Commentaire arrêt Amadou Lamine Bâ
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Commentaire arrêt Amadou Lamine Bâ
El Hadji Alhassane Kane DROIT ADMINISTRATIF TRAVAUX DIRIGES SEANCE N°9 Thème : Les conditions de légalité des actes administratifs Sujet : Commentaire de la décision rendue par la CS, le 27 mai 1981, « Amadou Lamine Ba ». Alors qu’en droit privé les relations juridiques reposent principalement sur l’accord des volontés scellé par un contrat, un particulier ne pouvant, en principe, imposer d’obligations à un autre sans recueillir son consentement, le procédé normal de l’action administrative est l’acte unilatéral, créateur de droits et d’obligations à l’égard des administrés. Toutefois, cet acte administratif ne doit pas violer certaines règles, sous peine de voir son annulation prononcée par le juge. C’est le sens de la décision rendue par la Cour suprême sénégalaise le 27 mai 1981, « Amadou Lamine Ba », soumise à notre réflexion. Au chapitre des faits, tout commença lorsque le sieur Amadou Lamine Ba, ingénieur des ponts et chaussées et directeur des travaux publics du Sénégal procéda à des mentions sur les fiches de notation du personnel placé sous ses ordres. Après une vaine mise en demeure tendant à ce que M. Ba rectifie ces mentions, l’autorité administrative, à travers la décision n° 009935 du 22 août 1977 portant sanction disciplinaire du sieur Amadou Lamine Ba et l’arrêté n° 010247 du 26 août de la même année suspendant M. Ba, le releva de ses fonctions. Se sentant lésé, ce dernier après un recours gracieux sans effets, finit par saisir les hautes juridictions pour faire annuler ces décisions. M. Ba prétend en effet que les motifs de la décision de blâme sont irréguliers, car tenant sont pouvoir d’apprécier et de noter des agents publics placés sous ses ordres de la loi 61.33 du 15 juin 1961. Ce faisant, une telle sanction de l’Etat procèderait d’un esprit vindicatif constitutif d’un détournement de pouvoir. Il estime également qu’il y a vice de procédure dans la mesure où la mesure de suspension n’a pas respectée la saisine du Conseil de discipline, en violation de l’art. 52 de cette même loi. Par contre, l’Etat, avant d’entrer dans le fond, soulève l’irrecevabilité même du recours, car considérant la décision de suspension comme non susceptible de recours car de caractère préparatoire. Puis dans le fond, il estime que la sanction de blâme était pleinement justifiée par le comportement d’insubordination du sieur Ba à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques. De ce fait, l’Etat considère qu’il n’y avait ni détournement de pouvoir, ni vice de procédure car la décision de suspension étant de caractère conservatoire. Il importe toutefois de préciser que tout le problème tourne autour d’une question principale : c’est celle de savoir si le juge de la cour suprême va annuler pour excès de pouvoir les décisions frappant le sieur Amadou Lamine BA, directeur des travaux publics. A cette question, on peut répondre par l’affirmatif dans la mesure ou la décision portant sanction disciplinaire de blâme de M. Ba est entachée d’un vice d’incompétence, et que celle portant sur sa suspension est constitutif d’un détournement de pouvoir. Ainsi, pour une étude plus exhaustive du sujet, notre plan sera scindé en 2 parties : La reconnaissance de l’illégalité des décisions attaquées (1) et l’appréciation jurisprudentielle des décisions du juge de la cour suprême (2). 1/ La reconnaissance de l’illégalité des décisions attaquées Le juge met en exergue cette illégalité en montrant d’abord l’existence d’un vice d’incompétence (A) puis la manifestation d’un détournement de pouvoir par l’autorité administrative (B). A/ L’existence d’un vice d’incompétence : L’incompétence signifie que l’autorité administrative qui a pris la décision n’avait pas aptitude légale à le faire, n’était pas habilitée à intervenir. Elle appelle la sanction sévère et automatique du juge qui peut la soulever d’office car étant un moyen d’ordre public. Dans le cas d’espèce, le juge de la cour suprême estime qu’il y a vice d’incompétence dans la mesure ou la décision n° 009935 portant sanction disciplinaire de blâme n’est pas signée des mains de l’autorité administrative compétente, en l’occurrence, le Ministre, mais plutôt par le Secrétaire général du département « pour le Ministre et par délégation ». Pourtant, le décret 64.774 du 18 novembre 1964 relatif à la déconcentration des pouvoirs décline les conditions dans lesquelles les Ministres peuvent déléguer leur signature. C’est en tenant compte de ce décret et de la circulaire n°15 du 13 mai 1970 que le juge suprême en a conclu que « cette délégation ne peut porter sur les sanctions disciplinaires d’un fonctionnaire stagiaire ou titulaire relevant du statut général des fonctionnaires ». C’est ainsi que le juge de la cour suprême reconnut l’illégalité des décisions attaquées par l’existence d’un vice d’incompétence, mais également par la manifestation d’un détournement de pouvoir. B/ La manifestation d’un détournement de pouvoir par l’autorité administrative Le détournement de pouvoir signifie que l’autorité administrative a usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés. Si le juge sénégalais l’a retenu, cela voudrait dire, en filigrane, que l’autorité administrative en cause a usé de ses pouvoirs pour arriver à une seule fin : relever M. Amadou Lamine Ba de ses fonctions de directeur des travaux publics. Et pour y arriver, 2 procédés ont été exploités : d’abord une omission volontaire de la saisine du conseil de discipline, estimant la mesure de suspension comme étant de caractère préparatoire, puis l’intervention du décret 77.878 du 18 octobre 1977 qui est plus de nature juridique que disciplinaire, relevant M. Ba de ses fonctions. De ce fait, l’administration fait du décret un moyen pour accéder à son objectif, parallèlement à son rôle classique. C’est la raison pour laquelle le juge de la cour suprême en tire les conclusions selon lesquelles « l’omission de la saisine du Conseil de discipline et l’intervention du décret 77.878 (…) laissent apparaître que l’autorité administrative, auteur de cette mesure de suspension, a fait de ce pouvoir un usage autre que celui pour lequel il lui a été conféré ». D’où la manifestation d’un détournement de pouvoir. Ces décisions étant ainsi entachées de vices entraînant leur annulation par la voie du REP, il serait judicieux d’analyser la situation jurisprudentielle actuelle de ces vices, à travers les implications des décisions du juge. 2/ L’appréciation jurisprudentielle des décisions du juge On entend par appréciation jurisprudentielle la situation jurisprudentielle actuelle concernant la sanction de ces vices. On en retient que la jurisprudence continue d’annuler les actes administratifs entachés d’un vice d’incompétence (A), mais on remarque un certain recul s’agissant de l’annulation pour détournement de pouvoir (B). A/ L’annulation des actes administratifs pour vice d’incompétence L’auteur de l’acte administratif doit être compétent sous peine d’illégalité de sa décision. C’est dans ce cadre qu’on parle de vice d’incompétence. L’incompétence revêt généralement 2 formes : la 1ère la plus courante, consiste en la violation des éléments matériel (ratione materiae), temporel (ratione temporis) ou territorial (ratione loci) de la compétence (CS, 2 janvier 1970, LONGIN COLY ET AUTRES ; et CS, 25 juillet 1979, AMINATATA SALL ET AUTRES). S’agissant de l’incompétence temporelle, l’autorité administrative prend des décisions soit avant son installation dans ses fonctions, soit après la cessation (limite d’âge atteinte, mandat électif expiré). Dans l’incompétence territoriale, l’autorité agit en dehors de sa circonscription géographique. Enfin pour l’incompétence matérielle, l’autorité intervient dans un domaine étranger à ses attributions. La 2ème forme, la plus grave, consiste en une usurpation de fonction. Il s’agît, dans ce cas, d’un acte pris par une personne n’ayant pas la qualité d’autorité administrative, ou d’un acte pris par une autorité administrative mais qui a empiété sur les attributions du juge ou du législateur. Mais dans le 1er cas, le juge peut déclarer l’acte légal en application de la théorie des « fonctionnaires de fait ». Dans le 2nd cas, si l’irrégularité est flagrante, l’acte sera considéré comme inexistant. Ainsi, dans l’état actuel des choses, la jurisprudence sanctionne les actes administratifs pris par une autorité incompétente. En revanche, la situation est autre dans le cadre de la sanction des actes administratifs pour détournement de pouvoir. B/ Le recul de l’annulation des actes administratifs pour détournement de pouvoir L’annulation des actes administratifs pour détournement de pouvoir est consacrée pour la 1ère fois par l’arrêt « PARISET » du 26 novembre 1875. On distingue 2 variétés de détournement de pouvoir : soit l’autorité administrative a usé ses pouvoirs dans un intérêt particulier, préoccupations d’ordre purement privé tendant à favoriser un intérêt personnel ou celui de personnes proches, en méconnaissant l’intérêt général (CE, 16 novembre 1900, « MAUGRAS » ; CE, 8 juillet 1991, « AMATO »), soit dans un but d’intérêt général autre que celui qu’elle pouvait légalement poursuivre. C’est le cas des pouvoirs de police exercés dans un but autre que l’ordre public (CE, 4 juillet 1924, « Baugé »). Toutefois, même si dans la pratique les requérants, en créditant l’administration d’intentions malignes, sinon de mauvaise foi, soulèvent souvent le détournement de pouvoir, force est de constater que, malgré sa gravité, la jurisprudence sanctionne rarement le détournement de pouvoir. Et ceci pour 2 raisons : la 1ère c’est qu’il s’agit d’un moyen techniquement difficile à prouver par le requérant à cause de sa forte connotation subjective. En effet, pour apprécier la preuve du détournement de pouvoir, le juge devra se livrer à des considérations subjectives pour déterminer les intentions de l’auteur de l’acte. La 2ème raison, c’est que le détournement de pouvoir présente un caractère infamant. Il peut, en effet, révéler la mauvaise foi de l’auteur de l’acte, et le mettre ainsi directement en cause. Ce qui emmène le juge, à chaque fois que possible, à utiliser d’autres procédés plus objectifs telle que la violation de la loi. Correction finale Problème juridique : l’incompétence du SG et la commission du détournement de pouvoir sont-elles de nature à entraîner l’annulation des décisions attaquées ? Oui Plan : 1/ L’annulation des décisions attaquées par le juge A/ l’incompétence du délégataire en matière de sanction disciplinaire B/ L’existence d’un détournement de pouvoir 2/ Une solution faisant apparaître l’étendue du contrôle du juge en matière de sanction disciplinaire A/ Un contrôle limité . Ce contrôle porte sur la qualification juridique des faits : CS, 27 mars 1963, Amadou Alpha Kane ; CS, 1969, Ousmane Sow. B/ Une confirmation de la jurisprudence antérieure en matière de détournement de pouvoir : CS, Dame yaye Katy Dieng.