Branchements collectifs et pratiques sociales à Metro Cebu

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Branchements collectifs et pratiques sociales à Metro Cebu
Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004 pp. 57-70
Branchements collectifs et
pratiques sociales à Metro Cebu,
Philippines : des services d’eau
en quête de légitimation
Véronique Verdeil
analisations enterrées, compteurs camouflés, robinets
répartis dans les différentes pièces de l’habitation : telle est
la configuration moderne du service d’eau à domicile. Dans le
monde occidental où il s’est généralisé, l’infrastructure a disparu du regard et le branchement est devenu un équipement de
confort minimal, une norme de salubrité du logement. Le particulier ne prend conscience de cette normalisation que lorsque
surgit un problème technique ou qu’il doit acquitter sa facture
d’eau (Kaika, Swyngedouw, 2000). À l’échelle mondiale, cette
situation n’est pourtant pas la norme : dans les villes en développement, la collecte de l’eau continue de se donner à voir.
Porteurs d’eau sillonnant les rues, bidons colorés et enchevêtrement de tuyaux à même le sol en sont quelques-uns des
signes. Ici ce sont des groupes de femmes « prenant la file » à la
fontaine, là des enfants tendant leur récipient sous la fuite providentielle ou provoquée d’une canalisation de fortune.
C
construction et d’unification du territoire urbain hérité du schéma occidental qui légitimaient l’unicité du service en réseau
ont fait long feu. Vu l’ampleur des moyens à engager dans les
pays où tout ou partie de l’infrastructure est à construire, la
communauté internationale oriente désormais ses efforts vers la
généralisation non plus du branchement individuel pour tous,
mais de l’accès à l’eau, par des solutions techniques et gestionnaires préconisées dans les conciles ou expérimentées sur le
terrain (Lyonnaise des Eaux, 1998 ; Winpenny, 2003) à grand
renfort de recettes masquant parfois des idéologies discutables
(Jaglin, 2003). Dans cette perspective, la césure entre les populations « raccordées », titulaires ou bénéficiaires d’un branchement privé, et les autres mérite d’être questionnée, dans la
mesure où lui est souvent associée une division sociale et économique (intégrés vs exclus, riches vs pauvres), voire une division spatiale (centres vs périphéries) de la population citadine.
L’argument d’égalité de traitement des usagers du service
public et la logique d’accession à « l’universel de la
modernité » (Graham, Marvin, 2001) dans un processus de
Ici, nous nous interrogeons sur une situation particulière de
mal branchement dans l’agglomération philippine de Metro
Cebu (Verdeil, 2003) (1), le recours à deux formes de service
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d’eau dérivées du branchement privé, les bornes-fontaines et la
revente de voisinage, qui concerne environ 60 % des ménages
non directement raccordés au réseau. Dans la lignée de plusieurs études portant sur le statut, l’efficacité et la crédibilité de
ces services collectifs (Étienne, 1998 ; Coing et al., 1998, AFD,
1999), cet article questionne les logiques gouvernant le développement de ces offres et leurs modalités de fonctionnement
ainsi que les formes de demande pour l’accès indirect à l’eau
du réseau, pour montrer que la présence des branchements collectifs participe au compromis social observé à Cebu autour de
l’accès à l’eau. Souvent considérées comme ne relevant pas du
service public de l’eau, c’est-à-dire non légitimes et de mauvaise qualité (par leur coût d’accès et la qualité de l’eau), de telles
solutions pénaliseraient tant le prestataire officiel, concurrencé
dans sa mission par les opérateurs privés informels, que les usagers pauvres, mal servis par ces derniers. On peut cependant
nuancer ce discours de victimisation en observant comment les
branchements collectifs sont utilisés et pourquoi ils sont appréciés par les usagers, non pas seulement en fonction des seules
logiques marchandes, mais aussi à travers leurs impacts sur les
pratiques et les tissus sociaux au sein des territoires dans lesquels ils contribuent à faciliter l’accès à l’eau.
À L’AVAL
DU RÉSEAU : LES BRANCHEMENTS
COLLECTIFS À METRO CEBU (2)
Second centre urbain et économique de l’archipel philippin, en
forte croissance depuis les années 1980, l’agglomération de
Metro Cebu compte en 2000 quelque 1,5 million d’habitants,
répartis sur sept villes entourant la capitale régionale Cebu City.
Plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et
jusqu’à deux fois plus si on parle des ménages sans titre de propriété foncière ou squatters, souvent assimilés aux « pauvres »
(Etemadi, 2001). Le bas niveau d’équipement (eau, assainissement, déchets) et l’insalubrité sont pour ces communautés des
enjeux cruciaux. Les huit communes sont réunies, pour la gestion de l’eau, au sein du Metropolitan Cebu Water District
(MCWD), une entreprise publique locale indépendante chargée
de la production et de la distribution d’eau. Population et activités économiques sont concentrées dans la plaine côtière,
selon un axe structurant nord-sud qui est également l’ossature
du réseau d’eau. MCWD dessert à domicile à peine 30 et 40 %
de la population. En effet, le réseau est trop peu développé pour
couvrir l’ensemble de l’agglomération (Figure 1) et les quelque
60 000 branchements privés fonctionnels sont inégalement
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répartis entre les communes. Faute d’une production suffisante,
l’approvisionnement dans les quartiers équipés est rationné et
MCWD est parfois contraint de refuser, pour raisons techniques,
des demandes de raccordement.
À défaut d’accéder au service domiciliaire, la majorité des
ménages s’approvisionne en eau grâce à des solutions dites
alternatives au branchement privé. Les plus répandues sont les
puits domestiques, présents dans presque tous les quartiers et
presque toujours gratuits : 90 % des ménages interrogés disent
en avoir un ou plusieurs dans leur voisinage immédiat. Les
branchements collectifs en réseau constituent la seconde catégorie d’alternative : plus de 60 % des ménages non branchés au
réseau utilisent l’eau d’un abonné privé, celle d’une borne-fontaine ou les deux pour tout ou partie de leur consommation. Ils
doivent se déplacer vers un point d’eau ouvert à des utilisateurs
multiples (service collectif). Dans la plupart des cas, ils y achètent l’eau à des clients directs de MCWD, en l’occurrence des
abonnés privés et des associations de fontaine. L’eau fournie au
branchement « public » de la borne ou au branchement privé
chez l’abonné sort du tuyau (service en réseau) : produite et traitée par le Water District, elle transite par le réseau central, ce
qui lui garantit une certaine potabilité. La revente de voisinage
concernerait, selon deux études locales, 30 % du marché
potentiel de MCWD (abonnés revendant de l’eau).
Contrairement à nombre d’autres cas urbains africains ou asiatiques (Shugart, 1991 ; Jaglin, 1995 ; Morel, Verdeil, 1996), les
bornes-fontaines sont en revanche très peu développées et
concentrées dans des sous-quartiers centraux densément peuplés : de même que la livraison par portage à domicile, présente presque uniquement dans les quartiers isolés ou insulaires,
elles ne profitent qu’à moins de 10 % des ménages dans l’agglomération.
Techniquement dépendante du réseau, donc de la responsabilité du prestataire public en amont, l’offre en branchements
collectifs renvoie aux pratiques de ce dernier vis-à-vis des opérateurs qui assurent à l’aval l’interface avec les usagers finaux.
La position du Water District à l’égard de cette offre est ambiguë : d’un côté, il maintient en place un programme social de
bornes-fontaines alors que la plupart des Districts du pays les
ont progressivement éliminées, tout en fermant les yeux sur
l’activité, théoriquement illicite, de revente d’eau par un
nombre non négligeable d’abonnés. De l’autre, ses discours et
pratiques — éventuellement contradictoires — dénotent la
défiance envers ces services. Ainsi, les professionnels de
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MCWD, dont la vocation est de fournir des services d’eau
modernes (en réseau et à domicile), se désintéressent tant des
puits publics, dont la présence est pourtant massive dans l’aire
de service, que des branchements collectifs urbains, car ils ne
sont pas reconnus comme faisant partie de leurs attributions. La
revente de voisinage est totalement passée sous silence et les
bornes-fontaines sont considérées par ces professionnels
comme un équipement pour le milieu rural, rustique, indigne
de leur savoir-faire et, qui plus est, non rentable car destiné aux
« pauvres ».
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Cette attitude a en partie des raisons historiques, liées à la
réforme du secteur de l’eau potable intervenue aux Philippines
dans les années 1970 et dont le but affiché était d’étendre la
couverture en « services d’eau adéquats » à l’ensemble de la
population. Afin de rattraper le retard en infrastructure et de
rendre les services plus efficaces et plus réactifs aux contextes
locaux, la réforme a appuyé le développement de trois filières
ou niveaux d’accès à l’eau, correspondant à une segmentation
territoriale et à une répartition des rôles entre agences centrales
de tutelle et entités gestionnaires locales. À côté des services
modernes en réseau prévus dans les centres urbains et gérés par
des Water Districts (3) (Blokland et al., 1999), ont été institutionnalisés des services intermédiaires comme les mini-réseaux
pour une desserte collective des bourgs et zones semi-rurales
(Tableau 1). Pourtant novateur, ce schéma a entériné des pratiques institutionnelles néfastes : une apparente clarification des
rôles masquant certains chevauchements fonctionnels, un fort
cloisonnement entre les filières qui rend difficile l’appréciation
globale du taux d’accès à l’eau dans le pays (Tableau 2). Il en
résulte également une absence de coordination locale alors
qu’au sein même des aires urbaines coexistent souvent des
types de peuplement variés et des services d’eau relevant simul-
Tableau 1 : Les trois niveaux de services pour un « accés adéquat » à l’eau potable
NIVEAU I
(point d’eau aménagé)
NIVEAU II
NIVEAU III
(réseau + point d’eau collectif) (réseau + branchement privé)
ORGANISATION
1. Tutelle
Ministère de l’Intérieur
Ministère des Travaux
Ministère de l’Intérieur
LWUA (3)
Ministère de l’Intérieur
2. Opérateurs (O&M)
Associations d’usagers
Gouvernements locaux
Associations d’usagers
Gouvernements locaux
WD
Gouvernements locaux
Rural très dispersé
Rural peu dispersé
Périphérie urbaine
Centre urbain
4. Ressource et exhaure
Puits, source
Pluie
Exhaure manuelle ou
motorisée
Puits (peu profond), source, galerie d’infiltration
Exhaure manuelle ou
motorisée
Puits (profond), source,
galerie d’infiltration
Prise d’eau de surface
Exhaure motorisée
5. Traitement
En général aucun
Désinfection périodique
En général aucun
Désinfection éventuelle
Désinfection
Traitements spécifiques
pour les eaux de surface
6. Distribution
Aucun
Réseau
+ réservoirs
Réseau
+ réservoirs et pompes
7. Niveau de service
À la source
< 250 m du domicile
Point d’eau collectif
< 25 m du domicile
Branchement privé avec
robinet (s) au domicile
1. Consommation spécifique par personne
≤ 20 litres/jour
≤ 60 litres/jour
≤ 100 litres/jour
1. Nombre d’utilisateurs
15 ménages
5 ménages
1 ménage
3. Type de zone
SYSTÈME TECHNIQUE
« SERVICE ADÉQUAT »
Source : NEDA (National Economic and Development Authority), Water Sector Plan, 1984, NEDA Board Resolution n° 12, series of 1995
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Tableau 2 : Le taux d’accès à l’eau potable selon diverses sources (% de la population)
NEDA - 1998
LWUA - 1997
NSO - 1995
Population urbaine
68 %
Manille
63,6 %
Niveau I
31 %
Population rurale
75 %
Autres centres urbains
64,7 %
Niveau II
19 %
Hors centres urbains
62,5 %
Niveau III
23 %
Total cumulé de la population bénéficiant d’un accès adéquat à l’eau potable
72 %
63 %
73 %
Mesure
Population « ayant accès à l’eau » et
répartition urbain/rural : d’après le
recensement de NSO (National
Statistics
Office,
par
régions
hydriques)
Population « desservie » ; données
des Water Districts et estimations
(pour les niveaux I et II et les
niveaux III non fournis par un WD)
tanément des trois filières. Ceci se vérifie à Cebu, tant dans le
recensement des équipements que dans l’ignorance mutuelle
qu’entretiennent les acteurs publics, District et communes
notamment, à ce sujet. La mauvaise presse faite aux branchements collectifs (non rentables, synonymes de mauvais service
pour l’usager) doit aussi s’interpréter dans cette perspective.
IMAGE,
PHILOSOPHIES ET FONCTIONNEMENT
DES SERVICES COLLECTIFS EN RÉSEAU
Malgré les critiques qui pèsent sur eux, les deux types de services collectifs continuent d’exister et constituent une offre à
part entière et ce, avec l’appui du District pour les bornes-fontaines et son acceptation de fait pour la revente de voisinage
puisqu’il ne développe aucune politique répressive à l’égard
des abonnés revendeurs. Ce flottement de MCWD laisse une
certaine marge de manœuvre aux opérateurs de ces services —
qui ne se revendiquent pas tous comme tels — et a des incidences en aval sur les pratiques et perceptions de ces modes
d’approvisionnement par les usagers eux-mêmes. De là vient
l’originalité de ces deux formes d’accès indirect à l’eau du
réseau public à Metro Cebu.
Population « ayant un accès adéquat
à l’eau » selon le niveau de service sur
la base du recensement (par régions
administratives)
Redistribution d’eau aux branchements privés,
de la revente au partage
Il est difficile au Water District d’identifier les revendeurs et
d’estimer l’offre « revente de voisinage » en termes de volumes
revendus. Contrairement à d’autres Districts comme ceux desservant les villes de Zamboanga ou Davao qui ont instauré une
tarification spéciale pour ces clients dits « semicommerciaux », MCWD ne dispose pas des moyens techniques ou commerciaux qui lui permettraient de distinguer les
différents types de clients. Tous remplissent au départ le même
formulaire d’abonnement, qui ne spécifie pas le nombre de
personnes à desservir, ni n’oblige à s’équiper d’un compteur
adapté, par son diamètre, à la nature des consommations prévues (volumes et débits nécessaires). La règle du branchement
(compteur) unique par « unité résidentielle » s’applique à tout
abonné, qu’il s’agisse d’une famille de cinq personnes ou
d’une société immobilière gérant un immeuble de cinquante
appartements, seule enregistrée comme cliente du District.
Cette clause, associée à la grille tarifaire reposant sur une structure progressive par tranches, est censée dissuader les abonnés
de devenir revendeurs car ils s’exposeraient à payer des fac-
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tures d’autant plus lourdes qu’ils auraient une activité de
revente importante.
Cet argument invoqué par le District et qui est, de fait, sa
seule action pour prévenir la revente, pose cependant question.
D’une part, l’extension de la revente (plus de 40 % des usagers
non raccordés y ont recours, cf. infra) montre que la « menace »
tarifaire n’a pas les effets incitatifs attendus et n’empêche nullement l’utilisation non privative des branchements privés.
D’autre part, il est aujourd’hui reconnu que la progressivité des
tarifs est loin de garantir une redistribution équitable en faveur
des petits consommateurs, en tout cas si elle ne s’accompagne
pas d’un accès facilité au raccordement qui diminuerait mécaniquement la revente d’eau par des abonnés. À Cebu comme
ailleurs, la dépense initiale — correspondant aux travaux de
raccordement et à la location du compteur — constitue souvent
un obstacle majeur à l’abonnement des ménages à faibles revenus et sans capacité d’épargne. Le fait qu’il n’y ait aucune forme
de subvention au raccordement (étalement du coût sur
quelques mois, système de crédit adapté, etc.) entretient donc
une demande pour la revente chez des clients potentiels qui ne
peuvent se raccorder individuellement, pour qui l’achat quotidien au détail est par ailleurs plus adapté à la nature des revenus qu’une facture fixe.
L’accès à l’eau chez un abonné est la plupart du temps une
transaction payante. Certains exercent la revente comme une
véritable activité à but lucratif, notamment lorsque leur localisation relativement isolée d’autres abonnés les place dans une
situation de monopole de fait auprès des habitants du voisinage ou de petits porteurs motorisés qui viennent s’approvisionner
chez eux avant de faire leur tournée de livraison dans le quartier. Mais souvent la revente est pratiquée dans un esprit sensiblement différent, celui du « bon voisinage », où l’impératif
invoqué d’aider ceux qui n’ont pas de branchement n’est pas
exempt de la recherche d’un certain prestige et d’une forme de
contrôle social. S’ils dénoncent parfois des abus, les usagers
disent aussi dans leurs témoignages qu’ils admettent que par
leur achat, ils contribuent au nécessaire paiement de la facture :
si l’eau était coupée pour impayés, ils en seraient eux aussi
pénalisés. Certes, les tarifs pratiqués sont relativement chers par
rapport à d’autres modes d’approvisionnement (puits gratuits et
bornes-fontaines). Mais ils sont aussi très homogènes dans l’ensemble de l’agglomération : le prix se forme moins par un véritable ajustement marchand que dans une logique de juste
rémunération du service rendu. C’est une originalité de la
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« revente » à Cebu qui ne s’aligne pas sur le profil qu’on lui
assigne généralement, à savoir un service très cher opéré par
des petits opérateurs aux motivations mercantiles (Katko, 1991 ;
Crane, 1994). Car l’accès au branchement « privé collectif »
devient aussi le lieu, aux deux sens du terme, de rapports
sociaux différents, entre voisins plus qu’entre vendeurs et
clients, dans un territoire incertain entre l’espace privé de la
maison et l’espace public de la rue.
Cette forme de socialisation est particulièrement nette dans
le phénomène de partage d’un branchement, notamment
quand des usagers ont accès gratuitement à un branchement
privé (10 % des cas) ou sortent du cadre de la revente au détail
(au récipient). L’accès à l’eau est alors un élément parmi
d’autres de la vie commune au sein d’un même logement, par
exemple sur un compound familial — parcelle occupée par différentes branches ou générations d’une même parentèle — ou
dans une maison occupée par un propriétaire et ses locataires.
Ils utilisent le même branchement pour l’eau, souvent aussi
pour l’électricité. L’un des ménages (propriétaire ou occupant
principal) paie la facture, tandis que les autres ont accès aux
équipements en payant une part de la facture (fixe, au prorata
du nombre de personnes, etc.) ou moyennant un forfait mensuel ou annuel qui masque la part exacte consacrée à l’eau
(loyer « tout compris », logement et « charges »). Leur contribution peut aussi être un revenu rapporté aux parents ou des services rendus à la famille qui met à disposition le branchement.
Bien privatif, celui-ci devient, en tant que commodité partagée,
un équipement « semi-collectif » fournissant l’eau potable du
réseau à un ensemble démultiplié d’usagers.
Les bornes-fontaines, contradictions dans
la politique sociale du Water District
Au contraire de la revente de voisinage, les bornes sont une
offre à la fois réglementée et subventionnée, officiellement —
quoique timidement — intégrée à la politique du District.
Démantelées dans la plupart des villes ou transformées en branchements privés, les bornes-fontaines ont été conservées par
MCWD, en partie grâce à la politique de partenariat social de
la Municipalité de Cebu City à la fin des années 1980 (Etemadi,
2000). Le programme social des Communal Water Associations
a permis de doubler, en dix ans, le modeste parc hérité de la
période antérieure et de le développer, plus récemment, en
dehors des quartiers centraux. En 2000, on recense dans les
fichiers de MCWD un peu plus de 200 bornes, branchements
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publics collectifs destinés à l’approvisionnement en eau des
populations « défavorisées », notamment des « squatters » qui,
faute d’un statut foncier justifiable, ne peuvent prétendre au
branchement individuel. Les principes fondateurs du programme sont la délégation de gestion des installations à des collectifs d’usagers, appelés « associations », et le subventionnement
de l’eau.
membres plutôt qu’à une communauté de vie et de quartier.
Accusées par MCWD de détournement d’argent ou de mauvaise gestion, les associations font-elle autre chose que d’assimiler
cette formule de club lorsqu’elles décident de redistribuer à
leurs membres les profits réalisés, sous forme de dividendes ou
d’aides en nature (à la rentrée de classes, à Noël, pour une hospitalisation ou un décès) ?
Groupement volontaire de ménages désignant leurs représentants selon des règles pseudo démocratiques, les associations, clientes en nom collectif de MCWD, paient la facture
mensuelle grâce aux fonds collectés en revendant l’eau au
détail à leurs membres. Cependant cette relation contractuelle
est inaboutie : les associations n’ont de fait aucune existence
légale, ce qui les prive des moyens d’asseoir leur légitimité —
comme l’accès au crédit bancaire ou la possibilité d’intenter
une action contre le District en cas de problème. En retour, le
District n’a aucun recours contre elles sauf la coupure du service, qui pénalise souvent tout un groupe dont seuls les responsables sont fautifs. Sur un plan plus pratique, alors que ce programme est supposé appuyer la structuration communautaire
des quartiers, un seul ingénieur, mal formé à ce travail qui plus
est, est assigné par MCWD pour aider les usagers à trouver les
financements initiaux (pour payer le raccordement) et à pérenniser les associations. Ainsi, le statut des recommandations du
District sur la gestion des associations (Implementing rules) est
flou, celles-ci étant considérées tantôt comme des prescriptions
à suivre à la lettre, tantôt comme de simples indications que
chaque association peut appliquer à sa façon.
Cette socialisation des bénéfices pratiquée par une majorité d’associations à Cebu est particulièrement originale. En
payant l’eau à la fontaine, les usagers paient aussi, indirectement, pour avoir accès aux « services » offerts par l’association :
ici une forme de caisse d’épargne ou de mutuelle ouverte aux
seuls membres ; dans certains cas, l’accès aux espaces sanitaires où l’on peut se doucher ou faire sa lessive. Dans un environnement insalubre et à forte densité humaine, ces installations sont très prisées, y compris par les usagers non membres,
et même lorsqu’ils doivent payer le prix fort : certaines associations, soucieuses de protéger leurs avantages, pratiquent à leur
encontre des tarifs majorés (jusqu’à 25 % plus cher pour un
seau d’eau ou une douche).
Ceci se traduit notamment dans la composition des associations et leur gestion des bénéfices. En principe, elles peuvent
compter de trente à soixante ménages membres, seuls censés
utiliser la fontaine s’ils acceptent de s’en occuper régulièrement
(être fontainier à tour de rôle, nettoyer, assister aux réunions
obligatoires, etc.). Les revenus tirés de la vente doivent être réinvestis dans d’autres projets servant l’intérêt « de la communauté des membres ». Dans les faits, la plupart des associations ont
à la fois un nombre de membres plus réduit et une clientèle
beaucoup plus large. La logique est simple à comprendre :
accepter à la borne des usagers non membres de l’association
permet d’augmenter sensiblement l’assiette des revenus, alors
que les bénéfices générés par la vente d’eau sont partagés entre
les seuls membres. En définissant les associations comme un
« club », le District a de fait favorisé une certaine privatisation
des branchements « publics » destinés à une communauté de
Paradoxalement, cette « dérive » que stigmatise le District
n’est possible que parce que les associations réalisent des bénéfices et ce, grâce à la subvention qu’il leur accorde, gage de sa
politique en faveur des populations défavorisées. Les associations paient en effet, pour la consommation mesurée au compteur, de 40 à 70 % moins cher qu’un abonné privé, à concurrence de 172 m3 mensuels au-delà desquels l’eau est payée au
tarif maximal (35 m3 pour un privé). Plus de 40 % des associations dépassent ce niveau de consommation, preuve que la
demande aux bornes est forte et qu’en y répondant, elles risquent de perdre le bénéfice d’une facture subventionnée. En
moyenne cependant, selon le niveau de subvention applicable,
la facture payée au District ne représente qu’entre 15 et 30 %
des revenus tirés de la vente au détail. Ainsi, même en comptabilisant des frais d’entretien et de fonctionnement, il reste toujours aux associations des marges nettes relativement importantes qu’elles utilisent sans état d’âme à diverses fins, y compris la redistribution aux membres.
Le point critiquable dans ce dispositif est le sort réservé aux
usagers finaux, clients des associations subventionnées. Les
tarifs aux abonnés privés et associatifs ont augmenté régulièrement depuis dix ans, dans un souci légitime de meilleur recouvrement des coûts et d’amélioration de la qualité du service.
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MCWD a donc amendé ses recommandations pour répercuter
cette hausse sur les prix de revente aux fontaines — les tarifs
préconisés sont, de fait, à peu près appliqués par les associations — de telle sorte qu’entre 1996 et 1999, le bidon classique
de 20 litres est passé de 0,65 à 1 Peso (4). Cette évolution
semble ainsi plus répondre à une logique de simplification (on
peut payer avec une pièce de monnaie) qu’à une volonté d’établir un « juste prix » : rapporté au prix par mètre cube, ce tarif
correspond à une augmentation de 50 %, ce qui apparaît hors
de proportion avec le pouvoir d’achat de la population cible de
ce programme et injuste par rapport aux hausses annuelles de
5 à 15 % imposées aux abonnés. Les usagers des bornes-fontaines subissent donc plus les effets de la hausse tarifaire qu’ils
ne bénéficient effectivement de la subvention ; mais alors que
les membres récupèrent indirectement une partie de cette
dépense accrue, les ménages non membres des associations
sont eux doublement pénalisés. Le mode de péréquation adopté ici ne suffit pas à instaurer un véritable mécanisme d’équité
favorisant l’accès des pauvres à l’eau.
En dépit de leur visée sociale, délégation de gestion aux
associations de fontaine et subventionnement portent en eux
des contradictions et zones d’ombre qui nuisent au développement de cette offre en branchements collectifs publics. Cela
entache également la crédibilité de l’engagement social du
District. D’autant plus qu’il est tentant de relier, sur le plan économique, sa critique de la non rentabilité des bornes-fontaines
et sa tolérance envers les abonnés revendeurs et d’y voir une
raison de l’inégal développement des deux services collectifs en
réseau. En effet, en ne sanctionnant pas la revente de voisinage,
il préserve l’existence d’abonnés gros consommateurs qui génèrent des factures élevées. Dans le même temps, il ne développe
les bornes que sous la pression d’une demande de plus en plus
importante des usagers, si possible avec l’appui d’organisations
non gouvernementales cautionnant les associations. Si l’on disposait des données pour établir ce calcul, ne verrait-on pas que
les revendeurs constituent une niche commerciale plus rentable
que les bornes-fontaines subventionnées ?
USAGES
ET USAGERS DES BRANCHEMENTS
COLLECTIFS : PRATIQUES ET
APPROPRIATIONS SOCIALES
L’argument de la non légitimité des branchements collectifs
exprimé par les tenants de l’offre officielle est aussi contestable
que celui relatif à leur mauvaise qualité de service : l’eau déli-
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vrée à ces points d’eau est la même que celle dont dispose
l’abonné privé et le service soumis aux mêmes problèmes techniques de pression ou d’irrégularité liés aux contraintes de production de MCWD. Une partie de la dépense en eau des utilisateurs indirects du réseau revient, en outre, au prestataire
public. Doit-on les considérer comme des « sous branchés »
parce qu’ils ont à se déplacer et paient plus cher qu’un branché
(au coût par mètre cube) ? Pour apprécier cette caractérisation,
on s’est interrogé sur le point de vue des usagers sur ces services
et la façon dont ils les utilisent dans leurs pratiques quotidiennes.
À la question des améliorations souhaitées dans son dispositif d’accès à l’eau, près d’un usager non branché sur deux
répond qu’il souhaiterait bénéficier d’un branchement privatif,
mais ajoute qu’une telle évolution est assez peu probable dans
un avenir proche. Deux raisons sont avancées. D’abord, les
capacités financières des ménages : le coût du raccordement
reste hors d’atteinte pour beaucoup d’entre eux et, même s’ils
dépensent en moyenne plus en micro-dépenses journalières
cumulées que ce qu’ils paieraient pour la même consommation
mensuelle facturée, le principe de la facture périodique est mal
adapté à leur gestion budgétaire. Ensuite les limites éprouvées
de l’action publique — celle de MCWD ou des autres autorités
locales — à résoudre les blocages économiques, administratifs
ou fonciers qui contraignent l’accès au service domiciliaire.
Cette attitude réaliste se retrouve dans l’appréciation positive
portée par trois ménages sur quatre sur leur situation en matière d’approvisionnement en eau, les cas de franche insatisfaction
émanant de ménages particulièrement affectés par une pénurie
de point d’eau dans leur voisinage. La facilité à trouver des
points d’eau assez nombreux pour être en moyenne toujours
assez proches des habitations est en effet la principale explication au fait que la « corvée d’eau » souvent dénoncée est, à
Cebu, minimisée et vécue par les usagers comme une tâche
quotidienne tolérable. Dans cette optique du « faire de nécessité vertu », comment s’effectuent les choix pour les branchements collectifs ?
Préférences et déterminants de la demande
pour les branchements collectifs
L’enquête réalisée (5) à Cebu visait à établir une typologie rendant compte de la diversité des pratiques d’alimentation en eau
des ménages n’ayant pas de branchement privé, en fonction de
la nature des usages selon les modes utilisés, de leur fréquence
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d’utilisation et de la configuration de l’offre dans un périmètre
équivalent au « voisinage » plus ou moins étendu dans lequel
chaque ménage considère qu’un service est accessible, donc
utilisable, ou non. Elle a permis d’établir l’existence de cinq
types de demande, ou groupes d’usagers ayant des comportements de choix pour l’eau similaires. Deux groupes, soit près de
40 % des usagers non branchés, n’utilisent pas les branchements collectifs en réseau, parce que ceux-ci sont trop éloignés,
voire inexistants dans leur quartier. Ils recourent alors à des
petits porteurs livrant l’eau directement à leur domicile ou, pour
la plupart, vont à un puits collectif utilisé pour tous les usages.
Les trois autres groupes d’usagers « mal branchés » ont, eux,
la possibilité d’utiliser l’eau du réseau obtenue à un robinet
public ou privé situé dans des zones où les canalisations — et
les branchements — sont accessibles à une centaine de mètres
des habitations (6) (Figure 2)
- dans le premier groupe (8 %), les ménages choisissent
d’utiliser une borne-fontaine de leur voisinage : deux tiers
pour tous les usages, les autres principalement pour l’eau
potable, en association avec un puits collectif pour les
usages moins nobles (lessive, toilette, etc.). L’achat d’eau à
un voisin raccordé est marginal, voire occasionnel. Dans ce
cas où bornes-fontaines et revente coexistent, la préférence
pour les premières est manifeste (cf. infra) ;
- dans le second groupe, fort de 38 % des usagers, se fournir chez un abonné est la pratique dominante : la moitié utilise cette eau pour tous les usages, l’autre seulement pour la
boisson et la préparation des repas, complétant alors son
approvisionnement à un puits collectif. Une petite partie
d’entre eux connaît une fontaine située à proximité, mais dit
ne l’utiliser que rarement ou jamais ;
-le troisième groupe, plus restreint (15 %), caractérise ceux
qui utilisent régulièrement un puits privé pour les usages qui
ne nécessitent pas une qualité « potable » et, pour la moitié
d’entre eux, également pour l’eau potable. Ils n’utilisent en
revanche jamais de borne-fontaine, à peine plus la livraison
ou les puits collectifs, un usager sur deux de ce groupe portant sa préférence sur la revente de voisinage pour compléter son approvisionnement en eau potable.
Sous contrainte d’offre, un usager peut ne pas avoir accès à
l’un ou l’autre des branchements collectifs : dans le cas du
groupe 3 et d’une majorité du groupe 2, le choix se fait entre le
branchement collectif privé et un autre mode d’approvisionnement (ou plusieurs). Lorsque l’offre micro-locale est telle qu’il y
a possibilité de choix entre la borne et la revente, on constate
que ces deux services ne sont pas substituables l’un à l’autre
(groupe 1). Dans ces deux situations de choix, les critères de
segmentation (7) de la demande fournissent des éléments de
Dossier
65
Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
réponse sur la relation entre caractéristiques de ces services,
motivations et profils des ménages.
comme) plus astreignant que d’aller chez un voisin situé à
soixante mètres, mais qui est un ami.
D’abord, l’hypothèse d’une segmentation socio-économique, validée entre ménages branchés et non branchés, est
nettement moins probante entre ces derniers. D’une part, les
variables d’aisance matérielle (mesurée par un « index de pauvreté » ad hoc, évaluant les variations de richesse des ménages
au moyen de leurs biens et équipements domestiques), de statut foncier (propriétaires vs squatters) et d’ancienneté de résidence n’ont qu’un effet marginal sur les comportements des utilisateurs. Certes, les ménages utilisant principalement les fontaines sont en moyenne plus « pauvres » et plus souvent squatters que les autres. Mais les clients de la revente de voisinage
appartiennent, eux, à tous les niveaux socio-économiques, y
compris les plus bas. D’autre part, la variable « prix » (qui peut
inclure une modalité « gratuit ») n’a pas d’influence significative avérée sur le choix ou le rejet de tel mode d’approvisionnement. Ainsi, dans le cas particulier des branchements collectifs,
l’écart de tarif entre le revendeur et la borne (100 Pesos par m3
contre 65) n’est pas une raison suffisante, ni statistiquement fondée, pour justifier du choix de la seconde contre le premier. Il
s’agit moins là d’une absence pure et simple du rôle du prix que
du fait qu’il intervient secondairement dans les choix, et surtout
en interaction avec les autres caractéristiques des modes dont
peut disposer un ménage.
Les autres attributs ont une incidence plus faible, sinon
mineure, sauf dans le cas des fontaines : c’est le seul mode
d’approvisionnement dont plusieurs variables concourent
simultanément au choix (corrélation positive), y compris le prix.
Comme il est difficile de penser que « plus le prix augmente,
plus on choisit la fontaine », qui serait l’interprétation de ce
résultat dans une analyse « toutes choses égales par ailleurs », il
faut comprendre les déterminants du choix pour les bornes-fontaines de façon plus globale, en revenant à la philosophie du
programme des bornes-fontaines et à la manière dont les associations se la sont appropriée (restriction du nombre de
membres, partage des bénéfices, cf. supra).
Ces autres caractéristiques des services fournissent effectivement une « explication » plus ferme de la formation des
demandes. La qualité de l’eau est l’attribut le plus discriminant :
il a l’effet le plus important sur la préférence d’un point d’eau
par rapport à un autre dans un contexte de choix donné. Dans
le groupe 3, une partie des ménages qui disposent d’un puits
privé (gratuit et à domicile) considère que sa qualité n’est pas
suffisante et va donc chez un revendeur pour acheter l’eau de
boisson. Ceux des groupes 1 et 2 utilisent aussi l’eau du réseau
pour sa qualité, mais certains d’entre eux estiment qu’ils n’ont
pas forcément besoin de cette qualité, qu’il faut payer, pour les
usages non potables : c’est ce qui les pousse à aller à un puits
collectif. L’accessibilité est également un critère de choix fort,
dont la signification varie en fonction du service à choisir :
mesure de distance, elle est aussi un indicateur de la commodité d’accès au service, qui inclut la nécessité ou non d’un
déplacement au point d’eau, l’effort à fournir et la relation
« sociale » nouée avec le prestataire du service. Acheter de
l’eau chez un abonné à trente mètres peut ainsi être (vécu
66
Dossier
Les regards croisés des utilisateurs membres et non
membres des bornes-fontaines sur cette offre sont à cet égard
Cebu, Philippines : quartier Looc, Mandaue,
borne-fontaine, 2000, (photo : V. Verdeil)
Verdeil - Branchements collectifs et pratiques sociales à Metro Cebu
très instructifs. Alors qu’aucun membre ne trouve à s’en
plaindre, une partie des non membres en est insatisfaite. Le critère principal avancé est la mauvaise accessibilité de la borne.
De fait, les non membres habitent plus loin de la fontaine et
parcourent une trentaine de mètres jusqu’au point d’eau, pour
seulement une dizaine pour les membres. Cette distance, a
priori dérisoire, se double cependant d’une distance « sociale »
liée au membership et déterminante pour l’usage de la fontaine. Les non membres sont hors du « champ de vision » qui
constitue l’aire de voisinage que les membres considèrent
comme leur espace commun ; ils sortent du champ de « surveillance mutuelle » que ceux-ci entretiennent entre eux. Les
membres, qui ont des liens privilégiés dus notamment à leurs
origines familiales ou régionales, leur opposent une forme de
méfiance, sinon de rejet : résidents plus récents dans le quartier,
ils ne sauraient prétendre à entrer dans le « pacte » qui les a
conduit, eux, à s’organiser pour établir et faire fonctionner l’association. Ainsi, ce qui constitue à la fois le moteur et le ciment
de leur organisation communautaire impose une nouvelle
forme de division sociale au sein du quartier (Berner, 1997),
entre les membres qui se réservent les avantages de « leur »
borne, en particulier le partage des bénéfices, et les non
membres. Dès lors, l’« inaccessibilité » de la borne et l’insatisfaction tiennent moins à des critères objectifs (la distance à parcourir) qu’au sentiment d’exclusion de ce groupe soudé autour
de la borne, symbole d’un espace socialement approprié.
Cette insatisfaction n’est toutefois pas suffisante pour rejeter
la borne et lui préférer un revendeur du voisinage, sauf occasionnellement en cas de coupure momentanée du service. Elle
permet quand même de comprendre pourquoi ces usagers non
membres n’utilisent la borne ni régulièrement, ni pour tous les
usages : ils se limitent à la satisfaction des besoins en eau de
boisson, gardant les puits collectifs gratuits pour les usages non
potables. Ils dénigrent aussi la qualité de l’eau chez le voisin
abonné qu’ils doivent parfois utiliser ou qu’ils utilisaient avant
l’installation de la fontaine (corrélation négative entre cette
variable et la satisfaction pour la fontaine). En neutralisant les
effets croisés entre variables, il ressort que ce qui est critiqué
n’est pas directement la qualité de l’eau (eau traitée du réseau),
mais le fait de devoir utiliser le voisin en complément de la fontaine, c’est-à-dire encore une fois de se voir dénier l’accession
au statut de membre. De fait, l’offre en bornes-fontaines est trop
restreinte pour analyser plus finement les situations de choix
entre les deux formes de branchements collectifs. L’analyse des
déterminants, en révélant ce pouvoir de polarisation des bornes
(constitution du groupe 1), suggère cependant le rôle qu’elles
pourraient jouer comme concurrentes de la revente de voisinage si elles étaient plus développées — ce qui permettrait également de limiter l’affluence à chaque borne pour en faciliter l’accès et la gestion sociale.
Les branchements collectifs,
enjeux et opportunités
L’analyse de la demande aux branchements collectifs confirme
un résultat valable pour l’ensemble de la population non raccordée au réseau : la satisfaction des ménages est d’autant plus
forte que ceux-ci peuvent choisir entre différents modes d’approvisionnement, mais décroît quand le compromis
qualité/accessibilité/tarif (ou dépense) réalisé entre ces services
n’est pas optimal. Les utilisateurs occasionnels des bornes-fontaines sont ainsi soumis à un surcoût car ils doivent payer le
bidon plus cher chez le revendeur qu’à la borne : ils sont en
moyenne plus insatisfaits que les clients des revendeurs qui
complètent leur approvisionnement à un puits gratuit, pour lesquels le surcoût existe (se déplacer au puits et en rapporter les
volumes d’eau importants dédiés à la lessive) mais ne correspond pas à une dépense monétaire. Les usagers réguliers des
bornes trouvent quant à eux ce compromis dans l’argument de
l’appartenance à la communauté des membres, manifestement
supérieur à la stricte considération de la dépense.
Un autre résultat concerne le rôle positif des formes dérivées de redistribution d’eau du réseau sur la formation d’une
conscience sanitaire. Par la différenciation des usages, les
ménages montrent qu’ils choisissent délibérément l’eau du
réseau quand ils veulent, pour boire ou préparer la cuisine, une
eau de qualité limitant les risques de maladie. Certes la
consommation spécifique aux branchements collectifs est
faible (en moyenne 23 litres par jour par personne chez le voisin et 17 à la borne-fontaine, moins quand les usagers n’y
consomment que l’eau potable). Mais, au total, six ménages
non branchés sur dix consomment l’eau traitée par le District.
Cet impact sanitaire lié à l’offre en branchements collectifs ne
doit donc pas être négligé, tant dans la satisfaction exprimée par
les usagers que dans l’appréciation générale de la portée des
équipements publics et la réévaluation du taux de desserte.
Nous avons enfin vu comment le statut du branchement se
brouille lorsque les associations de fontaines privatisent sinon
l’usage, du moins l’accès au branchement public à travers la
Dossier
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Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
nique initiale d’équipement d’approvisionnement pour devenir espace social : certains y trouvent une forme d’intimité qu’ils
ne connaissent pas chez eux, quand ils doivent par exemple se laver ou déféquer dans
la rue. D’autres y pratiquent des activités
qui cristallisent une partie de la vie sociale
du quartier, comme la lessive pendant
laquelle les femmes échangent informations, griefs et bavardages. Des pas de porte
des logements aux rues et places publiques,
ce sont ainsi les usages et modes d’appropriation de l’espace « collectif » qui sont en
jeu. Si plusieurs associations de fontaine
ont, à la demande de leurs utilisateurs
membres et non membres, évolué pour
devenir « multi-services » et offrir plus que
le seul accès à l’eau, il est notable qu’au
moins dans les quartiers les plus denses,
une telle évolution concerne également des
abonnés privés. Leur activité n’est plus alors
Cebu, Philippines : (quartier Subnagdaku, Mandaue : remplissage des bidons par la fontainière, 2000
seulement la revente d’eau, mais la fourni(photo : V. Verdeil)
ture de services étroitement liés à la facilitation de l’accès à l’eau. Initiatives populaires et privées sont, ici
question du membership et que des abonnés privés mettent au
comme souvent, en avance sur les politiques publiques qui pricontraire leur branchement privé à disposition d’autres usagers.
vilégient le « noble » au détriment du « pratique », souvent plus
Ces pratiques d’encouragement ou de restriction de l’accès aux
prosaïque mais tout aussi problématique, et qui oublient l’asbranchements collectifs engendrent des choix particuliers et des
sainissement et la salubrité lorsqu’ils pensent amélioration de
degrés variables d’appropriation des offres par les usagers. Les
l’accès à l’eau.
uns et les autres ne relèvent pas seulement de l’adéquation
entre la qualité d’eau désirée et l’usage prévu, mais aussi de la
qualité des espaces dévolus aux pratiques quotidiennes de
CONCLUSION
consommation de l’eau. Dès lors que l’on collecte l’eau à l’extérieur de la maison, un certain nombre d’activités se passent
À Metro Cebu, les situations de non branchement ou de mal
elles aussi à l’extérieur : lorsque l’espace domestique est réduit
branchement concernent une large partie des citoyens privés du
du fait de l’exiguïté des logements et que l’espace « non domesservice domiciliaire. Si l’état de la ressource en eau est, à moyen
tique » manque à cause de la forte densité humaine et bâtie et
terme, très préoccupant, l’organisation de l’accès à l’eau révèle
de l’insalubrité, les ménages cherchent des lieux pour faire la
en revanche plus l’existence d’une forme de compromis social
lessive ou pour des pratiques plus intimes comme la toilette corqu’un véritable état de crise. Le déploiement important d’une
porelle, fortement consommatrices d’eau. Le rapprochement
offre multiforme et, en particulier, des services collectifs en
physique entre les lieux de collecte et d’usage de l’eau peut
réseau n’y est pas étranger. La construction de formes de
donc être un facteur influençant le choix d’un point d’eau et
demande originales s’adosse en effet à la différenciation des serson appropriation.
vices et des modes de transactions, marchandes ou non, entre
usagers et fournisseurs d’eau et conduit au développement d’un
Aménagé avec une aire de lessive ou des espaces sanitaires
« système » d’accès à l’eau dont la plupart des ménages en
fermés, le branchement collectif sort alors de sa fonction techsituation de mal branchement s’estiment satisfaits. Stratégies de
68
Dossier
Verdeil - Branchements collectifs et pratiques sociales à Metro Cebu
choix et pratiques pour l’eau sont conçues de façon à minimiser les contraintes quotidiennes, qui ne ressortent pas uniquement du prix à payer ou de « l’exclusion » de la desserte à domicile mais laissent place à d’autres critères d’appréciation et
modes d’intégration au sein des tissus sociaux micro-locaux.
L’utilisation de l’eau gratuite aux puits qui permet de tempérer
la dépense pour l’eau, ainsi que celle de l’eau du réseau redistribuée aux branchements collectifs, qui élargit l’accès à l’eau
« potable » produite par le prestataire public en sont deux
exemples significatifs. Le second illustre également les enjeux
politiques de ce compromis. D’une part, il s’enracine dans le lit
des carences ou incohérences de certains mécanismes d’action
collective concernant la maîtrise foncière, l’aménagement
urbain ou le secteur de l’eau — ainsi des deux formes de péréquation tarifaire du Water District supposées aider les ménages
raccordés petits consommateurs et les usagers des bornes-fontaines mais qui ne leur profitent de fait pas directement. De
l’autre, il aboutit à recréer des règles de fonctionnement là où
les dispositifs institutionnels mis en œuvre dans le cadre local
ou national ont montré leurs limites ou leur inefficacité — ainsi
de la persistance des associations de fontaine dans le paysage
de l’offre malgré la réticence du District, de leur reconnaissance progressive dans le jeu partenarial engagé par les pouvoirs
locaux et de l’appui qu’elles trouvent auprès des organisations
de terrain, preuve de leur crédibilité croissante.
l’eau potable et plus nombreux seront les usagers qui, payant
pour cet accès, paieront la production d’eau publique par
l’opérateur principal. Une telle vision, extrapolée à partir du terrain, a l’avantage de donner ici au District, ailleurs au prestataire du service public d’eau, une place centrale à la fois dans le
contrôle des ressources en eau et dans la répartition des rôles et
la définition des règles à suivre par les autres fournisseurs d’eau
et les usagers : modalités tarifaires, périmètres et cibles de desserte individuelle et collective, etc. Elle s’appuierait ainsi sur
une nouvelle cartographie urbaine, où l’espace ne serait plus
divisé frontalement entre ville branchée et ville sans branchements mais représenté graduellement en fonction de l’accessibilité au réseau, et réinscrirait la relation opérateurs/clients dans
un schéma où la facture d’eau ne serait plus l’unique forme de
paiement du service rendu aux usagers. Aujourd’hui cependant, le District de Cebu n’a ni le recul critique ni le positionnement stratégique visant à organiser ses prestations directes et
indirectes par des dispositifs de contractualisation, d’encadrement ou de partenariat. D’aucuns considèrent que cette dernière est une forme « acceptable » de gestion du bien commun
(Taithe, 2001). Mais elle s’inscrit plus dans une relation pragmatique du « donnant-donnant » que dans une visée politique
partagée de gestion collective des inégalités. Sans doute coulera-t-il encore beaucoup d’eau dans les bidons avant que celleci émerge de l’inertie.
Mais les formes de solidarité lues à travers les pratiques suffisent-elles, à elles seules, à réguler ce système hybride ? Peuton en inférer que la redistribution d’eau à partir des branchements collectifs compose l’esquisse d’une forme liminaire d’intégration socio-spatiale dérivée du modèle du branchement
individuel, à l’aval du réseau central intégrateur ? Plus l’ossature du réseau sera étendue, plus la densification des branchements, privés et collectifs, sera effective, meilleur sera l’accès à
Véronique Verdeil
chercheur associée au Laboratoire Théories des Mutations, Institut
Français d’Urbanisme (Université Paris VIII).
Ses recherches portent notamment sur l’accès aux services d’eau et
d’assainissement dans les milieux urbains défavorisés. Il s’agit
d’étudier les réformes institutionnelles, sociales et économiques
engagées pour l’amélioration des conditions de vie des populations et
leurs impacts sur les organisations sociales, la gestion urbaine et
l’environnement.
Email : [email protected]
NOTES
(1) Cet article est partiellement issu de la thèse de l’auteur,
réalisée avec le Laboratoire Théories des Mutations Urbaines
(IFU, Paris VIII) et le soutien d’Anjou Recherche et de Véolia
Water Asie, qui ont notamment financé le travail de terrain
ayant permis la production des données (en particulier une
enquête auprès des ménages dont certains résultats sont présentés dans cet article). Cette réflexion n’engage que son auteur.
(2) L’entité « Metro Cebu » n’a pas d’existence juridique
propre. La définition retenue ici est justifiée par la référence au
service d’eau, gage de cohérence et d’homogénéité des données recueillies.
(3) La « loi sur les services d’eau provinciaux » (Provincial
Water Utilities Act of 1973) institue une agence centrale d’assistance financière et technique, la Local Water Utilities
Administration (LWUA), tutelle des entreprises d’eau publiques
autonomes décentralisées, les Water Districts, créés sur option
des gouvernements locaux dans les centres urbains de plus de
20 000 habitants. Voir les rapports annuels et Lettres de LWUA
depuis 1974.
(4) Soit 0,025 USD le bidon de 20 litres (ou 0,15 FF) au taux
de change en vigueur en 2000.
(5) Cette enquête a été réalisée entre mars et juillet 2000
Dossier
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Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
auprès de 700 ménages répartis dans 22 quartiers de Metro
Cebu (dont 625 ne disposant pas de raccordement au réseau
d’eau potable). Elle a mobilisé une quinzaine d’enquêteurs
locaux spécialement formés à cet effet. En l’absence de plans
d’adressage et d’une liste exhaustive pour un tirage aléatoire, la
méthode d’échantillonnage utilisée est dite « stratifiée à deux
niveaux » : tirage des quartiers à enquêter d’abord (pour lesquels on dispose de données de densité et de desserte en eau
par le réseau), puis, au sein de ces quartiers, tirage du nombre
de ménages à enquêter, proportionnel à la population totale du
quartier et respectant la proportion voulue de ménages raccordés et non raccordés. L’enquête effectuée relève de la catégorie
des « enquêtes générales » et, pour l’analyse de la demande, de
celle des « préférences révélées » (la demande est interprétée à
partir de l’existant) par opposition aux enquêtes de volonté de
payer (quantification de la demande en valeur monétaire = ce
que les ménages consentiraient à payer pour des services amé-
liorés) qui se placent en situation contingente (ces services
n’existent pas encore).
(6) Au contraire des « normes » valant dans d’autres
contextes (un point d’eau doit être situé à 200 ou 250 mètres du
domicile), sans doute la présence de nombreux points d’eau
explique-t-elle ici qu’au-delà d’une distance de 80 à 100
mètres, les usagers considèrent que l’offre est trop distante et
donc inaccessible.
(7) L’étude des critères de segmentation ou déterminants de
la demande est basée sur la méthode statistique de l’analyse
factorielle discriminante. Elle vise à expliciter le rapport formel
et empirique entre les dispersions d’ensembles de variables :
celles à « expliquer », ici les types d’utilisation, et celles « susceptibles d’expliquer » ces types, puis à hiérarchiser ces dernières en fonction de leur effet (corrélation) et du sens de cet
effet sur les premières — qui ne préjuge en rien de l’existence
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