questions a charles melman la formation du psychanalyste

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questions a charles melman la formation du psychanalyste
QUESTIONS A CHARLES MELMAN
LA FORMATION DU PSYCHANALYSTE
Alessandra Guerra: Vous êtes un psychanalyste très
important et influent. Les lecteurs du site du Manifeste
sont très intéressés à connaître votre opinion sur la
formation du psychanalyste.
Charles Melman: Comme vous le savez, la formation du
psychanalyste passe avant tout par une cure personnelle.
Pourquoi cette cure? Parce qu’elle lui permet d’abord de
voir que son organisation subjective, que l’organisation de
ses désirs est liée à la rencontre d’un obstacle qui va jouer
le rôle déterminant dans son existence. Le problème est
de savoir si cet obstacle est traumatique, et en particulier
historique, ou bien s’il est symbolique, c’est-à-dire lié à la
pratique même du langage. Pourquoi? Parce que le
système de communication qui est le propre de l’espèce
humaine n’est pas constitué de signes. Dans le monde
animal le signe est en lien direct avec l’objet de la
satisfaction et l’animal trouve le savoir de ce decriptage, il
le trouve inné en lui. La vie animale est donc simple, et on
aurait envie de dire heureuse. Mais dans l’espèce humaine
il n’y a aucun savoir inné quant à ce qui serait la bonne
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conduite concernant la satisfaction du désir et, d’autre
part, le système de communication fait que l’objet cause
du désir est toujours manqué. Freud a rendu compte de
cette situation avec le mythe de l’Oedipe. Le but de la
cure est de permettre à l’analysant de découvrir deux
choses: d’abord quel est cet objet pour lui perdu et qui
organise son désir (autrement dit quel est son fantasme)
et l’autre chose concerne le fait que, contrairement à ce
qui se passe dans le règne animal, dans le monde animal
il n’y a pas de signification ultime, il n’y a pas de sens
dernier. Comment faire comprendre aux psychanalystes
qu’il n’y a pas de sens dernier, qu’il n’y a jamais de dernier
mot? C’était ce que Lacan essayait de faire, en particulier
avec son enseignement qui paraît toujours difficile.
Pourquoi?
Parce
que
l’enseignement
de
Lacan,
contrairement aux enseignements universitaires, essaye
de donner à entendre. Et la seule façon juste de procéder
pour un enseignement analytique c’est, non pas de
désigner l’objet ou le concept qui serait le bon et le vrai,
mais c’est toujours de donner à entendre. La résistance à
l’enseignement de Lacan tient beaucoup à ceci: c’est que
nous sommes dans une culture positiviste, nous exigeons
la saisie des vrais concepts, des vrais objets; nous avons
vis-à-vis de la nature une position de maîtrise, nous avons
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cette position de maîtrise face à nos semblables et donc il
y a forcément une résistance à l’égard d’un enseignement
qui cherche à donner à entendre tout cela. A partir de cela
l’auditeur a, non pas un guide de conduite, mais le droit
d’entendre ce qu’il voudra. Le but d’une cure n’est pas
donc de donner un guide de bonne conduite, mais de
permettre de savoir que la conduite quotidienne, et en
particulier celle qui concerne la satisfaction des désirs, est
à chaque fois à assumer et à réinventer.
Alessandra Guerra: Vous qui avez fondé l’Association
Lacanienne Internationale, pouvez-vous me dire comment
à l’intérieur de votre Association les analystes se formentils?
Charles Melman: Notre façon de procéder à l’Association
lacanienne est très classique: c’est-à-dire qu’elle comporte
l’analyse des textes qui sont nécessaires: pas seulement
ceux des psychanalystes, mais des textes de linguistique,
des textes logiques, parfois des textes d’histoire, de
poésie, d’anthropologie. Donc je pense: par l’étude des
textes et évidemment par l’étude des séminaires de
Lacan. Ça veut dire: nous avons fait la publication
intégrale de l’ensemble des séminaires de Lacan, nous les
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avons retranscrits puisqu’il s’agit de sténographies ou de
bandes sonores qui ne sont pas utilisables directement.
Nous avons donc édité pour les élèves de l’Association
(car nous n’avons pas le droit de les mettre dans le
commerce), nous avons édité l’ensemble des séminaires
de Lacan et c’est une édition très soignée. Chaque année
l’ensemble des élèves de l’Association étudie l’un des
séminaires et à la fin du mois d’août nous avons un
séminaire d’été de quatre jours et nous nous réunissons
tous pour discuter ce que nous en avons retenu de ce
séminaire. Voilà, l’une des façons que nous avons de
procéder. Nous commençons également de nouveau à
pratiquer la procédure de la passe.
Alessandra Guerra: Vous aviez différé la passe
Charles Melman: Oui, on avait différé, mais nous avons
recommencé et comment dire? Ce sont des expériences
très intéressantes
Alessandra Guerra: Quand est-ce que vous avez repris la
passe?
Charles Melman: Il y a un an.
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Alessandra Guerra: Puis-je vous demander pourquoi?
Charles Melman: C’est une bonne question. Parce que l’un
de nos membres est à l’étranger et il a besoin pour être
plus assuré de sa position d’analyste – il est seul là-bas
dans ce pays – de vérifier la validité de son cursus, de son
travail en analyse en procédant à la passe. Nous avons
estimé que c’était une légitime demande, nous avons
donc fait cela et ça a été très intéressant pour le jury et
pour lui. Ça a été une expérience très intéressante. Nous
avons donc décidé de nouveau rendre active cette
procédure pour d’autres.
Alessandra Guerra: Donc, si je n’ai pas mal compris, le
mode classique de la formation est: une analyse
personnelle avec un analyste de votre Association…
Charles Melman: ou avec un autre analyste. Ça n’a pas
d’importance.
Alessandra Guerra: … les cours de l’Association, les études
et la passe.
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Charles Melman: Oui, il y a les contrôles aussi, les
supervisions. Elles ne sont pas obligatoires, les contrôles
ne sont pas obligatoires. Mais il est habituel que les
jeunes analystes fassent des contrôles d’eux-mêmes. Ce
n’est pas une obligation légale.
Alessandra Guerra: Vous avez signé le Manifeste pour la
défense de la psychanalyse. Vous nous avez fait ce grand
honneur et vous êtes d’accord avec ce qui y est écrit
concernant la formation du psychanalyste. Or, il y a des
pays – l’Italie est l’un d’eux – où cela n’est plus possible
parce qu’il est nécessaire de faire des cours universitaires,
para-universitaires,
la
psychanalyse
même
devient
obligatoire. Êtes-vous au courant de cette situation? Qu’en
pensez-vous?
Charles Melman: C’est une situation qui a des raisons
politiques et nous ne sommes évidemment pas ni les
maîtres ni les responsables du devenir politique d’un
pays…
Alessandra Guerra: Ah, non, non; certes pas du tout. C’est
évident. Je vous demande votre opinion.
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Charles Melman: Vous savez qu’aux Etats Unis la
formation
médicale
est
obligatoire
pour
les
psychanalystes.
La Société Américaine de Psychanalyse a décidé qu’ils
devaient être médecins malgré le travail de Freud sur la
psychanalyse laïque.
Alessandra Guerra: C’est une vieille histoire
Charles Melman: Oui. Vous savez aussi qu’en Allemagne,
pendant longtemps, les séances étaient remboursées par
la Sécurité Sociale et que la Sécurité Sociale accordait un
nombre limité de séances. Il fallait que la cure se passe à
l’intérieur
d’un
nombre
limité
de
séances.
Les
psychanalystes n’ont pas d’autre choix que d’inventer les
moyens pour maintenir leur discipline dans des conditions
politiques ou culturelles qui rendent leur exercice très
difficile. S’il est obligatoire de passer par des études de
psychologie à
l’Université, nous sommes forcément
emmenés à inviter nos étudiants à faire ces études. Nous
n’avons pas les capacités pour faire une révolution
populaire qui pourrait changer cet aspect des choses.
Donc, nous sommes bien obligés de travailler avec les
conditions propres aux pays où nous sommes. Prenons un
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autre exemple qui est très différent. Vous avez le
Portugal. Au Portugal il y a des psychanalystes de la
Société
orthodoxe
et
puis
quelques
psychanalystes
lacaniens. Mais ils n’ont aucune reconnaissance de la part
ni des psychiatres ni des psychologues ni du milieu
culturel. Ils sont marginalisés. Pour quelle raison? C’est
des raisons qui tiennent à la culture de ce pays. La loi n’a
même pas à intervenir: c’est la culture elle-même qui les
rejette.
Alessandra Guerra: Nous sommes ici pour cette raison.
Puisque, à notre avis, la loi italienne, et en général ce
manque de formation laïque, est un appauvrissement de
la psychanalyse. Qu’est-ce que vous en pensez?
Charles
Melman:
C’est
non
seulement
un
appauvrissement, mais d’une certaine manière c’est la fin
programmée de la psychanalyse, parce que les exigences
actuelles de passage par une école de psychothérapie,
ainsi que l’étudiant a un pragmatisme thérapeutique qui
n’a rien à voir avec la conduite d’une cure, invitent
d’avantage d’être un guide spirituel, un coach ou un
thérapeute plus ou moins magicien, mais pas un
psychanalyste.
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Alessandra Guerra: De cette façon on insiste beaucoup sur
la suggestion…
Charles Melman: Oui, c’est le retour de la suggestion. Mais
l’Italie connaît bien le pouvoir de la suggestion quand ils
commandent la politique. Moi je dis: le pouvoir de la
“fascination”. C’est un mot que je trouve pas mauvais
pour l’Italie en particulier. Le mot latin fascinum: c’est
l’objet qui fascine et qui fait qu’on entre sous le coup de
sa suggestion. Vous savez le pendule, l’objet brillant que
l’on fait passer sous les yeux pour hypnotiser le patient.
Alessandra Guerra: Au bout du compte c’est justement ce
à quoi le Manifeste essaye de s’opposer: à une fin
programmée
de
la
psychanalyse.
Nous
voudrions
organiser un mouvement, même européen, avec les
associations et le psychanalystes qui sont d’accord.
Charles Melman: C’est une excellente initiative, il faut
l’encourager
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Alessandra Guerra: Pour synthétiser: la formation que
donnent les écoles de psychothérapies n’est pas la même
que celle du psychanalyste.
Charles Melman: Exactement. Elle est complètement
différente.
Ella
n’a
rien
à
voir.
La
formation
du
psychothérapeute n’a rien à voir avec la formation du
psychanalyste..
Parigi, 4 luglio 2011
Trascrizione a cura di Christine Dal Bon
Testo rivisto da Dénise Sainte-Fare Garnot
Traduzione a cura di Janja Jerkov
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