Le prêt viager hypothécaire et la gestion du patrimoine

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Le prêt viager hypothécaire et la gestion du patrimoine
ETUDES ET COMMENTAIRES
Le prêt viager hypothécaire et la
gestion du patrimoine privé
Anne-Gaëlle PANSART, Notaire assistant, Diplômée supérieure du Notariat
Le viager : une solution d’avenir pour les retraités et futurs retraités ? La question mérite l’attention
du praticien. Plus d’un français métropolitain sur trois serait âgé de plus de 60 ans d’ici 2050(1), un
rapport actifs-cotisants/retraites-prestataires qui met à mal notre système de retraite par répartition,
1.200.000 personnes âgées dépendantes d’ici 2040(1). Les chiffres sont sans appel, le vieillissement de
la population française est inéluctable, la diminution de revenus durant la période de retraite l’est
aussi.
Alors quand on sait que :
- 70,7% des personnes âgées de plus de 65 ans sont propriétaires,
- que pour beaucoup d’entre elles leur logement constitue l’élément principal de leur patrimoine,
Pourquoi ne pas mobiliser ce capital à des fins de subsistance (I) ou/et de transmission à titre
gratuit (II) ? Telle est la question à laquelle la profession pourrait être de plus en plus confrontée.
La pratique et tout spécialement les notaires doivent alors parvenir à s’approprier le prêt viager
hypothécaire afin de remplir au mieux leur devoir de conseil vis-à-vis de leurs clients.
I- LE PRÊT VIAGER HYPOTHÉCAIRE : UN CONTRAT DE SUBSISTANCE
La personne qui vieillit doit faire face à des dépenses nouvelles : aménagement de son logement,
rémunération d’aides à domicile, soins médicaux, équipements divers… Corrélativement, du fait de
la cessation de son activité professionnelle, ses ressources connaissent une baisse. Nous le comprenons, ce n’est pas tant le vieillissement de la personne que son manque de ressources qui pose
problème. Le droit français essaie d’y répondre, et offre des instruments permettant, autant que
possible, à ces personnes de maintenir leur statut social, aussi bien par une stratégie patrimoniale
(A) que par la solidarité nationale (B). Le prêt viager hypothécaire sera au cœur des choix devant
être faits.
A- Prêt viager hypothécaire et vente en viager
Le prêt viager hypothécaire et la vente en viager, bien que juridiquement différents, s’adressent à
une même catégorie de personnes. Ils ciblent des personnes « riches » en capital mais « modestes»
en revenus. Ils s’accordent sur le terrain financier : ils permettent de dégager des liquidités en fin
de vie. Loin d’être concurrents, la stratégie patrimoniale et leurs différences commanderont le contrat
le plus adapté à la situation de tout à chacun.
La première des stratégies commande de choisir le contrat en fonction de l’âge et de l’état de santé
de l’intéressé. Plus l’âge sera avancé et/ou plus la santé sera fragile, plus il sera intéressant de
conclure un prêt viager hypothécaire plutôt qu’une vente en viager. Pourquoi ? L’explication est au
cœur de la qualification de chacun des contrats. Une vente immobilière en viager est un contrat
aléatoire. C’est un pari sur la vie. En concluant ce type de contrat, le crédirentier garde l’espoir de
vivre au-delà de l’espérance de vie prévisionnelle prévue au contrat et ainsi d’obtenir en contre
partie du dépouillement de son immeuble un gain plus important. Une santé précaire ou un âge trop
avancé feront de la vente en viager un mauvais choix de gestion du patrimoine.
(1) I. ROBERT-BOBEE, projection de population pour la France métropolitaine à l’horizon 2050 : la population continue de croître et le vieillissement se poursuit : Insee première n° 1089, juill. 2006.
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(2) M. DUEE et C. REBILLARD, la dépendance des personnes âgées : une
projection en 2040 : Insee, Données sociales, 2006.
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Le prêt viager hypothécaire, contrat commutatif à risques, intéresse au contraire les personnes ayant plus
de 75-80 ans. Le coût total prévisionnel du crédit est ici plafonné à la valeur de l’immeuble donné en
hypothèque estimé lors de la conclusion du contrat. S’agissant d’un prêt viager à titre onéreux, le capital
pouvant être emprunté sera fonction de l’espérance de vie de l’intéressé. Moins la personne sera âgée plus
le coût du crédit sera important, et donc moins le capital prêté sera important. La simulation effectuée par
l’Institut National de la consommation(3) et les fourchettes données par le Crédit Foncier(4) de France en
sont des exemples fort probants.
Une analyse chiffrée comparative de ces deux contrats démontre que plus la personne a une espérance de
vie importante, plus la vente en viager sera financièrement intéressante. Cependant, plus la personne
avance dans l’âge, plus le prêt viager hypothécaire est compétitif sans jamais pouvoir détrôner la vente
en viager(5). N’oublions pas cependant que par le prêt viager hypothécaire, l’intéressé ne prend pas le
risque de se dépouiller à moindre prix. Et, contrairement au crédirentier qui est fiscalement imposable au
titre de l’impôt sur le revenu sur les rentes perçues(6), l’emprunteur ne l’est pas sur la jouissance du
capital emprunté.
En plus de l’aspect financier de l’opération, la conclusion de l’un ou l’autre contrat(7) sera dicté par la
volonté de pouvoir passer ses vieux jours dans la maison familiale, lieu d’attaches et de souvenirs. La
question sera alors d’être ou de ne plus être propriétaire.
La qualité de propriétaire, la perspective de pouvoir transmettre sont autant d’attraits du prêt viager hypothécaire. De par sa qualité de propriétaire, l’emprunteur devra continuer à s’acquitter des impôts liés à cet
état, il devra apporter à l’immeuble tous les soins d’un bon père de famille(8). L’enjeu étant la déchéance
du terme, un examen de la capacité financière de l’emprunteur à pouvoir remplir ces obligations et un état
des lieux ne pourront être contournés. La prudence voudra que toute modification physique ou juridique
du bien soit autorisée par le bailleur de fonds. Quant à la perspective d’anticiper éventuellement la
transmission de son bien(9), elle devra être abandonnée sauf à avoir les liquidités nécessaires au
remboursement du prêt.
La vente en viager avec réserve du droit d’usage et d’habitation délestera l’intéressé de la fiscalité liée à
la qualité de propriétaire, des gros travaux, mais contre tout abandon de pouvoir transmettre un jour cet
immeuble à ses héritiers.
Le choix de l’un ou l’autre contrat ne peut exclure les incidences sur l’éventuel droit aux aides sociales.
B- Prêt viager hypothécaire et aides sociales
Le prêt viager hypothécaire et les aides sociales se rencontrent sur le terrain de la subsistance mais
peuvent-ils s’exclure ? Personne ne peut affirmer une telle chose. Cependant, en permettant la jouissance
d’un capital, le prêt viager hypothécaire peut avoir une influence sur l’attribution de l’aide sociale et un
audit du patrimoine et des revenus sont à envisager avant toute décision (1). En tout état de cause, le
caractère subsidiaire de l’aide social pourra détourner l’intéressé au profit du prêt viager hypothécaire
pour des raisons d’indépendance financière (2).
1- Le prêt viager hypothécaire et l’évaluation des ressources du demandeur de l’aide sociale
Dans le cadre de l’attribution de l’aide sociale, la collectivité n’accorde son financement qu’après avoir pris
l’exacte mesure des ressources du bénéficiaire et des droits éventuels que ce dernier peut avoir à
l’encontre de tiers. Alors même si la somme empruntée par le biais d’un prêt viager hypothécaire ne peut
être qualifiée de revenu, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être prise en compte selon l’affectation
qu’on lui donne. Trois hypothèses peuvent se présenter, savoir :
1°) La somme empruntée pourra constituer des économies placées et utilisées au gré des besoins de
l’intéressé. Rappelons que le droit à l’aide sociale est un droit personnel, un droit alimentaire, un droit
subjectif fondé sur l’appréciation de la situation personnelle du demandeur(10). En conséquence, pour
(3)C. LAMOUSSIERE-POUVREAU et E. MASSET-DENEVRE, « le prêt viager
hypothécaire », I.N.C. document, fiche pratique, J.248/12-07, INC hebdo,
n° 157, décembre 2007, p. 3 (simulation de viager hypothécaire en fonction de l’âge et du sexe de l’emprunteur en retenant un taux d’intérêt de
9%).
(4)Voir les plaquettes distribuées par le crédit foncier sur le prêt viager
hypothécaire.
(5)S. PRIGENT, « prêt viager hypothécaire et solutions : les éléments du
conseil », Defrénois n° 4, 28 février 2009, 38899.
(6) Article 158 6° CGI.
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(7) Vente en viager avec réserve du droit d’usage et d’habitation ou de
l’usufruit ; le prêt viager hypothécaire étant quant à lui un prêt sur gage
immobilier sans dépossession.
(8)Article L.314-8 du code de la consommation.
(9)Article L.314-14 du code de la consommation. Pour avis divergent :
Virginie MORIN BRUCKER, « le prêt viager hypothécaire », JCPN n° 19, 11
mai 2007, 1176
(10)J-P Hardy et J-M Lhuillier, « l’aide sociale aujourd’hui », éditions ESF,
16ème édition, p. 54
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l’évaluation des ressources du postulant à l’aide sociale, les revenus du capital détenu sont pris en
compte(11) soit pour leur montant réel, soit, lorsque ce capital n’est pas productif de revenu, pour
un montant fictif(12). La jouissance viagère d’un capital améliorant le quotidien de l’intéressé, il paraîtrait alors normal que les revenus de cette somme d’argent empruntée ou de ce qu’il en reste soient
pris en compte lors de l’évaluation des ressources du postulant.
2°) Le postulant pourra avoir affecté les fonds à des travaux d’entretien ou d’amélioration de son
logement (toiture, étanchéité, travaux consécutifs à un handicap). Dans ce cas, le revenu fictif ne
pourrait être retenu que sur l’immeuble considéré(13). Cependant, il n’y a pas lieu d’ajouter aux
ressources annuelles la valeur locative de cet immeuble(14) lorsque le demandeur occupe le logement
à titre principal.
3°) Le postulant pourra avoir voulu organiser la transmission de son patrimoine.
Soit il se dépouille de son capital par une donation. Lorsque la donation est intervenue postérieurement à l’attribution de l’aide sociale(15) ou dans les dix ans qui ont précédé la demande, des
recours en récupération contre les donataires peuvent être effectués jusqu’à concurrence, d’une part
de la valeur de la donation et, d’autre part, du montant des prestations de l’aide sociale allouées.
Dans ce cas, les seuils de 39.000,00 €(16) ou de 46.000,00 €(17) ne sont pas applicables.
Soit il se dépouille en plaçant ce capital sur une assurance-vie. Rappelons tout de même que le
Conseil d’Etat a estimé le 19 septembre 2007 que les intérêts capitalisés d’un contrat d’assurancevie doivent être pris en compte pour l’appréciation des ressources du postulant à l’aide sociale(18).
De plus, s’agissant de la récupération, le Conseil d’Etat a admis la récupération en tant que
donation(19) des sommes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie au décès de la personne
désignée (l’assuré)(20). Cette décision va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de Cassation(21)
et reste fragilisée par un avis rendu postérieurement(22). Or, on peut légitimement souhaiter que le
statut juridique de l’assurance-vie ne soit pas compris différemment en droit civil et en droit social.
Dans ce flou jurisprudentiel, la prudence sera donc de mise.
Enfin, la conclusion d’un prêt viager hypothécaire par un bénéficiaire de l’aide sociale ne peut constituer un « retour à meilleure fortune » et aucun recours en récupération ne pourra être fait sur ce
fondement(23). L’expression « retour à meilleure fortune » induit une augmentation du capital ou un
accroissement significatif de celui-ci(24). Or tel ne peut pas être le cas du prêt viager hypothécaire
qui permet la jouissance viagère d’un capital en contrepartie d’une rémunération. Cependant, la
conclusion d’un tel contrat peut être synonyme d’une amélioration de la situation du bénéficiaire et
donner lieu à la modification, voire à la suppression, de la prestation versée.
Si le débiteur de l’aide sociale ne peut imposer la conclusion d’un tel contrat préalablement à
l’attribution de l’aide sociale(25), l’intéressé pourra se tourner vers ce type de contrat pour des questions d’indépendance financière.
(11) Article L.132-1 du code de l’action sociale et des familles
(12) Article R.132-1 du code de l’action sociale et des familles : « pour
l’appréciation des ressources des postulants…, les biens non productifs
de revenus.., sont considérés comme procurant un revenu annuel égal
à … 3 p 100 du montant des capitaux » ; Commission centrale d’aide
sociale, 23 septembre 2004, cahier jurisprudentiel de l’aide sociale n°
2004/06, p. 89.
(13) Article L.132-1 et R.132-1 du code de l’action sociale et des familles
« les biens non productifs de revenu sont considérés comme procurant
un revenu annuel égal à 50 p100 de la valeur locative s’il s’agit d’immeubles bâtis ».
(14) Article R.132-1 du code de l’action sociale et des familles ;
Commission centrale d’aide sociale, 13 novembre 1989, cahier jurisprudentiel de l’aide sociale n° 10-1, p. 1.
(15) Lorsque l’aide est récupérable. N’est pas récupérable selon l’article
L.232-19 du code de l’action sociale et des familles, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
(16) Pour l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
(17) Pour l’allocation spécifique dépendance ou l’aide à domicile versées par le département.
(18) Conseil d’Etat, 19 septembre 2007, n ° 277830.
(19) Donc sans l’application d’un seuil pour la récupération. Voir sur ce
point J-M Belorgey, Vicissitudes du contentieux de l’aide sociale, RDSS
2006.531.
(20) CE, section, 19 novembre 2004, Roche, RDSS 2005.87, concl.
C.Devys ; AJDA 2005.194 chron.C.Landais, F.
(21) Cour de Cassation, chambre mixte, 23 novembre 2004, Bull mixte
n° 4 p. 9 ; JCP G 2005.253, note J.Ghestin ; RTD civ. 2005.434 obs
M.Grimaldi ; Dr.fam n° 3, 2005.11 obs. H.Lécuyer.
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(22) Avis rendu le 25 janvier 2005 par la section de l’intérieur du Conseil
d’Etat : des contrats d’assurance-vie souscrits au profit d’associations
reconnues d’utilité publique ne sont ni des donations ni des legs et ne
peuvent être soumis aux procédures d’autorisation des donations ou
legs.
(23)J-P Hardy et J-M Lhuillier, « l’aide sociale aujourd’hui », éditions
ESF, 16ème édition, p. 340.
(24) CCAS, 18 avril 2000, n° 982604 ; CCAS, 28 avril 2000, n° 971590 ;
CCAS, 28 avril 2000, n° 971580. Par exemple la vente d’un immeuble ne
constitue un retour à meilleure fortune dès lors qu’elle n’augmente pas
la valeur du patrimoine du bénéficiaire : CE, 15 mars 1999, n° 195748,
au recueil Lebon.
(25)Il est de jurisprudence constante que la détention d’un patrimoine par
le demandeur de l’aide sociale ne fait pas obstacle à ce que lui soit accordé le bénéfice de prestations ; on ne saurait, en particulier, indiquer à ce
demandeur qu’il ne pourra solliciter l’aide sociale qu’après épuisement de
son patrimoine . Cette façon de comprendre les choses est éthiquement
et économiquement justifiée comme le rappelle Monsieur Belorgey : « Il
ne serait pas équitable d’exiger d’un demandeur d’aide sociale, même si
ce demandeur est titulaire d’un patrimoine, et ce patrimoine serait-il
conséquent, qu’il liquide (ou qu’on liquide pour lui) celui-ci dans n’importe quelle configuration du marché (des biens immobiliers ou mobiliers, des titres en Bourses), et, le cas échéant, en urgence. Ceci donnerait au reste rapidement naissance à des comportements de marché propices à toutes sortes de manœuvres difficiles à déjouer, à supposer
qu’on s’en préoccupe.» Ce raisonnement vaut pour le prêt viager
hypothécaire. J-M Belorgey, « prestation d’aide sociale, revenus et
patrimoine », RDSS, n° 5, 2007, p. 862.
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2- Le prêt viager hypothécaire et la volonté de rester financièrement indépendant
Par le prêt viager hypothécaire, l’emprunteur finance ses besoins sur son propre capital, sans
solliciter ses obligés alimentaires.
En revanche, le droit à l’aide sociale est un droit subsidiaire qui n’intervient que lorsque les autres
solidarités s’avèrent défaillantes et en particulier la solidarité familiale(26). C’est pourquoi lors d’une
demande d’attribution de l’aide sociale le postulant, doit non seulement déclarer ses ressources mais
aussi l’aide pouvant lui être apportée par les membres de la famille au titre des articles 203 et 205
du code civil(27). Les obligés alimentaires sont invités à indiquer l’aide qu’ils peuvent allouer et
doivent apporter la preuve de leur impossibilité à couvrir la totalité des frais(28). L’autorité compétente fixe, en tenant compte de la participation des débiteurs d’aliments, le montant de l’aide
sociale consentie par la collectivité publique.
A défaut d’être un pacte sur succession future, le prêt viager hypothécaire est un pacte post
mortem. Il va de soit alors que la conclusion d’un tel contrat ira de pair avec les questions de
transmission successorale.
II- PRÊT VIAGER HYPOTHÉCAIRE ET TRANSMISSION SUCCESSORALE
Si les héritiers peuvent subir les incidences successorales d’un tel contrat (A), les héritiers peuvent
aussi profiter d’un tel contrat lorsqu’il est conclu à des fins de transmission à titre gratuit (B).
A- Transmission du logement familial
La conclusion d’un prêt viager hypothécaire peut paraître indolore à l’emprunteur ; elle le sera peut
être beaucoup moins pour ses héritiers qui assumeront cette dette successorale. Au cœur des
tourmentes successorales : le logement familial objet de la garantie. Et sur ce point on peut s’étonner que le législateur n’ait pas réglé la question des droits du conjoint survivant non co-emprunteur(29). Ce dernier peut voir ses droits sur le logement menacés par les voies d’exécution du prêteur. Si le droit temporaire au logement(30) pourra être opposé au créancier hypothécaire, rien n’est
moins sûr pour le droit viager au logement(31). Les règles protégeant les droits du conjoint sur le
logement permettront d’anticiper ces problèmes lors de la conclusion du contrat. En effet, les époux
ne pourront l’un sans l’autre consentir à la constitution d’une hypothèque ou d’un pacte commissoire sur le logement de la famille sous peine de nullité(32). Dans ce cadre, si le conjoint survivant
avait consenti au prêt viager hypothécaire lors de la conclusion, il ne pourra pas invoquer le droit
viager au logement pour parer à d’éventuelles voies d’exécution. Enfin, dans le cas où le défunt avait
consenti avant son mariage un prêt viager hypothécaire, il faut admettre la même solution. Il serait
pour le moins curieux que la garantie soit diminuée par le mariage de celui qui la donne. Cela n'est
ni souhaitable en droit, car le prêteur a pris sa garantie avant que le droit viager ne naisse, ni
souhaitable en opportunité car les banques seraient réticentes à consentir des prêts hypothécaires
à des personnes dont le prédécès pourrait faire naître un droit viager.
La prudence recommandera à l’emprunteur d’accompagner la conclusion d’un tel contrat par des mesures reflétant ses volontés. Ainsi, si sa volonté est de priver son conjoint de ce logement, il lui sera
recommandé de l’en priver selon les formes prescrites par la loi(33). Si au contraire sa volonté est de
préserver les droits de son conjoint sur le logement, l’emprunteur pourra agir de son vivant :
- lorsqu’il dispose de liquidités suffisantes, il pourra par un mandat posthume(34) prévoir le paiement
de la dette, acte d’administration ;
- ou encore, lorsque l’immeuble constitue l’actif essentiel de son patrimoine, il pourra envisager de
modifier son régime matrimonial. Une clause de préciput sur l’immeuble ou une communauté
(26)J-P Hardy et J-M Lhuillier, « l’aide sociale aujourd’hui », éditions
ESF, 16ème édition, p.34.
(27) Au moment de la demande d’admission à l’aide sociale, le postulant doit fournir la liste nominative des personnes tenues envers lui à
l’obligation alimentaire. En revanche pour l’allocation personnalisée
d’autonomie (APA), l’article L.232-4 du code de l’action sociale et des
familles dispose que ne sont pas pris en compte pour le calcul des ressources, les concours financiers apportés par les enfants.
(28) Article L.132-6 du code de l’action sociale et des familles.
(29)L’article L.314-1 du code de la consommation dispose que l’hypothèque sera constituée sur « un bien immobilier de l’emprunteur à
usage exclusif d’habitation ». Conclure un prêt viager hypothécaire
nécessite d’être propriétaire d’un bien immobilier. Si l’immeuble est un
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immeuble propre, seul le propriétaire pourra conclure ce type de
contrat.
(30)Article 763 du code civil, article d’ordre public.
(31) Doctrine soutenant l’inopposabilité du droit viager d’usage et d’habitation au créancier hypothécaire : Virginie MORIN BRUCKER, JCPN n°
19, 11 mai 2007, 1176 ; cependant, un autre auteur soutient que le droit
d’usage et d’habitation viager du conjoint survivant survivent à l’attribution de la propriété au créancier sans empêcher le jeu du pacte
commissoire : S. PRIGENT, « Le prêt viager hypothécaire », Defrénois,
15 novembre 2008, n° 19, article 38851, n° 41.
(32) Article 215 alinéa 3 du code civil.
(34) Articles 764 et 971 du code civil.
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universelle avec clause d’attribution permettra au conjoint survivant d’avoir la qualité de co-emprunteur et
de ne pas être inquiété dans ses droits(35).
Il va sans dire que toute anticipation des problèmes aura le bénéfice de préserver la paix familiale et de
ne pas rendre la note plus salée qu’elle ne l’est déjà(36).
Enfin, les maladresses rédactionnelles n’ont pas épargnées le conjoint survivant co-emprunteur. Si l’article
L.314-13 alinéa 1er le protège de toute exigibilité du prêt de son vivant, l’article L.314-14(37)en dispose
autrement en cas de démembrement de l’immeuble(38). Alors comment parer à cette contradiction ? Un
avantage matrimonial en propriété sur le bien ou une donation entre époux permettront d’anticiper le
problème(39). Toutefois, il est à noter que le Crédit Foncier stipule dans ses offres de prêt qu’un démembrement résultant du décès de l’un des co-emprunteurs n’entraînera pas l’exigibilité du prêt.
La conclusion d’un prêt viager hypothécaire sera un frein à la transmission de l’immeuble hypothéqué mais
constituera l’opportunité de transmettre un capital mobilisé.
B- Transmission d’un capital mobilisé
La mobilisation de ce capital immobilier pourra servir le dessein d’une transmission à titre gratuit par la
donation ou l’assurance vie. Suivant la fortune de chacun, ce dernier contrat présente l’avantage de ne pas
se dépouiller de son vivant. En effet, nul ne peut savoir quelle sera sa situation financière dans le
quatrième âge(40). Le montage d’un prêt viager hypothécaire avec une assurance vie permettra d’optimiser
non seulement la gestion de son patrimoine(41) de son vivant mais aussi la transmission à cause de mort.
L’article 757 B du CGI(42) permet de mieux comprendre les attraits d’une combinaison d’une assurance vie
avec un prêt viager hypothécaire. Le texte dispose que seules les primes versées après le soixante-dixième anniversaire sur le contrat seront imposables aux droits de mutation à titre gratuit, déduction faite d’un
abattement global de 30.500,00 €. Alors, Mme X, âgée de 70 ans réinvestit 30.500,00 ¤ du capital emprunté sur un contrat d’assurance vie. Son décès survient exactement 20 ans plus tard, conformément à son
espérance de vie au jour de la souscription. Dans l’hypothèse d’un rendement du contrat à 5%, le capital
décès dû par l’assureur au bénéficiaire sera de 81.000,00 €. Ce capital sera transmis en franchise de droit
de mutation à titre gratuit, ce qui représente une économie d’impôt de 48.600,00 ¤ si le bénéficiaire est
un tiers.
Prenons encore les mêmes données que l’exemple précédent mais cette fois le versement initial sera de
100.000,00 €. Le capital décès moyen sera de 265.330,00 ¤. L’assiette imposable sera alors de
69.500,00 € (100.000,00 € -30.500,00 €), soit une économie d’assiette de 195.830,00 €, ce qui représente une économie d’impôts pouvant aller jusqu’à 117.497,00 € pour un tiers bénéficiaire. Un tel montage
permettra d’optimiser la transmission entre non parents, et la transmission de gros patrimoines au profit
des descendants(43).
Alors même si des controverses existent quant à la notion de l’abus de droit au sens de l’article L.64 du
livre des procédures fiscales(44) avec le contrat de l’assurance vie, le montage devra observer quelques
règles de prudence quant au caractère prévisible du décès, la consistance du patrimoine(45). De plus, la
qualité de tiers bénéficiaire devra aussi faire l’objet d’une attention particulière au titre des primes
manifestement exagérées(46) versées sur un contrat d’assurance vie en présence d’héritiers réservataires
tant au niveau civil qu’au niveau fiscal.
(35) Par contre, le mandataire ne pouvant effectuer des actes de disposition, il ne pourra au titre de ses attributions donner l’immeuble en paiement
de la dette.tement des époux, il est nécessaire de recueillir celui du vulnérable.
(36) Si l’article L.314-9 du code de la consommation dispose que la dette
sera plafonnée à la valeur de l’immeuble au décès, cela n’empêche la stipulation d’intérêt de retard à compter de l’exigibilité de la dette. Ainsi, les
offres éditées à ce jour stipulent qu’après un délai de trois mois à compter
de la date du décès de l’emprunteur et jusqu’à la date de leur règlement
effectif par les héritiers, les sommes produiront des intérêts de retard. De
plus, si le conjoint occupe l’immeuble, non seulement la responsabilité
contractuelle des héritiers sera engagée pour diminution de la valeur résultant de cette occupation mais aussi la succession supportera le coût de l’occupation des lieux durant la première année.
(37) Article L.314-14 du code de la consommation qui ne distingue pas entre
les causes du démembrement (décès, aliénation) ni le moment auquel il se
produit (du vivant ou au décès de l’emprunteur).
(38) Article 757 du code civil, article 1094-1 alinéa 2 du code civil.
(39) Grâce à la donation entre époux, le conjoint survivant pourra cantonner son usufruit et pourra opter pour le droit viager d’usage et d’habitation
sur le logement familial.
(40) Colloque « droit et vieillissement de la personne », organisé à la faculté de droit et science économique de Besançon, les 18 et 19 octobre 2007,
sous la direction de Jean-René BINET ; propos de Marc NICOD sur le «
rajeunissement du droit des successions et libéralités », p.103 s, édition
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Litec ;
(41) Les contrats d’assurance dits en unités de compte permettent une
diversification financière de son patrimoine. Ils offrent la possibilité à leur
souscripteur d’adosser leur épargne au sein d’un seul et unique contrat, non
seulement aux placements traditionnels (tels que le contrat « pierre ») mais
aussi à des supports financiers (actions ou obligations, françaises ou étrangères).
(42) L’article 990 I du CGI ne sera pas abordé puisque la conclusion d’un
prêt viager hypothécaire n’est pas intéressante avant 70 ans.
(43) A combiner avec les avantages de la loi portant sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat dans son article IV : nouveaux articles 796-0 bis
et article 779 du CGI.
(44) Voir sur le sujet « la fiscalité de l’assurance vie » par Philippe BAILLOT
et Jean-François PIRAUD, les éditions l’argus de l’assurance, 2008, p. 231 et
suivantes.
(45) En ce sens quelques décisions du comité consultatif pour la répression
des abus : avis n° 97-16, avis n° 98-17, avis en 2001 BOI 13 L-4-01 du 27
février 2001, avis en 2002 voir BOI 13 L-1-02 du 22 février 2002, avis de 2003
voir BOI 13 L-6-07 affaire n° 2006-06.
(46) Cour de Cassation, chambre mixte, 23 novembre 2004, n° 06-12.769 et
article L.132-13 du code des assurances. Voir les incertitudes fiscales quant
à la taxation du bénéficiaire du contrat s’assurance vie en cas de réduction
des primes « manifestement exagérées : Philippe BAILLOT et Jean-François
PIRAUD, opus cite, p. 241 et 242.
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