lecture (lectio) de Thérèse est divina, inspirée par l'Esprit. Ce n'est pas le fruit
du travail de son intelligence, mais une illumination de l'intelligence du cœur qui lui fait
pénétrer le sens de ce texte qui devient Parole de Dieu pour elle.
Élisabeth de la Trinité
Conrad de Meester écrit au sujet d'Élisabeth ♦ qu'elle « fut une pionnière dans la
redécouverte de l'Écriture comme charte de vie chrétienne »23. En effet, à l'époque
d'Élisabeth et de Thérèse, les chrétiens n'avaient pas facilement accès à la Bible.
Élisabeth, pas plus que Thérèse, ne nous a laissé une méthode de lectio divina, ni
un traité sur la lectio divina, mais ses écrits témoignent de son rapport fréquent à
l'Écriture. Et nous pouvons discerner à travers eux sa façon de lire la Bible. Nous
choisirons quelques exemples en nous limitant à deux de ces derniers écrits : « Le ciel
dans la foi »♠ et « Dernière retraite♥ » car le champ est vaste ! Nous les avons choisis car
Élisabeth les a écris au terme de sa vie. Elle a alors atteint sa pleine maturité spirituelle.
Élisabeth s'arrêtait longuement sur le texte biblique et méditait sur le sens des mots
qu'elle y trouvait pour en pénétrer tous les sens, toutes les dimensions. Ainsi avec le mot
« demeurer » qui lui était cher :
« « Demeurez en moi ». C'est le Verbe de Dieu qui donne cet ordre, qui exprime cette volonté.
Demeurez en moi, non pas pour quelques instants, quelques heures qui doivent passer, mais
« demeurez » d'une façon permanente, habituelle. Demeurez en moi, priez en moi, adorez en
moi, aimez en moi, souffrez en moi, travaillez, agissez en moi. Demeurez en moi pour vous
présenter à toute personne ou à toute chose, pénétrez toujours plus avant en cette
profondeur. »24 (CF p.98).
Comme toute démarche de méditation, elle interroge le texte ou le Seigneur à travers
le texte :
« « Hâte-toi de descendre, car il faut que je demeure aujourd'hui en ta maison ». […] Mais
quelle est donc cette descente qu'Il exige de nous sinon une entrée plus profonde en notre
abîme intérieur ? Cet acte n'est pas une « séparation extérieure des choses extérieures », mais
une « solitude de l'esprit », un dégagement de tout ce qui n'est pas Dieu » (CF p. 100).
Ce type de questionnement est à la portée de tout le monde, il est du même type
que celui de Guigues rencontré plus haut, demandant : quelle est cette pureté qui vaut la
béatitude de voir Dieu ? Chacun peut poser de telles questions. Ce type d'interrogation ne
naît pas de la curiosité de l'esprit, du désir de connaître, d'acquérir une connaissance. Il
naît du désir de comprendre ce que Dieu a voulu nous dire par sa Parole et de ce qu'Il
veut me dire à moi, en cette époque où je vis, à cet âge que j'ai, à ce moment précis de
mon existence. Redisons-le, la réponse ne doit pas venir d'une pure réflexion personnelle,
elle vient dans l'Esprit-Saint. Elle naît de la réminiscence d'autres passages bibliques qui
vont éclairer le verset interrogé et, ou du sens que le Seigneur fait monter dans notre
cœur sous forme de lumière dans l'intelligence du cœur profond. Ces questionnements
fourmillent chez Élisabeth comme chez tout vrai « lecteur » ou orant de la Parole :
« « Vous êtes morts » (Col 3, 3) qu'est-ce à dire ? » (CF p. 102).
« « Si ton œil est simple, tout ton corps sera lumineux ». Quel est cet œil simple dont le Maître
nous parle [...] » (CF p. 107).
Élisabeth rapproche les textes et les éclaire les uns par les autres :
« « Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui fait toutes choses selon le conseil de
sa volonté, afin que nous soyons la louange de sa gloire. » (Eph. 1, 11-12) […] Il va maintenant
Œuvres complètes, Tome 1a, Cerf, Paris, 1981,p. 20.
Œuvres complètes, Tome 1a, Cerf, Paris, 1981. Nous indiquerons Le ciel dans la foi par l'abréviation CF et Dernière
retraite par DR.
23
24
La lectio divina
13
nous donner la lumière sur cette vocation à laquelle nous sommes appelés. « Dieu, dit-il, nous
a élus en Lui avant la création pour que nous soyons immaculés et saints en sa présence, dans
la charité » (Eph. 1, 4). Si je rapproche ces deux exposés du plan divin et éternellement
immuable, j'en conclus que pour remplir dignement mon office de Laudem gloriae, je dois me
tenir à travers tout « en présence de Dieu ; plus que cela : l'Apôtre nous dit : « in charitate »
c'est-à-dire en Dieu, « Dieu est charité » (1 Jn 4, 16) ». (DR p. 159).
Elle cherche dans l'Écriture la réponse aux questions qu'elle se pose touchant la vie
en Dieu. Citant Gn 17, 1 : « Marche en ma présence et sois parfait » elle cherche chez
Saint Paul comment vivre ce commandement afin « de marcher, sans jamais connaître les
détours, sur cette route magnifique de la présence de Dieu où l'âme chemine » ( DR p.
173). Élisabeth multiplie alors les citations des lettres de Paul dans lesquelles elle
discerne le chemin à suivre dans la présence de Dieu.
Elle aborde l'Écriture dans une attitude de disciple, c'est-à-dire qu'elle se met
« sous » l'Écriture et non pas au-dessus. Saint Paul ayant l'intelligence du mystère du
Christ (Eph. 3, 4) :
« C'est donc près du grand Apôtre que je vais m'instruire afin de posséder cette science qui,
selon son expression « dépasse toute autre science : la science de la charité du Christ Jésus »
( DR p. 178).
Nul doute que c'est au contact de l'Écriture imprégné de prière qu'Élisabeth s'est
laissée édifier par le Seigneur et que son chemin spirituel s'est éclairé et construit. C'est
dans l'Écriture qu'elle a reçu sa vocation d'éternité. Élisabeth se sait appelée à être
« louange de gloire » à Dieu (Eph 1, 11-12). Ce cantique d'éternité, elle a commencé à le
chanter dès cette vie dans le « ciel de son âme » (CF p. 122-125).
2.2 Témoignages contemporains.
Nombreux sont ceux qui aujourd'hui découvrent la lectio divina et en vivent
quotidiennement, nourrissant leur amour du Christ, leur vie de foi, leur charité fraternelle.
Premier témoignage : « J'étais malade depuis plusieurs mois. En lisant la bible, je
suis arrivé à ce verset : « cette maladie ne conduit pas à la mort, mais elle est pour la
gloire de Dieu » (Jn 11,4). Je l'ai reçu en plein fouet comme une Parole de Dieu pour moi.
J'ai répété longtemps en mon cœur ce verset que le Seigneur me donnait et je
l'interrogeais pour en comprendre le sens. Je savais que ma maladie ne conduisait pas à
la mort mais le sens était un peu « plat » ; le Seigneur devait vouloir me dire autre chose !
Il m'a alors révélé le sens de cette Parole pour moi : la vraie mort, ce n'est pas la mort
physique car elle marque l'entrée dans la vraie Vie. La vraie mort c'est la séparation
d'avec Dieu c'est pourquoi bien des gens sont « morts » dès cette vie. L'Écriture en
témoigne : « Je sais tes œuvres, tu as renom de vivre mais tu es mort » (Ap. 3, 1) ;
« Laisse les morts enterrer leurs morts mais toi, va annoncer le Royaume de Dieu » (Lc. 9,
60). J'ai entendu cette Parole que le Seigneur m'adressait comme un don qu'Il me faisait
de vivre cette maladie avec Lui. La maladie peut replier sur soi mais le Seigneur
m'assurait que ce n'était pas le cas pour moi. Je me suis demandé ensuite pourquoi cette
maladie était pour la gloire de Dieu. Et ce verset m'est revenu : « La gloire de mon Père
c'est que vous portiez beaucoup de fruits » (Jn 15, 8). A travers cette maladie, le Seigneur
voulait me donner de porter des fruits de patience, d'abandon, de détachement et d'autres
encore que j'avais à découvrir ».
Deuxième témoignage : « Le jour de Pâques, j'ai fait lectio divina avec le chapitre
20 de Jean. Lisant le texte lentement, je me suis représenté la scène. J'étais à l'intérieur
du tombeau, attendant la venue de Marie Madeleine et des apôtres. J'ai « vu » Marie
La lectio divina
14
Madeleine passer la tête par l'ouverture, puis Pierre et Jean arriver tour à tour et inspecter
le tombeau vide. J'ai assisté à la douleur de Marie Madeleine pleurant à l'entrée car elle
ne savait pas où était le corps de son Seigneur. J'ai « vécu » intérieurement la détresse, le
désarroi des amis de Jésus qui ne savaient pas et ne se doutaient pas de sa résurrection,
j'ai « vécu » l'effondrement de leur espoir, leur souffrance pour ce que Jésus avait enduré,
leur honte de l'avoir abandonné. C'est alors que j'ai « vu » le Ressuscité et assisté au
retournement de Marie Madeleine, j'ai vécu « l'inouï » de la résurrection, de la victoire de
la Vie sur la mort, la joie « inimaginable » née de la rencontre avec le Ressuscité. Quand
Jésus a appelé Marie Madeleine, j'ai entendu mon propre nom, je me suis moi aussi
retourné et j'ai accueilli la joie de la vie nouvelle ».
Troisième témoignage : « Je suis d'un caractère vif et emporté. Je m'énerve
facilement quand les enfants crient et sont fatigués. Je lis la Bible chaque jour. Je lisais :
« Tel un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble les agneaux, il les
porte sur son sein, il conduit doucement les brebis mères. » (Is. 40, 11). Et je répétais
plusieurs fois en moi-même ce verset. Je me suis alors vue, brebis du Seigneur dans ses
bras, Lui le Pasteur et l'agneau de Dieu. Pour la première fois, je me voyais « brebis » moi
qui rugis comme le lion. Je suis restée longtemps dans ces bras, accueillant la douceur du
Bon berger, accueillant en moi la douceur de la brebis du Christ. Depuis je m'exerce avec
l'aide du Seigneur à conjuguer en moi la force du lion de David et la douceur de
l'agneau ».
Quatrième témoignage : « Je travaille 10h0025 par jour auprès d'enfants et mes
journées sont remplies à craquer ! Ayant délaissé la lectio divina depuis quelques années
en raison de mon emploi du temps, j'ai décidé de la reprendre. J'ai une amie qui s'occupe
de sa maman malade et qui a peu de temps pour s'arrêter. Je lui téléphone chaque jour,
nous lisons les textes du jour. Puis, nous laissons quelques temps de silence durant lequel
nous retenons chacune une parole pour nous, aujourd'hui. Ensuite, nous nous la
communiquons et nous nous disons pourquoi nous l'avons choisie. De cette façon, nous
nous soutenons dans notre lectio divina quotidienne. Dès que j'ai quelques minutes dans
la journée, je ressors les textes du jour et je relis le passage. Ainsi, la Parole de Dieu
m'accompagne toute la journée et me nourrit même si je ne trouve pas de nombreuses
heures pour faire ma lectio divina ».
3
En guise de conclusion : la lectio divina : l'application d'une méthode ?
La lectio divina n'est pas l'application, la mise en œuvre d'une méthode à suivre de
« a jusqu'à z ». Rien ne lui est plus contraire ! La vraie lectio divina est conduite par l'Esprit
de Dieu et l'Esprit de Dieu est entière liberté, imprévisibilité. Il souffle où Il veut et quand il
veut. Celui qui est conduit par l'Esprit participe à cette liberté de Dieu : « Le vent souffle où
il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de
quiconque est né de l'esprit. » (Jn 3, 9).
Une entrée en lectio divina ne suit pas forcément les étapes décrites ci-dessus, telles
quelles, dans l'ordre :
 Comme nous l'avons déjà souligné, les étapes de la préparation, de la lecture, de la
méditation, de la rumination, de la prière relèvent de la part de l'homme, de sa liberté. La
contemplation, elle, relève de Dieu, de Sa liberté, elle est pur don, elle n'est pas une étape
systématique de la lectio.
25
Ce témoignage vient d'une personne « étrangère » qui ne connaît pas les 35h00 par semaine !
La lectio divina
15
 Si une lectio divina commence toujours par une « mise en condition » et une
invocation à l'Esprit-Saint, les étapes suivantes peuvent varier d'une fois à l'autre dans le
temps qui leur est consacré ou dans l'ordre suivi. Ainsi la lecture peut se réduire certains
jours à quelques secondes ! Par exemple : je lis Jn 15, 9 : « Demeurez dans mon
amour ». Je suis alors saisi par l'amour de Jésus, enveloppé, pénétré de son amour.
Quand une telle grâce, d'ordre spirituel et non affectif, nous est accordée, n'allons pas plus
loin ! Laissons le Seigneur accomplir son œuvre en nous. La lectio divina dans ce cas
nous aura conduit à son but en l'espace d'un verset et d'un instant. Il n'est pas question de
se dire : « c'est trop tôt ! Je dois d'abord méditer et ruminer puis prier ! Je dois suivre ma
méthode ! ».
 A l'intérieur même d'un temps consacré à la lectio divina, je peux passer de la lecture
à la rumination, jusqu'à la prière, puis revenir à la rumination. Guigues fait remarquer que
lorsque l'homme a reçu le don de contemplation, il ne peut rester toujours à ce degré.
Voici le conseil qu'il donne :
« Lorsqu'en vérité, la fragile pointe de l'esprit humain ne peut soutenir plus longtemps l'éclat de la vraie
lumière, qu'il descende avec calme et en bon ordre vers l'un des trois degrés par lesquels il était monté.
Qu'il s'arrête tantôt dans l'un, tantôt dans l'autre, tour à tour, selon le mouvement de son libre arbitre, en
tenant compte du lieu et du moment ». (op. cité, p. 84).
 Les étapes elles-mêmes ne sont pas étanches, elles s'interpénètrent les unes les
autres.
 Une « méthode » pour être valable, se doit d'être efficace. Or, la lectio n'est pas une
méthode et c'est pourquoi elle n'appartient pas au registre de l'efficacité. Il peut arriver
qu'en faisant lectio, il ne se passe « rien ». C'est le vide, le trou. Que faire ? Il n'est pas
possible de répondre ainsi à cette question. L'accompagnement spirituel est le lieu du
discernement d'une telle expérience. De quoi cela provient-il ? Manque de lâcher-prise du
mental ? Épreuve spirituelle ?
3.1
***
Guigues le chartreux. Appelé aussi : Guigues II pour le distinguer de son homonyme : Guigues I. Neuvième
prieur de la Grande Chartreuse. ✝1188.
*
GUIGUES LE CHARTREUX. L’échelle du paradis. Prés. et trad. de Philippe Baud. Parole et Silence,
Socomed Médiation, 1999. Cet écrit se présente comme une lettre adressé à un frère appelé Gervais.
Certains ont vu en lui le troisième prieur de la chartreuse du Mont Dieu.
♪
Aelred de Rievaulx (1110-1167). Abbé cistercien en Angleterre.
♫
Aelred de Rievaulx La vie de recluse. Cerf, Paris, 1961, SC 76. Cet écrit d'Aelred est une lettre adressée à
sa sœur recluse, à sa demande. Cette lettre est composé d'un règlement de vie, d'un « directoire
ascétique » et d'un exemple de méditation.
•
Thérèse de Lisieux (1873-1897). Entrée au carmel de Lisieux à 15 ans. Elle meurt de la tuberculose à 24
ans.
**
Thérèse de l'Enfant Jésus. Manuscrits autobiographiques, Carmel de Lisieux, Paris,1957. Le
« manuscrit C » a été rédigé par Thérèse à la demande de sa prieure du moment : Mère Marie de
Gonzague. Il lui est adressé. Elle écrit ce manuscrit en Juin 1897, quelques mois avant sa mort.
***
Lettre à Sœur Marie du Sacré Cœur, écrite en septembre 1896, un an avant sa mort.
♦
Élisabeth de la Trinité (1880-1906). Entrée au Carmel à l'âge de 21 ans, elle meurt à 26 ans de la maladie
d'Addison.
♠
Élisabeth rédigea ce traité, début août 1906, 3 mois avant sa mort. Elle l'écrivit comme une « surprise »
pour sa sœur Guite à lui donner après sa mort.
♥
Le 15 août 1906, Élisabeth commence sa retraite annuelle. Elle sait que ce sera la dernière. Mère
Germaine, sa prieure, lui a dit que cette retraite serait son noviciat du ciel et elle l'a invité à noter
« simplement ses bonnes rencontres ». Telles sont les notes de ce cahier.
◦